In memoriam : Mohammed Arkoun (1928-2010) / Abdelkader Djeghloul (1946-2010)

Au cours de l’année écoulée deux éminents collègues nous ont quittés auxquels le CRASC et Insaniyat ne pouvaient pas ne pas rendre hommage. Il s’agit de Mohamed Arkoun (1928 - 2010) et de Abdelkader Djeghloul (1946-2010) : tous les deux sont largement connus en Algérie - leur pays - et dans le monde où leurs travaux ont été largement réceptionnés par les chercheurs dans le domaine des idées et des sciences sociales. Ces êtres exceptionnels avaient des ressemblances et des différences, et nos institutions comme nos universitaires n’ont probablement pas pu encore capitaliser toute l’ampleur de leur apport à la connaissance de la société. Cependant, notre contact avec les étudiants et la lecture des articles envoyés à notre revue par les chercheurs et contributeurs qui leur font référence, préfigurent assurément d’un processus en cours. L’URASC qui activait d’abord comme unité de recherche rattachée à l’Université d’Oran, puis le CRASC, (Centre National de recherche) auquel elle donna naissance en 1992 et sa revue Insaniyat, ainsi que nombre de chercheurs associés ou permanents, savent toute la dette qu’ils doivent à l’un et à l’autre ainsi qu’à nombre de nos collègues et aînés aujourd’hui disparus.

La trajectoire particulière de Mohammed Arkoun a fait qu’il a dû quitter le pays, assez tôt, pour n’y revenir que bien plus tard pour des séminaires et rencontres scientifiques. Mais, lorsqu’il décida d’aller embrasser le monde, les motivations à l’origine de ses recherches avaient déjà pris naissance au sein du terroir dans sa Kabylie natale, à Oran où il fit ses études et ailleurs dans le pays. Il allait scruter  la pensée islamique, telle que forgée sur la longue durée, en abordant toute une sphère civilisationnelle, à travers ses racines fondatrices dans la pensée classique. Pour cela il fallait forger l’arsenal méthodologique et théorique adéquat, et il fut, dans ce domaine, l’un des pionniers, un grand maître en tout cas, universellement reconnu, de la raison critique. Nos contacts avec ce big man  ont eu aussi une certaine permanence  depuis ses passages à Oran dans les années 1980 et sa participation à un de nos séminaires et, encore plus, depuis sa  participation au Comité de parrainage de la revue Insaniyat (à partir de l’année 1999). S’il n’a pu revenir au pays ces dernières  années pour différentes raisons  et malgré quelques unes de nos invitations[1], il  avait la courtoisie de nous envoyer ses livres dès leur parution et de nous faire part de sa satisfaction concernant un certain nombre d’articles ou de numéros d’Insaniyat.

Pour sa part, Abdelkader Djeghloul avait eu, à travers ses travaux, à présenter des lectures de F. Fanon et d’Ibn Khaldoun, avant de consacrer l’essentiel de son effort intellectuel à explorer la sphère de production intellectuelle et littéraire de notre passé colonial, sous l’angle, notamment, de son rapport au politique et à l’éveil national. Son séjour en France dans les années 1980 et 1990 lui avait permis, au-delà du contexte de l’époque et du malheur qui nous frappait tous, d’approfondir une recherche et des idées qu’il reviendra défendre dans son pays. Le CRASC, où il avait eu à intervenir souvent à la lisière des années 1990 et 2000, et avec lequel il reprit contact à la veille de son décès, n’oubliera pas les encouragements et la contribution discrète à son fonctionnement.

Il faudra désormais se faire à l’idée que Mohamed Arkoun et Abdelkader Djeghloul nous ont quittés à jamais.                                                                                                                      

La presse écrite, la radio et la télévision ont répercuté les nombreux hommages qui ont été rendus aux deux hommes. Cependant le plus grand des hommages est encore à venir, lorsque la pousse qu’ils ont aidée à planter, dans le champ de la recherche en sciences humaines et sociales, donnera naissance à l’émergence et à la consolidation d’un véritable processus de capitalisation et de redéploiement des savoirs touchant à l’homme et la société en Algérie, au Maghreb et ailleurs. Avec la participation de tous, nous nous attachons à y contribuer, au CRASC, à travers Insaniyat notamment.

Nos deux collègues et amis sont certes partis, mais non sans nous léguer un patrimoine et une contribution à la pensée universelle qui ne pourront que stimuler notre réflexion et éclairer notre devenir à tous.

 Qu’ils reposent en paix.

Nouria BENGHABRIT-REMAOUN


Note

[1] Notamment pour le Colloque en 2004 sur "L’état des savoirs en sciences sociales".

 

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