Agadir gestion urbaine, stratégies d'acteurs et rôle de la société civile : urbanisme opérationnel ou urbanisme de fait ?

N°22 | 2003  | Pratiques maghrébines de la ville | p. 37-58 | Texte intégral


Agadir, urban management, actors' strategies and civil society role : operational urbanism or matter of fact urbanity.

Abstract: The Agadir urban heterogeneity is a result of a three fold dynamics, demographic – economic, socio-cultural and political – administrative dynamism, whose parameters end in a dual and poly nuclear agglomeration which necessitates strategic operational institutional restructuration.
Operational urbanism or spontaneous urbanity ? Such are the question raised in this article, which aims at analyzing the obsessions behind the logic of urbanism, in this town (Power, administrative doctrine or social pressure) through a critical approach.
Agadir which experienced an earthquake in 1960 has been rebuilt according to a planned classical schema which has proved to be vulnerable faced with the severe challenges related to town planning and urban management. The tremor left ineffaceable traces in its collective memory and on the method of urban organization and functioning, but the efforts to modernize the town have made it a laboratory for urban planners, with its numerous negative influential disfunctioning for public transport management.
In spite of these handicaps, Agadir has been structured according to its own mechanisms to become a regional capital and economic metropolis. But since 1985 Agadir has become a victim of its own dynamics from whence the intervention of civil society through two methods of approach : action and pressure.

Key words : Urban heterogeneity – Threefold dynamics –Agglomeration – Poly nuclear – Urban planning – Governance – Urban Identity.


Mohamed BEN ATTOU :  Université Ibn Zohr, faculté des lettres et des sciences humaines – Agadir – (Maroc).


Introduction

Au début des années 80, on pouvait expliquer que l’hétérogénéité urbaine d’Agadir résultait d’une triple dynamique démo-économique, socio-culturelle et politico-administrative dont les paramètres aboutissent à une agglomération duale et polynucléaire qui nécessite des restructurations institutionnelles, stratégiques et opérationnelles. L’anarchie est due particulièrement à un manque de planification bien faite, à un paradoxe de part les puissances publiques qui incitent à la production du cadre bâti (à travers les différents acteurs) mais, en même temps instaurent un pouvoir de police administrative qui aboutit à un urbanisme défensif et non-opérationnel qui se base sur des instruments classiques (SDAU, Plan de Zonage...) non évolués, rigides, non compréhensifs, limitant au maximum tant la créativité que le dialogue et qui finalement reproduisent un urbanisme inducteur de l’injustice foncière [1]. Déjà en 1995, la presse écrivait «l’explosion urbaine de la ville d’Agadir s’est faite en dehors de toute planification. Résultat : un tissu qui laisse à désirer avec 13,11% de la population qui vivent dans les bidonvilles... » [2].

Analyser la gestion urbaine à Agadir- une ville reconstruite- à travers l'urbanisme (1960-2000) pose toute la problématique du contenu sociopolitique de cet urbanisme. S'agit-il d'un urbanisme opérationnel qui signifierait gestion d'une compétence en matière d'urbanisme dans cette ville nouvelle ? S’agit-il d'un urbanisme de fait résultat d'une spontanéité urbaine, elle-même, aboutissement d'une administration de crise à l'échelle de l'urbanisme marocain ? Autrement dit, sur quelles obsessions se construit la logique de l'urbanisme à Agadir ? Autour du pouvoir, de la doctrine, de l'administration ou bien autour de la tension sociale lorsque celle-ci est réelle ?

La méthodologie préconisée pour l'approche de cette problématique générale trouve son fondement dans une perspective perçue d'une manière systémique et non de cause à effet. C’est à dire dans une dimension qui se pose en terme de logiques administratives, de stratégies d’acteurs, de pratiques urbaines, de mécanismes fonciers, de gouvernance, de pression sociale et de dynamiques (démographiques, économiques, socio spatiales).

L'objectif principal de cet article se veut moins une approche critique de l'urbanisme au Maroc à travers le cas d'Agadir, qu'un essai d'approche des mécanismes réels qui sous-tendent, configurent et orientent la politique d'aménagement du territoire. Agadir est un espace intéressant. Il s'apprête bien aux objectifs d'une telle démarche.

Planification et gestion urbaine, 1960 à 1975: Agadir, une ville technique

1.1. un Schéma directeur polycentrique et une ville polynucléaire

Agadir, la ville reconstruite après le séisme de 1960, a été affrontée à plusieurs défis relevant de la planification et de la gestion urbaine. Ce constat relatif à la situation plus au moins critique en matière d'aménagement à Agadir est connu : l'identité de la ville, les dynamiques urbaines, le paradoxe de la planification entre le juridique et la pratique, les contraintes du site, l'inadéquation entre la conception et la réalisation (l'expérience des cités nouvelles), la diversité des intervenants et l'incompatibilité des acteurs du fait urbain.

En effet, qu’il s’agisse de la période du Haut commissariat à la construction, du SDAU de 1978-1980 ou celui de 1989, les mêmes objectifs sont préconisés : maintien d’une structure polycentrique articulée sur les axes routiers et orientation de l’extension de la ville vers le Sud-Est.

En fait, la conséquence fut immédiate : une agglomération polynucléaire, résultant d'une pratique foncière loin d'être optimale, qui s'articule sur un Schéma d'aménagement lui-même polycentrique "spéculant" sur la fonction touristique et non sur les potentialités réelles de développement de la ville (en l'occurrence l'industrie, le commerce, le bâtiment, le transport...). Résultat, un schéma linéaire parallèle à la zone touristique (la RP.38, la RP.40, le réseau du transport urbain collectif). Ce schéma classique s'est trouvé rapidement vulnérable devant la triple dynamique démo-économique, socioculturelle et politico-administrative qu'a connue Agadir après 1975, lorsque la stratégie de la relance des provinces du Sud, et la promotion d'Agadir au rang de la capitale régionale, ont fait d'elle une plaque tournante entre le Sud et le Nord. Même la fonction touristique est devenue aujourd’hui prisonnière de ce schéma classique qui manquait de vision à long terme. Isoler la zone touristique pour la sauvegarder a fait de cet espace une enclave qu’il est primordial d’ouvrir sur la ville, sur la société, sur un transport collectif adapté. La mer, le soleil ne sont plus les attraits touristiques du premier choix ; mais c’est toute la société dans son rythme quotidien en tant que produit touristique qui motive davantage l’autre.

La dynamique démo-économique a fait d'Agadir (aujourd'hui plus de 160 000 habitants) une agglomération duale. La dualité s'opère à deux niveaux et vitesses : à l'intérieur de l'agglomération d'où le problème de définition du centre-ville, entre l'agglomération et sa périphérie. Cette dualité s'opère aussi bien à travers la polarisation démographique qu'à travers l'évolution des structures économiques.

De plus, le site est pénalisé par une combinaison de conditions topographiques, structurales et climatiques défavorables. Ces contraintes négligées par l’aménageur, qui a adopté des solutions provisoires parfois à haut risque pour des problèmes durables, conjugués à la dynamique démo-économique a renforcé davantage les coupures physiques à l’intérieur de la ville et a affirmé le caractère dual d’Agadir.

1.2. De la ville martyre à la ville reconstruite, Agadir: un laboratoire d’urbanisme

Le séisme du 29 février 1960 (d’une magnitude de 5,75 à l’échelle de Richter) fait désormais partie intégrante de l’identité de la ville. Qu’il s’agit de la mémoire collective ou de la morphologie urbaine du fonctionnement de la ville ou de la mobilité résidentielle, l’esprit du séisme est toujours là. Autrement dit, au-delà des dégâts humains (20 000 morts) et matériels (70% du territoire d’Agadir en moyenne), le séisme se fait encore sentir aujourd’hui aussi bien au niveau urbanistique de la ville reconstruite qu’au niveau de son mode d’organisation et de fonctionnement.

En effet, les dispositions institutionnelles (création du Haut- commissariat à la reconstruction en juillet, 1960), foncières (lois d’expropriation de 400 hectares pour constituer la réserve foncière nécessaire à la reconstruction), ainsi que les dispositions financières (fond spécial pour la reconstruction, 350 millions de Dh comme impôts de solidarité) et les dispositions techniques (règles anti Séismiques AS 55 remplacées par les règles parasismiques PS 67 puis RGPM 71) ont fait d’Agadir non seulement, une ville symbole de solidarité nationale et internationale, mais, une ville symbole de volonté nationale aussi fort que son béton de reconstruction comme l’écrivait justement C.Verdugo, il y a plus de 30 ans : « L’importance nationale de la reconstruction a sensibilisé les ingénieurs, les architectes et les entreprises chargées des travaux; la qualité des bétons et en particulier des surfaces laissées, brut de décoffrage, porte la marque de cette volonté de bien construire et d’éviter toute erreur susceptible d’entraîner un point d’affaiblissement donc de désordre... ». Qui dit volonté dit modernité. Un choix qui se veut une application de la Charte d’Athènes mais non sans limites ni adaptation au contexte local. Cependant, de cette charte au schéma directeur à l’expérience des cités nouvelles en passant par l’Equipe américaine qui a voulu faire d’Agadir un Miami ou Bahamas, puis par le Corbusier, Pierre Mass, Chattelet et enfin le Plan d’aménagement de la reconstruction avec le Haut commissariat, ce choix s’est avéré légitime pour la reconstruction. Il a permis de relever Agadir de ses cendres. Le béton armé, l’urbanisme opérationnel, aussi bien que l’architecture moderne garantissaient à Agadir une image de référence, un symbole à la fois de volonté, d’espoir et du futur. Pendant 20 ans (1960-1980) les motifs d’une ville reconstruite allaient se préciser : un centre urbain multi-fonctionnel, un espace résidentiel d’envergure, un secteur balnéaire référentiel, un quartier industriel récupéré et rénové et un espace polyvalent de réinstallation. Agadir fut pendant cette période certes un laboratoire d’urbanisme ; or, ce choix ne fut pas celui de la société. Prise dans une dimension évolutive, Agadir est loin d’être une ville objet ; mais tout simplement, une ville qui a longtemps fonctionné comme une ville qui n’est pas l’image de sa société. Une ville victime de sa propre dynamique. Face à l’explosion démographique et l’impulsion économique, la société dans son ensemble recule. On compte en 1995, plus de 55 468 bidonvillois et un urbanisme défensif.

1.3. Le schéma d'orientation de la ville influe sur le réseau du transport urbain collectif

La pression démographique et les difficultés de la gestion urbaine concernent aussi le transport collectif urbain figé à cause de deux problèmes : un dysfonctionnement dans la planification urbaine fort conséquent et une gestion du transport collectif qui laisse beaucoup à désirer. En effet, le réseau fut l'aboutissement de l'étude de la SERETE [3] sur la restructuration du réseau du transport collectif du Grand-Agadir (1978-1980). La restructuration proposée par la SERETE avait visé une population du Grand-Agadir estimée à 178 000 habitants, soit près de 32 000 ménages avec un taux d'activité de 24,5% et un taux de scolarisation de 38,8%. Or, le Grand Agadir compte déjà en 1994 plus de 550 000 habitants, soit 110 000 ménages pour un taux d'activité de 38,4% et un taux de scolarisation de 78,7%, dont respectivement 41,2% et 89,1% pour la ville d'Agadir. De plus dans cette dernière ville, environ 78 000 habitants, soit 49% de la population totale de la ville ne sont pas concernés en 1994 (et aujourd'hui encore) par le réseau du transport collectif. Malgré quelques tentatives, qui d'ailleurs n’ont pas encore abouti, aucune étude de restructuration du réseau n'a vu le jour depuis 1978-1980.

L'examen du réseau actuel à l'intérieur d'Agadir, met en évidence beaucoup de déficiences : l'Hôpital Hassan II, par exemple, n'est relié ni au quartier Charaf (4 250 Ha.) ni au quartier les Amicales (13 284 Ha.). Le quartier Dakhla (11 646 Ha.) n'est pas relié directement aux quartiers Al Massira (7 947 Ha.). De même, Lakhiam-Bouargane (22 266 Ha.) est relié difficilement à la Nouvelle-ville et à l'Hôpital. La ligne 2 au lieu de relier directement la Place Essalam à l'Hôpital Hassan II à travers Talborjt et Charaf, longe toute l'Avenue Al Hamra, effleurant ainsi El Hay El Hassani, Amsernate, Moulay Rachid, Bouargane avant d'emprunter la RP. 40, effleurant aussi les Amicales et Taddart avant d'arriver à destination. La durée du trajet dépasse largement le temps de parcours programmé (35 mn). La zone touristique, non plus, n'est desservie par aucune ligne de bus. Pourtant la fonction touristique à Agadir occupe actuellement plus de 7 000 personnes. En fin de compte, le réseau du transport collectif du Grand-Agadir est un réseau essentiellement radial, alors que l'éclatement de la ville d'Agadir nécessite des lignes circulaires courtes articulées sur quelques lignes diamétrales qui desservent le Grand-Agadir et la périphérie [4].

2. 1975-1985, Agadir, une ville d'intégration sociale

2.1. Après 1975, Agadir ni n’est ville-objet, ni ville sans âme mais une ville qui se structure selon ses propres mécanismes

Agadir manque certes de repères, de symboles, mais elle n’est pas pour autant une ville objet. L’identité profonde de la ville forgée dans ses heurs et malheurs est loin d’être éteinte. Elle se manifeste en la mémoire de chacun de ces citoyens. Un effort considérable est à déployer pour partager cette mémoire collective afin de faire d’Agadir une ville encore plus chaleureuse moins déficitaire en ancrages. Agadir se structure selon ses propres mécanismes. Les indicateurs statistiques montrent clairement la vitesse de la dynamique urbaine : le taux d’activité de la population gadirie est passé de 27,1% en 1971 à 41,2% en 1994 ; celui du Grand Agadir évolue, pour la même période, de 24,5% à 38,4%. Ceci signifie une mobilité quotidienne accrue vers et à partir d’Agadir d’où, les problèmes de fluidité, du transport collectif aussi bien pour la population active de tout le Grand Agadir que pour la population scolarisée d’Agadir dont le taux de scolarisation passe de 33,8% en 1978 à 78,7% en 1994. Cette dynamique économique ainsi que les mutations sociales ont incité à la production du cadre bâti. En effet, l’indice de construction est très révélateur : l’ERAC-Sud a investi, à Agadir, jusqu’en fin 1993, environ 1 069,1 millions de Dh. pour un ensemble de 34 programmes relatifs à 12 366 unités achevées dont 3 753 logements, 400 à vocation commerciale et 7 895 lots d’habitat et 318 lots industriels.

2.2. L’impulsion économique : Agadir une métropole économique du sud marocain et une capitale régionale

Il est certain qu’aujourd’hui, Agadir est une métropole économique du Sud marocain et une capitale régionale d’une riche plaine agricole : le Souss. Elle est aussi une plaque tournante entre le Nord et les provinces sahariennes. Ceci relève d’un exploit qui émane d’une volonté politique qui a misé sur les potentialités et les atouts favorables de la région :

- Situation géographique privilégiée (débouché naturel du Sous et stratégique du Sud, carrefour routier),

- Importance des potentialités régionales (richesse halieutique et agricole),

- Atouts touristiques,

- Diversité du patrimoine culturel,

- Dynamisme des populations et leur esprit d’entreprise,

- L’apport de l’émigration internationale en expériences et en placements immobiliers et réinvestissements économiques.

La statistique témoigne de la dynamique économique d’Agadir : plus de 7 000 emplois dans le tourisme et 575 000 touristes par an. Les tours opérateurs garantissent à Agadir 40% des devises à l’échelle nationale. Environ 370 établissements industriels (toute gamme) et 4 000 emplois dans le B.T.P dont 20% sont des établissements de construction. Les activités de pêche et les activités portuaires participent à hauteur de 17% du PIB. Ce dynamisme économique qui contribue à améliorer un taux d’activité qui passe de 27,1% en 1971 à 41,2% en 1994 est réalisé grâce aux efforts considérables et à la réalisation d’infrastructures de base : ports (trafic global de 1 847 500 tonnes en 1994, 1 378 millions de Dh d’investissement pour le programme 1996-2000 et 474 millions de Dh pour les équipements et la superstructure), aéroport... De ce fait, Agadir est une ville polarisatrice des flux de l’émigration. Elle exerce une double influence et sur la population rurale d’origine locale et régionale polarisée par le secteur non structuré de l’économie urbaine et, sur les citadins de tout le Maroc qui évoluent dans l’administration, l’agro-industrie, le tourisme, la pêche et le commerce. Ceci se répercute sur la production de l’espace urbain et sur les mobilités résidentielles. L’industrie et la pêche montrent bien cette impulsion économique et ses effets sur l’organisation de l’espace urbain et des flux quotidiens (transport collectif à titre d’exemple).

2.3. Une industrie qualifiée extravertie, très capitalisée influant sur le sol urbain

Au début des années 70 déjà, l’industrialisation dans le grand Agadir prend un nouveau visage. 20 ans après, plus de 140 entreprises nouvelles, de toute taille, sont créées représentant un lourd investissement. Agadir réalise en 1995 un chiffre d’affaire de près de 5000 millions de Dh, et emploie un effectif permanent de près de 9000 personnes.

Agadir est de loin, la première place industrielle du Grand-Agadir et de toutes les villes du Souss réunies. Avec 170 établissements industriels qualifiés dont 30,8% sont des entreprises d’industrie halieutique pour 29,1% pour l’industrie à base agricole. L’industrie de bâtiment est en plein essor, 23,8% de l’ensemble des établissements industriels qualifiés. Quoique composante primordiale de l’économie régionale, le B.T.P souffre, à Agadir, plus qu’ailleurs de la déréglementation et de la concurrence déloyale présentées par le secteur informel. Ce qui l’empêche de jouer pleinement son rôle économique et de moteur pour d’autres activités qu’il entraîne dans son sillage, que ce soit à l’amont (matériaux de construction, matériel de chantier…) ou à l’aval (habitat, urbanisme, industrie…).

2.4. La pêche et l’activité portuaire, de la promotion sociale à la promotion immobilière

L’infrastructure portuaire existante dans les ports du Sud-marocain revêt une importance primordiale. La mise en service des installations techniques a contribué largement au développement économique de la région. Les ports ont constitué la pièce maîtresse de l’économie locale. Plus, ils sont l’unique lieu d’échange de la plus grande partie du trafic en provenance et/ou à destination des provinces sahariennes et plus particulièrement en ce qui concerne le cabotage qui, de loin reste le moyen le plus économique pour assurer l’approvisionnement des zones sahariennes.

La pêche et les activités portuaires liées à la réalisation du trafic par les ports du Sud sont créatrices d’emplois directs et indirects et fort consommatrices d’une main d’œuvre de formation et de qualification très diverses capable d’exécuter des taches différentes allant de la pêche aux activités de conditionnement, et de distribution tout en passant par l’acheminement des cargaisons et le ravitaillement des navires. Ceci aussi bien sur le site du port que dans son voisinage immédiat.

L’état des investissements réalisés et des investissements programmés entre 1996 et 2000 montre l’importance des capitaux à la fois publics et privés injectés dans les équipements des ports du Sud. Environ 3791 millions de Dh, soit 93,4% de l’ensemble des investissements jusqu’à l’an 2000 sont investis avant 1996. Agadir profite pleinement de ces investissements : 1852 M.Dh, soit 1378 M.Dh pour l’infrastructure portuaire et 474 pour les équipements et la superstructure, soit 45,6% de l’investissement global. Le port d’Agadir fait exception par sa taille et sa polyvalence, ce qui signifie un haut niveau d’équipement. Compte tenu des enjeux et des sommes engagées dans le nouveau port d’Agadir, ce dernier concentre à lui seul 48,2% de l’ensemble du trafic des ports du Sud, soit près de 1847 500 tonnes en 1996 (dont 38% à l’export). Autrement dit, une hausse variable de 7,7% en 1990 à 10% en 1996 pour une hausse nationale stable limitée à 8% pour la même période.

La production annuelle de la pêche est de 963 276 tonnes d’une valeur de 2370 millions de Dh en 1998. Les produits de pêche d’Agadir représentent en valeur 6,7% de la production nationale. L’apport de la pêche hauturière d’Agadir est très élevé. Il est estimé en 1998 à 1755 MDh, soit 60% de la valeur nationale de la pêche hauturière marocaine. La moitié de la production est en poissons blancs et en espèces destinées à l’industrie. Il existe en fait à Agadir 58 unités spécialisées dans la congélation, la conserve, l’exportation et la production de la farine de poisson. Sur le plan social, la pêche et les activités portuaires génèrent des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects. La pêche emploie 36 162 personnes en 1998, soit près de 40% la population maritime marocaine. La coexistence de trois types de pêche : artisanale, hauturière et côtière se réalise positivement en terme d’emploi et a permis la survie de près de 10 000 pêcheurs répartis sur une flotte artisanale opérationnelle constituée de 1200 unités. Le nouveau port de pêche prévu dans la zone comprise entre l’ancien et le nouveau port de commerce donnera davantage de dynamique à Agadir. Déjà le trafic de voyageurs débarquant au port d’Agadir est très significatif : près de 22 000 voyageurs ont débarqué ou embarqué au port en 1994, un chiffre en hausse de 10% l’an et en croissance moyenne régulière. La plaisance, le tourisme et le trafic des passagers constituent l’un des axes de développement pour l’avenir du port d’Agadir. Sur le plan urbain, la pêche comme le tourisme, d’ailleurs sont des activités à effets induits fort conséquents sur l’organisation urbaine.

3. A partir de 1985, Agadir, victime de sa propre dynamique

3.1. La pression démographique, une composante sous- estimée

Dans le Sud marocain, plus précisément dans le Souss, l’urbanisation est un fait remarquable. Elle est la conséquence d’une migration que l’on pourrait qualifier de forcée à la fois de fortune, de pauvreté et d’origine locale et multirégionale. Cependant, les contradictions du système économique (économie extravertie à grande échelle, économie de subsistance...) et la propulsion du monde rural dans l’économie globale sont corrélatives à la désarticulation de l’espace qui est l’une des conséquences géographiques et sociales les plus évidentes des nouvelles formes de croissance.

Les dualités ne varient pas uniquement d’un milieu géographique à l’autre, mais aussi d’une agglomération à l’autre, voire d’un quartier à l’autre selon les classes sociales, la référence identitaire et la base économique. Ayant longtemps fonctionné comme espace politiquement et économiquement périphérique ouvert progressivement sur l’étranger (migration internationale) et l’intérieur (exode rural soutenu), le Souss fut rapidement propulsé dans la modernisation (lancement de l’un des plus modernes périmètres irrigués du Maroc le « Souss-Massa ») et pénétré par un mode de production capitaliste à l’occidental injecté dans une formation sociale conservatrice et traditionnelle. Du coup, et avec la récupération du Sahara marocain, une nouvelle organisation spatiale, caractérisée par l’hégémonie d’Agadir, se met en place. Cette ville concentre une part excessive de la population et des activités économiques. Ce fait est d’importance. Une armature urbaine s’est constituée et consolidée autour d’Agadir-Inezgane (247 778 habitants en 1994) donnant lieu à un phénomène complexe de « banlieue multifonctionnelle » où Dcheira-Jihadia (72 479 ha), Ben Sergao (39 289 ha), Tarrast, El Jorf et Tikiouine (26 796 ha) seraient les cités dortoirs ; Aït-Melloul (82 825 ha) et Anza (30 291 ha) les zones industrielles et agro-industrielles avant de devenir aussi des trames administratives ; enfin, Taghazout et Aourir rempliraient la fonction d’un espace balnéaire et en partie de résidences secondaires.

La modernisation agricole de Souss-Massa et l’aménagement hydro-agricole de la plaine du Souss ont, certes, relativement renforcé le contenu démographique et socio-économique des petites et moyennes villes comme Taroudant (57 136 ha en 1994) et Ouled Teima (47 126 ha). Mais, ils ont surtout contribué à l’éclosion de plusieurs « pseudo-villes » disséminées un peu partout le long de la plaine de Souss (Biougra (13 885 ha), Massa (8 113 ha), Sebt El Guerdane (6 525 ha), Ouled Berhil (9 211 ha). Ces «pseudo-villes» ou «centres urbains», érigés pour la plupart au rang de municipalités sont particulièrement dynamiques et ont un pouvoir de polarisation sur les populations rurales. Encore aussi phénoménale, l’interaction de facteurs de polarisation urbaine (agro-industrie, activités tertiaires...) et de facteurs de répulsion démographique, notamment dans les bordures montagneuses des Atlas (sécheresse, marginalité etc...) d’une part, et l’injection de surplus économique migratoire dans le lieu d’origine, où l’espace a une double représentation mentale et symbolique d’autre part, engendra l’apparition de plusieurs petits centres en gestation le long des axes routiers.

Au niveau urbain, le phénomène migratoire a bouleversé le fonctionnement migratoire lui-même. Certains petits centres urbains comme Biougra, Ait Aiâza,Aourir, Lakliâ, Temsia supplantent de loin la moyenne d’accroissement annuel de la population urbaine nationale (4 %) et dépassent le seuil de 6%, voire même des 13% pour Biougra et des 8% pour Aourir. Tandis que les petites et moyennes villes constituant le Grand Agadir enregistrent des taux relativement moins élevés mais qui restent quand-même ressentis, comparés à la moyenne urbaine nationale, trop élevés. Ceci signifie d’une part, qu’Agadir, la capitale régionale du Souss et du Sud, capte actuellement une partie seulement des flux migratoires. L’essentiel des apports migratoires notamment d’origine rurale locale se tourne vers Ait Melloul, Dcheira-Jihadia, Inezgane et Ben Sergao, affirmant ainsi un processus de suburbanisation, qui déclenché dès 1960 juste après le séisme d’Agadir, continue à se cristalliser autour de ces villes-relais au départ, devenues rapidement des réceptacles accueillant les vagues de ruraux et déjà le trop-plein de la capitale. Sur le plan aménagement et planification, Agadir doit être prise dans cet ensemble, c’est-à-dire à l’échelle de toute l’armature urbaine.

3.2. Le marché foncier et immobilier gadiri est un marché qui a sa propre logique

Le marché foncier et immobilier gadiri est un marché particulier qui a sa propre logique et son mode de fonctionnement ; pourtant, il n’a pas fait l’objet de beaucoup d’études. Si au début, il a facilité la reconstruction d’Agadir, il représente aujourd’hui une contrainte majeure à l’élaboration et à la mise en œuvre de toute politique rationnelle de construction, d’urbanisme et même d’aménagement du territoire. Il est certain que la constitution d’une réserve foncière pour la reconstruction d’Agadir a permis de lutter contre la spéculation foncière mais, après 1980, le contexte change. Nous sommes face à une demande importante sur le foncier et sur l’immobilier. Or, l’offre reste bien en deçà de la demande car dans son ensemble le marché immobilier gadiri est incompatible. Parfois, il accuse des paradoxes fort conséquents.

En effet, pour des raisons macro-économiques (mutations immobilières, hausse des valeurs immobilières à partir de 1984) et des facteurs socio-économiques locaux (polarisation d’Agadir, drainage de l’épargne des classes moyennes et riches, solvabilité des émigrés …), le marché immobilier gadiri témoigne d’une complexité de fonctionnement. L’absence d’un marché foncier au sens propre du terme, l’administration ayant le monopole de la production de lotissements, rend très limitée l’offre disponible. C’est la raison pour laquelle on ne peut parler que d’une offre potentielle. Celle-ci, importante mais très irrégulière et difficile à évaluer, génère une vive spéculation privée qui touche à la fois les tissus anciens de la ville aussi bien que les nouveaux lotissements. Il est certain que l’offre motive peu de catégories (les attributaires de première main, les spéculateurs privés) mais elle intéresse des acheteurs diversifiés et de tout horizon.

Pour sa part, le marché du logement a fonctionné dans un premier temps (la reconstruction jusqu’à la fin des années 80) dans une logique de promotion immobilière. Dans un deuxième temps (début des années 90), il est au centre d’une stratégie d’acteurs. Actuellement, le marché du logement cible les catégories les plus solvables (professions libérales, commerçants, émigrés, classes moyennes supérieures). Il concerne de plus en plus les appartements dans les immeubles, les villas et duplex et il intéresse une foule d’intermédiaires aussi bien les professionnels de l’immobilier (ERAC, ANHI, CGI…) que les spéculateurs toutes catégories (agents immobiliers, commerçants, fonctionnaires des organismes immobiliers, retraités …). Ceci rend le marché du logement difficile à évaluer. A chacun sa stratégie et son mode de fonctionnement.

Le marché locatif, quant à lui, est en pleine crise. D’une part, la production du logement locatif apparaît officiellement quasi-nulle tandis que la proportion des logements vacants et de résidences secondaires est importante. Il est vrai que dans la pratique, une bonne partie des logements individuels sont convertibles en logements locatifs mais l’absence d’un élément régulateur comme l’ancienne médina fait que l’accès à la location devient de plus en plus difficile d’où la prolifération des mécanismes d’ajustement (logement familial, renchérissement des loyers, développement de la location des garages, développement de l’habitat clandestin).

3.3. L’offre, la demande et les stratégies des acteurs du fait urbain

Vue la « boulimie » du logement à Agadir depuis le début des années 80, une question fondamentale s’impose : est-ce que l’offre répond qualitativement et quantitativement à la demande ? Oui et non.

Oui, parce que une partie importante de la demande est quantitativement satisfaite. L’activité de l’ERAC-SUD, principal promoteur immobilier dans la région, jusqu’au 31 décembre 1993 le montre clairement. En effet, le montant global cumulé des investissements entrepris par l’ERAC-SUD s’élève à plus de 4 milliards de DH portant sur une centaine de programmes d’une consistance de 35 935 unités dont 26 000 achevées correspondant à 73 programmes. 18 271 unités sont situées dans le Grand-Agadir, soit 5495 logements, 716 commerces et 12 060 lots réalisés avec une enveloppe budgétaire de 2,2 milliards de DH. La production du ciment en 1994 déjà est très révélatrice de la pression sur le bâti. En effet, le taux de production du ciment par habitant dans la région Sud était de 312 Kg/Ha. pour une moyenne nationale de 224 Kg/Ha. Entre les années 1970 et 1990, l’industrie des matériaux de construction a connu à Agadir, un développement phénoménal. Alors que la région Sud ne produisait en 1982 que 16% de matériaux de construction à l’échelle nationale, la région centre 35% et la région Nord-Ouest 22%. En 1992, le Sud a plus que doublé sa production. La cimenterie d’Agadir a produit en 1992 à elle seule, 896 095 tonnes du ciment pour subvenir à la demande formulée par la boulimie du logement du Grand-Agadir, du Souss et le développement des provinces sahariennes. Les carrières d’Anza sont un témoignage vivant de la pression de cette demande.

Non, parce que les stratégies des acteurs en matière de logements ciblent la demande la plus solvable au détriment de la demande peu ou pas du tout solvable. Aussi, les classes aisées et une partie seulement des classes moyennes arrivent aisément à récupérer trois types de logements : des logements de résidence, des logements de spéculation et des logements d’investissement défensif (surtout pour les émigrés). Ces deux derniers types de logements sont récupérés face au désistement d’une couche importante de classe moyenne qui se trouve bloquée entre un système d’attribution de crédits de logement très complexe, autoritaire qui devient de plus en plus inadéquat face à une capacité d’épargne de plus en plus essoufflée par le coût de la vie et face à un marché de logement particulièrement spéculatif qui rend l’accès au logement et même à la location de plus en plus difficile. En effet, la proportion des logements vacants atteint le seuil des 27% à Agadir. Cette proportion monte selon les quartiers jusqu’à 60% (Dakhla par exemple). Le comportement spéculatif-défensif des usagers d’une part et, les stratégies parfois contradictoires des promoteurs immobiliers face à une tolérance obligée de l’administration, vu les emplois générés par les promoteurs, ainsi que l’implication progressive de l’élite locale dans les enjeux immobiliers d’autre part, rendent l’environnement urbain en matière d’habitat des plus complexes au Maroc. Tantôt par le jeux de la spéculation foncière tantôt par la promotion immobilière, plus souvent, par l’ascension sociale, ou tout simplement par la mobilité résidentielle, Agadir connaît aujourd’hui une dynamique spatiale considérable. Depuis 1960 et jusqu’à maintenant, Agadir est resté un champ de construction ouvert. Depuis la fin des années 70, la boulimie du logement enregistre des tendances en contradiction avec les orientations du Schéma Directeur. Le tissu urbain devient de plus en plus soudé et la morphologie moins fragmentée. « Un urbanisme de fait » s’est instauré. Des nouveaux pôles intra-urbains de polarisation se distinguent. Les fonctions du centre-ville glissent progressivement vers les quartiers péri-centraux (Talborjt, Abattoir, Dakhla). Le souk Bab El Had devient un véritable élément d’organisation spatiale, et l’un des repères les plus fidèles de la tradition commerciale soussie.

3.4. La récupération des espaces péri-centraux

Accéder à la propriété pour les classes à revenu limité est extrêmement difficile en raison de la timidité, à Agadir, du programme social de 200 000 logements par rapport à d’autres villes du Maroc (Casablanca et Tanger en l’occurrence). Les 5 hectares relatifs à 1320 logements considérés appartenir officiellement au programme National de 200 000 logements et qui correspondent aux projets Feddia I et II, Riad Salam, El Houda, n’ont, en réalité, rien à voir avec ce programme. Une partie uniquement, d’ailleurs très limitée, des deux premiers projets peut être qualifiée de logement social quoique sur le plan superficie, le logement laisse beaucoup à désirer. Pour le reste, ni les prix pratiqués par l’ERAC-SUD, ni les taux de crédits octroyés par les banques, ni le type d’habitat ne permettent de classer les quatre projets dans ce programme. D’ailleurs, à Agadir, ni la SNEC ni l’ANHI ne figurent dans ce programme. Le bidonvillisme a été longtemps pratiqué à Agadir. Les opérations de résorption des bidonvilles mises à part, le quartier Al Massira (véritable opération de résorption de la population bidonvilloise d’Amsernate), revêtent plus un caractère commercial que social. Ils sont en fait, des stratégies adoptées par les organismes immobiliers les plus dynamiques pour récupérer des espaces péri-centraux (anciens bidonvilles) dont la valeur foncière est aujourd’hui très élevée vu l’éclatement de la ville d’Agadir et l’épuisement de la réserve foncière. Les recasements de Sidi Youssef et d’Al Wifaq entrent dans cette stratégie. Cependant, les droits de résorption arrêtés à 50 000 DH comme frais symboliques d’équipement et de construction du rez-de-chaussée (60 m2) sont au-dessus des moyens financiers dont disposent les habitants des bidonvilles. Aussi pour s’acquitter de la somme demandée, même si elle est échelonnée sur une période convenable, ces derniers recourent à une sorte de « copropriété arrangée » moyennant 10 000 DH comme prix d’achat du droit de construire du 1er étage par les acheteurs non attributaires constitués pour la plupart de classe moyenne. Cette démarche, aussi bien que la « libération » du marché foncier depuis la fin des années 70, ou tout simplement la promotion sociale à différentes échelles ont permis indirectement l’irradiation totale ou partielle d’environ 24 bidonvilles à Agadir.

4. Gestion urbaine et société civile: une stratégie d’abord

Face au constat de la gestion urbaine à Agadir, quel est le rôle de la société civile ? Est-ce de mener des actions de sensibilisation ou bien de se structurer qualitativement et quantitativement, se fédérer pour constituer un lobby ?

En vérité la société civile à Agadir est encore à l'heure de la gestation. Les 25 associations de la ville ne constituent pas encore des O.N.G. Pour la plupart, il s'agit d'associations formelles, à caractère occasionnel. La majorité des associations a participé au débat national sur l'aménagement du territoire.

4.1. Place de la société civile dans la gestion urbaine

La gestion urbaine est souvent conçue comme concept assimilé à l’administration des affaires urbaines. Ce qui signifie que la gestion urbaine, selon ce concept limité, est conditionnée dès le départ par une stratégie partisane discontinue tributaire de la conjoncture économique, de la logique individuelle et des aspirations politiques. Or, la gestion urbaine est un concept global caractérisé par la continuité. Elle s’articule sur un mode de fonctionnement systémique évolutif intégrant le politique, le socio-économique et l’institutionnel. Partant de la permanence du coût social et passant par tout un système d’idéologies et de stratégies de la part des acteurs du fait urbain, l’objectif est de créer des équilibres économiques et des compromis politiques s’exprimant en mode de régulation au sein même du système global pour aboutir à des retombées socio-spatiales acceptables.

En d’autres termes, la société civile peut intervenir dans la gestion urbaine par deux entrées : action / pression. Dans le premier cas, la société civile peut stimuler l’environnement social (niveau 1) en agissant au bas de l’échelle au niveau de la masse. En effet, les actions de sensibilisation aux problèmes de fond, à la gestion de l’environnement et à l’éducation environnementale et civique au niveau de la famille, du quartier, de l’école, de l’usine, du café, du stade... peuvent participer positivement, en limitant les décompositions sociales, pour en activer les recompositions selon un mode de valeur pouvant générer des types d’acteurs issus de la base sociale ou capables de déclencher les alliances urbaines avec les notabilités locales par le jeu de légitimité et/ou de pouvoir électoral (stratégie, niveau 2). C’est cette action qui peut mener au second cas: la pression (niveau 3) pour concéder des compromis politiques, des repositionnements socio-économiques et juridiques. Effectivement, c’est en agissant au niveau de la notabilité, des élites (anciennes- nouvelles), des émigrés, en réactivant les réseaux (nationaux et internationaux), en donnant un rôle plus important à la famille qu’on arrive à changer les transcriptions, les lois, les règles, bref le principe de gouvernance lui-même afin d’aboutir à un environnement urbain où la politique de l’espace est davantage cohérente, la société moins fragmentée et où la ville est plus planifiée, plus vivable, plus favorable à l’émergence d’une citoyenneté et plus apte à intégrer ses habitants.

A l’heure de la mondialisation, il faut s’attendre à un nouveau retour à la centralisation économique (et non administrative), qui signifierait plus de marginalité, plus de pouvoir local. Certes, rien ne serait plus faux que de penser que l’échelon local pourra se substituer au pouvoir central. Toutefois, la montée en puissance de nouveaux notables et acteurs urbains qui cherchent, à partir d’une mobilisation de la société civile, à réinvestir le champ du pouvoir et qu’illustre le développement considérable des mouvements associatifs ces dernières années peut s’affirmer. La pénétration du capitalisme individuel dans les formations sociales a déjà permis de déléguer, beaucoup de pouvoir à de nouveaux acteurs: les élites héritières de la notabilité traditionnelle se sont converties en acteurs économiques à la recherche d’une alliance urbaine (agro-industrie, bâtiment, commerce de gros...) plus puissante, plus dynamique mais, socialement moins intégrée, toujours en quête de légitimation, voire même d’identité. La société civile se doit de jouer le rôle de régulateur. Elle détient en partie la clé de la légitimité par le jeu de l’ethnique, du religieux ou autre. Elle doit l’accorder selon une stratégie qui peut assurer la dynamique de la société, son évolution positive et qui peut mener plus tard à produire une sorte d’élite issue de la base.

4.2. La société civile est à la base de tout développement durable

Le passage de l’étatisation à la privatisation puis à la mondialisation délègue beaucoup de pouvoir aux acteurs locaux. Ces pouvoirs impliquent des enjeux politiques, économiques et sociaux. Dans un pays en développement, plus particulièrement dans une région comme le Souss, où les potentialités économiques sont importantes, où la pression démographique est réelle et la société réagit différemment à l’égard des nouvelles mutations économiques, où le choix d’une agriculture extravertie est très libéral, les enjeux sont considérables. Les acteurs économiques nationaux et locaux doivent composer avec l’Etat et avec les populations locales. Les potentialités existent certes mais, l’équilibre économie-société est fragile. La surexploitation des eaux de la nappe phréatique est en alarme maximale, l’urbanisation sauvage empiète sur l’écologie régionale et sur l’environnement urbain, la déréglementation et la concurrence déloyale figent le développement réel aussi bien du tourisme que du secteur des B.T.P, l’anarchie absolue caractérise le secteur de la pêche et dérivés, en particulier ce qui relève du social.

Un développement intégré, durable, ne peut se concevoir sans une planification de l’Etat et celle de la société civile. Si les capitaux affluent, les individus sont actifs, les affaires marchent; la société recule car les populations locales ont toujours été réellement écartées de toute conception développementale. Il est vrai qu’elle a été chaque fois « légalement représentée » mais, souvent, elle est mal, peu ou pas du tout informée. Même dans le cas contraire, elle n’est pas suffisamment sensibilisée aux risques, ni motivée par l’intérêt de tel ou tel projet. Les enjeux politiques et macro-économiques l’emportent sur tous les enjeux sociaux. Les acteurs locaux (institutions et individus) peuvent passer à côté du développement lorsqu’ils confondent développement et sur-pouvoir individuel matériel ou lorsqu’ils ignorent les populations locales. Cela se traduit par le maintien et le cumul de la demande sociale, le manque de stratégie générale de part les acteurs, les difficultés de trouver des formes de compromis politiques et entraîne la pauvreté et ses conséquences, la tension sociale réelle, la fragmentarité urbaine, la mixité sociale et l’anarchie. Face à cette situation d’impasse, la société civile à travers ses organismes, peut se positionner et jouer un rôle fondamental. Celui de sensibiliser, d’éduquer, de préparer dans un premier temps, à la citoyenneté loin des enjeux politiques et économiques par l’initiative collective, le contrôle quotidien à l’échelle de la famille, du quartier et du douar. Dans un deuxième temps, maintenir le suivi en jouant le rôle d’intermédiaire-contrôleur entre population et élus, population et administration, population et élites, c’est-à-dire, participer indirectement mais efficacement à la gestion urbaine et au développement local par le bas. Un tel développement est capable de mobiliser la population locale, de faire aboutir sa demande sociale tout en faisant pression sur les élites élues et les individus en quête de légitimation ainsi qu’il permet de collaborer avec l’administration locale activement et non passivement comme s’il s’agissait d’un chaînon manquant entre la population les élus et l’administration.

Conclusion

Face au rôle limité de la société civile en matière d'urbanisme, la gestion urbaine, à travers le cas d'Agadir, reste une administration de la crise plus que la gestion de compétences. Nulle ne peut nier le rôle de l'urbanisme opérationnel dans la reconstruction d'Agadir jusqu'au début des années 70, lorsque l'urbanisme était perçu dans une conception affectant à l'urbanisme, pouvoir, doctrine et administration. En effet, La volonté politique ainsi que les dispositions institutionnelles, fonciers et financiers qui ont accompagné la reconstruction d'Agadir avec le Haut-Commissariat à la Reconstruction, la C.G.I et d'autres ont produit un urbanisme de qualité. Même si l'essence d'un choix de modernité n'était pas celle de la masse, l’œuvre urbanistique fut, par contre, à l'échelle humaine.

A partir des années 80, Agadir entre dans un nouveau processus de son histoire urbaine. Elle n'est plus ce système architectural qui représente un tout structuré. Ayant perdu une grande partie de sa singularité, Agadir, comme toute ville marocaine de l'époque d'ailleurs, est bouleversée par deux phénomènes, qui, croisés, coupent avec l'urbanisme d'Agadir. Une croissance démographique subite, considérable et une croissance économique qui s'articule sur la boulimie immobilière, plutôt que sur la mise en place d'activités économiques progressives. Ainsi, dès le départ, l'option des cités nouvelles est une solution de facilité car elle ne prend pas en compte les mécanismes réels qui orientent le développement de la ville. La médina, figure exemplaire tant recherchée, est plus un répertoire de formes que le repaire de combinaisons vécues interprétant l'esprit de la médina (une partie du quartier Dakhla). Désormais, les logiques d'acteurs du fait urbain nourries des opportunités qui pallient l'absence de perspectives, plus que la stratégie de l'Etat en matière d'habitat et d'aménagement de territoire, sont au centre. Elles influent considérablement sur la production immobilière. Ainsi le capitalisme flamboyant généré se place dans le luxe à défaut de nourrir l'investissement. Cet état de fait oppose bien évidemment, des groupes sociaux différents quant à leur profil socio-économique et leur identité culturelle se répercute sur la morphologie de la ville et sur la typologie des quartiers. Dans un certain sens, ceci peut être considéré comme une richesse architecturale. En effet, Les changements qui ont touché le mode de régulation et du fonctionnement du marché foncier et immobilier gadiri ont fait qu'aujourd'hui, l'offre n'est plus réduite. Au contraire, elle est diversifiée. Le marché immobilier est spatialement assez étendu et concerne l'ensemble de l'agglomération (Al Houda, Tilila, Najah, Taddart, Haut Founty, Illigh, Hay Mohammadi …).

L'offre n'émane pas désormais des seuls spéculateurs, mais aussi des promoteurs publics. En effet, la morphologie urbaine d'Agadir atteste de ces changements. La ville n'a plus cette morphologie polynucléaire, son tissu se trouve de plus en plus soudé et son habitat davantage diversifié. A côté de l'habitat économique bas qui remonte à la période de la reconstruction avec la S.G.I, on trouve aujourd'hui toute une typologie de villas, de l'habitat économique vertical et une tendance de plus en plus généralisée vers le collectif vertical moderne. Bien entendu, ce développement, limite assez bien la production de la précarité urbaine et augmente la possibilité, à la fois, de réduire la proportion des bidonvilles au sein du tissu urbain et de qualifier l'habitat insalubre.

Cependant, le bidonvillisme politique illégitime perdure [5]. Les incertitudes actuelles d'une identité culturelle évanescente influent profondément sur l'architecture confrontée à ce fouillis de contradictions [6]. Chaque villa à bâtir soit à Illigh, soit à Founty, soit à Najah est un combat puisque l'esthétique de cette catégorie sociale est celle du mélange entre une nostalgie souvent mal définie implicitement présente à l'intérieur des demeures et une volonté d'assimilation fréquemment importée sans lien avec le contexte local. Bien entendu, on trouve dans le quartier résidentiel des modèles à la recherche accrue d'identité nationale même réduite aujourd'hui à un motif rhétorique, mais commode qui est la tuile verte.

Bibliographie

Sur l'agglomération d'Agadir : planification, urbanisme, cartographie et transport

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SNEC, 1997 : "Plan d'Action 58", 1998 p.


NOTES

[1] - Sur la politique urbaine à Agadir voir les actes de colloque international d’Agadir 1997, publication du GERS et de la faculté des lettres et des sciences humaines d’Agadir.- 217 p.

[2] - Moumnine, A. : L’urbanisme à Agadir: un diagnostic alarmant.- La Vie Économique, vendredi 20 octobre 1995.- p. 6

[3] - Ministère des travaux publics et des communications, 1978 : "Etude de restructuration du réseau des transports collectifs du Grand-Agadir".- Paris, SERETE.- 74 p.

[4] - Cf Ben Attou, M. (Sous la Direction), 1999 : « La problématique du transport urbain collectif dans le Grand-Agadir ».- Agadir, AMADECOP, 170 p.

[5] - La production de la ville illégale pour des raisons politiques est un champ d'investigation qui reste au Maroc, un sujet tabou. Mais, pour les géographes c'est un terrain tout à fait neuf pour l'étude de la gouvernance et de la nouvelle classe politique marocaine.

[6] - L'approche de l'identité culturelle marocaine perçue du côté de l'urbanisme et/ou de l'architecture reste cependant peu fouillée et sous-valorisée. C'est la une piste de recherche fort intéressante dont les résultats permettront de corriger tout un bloc d'idées reçues, souvent formulées par des chercheurs qui ne sont pas marocains ou même arabo-musulmans.

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