Échos de la pandémie Covid-19 à travers quelques manifestations scientifiques en Algérie
Le caractère inédit et multidimensionnel de la pandémie Covid-19 (fin 2019-2022) a mené les chercheurs de différents bords à examiner les problèmes inhérents et les menaces sur l’état général de santé publique. De nombreux travaux ont participé sinon à la compréhension de certains phénomènes, du moins à l’analyse exploratoire en préalable à de nouvelles recherches1. Dans un premier temps, face à l’ampleur de la crise sanitaire, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a suggéré le confinement, la distanciation sociale, la vaccination et autres précautions estimées nécessaires pour en atténuer la gravité. L’Algérie a donc appliqué ces mesures et a contribué à la réflexion collective des points de vue de son contexte institutionnel et scientifique. À ce titre, les chercheur-e-s algérien-ne-s ont concouru aux débats, par le biais de différents créneaux auxquels ont pris part, la revue Insaniyat et le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) en organisant plusieurs rencontres échelonnées sur la période de la pandémie :
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« La société et la Pandémie », Premier colloque virtuel international 3 et 4 juin 2020, en partenariat avec l’Association « Faeeloun » ;
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« Covid-19, quels choix pour le citoyen au moment du confinement sanitaire et quel impact sur le transport et les déplacements quotidiens », 03 mars 2021, Division de recherche : Villes et Territoires ;
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« L’agriculture algérienne à l’épreuve de la Covid-19 », 29 mars 2021, Tayeb Otmane, Université Oran 2/ Division de recherche : Villes et Territoires.
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« La santé publique à l’épreuve de la Covid-19 »,05 avril 2021, Mohamed Belhocine, Cellule d’investigation et de suivi des enquêtes épidémiologiques, Division de recherche : Villes
et Territoires ; -
« Pathologie Covid-19 et post Covid-19 »,07 avril 2021, Célébration de la Journée Mondiale de la santé, Association Santé au Travail Sécurité Hygiène Environnement, Ain Temouchent-Division de recherche :Villes et Territoires ;
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« La ville au temps de la covid-19. Quelles analyses
et quelles approches pour la fabrique urbaine de demain ? », Colloque international pluridisciplinaire, organisé à Oran du 10 au 12 mai 2022, en partenariat entre le Crasc et l’Université des Sciences et de la Technologie d’Oran, Mohamed Boudiaf (USTO).
C’est ainsi que le Crasc apparaît parmi les « 18 établissements d’enseignement supérieur et de recherche relevant de la Conférence Régionale des Universités de l’Ouest (CRUO) …» ayant participé aux débats. À terme, un « Rapport final relatif à la réflexion sur le Post Covid-19 », sous la direction du Pr Abdelbaki Benziane, se décline en deux parties :
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L’Algérie confinée face à la crise du Covid-19 ;
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L’Algérie Post Covid-19 : comment gérer une société de risque ? 2
Sommairement, de nombreuses questions de différentes disciplines des sciences humaines et sociales sont proposées pour être poursuivies en rapport aux enjeux de santé en période de crise. « Comment s’en sortir » ?, « …Que faire aujourd’hui ? », « Comment distinguer le vrai du faux ? », « Où se situent les responsabilités ?, « Quel est le rôle de l’Université algérienne ? »,… Au-delà de l’expectative liée à la définition des paradigmes émergents, elles mettent en exergue les problématiques des moyens à dégager face aux écueils des situations de crise plurielles nouvelles et anciennes.
Pour autant, bien que les initiatives aient permis de réunir virtuellement des chercheurs de différents pays (Algérie, Angleterre, Égypte, Émirats Arabes Unis, France, Irak, Liban, Maroc, Tunisie), il faut bien convenir que le niveau de réflexion à ce stade, se limitait généralement au constat descriptif et à l’identification des problèmes inédits. Centrées sur les enjeux de santé, les contributions ont néanmoins apporté des éclairages sur la nature des approches mobilisées pour la circonstance et le potentiel scientifique existant. En ce sens, la Covid-19, en tant que phénomène qui s’ajoute aux catastrophes naturelles (séismes, inondations, sécheresses, pollutions, …), révèle des failles structurelles des modèles économiques et de gestion sanitaire à l’échelle planétaire. Facteur symptomatique des inégalités et de la pauvreté, la pandémie mène à redéfinir la dimension systémique qui articule les différents registres environnementaux.
La rencontre portant sur La ville au temps de la covid-19, en lien avec la problématique urbaine, affronte à bras-le-corps la complexité des conjonctures, autant pour s’approprier des concepts émergents que pour gérer des incertitudes. L’hypothèse de la composition d’une ville en rapport aux règles d’urbanisme, articule les caractéristiques morphologiques (voirie, parcellaire, densités,…) à des phénomènes qui les sous-tendent (usage, site, histoire, influence culturelle, économie, technologie,…). Dans cette perspective, on ne peut que rejoindre le philosophe Thierry Paquot qui « nous invite à repenser la configuration des villes, jouer la complémentarité avec la nature et réfléchir à ce que signifie à notre époque une ville à « échelle humaine » (27 mai 2020:podcast). Selon cette configuration, plusieurs questions sont proposées à la réflexion en lien avec la dimension pluridisciplinaire qui caractérise l’espace urbain :
Formes urbaines et espaces publics
« Comment repenser la morphologie de la ville et de ses espaces publics ? Les règlements d’urbanisme seront-ils modifiés ? À quelles nouvelles compétences professionnelles de l’urbain, la ville de demain fera-t-elle appel ? »
Logement et vie familiale
« Que révèle la pandémie sur les différents types de logements ? Comment les familles vivent-elles le triptyque confinement/ exiguïté / promiscuité ? Quels effets psychologiques sur les individus à cette obligation de ralentir et de freiner les rythmes ? »
Travail et revenus des familles
« Faut-il s’adapter et inventer de nouvelles manières de travailler ? Comment se créent les solidarités face aux inégalités sociales ? Qu’en est-il de l’efficacité des politiques publiques adoptées ? »
Histoire et mots de la ville
« Que peut nous apprendre l’histoire des épidémies sur la Covid-19 et inversement comment celle-ci va-t-elle marquer l’histoire ? Comment la Covid-19 est-elle racontée et caricaturée ? »
C’est par ce dernier axe et à travers la littérature que s’ouvre le colloque en recourant au passé lointain pour remonter à Hippocrate
et revenir inévitablement à « La peste » de Camus (1947). Au-delà des surprenantes similitudes avec la pandémie actuelle, il s’agit de comprendre les dessous de l’allégorie développée dans le roman. Elle exprime les sentiments de révolte qui tourmentait l’auteur en cette période de guerre mondiale marquée par le nazisme et l’injustice sociale de l’Algérie colonisée (Siagh, Z. ). De même au chapitre des observations historiques, un des liens développés en rapport aux épidémies XVI ème au XXèmesiècleest celui de « l’hygiène collective » pour montrer l’actualité de cette question et l’urgence à devoir s’en préoccuper (Mouaziz-Bouchentouf, N., Kettaf, F.).
Outre les Trente-huit communications programmées 3 et au regard de l’espace restreint réservé à ce compte rendu, trois d’entre elles retiennent à priori l’attention. Leur intitulé respectif s’aligne à la démarche conceptuelle du « changement de paradigme » tel que formulé dans l’argumentaire du colloque. Aussi, l’exposé le plus significatif se distingue par la terminologie jusque-là inexistante de « projet d’urbanisme pandémique » et situe la singularité de la démarche envisagée (Grigorovschi, A. ; Burger, C. ; Fruiquiere, M. ; Michaud, L.). Elle consiste à concrétiser son application au domaine de la mobilité dans les villes intermédiaires prenant Reims et Strasbourg comme terrain d’étude expérimentale. En ce sens, le projet interroge « la portée tactique des actions de crise » en termes « d’opportunité pour soutenir la transition écologique». Dans ce même ordre de réflexion, deux autres interventions entendent le « changement de paradigme » comme une conséquence de la Covid-19 ayant généré d’une part « un nouveau modèle de gestion de la ville » (Al Neyadi Aoul, Tabet Aoul, K...) ; ayant influé d’autre part, sur les modes d’organisation de l’espace de travail (Lakjaa, K. ; Lakjaa, L.). Mais si la première communication aboutit à des recommandations basées sur une enquête de terrain, la seconde est encore en phase d’identification des données pour définir les hypothèses à lier aux changements observés.
Finalement, face à la crise et ses enjeux de santé, l’objectif de « réfléchir en commun » a motivé l’analyse des changements induits par la pandémie Covid-19 sur l’espace urbain. Différentes approches ont exploré globalement des représentations et des concepts plus ou moins en vogue dans les milieux de la recherche universitaire et de leur extension à d’autres secteurs institutionnels : le développement durable, les interfaces « proximité sociale / distance spatiale », « flexibilité / résilience », « rural/urbain », l’usage polyvalent et intergénérationnel de « l’espace intermédiaire », les « bouleversements des modes de vie »,…
En somme, des idées nouvelles ont surgi des débats annonçant quelques pistes de recherche pour une prochaine rencontre. Elle anticipe déjà des conjectures à inscrire dans la continuité des leçons tirées de la pandémie Covid-19. En marge du colloque enfin, une fresque au Square Zabana conçue par un groupe d’artistes de l’École des Beaux-Arts d’Oran, exprime sa représentation de la Covid-19 en Algérie. Ils auront contribué à leur manière, à rendre visible la dimension microscopique d’un virus inconnu jusqu’alors.
Au-delà des pistes à explorer s’agissant des thèmes abordés, nous retenions de ces rencontres programmées en période de confinement aussi, la mise en œuvre des visioconférences dont l’usage était peu exploité, l’expérience a été accueillie avec enthousiasme du fait des avantages financiers et temporels de ce nouveau mode d’organisation.
Ammara BEKKOUCHE
Notes
1 Voir par exemple, Covid-19. Tour du monde, (dir.), Shigehisa Kuriyama, Ota De Leonardis, Carlos Sonnenschein, Ibrahima Thioub avec la contribution de Camila Perruso. Editions Manicius, Institut d’Études Avancées de Nantes 2021.
2 « Rapport final de la CRUO relatif à la réflexion sur le Post Covid-19 », sous la direction du Pr Abdelbaki Benziane, Conférence Régionale des Universités de l’Ouest (CRUO), Université Oran1 Ahmed Ben Bella, juin 2020, p. 55 https://urlz.fr/nLaI
- La publication des actes : Société(s) et Pandémie , sous la direction de Soraya Mouloudji et Djilali El Mestari, Oran, Ed. CRASC, 2022.
3 Voir le programme du colloque in https://urlz.fr/lZLa