Hommage


Insaniyat n° 96, avril-juin 2022, p. 7-12


Hommage à Omar Carlier

Par Amar Mohand-Amer

Omar Carlier nous a quittés le 22 octobre 2021. Dire que c’est une perte inestimable pour la recherche en sciences humaines et sociales, c’est réduire l’action et le parcours de l’homme et du chercheur. La recherche n’était pas pour Omar Carlier un champ essentiellement scientifique, fermé ou balisé. C’est en tant qu’homme de terrain, ouvert et curieux qu’Omar Carlier va se lancer dans l’histoire de sa vie, sur les plans personnel et professionnel.

Dans cette quête, il va rencontrer un pays, l’Algérie et il jettera son dévolu sur une ville en particulier et ses habitants, Oran.

Sous le sceau de la proximité, franche et constructive, Omar Carlier va créer et construire, de 1969 à son arrivée en Algérie comme jeune Volontaire du service national actif et jusqu’aux derniers mois de sa vie, une relation scientifique et humaine de qualité. Avec ses compatriotes algériens à Oran et dans les villes et régions d’Algérie, qu’il a sillonnées vaillamment, durant de longues années, Omar sera un des chercheurs les plus actifs et les plus attachés aux travaux portant sur l’histoire sociale et culturelle de l’Algérie durant la période coloniale.

Il va ainsi déployer son champ d’action, audacieusement et pertinemment. Il s’installera à Oran physiquement et intellectuellement. L’URASC (Unité de recherche en anthropologie sociale et culturelle) qui va devenir en 1993 le CRASC (Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle) lui ouvre les portes. Il s’épanouira dans cette institution et s’illustrera par des travaux académiques de haute facture notamment dans la revue Insaniyat dont il fut membre de son comité scientifique. D’ailleurs sa dernière publication a été destinée à notre revue ; il s’agit d’une analyse socio-historique fine du hirak de 2019.

En somme, si nous pouvons résumer ses travaux, nous dirions tout simplement qu’ils sont pensées par le souci du détail, de la proximité, du dedans, de l’environnement proche, de la pertinence de l’évènement, de la force de l’acteur, quel que soit son rang ou statut.

De Messali Hadj, Boutlelis Hammou, Houari Souiah et Ahmed Ben Bella aux acteurs de la vie quotidienne, Omar Carlier a toujours mis le curseur haut. Notant dans ses échanges avec les « grands » ou les « petites-gens», chaque mot, chaque syllabe, chaque intonation, avec la précision d’un orfèvre et la patience d’un érudit, revenant à la charge, chaque fois que c’était nécessaire. C’est sa façon de faire l’histoire, mais également de réhabiliter et de défendre le récit et l’oralité.

Avec Omar Carlier, l’histoire locale est mise au diapason. Ses études sur Oran sont des références incontournables comme le sont ses recherches sur l’articulation entre les métiers et l’engagement politique. On apprend avec lui que quand la justice coloniale s’enquiert de la profession des militants nationalistes algériens et que la réponse renvoie au tailleur, la réponse du juge est sans appel : « Tailleur, donc PPA ! ». Son étude sur le 1er novembre à Oran est parmi les précieux travaux consacrés à cet événement majeur de l’histoire contemporaine de l’Algérie.

Son travail sur le café, lieu de sociabilité politique par excellence, durant le Mouvement national et la Guerre de libération nationale ou le hammam informent sur l’acuité de sa vision de la société. Ce sont deux exemples d’une riche production scientifique s’étalant sur des longues décennies. Le « devenir historien de l’Algérie » se résume selon Omar Carlier dans trois démarches «  apprendre, explorer, transmettre » ; des actions entreprises de part et d’autre des rives de la Méditerranée, avec patience et amour, et face aux  idées reçues et aux certitudes faciles.

Omar Carlier n’est pas l’historien ou le sociologue d’un objet ou d’un terrain. Sa vie durant, avec bravoure et ténacité, il a ensemencé, par son savoir, des terrains qui suivaient le chemin de l’aridité, faute de nouvelles vocations. Son dernier projet (Fabriquer une élite intellectuelle en situation coloniale. Le cas de l’hypokhâgne d’Alger 1929-1961), qu’il portait, malgré la maladie, témoigne du courage de l’homme et de la passion de l’Algérie et de la connaissance.

À Enghien-les-Bains, le vendredi 29 octobre 2021, un petit drapeau vert-blanc-rouge, celui de son pays d’adoption, est déposé sur le tombeau de Omar Carlier, le maître, l’ami, le compatriote.

In fine, c’est avec émotion que ses collègues du CRASC se remémorent Omar, le savant, l’intellectuel, l’homme-passerelle.

Repose en paix Si Omar, nous ne t’oublierons jamais.

Travaux d’Omar Carlier (liste sélective)

Carlier, O. (dir.), (2010). Images du Maghreb, Images au Maghreb (XIXe XXe siècles). Une révolution du visuel ? Paris : L’Harmattan, p. 328. 

Carlier, O. & Nollez-Goldbach, R. (dir.), (2008). Le corps du leader. Construction et représentation dans les pays du Sud à l’époque contemporaine. Paris : L’Harmattan, p. 396.

Carlier, O. (1995). Entre nation et jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, p. 443.

Carlier, O. & Marouf, N. (dir.), (1995). Espaces maghrébins : la force du local ? Hommage à Jacques Berque. Paris : L’Harmattan, p. 271.

Carlier, O. (1992). Socialisation et sociabilité : les lieux du politique en Algérie (1895-1954). Oran : URASC, 132 f.

Carlier, O. (1991). Aux origines du FLN, l’Organisation secrète du PPA (1947-1950). Violence coloniale et mystique insurrectionnelle. Oran : URASC, 49 f.

Carlier, O. (1990). Le paradigme populiste. De l’ENA au PPA, essai sur un enfant perdu de la science politique. Oran : URASC, p. 45.

Carlier, O. & Colonna, F. (1988). Lettrés, intellectuels et militants en Algérie, 1880-1950, Alger, Office des publications universitaires, p. 175. 

Carlier, O. (1988). Modèles centraux et terrains périphériques : la relation ville-campagne et le cas de la mobilisation politique dans le Nord-Est constantinois, 1930-1950. Oran : URASC, 58 f.

Carlier, O. (1988). Historiographie et méthodologie. Sur quelques aspects de l’histoire quantitative comparée du mouvement ouvrier maghrébin à l’entre-deux-guerres. Oran : URASC, p. 94.

Carlier, O. (1987). Questions de méthode : l’espace culturel. Oran : URASC, p. 97.

Carlier, O. (1986). Le Cri du révolté. Imache Amar, un itinéraire militant. Alger : ENAL, p. 175.

Carlier, O. (1982). Pour une histoire quantitative de l’émigration algérienne en France à l’entre-deux-guerres. Oran : URASC, p. 59.

Carlier, O. (1991). Aux origines du FLN, l’Organisation secrète du PPA (1947-1950). Violence coloniale et mystique insurrectionnelle. Oran : URASC, p. 49.

Carlier, O. (1990). Le paradigme populiste. De l’ENA au PPA, essai sur un enfant perdu de la science politique. Oran : URASC, p. 45.

Carlier, O. & Colonna, F. (1988). Lettrés, intellectuels et militants en Algérie, 1880-1950, Alger, Office des publications universitaires. p. 175. 

Carlier, O. (1988). Modèles centraux et terrains périphériques : la relation ville-campagne et le cas de la mobilisation politique dans le Nord-Est constantinois, 1930-1950, Oran, URASC, 58 f.

Carlier, O. (1988). Historiographie et méthodologie. Sur quelques aspects de l’histoire quantitative comparée du mouvement ouvrier maghrébin à l’entre-deux-guerres. Oran : URASC, p. 94.

Carlier, O. (1987). Questions de méthode : l’espace culturel. Oran : URASC, p. 97.

Carlier, O. (1986). Le Cri du révolté. Imache Amar, un itinéraire militant. Alger : ENAL, p. 175.

Chapitres d’ouvrages

Deux étudiantes en histoire et une brochure. Note sur une approche communiste “autonome” de la guerre d’Algérie, à la veille du 13 mai 1958. Dans Ismaël-Sélim Khaznadar (dir.), L’Histoire. Écritures et libérations. Autour de Mohammed Harbi. Alger : Éditions Hibr, 2017.

Espace et temps dans la formation et la formulation de l’identité nationale algérienne (1880-1930). Dans Afifa Bererhi (dir.), Défis démocratiques et affirmation nationale : Algérie, 1900-1962. Alger : Chihab Éditions, 2016, p. 20-29.

Haffaf et kheyyat : note sur deux petits métiers et lieux de parole, dans la ville contestataire algérienne du premier vingtième siècle. Dans Du Maghreb et d’ailleurs : textes pour Mohammed El-Ayadi. Casablanca : Fondation du Roi Abdul Aziz Al Saoud pour les Études islamiques et les sciences humaines, 2015, p. 211-223.

Le zaïmisme. Dans Cette terre n’est pas à vendre : hommage à Messali Hadj, 1898-1974. Tlemcen : L’Arbre à livres, 2014, p. 47-54.

Le café maure, lieu de sociabilité et instance politique. Dans Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962. Paris : La Découverte, 2014, p. 412-415.

Retour vagabond sur une traversée de la mer. Dans Jean-Robert Henry, Jean-Claude Vatin, Sébastien Denis (dir.), Le temps de la coopération. Sciences sociales et décolonisation au Maghreb. Paris/Aix-en-Provence : Karthala/Iremam, 2012, p. 81-108.

Le cinéma en Algérie à l’entre-deux-guerres. De la percée en ville européenne à l’émergence d’un public “indigène”. Dans Morgan Corriou, Publics et spectacle cinématographique en situation coloniale. Tunis : IRMC/CERES, 2012, p. 37-67.

Les générations PPA de la Deuxième Guerre mondiale : le cas d’Alger (1939-1947). Dans Ouanassa Siari-Tengour, Aissa Kadri (dir.), Générations engagées & mouvements nationaux : le XXe siècle au Maghreb. Hommage à Mahfoud Kaddache. Oran : CRASC, 2012, p. 125-151.

Corps du pouvoir et habits de l’État : la construction vestimentaire du leadership dans le Maghreb contemporain. Dans Odile Moreau (dir.), Réforme de l’État et réformismes au Maghreb. Tunis/Paris : IRMC/L’Harmattan, 2009, p. 345-368.

Sociabilité : concept, objet, problème. Du salon de Mme. Du Deffan aux terrains africains. Dans Laurent Fourchard, Odile Goerg, Muriel Gomez-Perez (dir.), Lieux de sociabilité urbaine en Afrique. Paris : L’Harmattan, 2009, p. 7-38.

Articles de revue

Hirak : un mouvement socio-politique inédit et inventif. Temps suspendu et/ou en devenir. Insaniyat, 87, 2020, 13-45.

Les enjeux sociaux du corps. Le hammam maghrébin (XIXe XXe siècle), lieu pérenne, menacé ou recréé. Insaniyat, 63-64, 2014, 97-142.

Ben Bella : l’homme, le mythe et l’histoire. Confluences Méditerranée, 81, 2012, 41-54.

L’émergence de la culture moderne de l’image dans l’Algérie musulmane contemporaine (Alger, 1880-1980). Sociétés & Représentations, 24, 2007, 321-352.

Braudel avant Braudel. Les années algériennes (1923-1932). Insaniyat, 19-20, 2003, 143-176.

Créativité associative et contrainte politique : la dynamique de l’immigration algérienne en France dans l’entre-deux-guerres. Migrance, hors-série, 2002, 19-42.

Les enjeux sociaux du corps. Le hammam maghrébin (XIXe XXe siècle), lieu pérenne, menacé ou recréé. Annales. Histoire, sciences sociales, 6, 2000, 1303-1333.

D’une guerre à l’autre. Le redéploiement de la violence entre soi. Confluences Méditerranée, 25, 1998, 123-137.

Charles-André Julien à Oran : les années algériennes (1906-1922). Hespéris Tamuda, (35), 1997, 17-60.

Entre le savant et le politique : la constitution problématique d’un champ historiographique autonome. Revue d’histoire maghrébine, 81-82, 1996, 105-132.

Von der islamischen Reform zur islamischen Militanz. Die politisch-religiöse Therapie der Islamischen Heilsfront. Comparativ, 6, 1994, 21-58.

Homme fétiche ou Homme-symbole ? Un notable-militant : Houari Souiah, Premier préfet d’Oran (1915-1990). Dans Bourgeoisies et notables en Méditerranée (XVIIIe XXe siècles). Cahiers de la Méditerranée, 46-47, 1993, 203-247.

Hammou Boutlilis (1920-1957), al-qaid al-jihawi lilmunazama as-siriya bil-qita’ al-wihrani. Naqd, 4, 1993, 3-14.

La guerre d’Algérie et ses prolégomènes. Note pour une anthropologie historique de la violence politique. Naqd, 4, 1993, 32-44.

Culture politique et mémoire militante : « L’Étoile Nord-Africaine » et la figure de l’ancêtre fondateur. Hespéris Tamuda, (31), 1993, 117-127.

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