Le concept d’intelligence économique (IE) a vu le jour dans la littérature francophone, grâce au rapport d’Henri Martre intitulé : « Intelligence économique et stratégie des entreprises »1 en 1994. Dès l’apparition de ce rapport, les travaux de recherche qui traitent ce concept se sont multipliés, notamment dans les pays francophones. Étant donné que le continent africain prend de plus en plus d’ampleur stratégique, il est évident que le nombre de travaux qui traitent l’IE dans ce continent augmente. L’ouvrage intitulé Manuel de l’intelligence économique en Afrique en fait partie, mais avec une approche différente par rapport aux autres travaux et avec un regard des auteurs africains et non-africains.
Cet ouvrage collectif, met la lumière sur le concept d’IE dans le contexte africain.
Il est structuré en trois parties ; la première est intitulée : « Intelligence économique, du concept à la réalité ». Nicolas Moinet y aborde les fondements de l’IE, à travers ses trois piliers : la veille, la sécurité économique et l’influence, lesquels sont traités successivement dans les contributions de François Jeanne-Beylot, Stéphane Mortier et Loukman Konate et Christian Harbulot.
Selon Stéphane Mortier, le concept de l’IE recouvre les trois concepts anglo-saxons qui sont : le business intelligence qui consiste à collecter les données pour des raisons économiques, la competitive intelligence qui se base sur l’utilisation de l’information dans un processus cyclique et l’organizational intelligence lequel consiste à recueillir, interpréter et valoriser avec une manière systémique l’information pour réaliser des buts stratégiques.
Les auteurs de cette partie donnent les fondements théoriques du concept de l’IE et ses différents axes clés. Dans l’objectif de rappeler aux lecteurs les bases fondamentales du concept traité, ils positionnent le concept francophone d’IE par rapport aux autres concepts anglo-saxons.
« Les enjeux stratégiques » abordés dans la deuxième partie: sont traités sous plusieurs catégories. La première catégorie est celle des enjeux énergétiques où Viviane du Castel met la lumière sur la relation entre un des piliers de l’IE qui est l’influence et l’énergie dans le continent africain. La deuxième catégorie est celle des enjeux numériques et de cyber sécurité proposée par Didier Spella pour décrire le cybermonde et présenter les principes de la sécurité économique. Cette contribution est suivie par celle d’Ali Moutaïb qui met en avant l’importance de la transformation numérique pour l’Afrique. Brozeck Kandolo, quant à lui, aborde la question de la protection des données personnelles. La dernière contribution, dans cette catégorie, est celle de Mona Shehata qui étudie la propagation des rumeurs numériques en se basant sur deux études de cas en Égypte.
La troisième catégorie relative aux enjeux juridiques, est traitée dans cinq contributions. Dans la première Mamadou Dian Diallo et Stéphane Mortier présentent l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires et mettent en exergue la relation entre le droit des affaires et l’IE en Afrique. Marie Lerycke aborde la compliance, qu’elle considère comme une arme à double tranchant à la fois défensive et offensive. Dezzy Mukebayi Muamba et Symphorien Mpoyi Tukome dressent, à leur tour, un état des lieux de la corruption dans la République Démocratique du Congo. Pour ces auteurs, la lutte contre la corruption représente un enjeu pour le développement de ce pays. Arsène Emvahou et René Ilongo Mulala exposent les modes alternatifs de règlement des conflits (MARC), leur évolution et typologie ainsi que leur articulation avec l’IE dans le continent africain. La dernière contribution sur les enjeux juridiques est celle de Victor Kalunga Tshikala qui traite de l’enjeu du droit de propriété intellectuelle en Afrique.
La catégorie des enjeux juridiques est suivie par celle des enjeux sociétaux. Nous pouvons lire les contributions de Awa Ba et Cathy Latiwa Amato sur le rôle des femmes dans le développement économique et leur positionnement dans le domaine de la sécurité et la défense. Stéphane Mortier et Mohamed Nemiri exposent, à leur tour, un autre enjeu sociétal, celui de l’utilisation de l’histoire et tout ce qui a une relation avec, dans le développement du pays.
C’est évident que les enjeux économiques et financiers soient traités dans un ouvrage d’IE ; ces derniers sont abordés dans la contribution de Taieb Talbi qui met en exergue la relation de l’IE avec la dette des pays africains. S’ensuit la contribution de Loukman Konate dans laquelle il présente le franc CFA et le projet de « ECO » comme des enjeux cruciaux.
Dans la catégorie des enjeux maritimes et sécuritaires, Nassim Azzout expose l’importance du développement maritime pour le continent africain et les menaces pour les États côtiers de ce dernier. Peer de Jong évoque le cas de plusieurs États africains qui n’ont pas la capacité militaire suffisante pour garantir leur sécurité ; et qui sont contraints de faire appel à des puissances étrangères ; ce qui représente dans certains cas une arme à double tranchant.
Dans la deuxième partie, plus volumineuse de l’ouvrage, intitulée : « Éléments prospectifs », les auteurs évoquent plusieurs éléments. Le premier de Jacob Kotcho Bongkwaha concerne la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAF) dans laquelle il présente présentation de la ZLECAF sous plusieurs angles pour analyser ensuite sa cohérence interne en se basant sur deux dimensions. La première est celle de l’alignement avec les autres textes des Communautés Économiques Régionales et l’Union Africaine. La seconde concerne les politiques de l’Union Africaine en vigueur dans les Communautés Économiques Régionales et les États membres.
Le deuxième élément prospectif est abordé dans la contribution de Ziad Hajar, en termes de concept de sécurité anticipative. Ce dernier présente une méthode d’analyse adaptée aux pays africains pour évaluer les risques. Cette méthode est composée de cinq étapes qui sont : la veille informationnelle, la détection des signaux faibles, le brainstorming avec experts, la détection des futures tendances et l’anticipation prospective des risques.
Dans sa contribution, Mohand Amokrane Belkacemi commence par donner un résumé de l’histoire de l’IE en Algérie, et présente ensuite quelques conditions minimales qui doivent être réalisées dans chaque État, afin de développer au niveau national, la pratique de l’IE. En se basant sur ces conditions, l’auteur dresse un état des lieux du concept abordé en Algérie. Enfin, l’auteur mentionne la nécessité d’adapter l’IE selon le contexte algérien. S’ensuit la contribution de Nicolas Ravailhe, qui analyse la relation afrique-union européenne dans un contexte d’IE. Quant à Trycia Nyota Van Den Berg, elle fusionne l’IE et les neurosciences pour aboutir au concept de « Yohali intelligence » ; ce dernier consiste à mettre l’être humain au milieu du système de management..
In fine, certes, cet ouvrage n’est pas exhaustif mais l’objectif des auteurs de réveiller les consciences des pays Africains sur la nécessité de penser pour le futur et l’importance d’adapter l’IE dans un contexte propre à leur continent est atteint. Il apporte un éclairage nouveau et original sur les enjeux techniques sociétaux et sécuritaires auxquels les pays africains font face.
1 Rapport du groupe de travail présidé par Martre Henri, Intelligence économique et stratégie des entreprises, La Documentation française, 1994.