Campements touaregs. Odette BERNEZAT, Grenoble, Editions Glénat, 2008. 192 pages

« Encore un livre sur les Touaregs… direz-vous ! » écrit Marceau Gast dès la première ligne de la préface de Campements touaregs. Mais il ajoute « Que reste-t-il à découvrir chez ces hommes voilés ? Ne vous y fiez pas ! ». Et pour avoir partagé le quotidien des campements touaregs puisqu’il fut instituteur "nomade" dans le massif du Hoggar, cet anthropologue connu pour ses travaux magistraux sait de quoi il parle ! En effet, l’ouvrage est "neuf" dans la mesure où il s’inscrit dans une perspective fort louable, celle de faire oublier l’image mythique du "seigneur du désert", de "l’homme bleu" hiératiquement juché sur son chameau et dont seuls les yeux sont visibles, de ce personnage de légende "libre, heureux de vivre et sans soucis"… Quel que soit le cliché choisi, rares sont les publications qui n’y échappent pas. Il était donc temps de réhabiliter l’image du Touareg, aussi est-ce avec plaisir que l’on assiste, somptueuses photographies à l’appui, à une visite intime des campements, dans le droit fil d’une découvertes qui rappelle celle que Odette Bernezat a vécue au cours de près d’un demi-siècle de fréquentation du désert, et plus précisément de ces montagnes du Hoggar qu’elle et son mari Jean-Louis continuent de privilégier avec un enthousiasme jamais démenti.

On ne sera pas surpris de constater – et les nombreuses photographies l’illustrent - que les femmes sont à l’honneur, car ce sont elles qui s’obstinent à faire "vivre" les campements. On aurait pu penser que la sédentarisation à laquelle on a assisté depuis les années 50-60 donnerait le signal d’une irrémédiable perte de valeur, voire entraînerait la disparition proche des fondements mêmes de la civilisation touarègue dont les femmes sont les vigilantes gardiennes. Or, à sillonner inlassablement le monde touareg, Odette eut la surprise de découvrir que les campements n’avaient pas disparu ; la raison en est que parallèlement à une sédentarisation qui n’a cessé de gagner, la multiplication des puits et des forages (pour l’eau) a permis une extension des régions potentiellement utilisables par du bétail, d’où un renouveau de l’élevage, celui des chèvres principalement, activité foncièrement féminine et par nécessité inséparable du maintien d’une certaine forme de pastoralisme qui n’est en rien résiduel. Ce regain de l’activité pastorale porte également sur l’élevage des chameaux, mais sous une autre forme puisqu’il s’agit de grands troupeaux (destinés à la boucherie) confiés à des bergers généralement nigériens, ce qui veut dire que le chameau n’est présent dans l’ouvrage que lorsqu’il accompagne le récit d’une visite ou d’un changement de site de campement. Il n’empêche que ce renouveau de l’activité pastorale qui sous-tend la permanence des campements permet aux femmes de continuer à vivre dans l’ambiance qu’elles ont toujours connue, en d’autres termes, d’échapper à la contrainte de se noyer dans l’anonymat d’une ville démesurément développée comme l’est Tamanrasset, où de surcroît elles se sentent mal à l’aise dans un milieu fortement arabisé. En revanche, pour les hommes, la grande ville signifie la possibilité de gagner de l’argent, donc d’apporter un peu d’aisance aux campements, en somme d’aider à leur survie.

Faut-il alors regretter "le progrès" ? Ce progrès concrétisé par l’automobile qui raccourcit l’espace et facilite les déplacements, ce "progrès" engendré également par le tourisme (dont on ne perçoit trop souvent que l’impact négatif) ou par la diversification des activités (chantiers miniers, emplois à la ville). De tous ces détails concernant le mode de vie et ses transformations actuelles, le lecteur va percevoir la présence en filigrane, au fil de descriptions sans fioritures des cas familiaux sélectionnés, chapitre après chapitre. Tout comme il va découvrir grâce à 135 fort belles photographies – dont les séquences se déroulent tel un film - ces « moments de vie avec les nomades du Hoggar », sous-titre judicieusement choisi : bien malin celui qui pourrait dire si ces photos sont récentes ou ont été prises il y a 20, 30 ou 40 ans ! Point de nostalgie dans cette sélection mais de la part de l’auteur le signe qu’en dépit des propos désabusés qui ont cours, la civilisation touarègue perdure… grâce aux femmes vaquant aux occupations quotidiennes dans leur campement, ce qui valait bien une illustration hors pair, à la fois soignée et didactique. Au point que Campements touaregs mériterait d’avoir sa place dans la poche du voyageur qui cherche à découvrir, voire redécouvrir le Hoggar, et ses habitants, bien mieux qu’avec un guide classique ; cela lui permettrait de saisir la signification de telle attitude, telle gestuelle, telle forme de pudeur qui peut déconcerter le néophyte, car elles ne sont jamais gratuites de la part des hommes du désert. Est-ce l’une des raisons pour laquelle Odette Bernezat est restée fidèle aux clichés noir et blanc ? De fait, l’option rend encore plus séduisante la lecture de l’ouvrage, au moment même où jusque dans des publications qui se veulent luxueuses, la manipulation à grand renfort de logiciels, de filtres, de cartouches-couleur, permet d’abominables audaces qui vont jusqu’à dénaturer des couleurs, voire des "lumières", qui n’ont plus rien de naturel… Il est vrai que tout comme pour ce qui est du "Touareg figé dans le mythe", il est des clichés en matière de représentation du désert qui ont la vie dure. Ainsi donc à tous points de vue Campements touaregs de Odette Bernezat se situe à des années-lumière de ce Sahara de pacotille : réjouissons-nous qu’à l’appui de cette démonstration conduite de main de maître, les Touaregs en soient le point focal. Alors ? Un ouvrage de plus sur les Touaregs ? Bravo !

auteur

Jean BISSON

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