L’ouvrage de Hadj Miliani qui est professeur de littérature à la faculté des Lettres et des Arts de l’Université de Mostaganem (Algérie) et chef de l’équipe de recherche « Patrimoine culturel en Algérie » au CRASC, est composé d’une introduction, de trois parties et d’une conclusion générale.
Dans l’introduction, l’auteur pose un certain nombre de questions qui tournent autour de l’existence d’une production littéraire de langue française qui est limitée par son espace naturel, ses lecteurs de plus en plus arabisés en Algérie et le champ littéraire en France qui l’admet comme une excroissance purement factuelle (p.14). Il s’agit en fait, du devenir de l’activité littéraire de langue française dans un pays qui se refuse depuis l’indépendance de se situer dans l’aire francophone. Et également de son statut dans le marché des littératures du monde. Car c’est une littérature qui se fait dans l’urgence du dire et le péril d’exister. Je crois que ce sont deux paramètres qui modulent la thèse de l’ouvrage, et dont l’auteur essaie de développer au cours des deux parties qui vont suivre, en s’appuyant sur la théorie du champ littéraire mise en oeuvre par Pierre Bourdieu, et sur d’autres réflexions de théoriciens tels que Jacques Dubois, Alain Viala, Marc Angenot… La référence aux travaux de spécialistes de la littérature maghrébine, tels que Charles Bonn, Christiane Achour, Jean Déjeux, est également de mise. Il entreprend le traitement de plusieurs matériaux hétérogènes (textes littéraires, comptes rendus, entretiens, sondages, statistiques diverses, études, etc.) afin de rendre compte de l’activité littéraire de langue française en Algérie pendant environ une trentaine d’années (1970 – 2000) à travers la compréhension des règles de fonctionnement au cœur du dispositif institutionnel et de caractériser les attitudes et les pratiques des agents sociaux et impliqués dans son animation (p.18).
Dans la première partie de son ouvrage intitulé « L’univers institutionnel de la littérature algérienne de langue française et ses lecteurs », l’auteur nous renseigne sur l’état de l’édition et du lectorat en Algérie durant cette période en insérant plusieurs annexes et tableaux comme données essentielles pour son argumentation. Ainsi les transformations subies par l’édition (S.N.E.D., E.N.A.L., E.N.A.G.), l’évolution de la presse algérienne de langue française, le cas de la revue Voix Multiples ont été passées en revue dans cette partie de l’ouvrage.
On peut relever quelques remarques dont fait état l’auteur et qu’on peut résumer en quelques points :
- Le secteur de l’édition est resté tendanciellement sous-développé, sous-organisé et nettement peu performant pendant ces trois décennies.
- La structure globale de son fonctionnement reste tributaire et dominée par les appareils d’Etat, d’où le contrôle idéologique.
- L’édition étatique, concurrencée par les maisons d’édition privées, sera dissoute en 1998.
- La fermeture des bibliothèques scolaires au cours des années 80 et 90 constituent une véritable régression dans la politique de développement et de la démocratisation de la lecture.
- En Algérie, la rencontre du lectorat et des œuvres est l’un des dispositifs les plus occultés, voire incertain, dans les stratégies des différents acteurs de la communication littéraire.
- Devant l’absence de revues littéraires spécialisées, la presse algérienne a joué un rôle de promoteur de l’activité littéraire, d’évaluation et également de contrôle idéologique de cette activité.
- L’expérience de la revue Voix Multiples, publiée à Oran de 1981 à 1986, qui a fonctionné comme un réseau para-institutionnel, est une tentative rare de mise en place d’un pôle de rassemblement et de publication de langue française.
La deuxième partie intitulée « Les acteurs. Problèmes institutionnels et réalité sociale de l’écrivain en Algérie » essaie d’analyser le métier d’écrivain qui se heurte à l’absence de réseaux institutionnels en Algérie, mais comparativement à cela les événements des années 90 ont donné lieu à une forte médiatisation en France et à une multiplication de publication de romans d’auteurs algériens. L’auteur dans une recherche sociologique très fouillée recense quelques 200 écrivains ayant commencé à publier depuis le début des années 70 jusqu’à 1995, dont 138 écrivent en français et 62 en langue arabe. Il analyse également la postérité de Kateb Yacine à travers la presse et la trajectoire de Tahar Djaout pour mieux situer le statut de l’écrivain dans son pays.
Enfin la troisième partie de l’ouvrage dont le titre est « Les œuvres. Usages du romanesque et configurations d’écriture », est une étude sociocritique du discours romanesque à travers les thématiques développées dans le champ littéraire algérien, avec comme exemple les romans de Mohamed Magani, en particulier La faille du ciel et Esthétique du boucher.
Hadj Miliani relève quelques aspects de la littérature algérienne de langue française qui fonctionne comme un sous-champ dévalorisé de la production élargie française. L’engouement des maisons d’édition françaises pour les auteurs algériens est lié à l’actualité tragique que vit le pays ; l’évaluation objective de cette activité éditoriale se fera après la retombée médiatique.
Une dernière conclusion à laquelle aboutit ce travail de recherche est l’atomisation du champ littéraire algérien de langue française dont la plupart des textes à vocation littéraire n’a, semble t-il, d’existence légale (pour la quasi-totalité des œuvres) que pour les bibliographies. L’ouvrage de Miliani est très riche en informations sur l’activité littéraire dans notre pays, il est également très instructif sur l’illusion d’écrire et de vivre le métier d’écrivain, surtout de langue française, dans un espace culturel qui prend l’allure d’une peau de chagrin.