Les pratiques commémoratives liées à la Guerre de libération nationale en Kabylie. Enjeux de la mémoire collective au niveau local

Karim SALHI (Auteur)
83 – 103
Patrimoine musical et arts de pratiques en Algérie
N° 106 — Vol. 28 — 31/12/2024

Les expériences subjectives du temps révèlent combien les perceptions de l’histoire locale conduisent les acteurs sociaux à appréhender différemment la temporalité, les événements, la causalité, et à produire divers types d’historicité et de mémoires. Le présent joue un rôle majeur dans la façon de modeler le temps et de réinterpréter les souvenirs du passé (Hartog, 2003). Ainsi, la transmission de la mémoire de génération en génération est constamment soumise à des relectures, car les souvenirs s’inscrivent à chaque étape dans des cadres sociaux renouvelés et dans des visions du monde changeantes. Le rapport à la mémoire collective se construit également de manière individuelle. Nourri par les exigences du présent et les productions historiographiques, l’individu opère des choix dans les mémoires collectives, sélectionnant les éléments qui correspondent à ses propres points de vue. Les deux types de mémoire, individuelle et collective, interagissent donc, mais c’est à travers l’individu que se saisit la mémoire collective. En effet, bien que cette dernière « tire sa force et sa durée de ce qu’elle a pour support un ensemble d’hommes, ce sont cependant des individus qui se souviennent, en tant que membres du groupe » (Halbwachs, 1997, p. 94). Ces souvenirs, qui se manifestent de diverses manières dans les pratiques mémorielles, occupent une place importante, notamment dans les sociétés marquées par les atrocités d’une guerre, comme en Espagne, où les souvenirs de la guerre civile refont surface des décennies plus tard (Godicheau, 2015). L’Algérie, après avoir obtenu son indépendance à la suite de 132 ans de domination coloniale et plus de sept années d'une guerre (1954-1962) particulièrement violente, n’échappe pas à ce travail mémoriel. Les affects qui en résultent s’expriment, entre autres, par l'exubérance des célébrations liées à cette mémoire. Par ailleurs, ces mises en scène mémorielles oscillent « de la machine commémorative, puissante et scénarisée à des formes beaucoup plus discrètes » (Mohand-Amer, 2022, p. 69).   

Ce texte s'appuie sur des données ethnographiques collectées dans plusieurs villages de la wilaya (département) de Tizi-Ouzou, à la suite d'un travail de terrain réalisé entre 2016 et 2024. L'étude repose sur des observations, ainsi que sur quatre entretiens menés avec deux membres de comités de villages, un fils de chahid [martyr] et un ancien moudjahid (maquisard), président de l'association « Tagrawla [Révolution] 1954-62 ». Les propos recueillis auprès de ces interlocuteurs ont permis de collecter des données relatives à la construction et au financement des monuments ainsi qu’à l’organisation des commémorations. L'objectif est de montrer comment, à l'échelle locale, les acteurs cherchent à s'approprier et à transmettre la mémoire et l'histoire de la Guerre de libération, notamment à travers l'édification de stèles commémoratives et la nomination d'espaces publics (rues, écoles, cités, jardins, etc.) en hommage aux chouhada. Cette multiplication de monuments, symboles de victoire, ne révèle-t-elle pas un usage du passé de la Guerre visant à transformer les sacrifices des familles et des villages en capital symbolique, à travers lequel l'appartenance nationale est réaffirmée ?

Les commémorations et leurs enjeux

Une commémoration se présente comme une cérémonie qui cherche à rendre visible l’hommage rendu à un ou plusieurs morts, un événement, une rupture historique qui marque un tournant décisif dans l’histoire d’une nation ou d’un groupe social. Étant donné sa charge rituelle, elle vise un consensus recherché par les institutions de l’État et des collectifs plus restreints (corporations, communautés villageoises, partis politiques, etc.) autour de récits du passé objet de la cérémonie. En commémorant les morts, c’est surtout l’identité du groupe qui est célébrée, d’où la confusion entre commémoration et célébration (Nora, 2000). La commémoration est généralement divisée en séquences répétitives : fleurissement, hymne national et levée du drapeau, minute de silence, lecture de la Fatiha (la première sourate du Coran), puis prises de parole des acteurs de la guerre, des autorités et des élus locaux. Elle est inscrite dans un espace limité autour d’une stèle, d’un ensemble funéraire, d’un lieu marqué par un événement. L’ordonnancement des rituels est caractérisé par des moments tiraillés par deux pôles : la cérémonie et la festivité (Isambert, 1982). Occasionnellement, la commémoration est marquée par un repas collectif préparé et servi par les villageois. La dimension festive de ce dernier tient surtout à présenter la guerre comme une délivrance au sens large. Durant le conflit, l’annonce d’une mort était accompagnée, d’ailleurs, par des youyous de femmes qui expriment une joie paradoxale. Cet édifice mémoriel cherche ainsi à traduire une orientation nationaliste qui repose sur « le sentiment d’appartenance à un corps politique susceptible d’intégrer tous ceux qui habitent dans les frontières d’un État donné » (Jaffrelot, 2016, p. 278-279).

Les commémorations sont dominées par les faits de la Guerre de libération nationale (1954-1962). Mis-à-part la consécration du 8 mai comme journée nationale de la mémoire, en référence aux événements de mai 1945 (Ageron, 2012), aucun fait de la longue histoire du pays n’est commémoré[1]. Le nationalisme qui, pourtant, insiste sur la profondeur historique de la nation algérienne[2], ne mettait pas en valeur l’histoire antique, médiévale et même moderne que pour démanteler l’idéologie coloniale bâtie sur la francité de l’Algérie[3]. Après l’indépendance, l’État algérien naissant reprend la rhétorique nationaliste tout en instituant l’histoire comme « paradigme identitaire, visant à user du passé à des fins de (…) légitimation politique du nouvel ordre mis en place, basée sur le contrôle officiel de tout ce qui toucherait à la mémoire collective et à l’historiographie nationale » (Remaoun, 2008, p. 150-152).  L’accent est mis sur les faits relatifs à la Guerre de libération, bien que les résistances à la colonisation surviennent dès les débuts de la conquête française en 1830. Il est vrai que le retentissement d’une pratique ritualisée est plus fort lorsque l’événement commémoré renvoie à une insurrection victorieuse. Le 1e novembre 1954 est particulièrement symbolique car il apporte une réponse, par la lutte armée, à l’impasse du nationalisme algérien qui vit une scission au sein du parti indépendantiste, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) (Meynier, 2003). C’est sans doute une des raisons qui amena les tenants du pouvoir politique, après l’indépendance, à mettre sur scène les exploits de leur génération qui libéra le pays en menant jusqu’à la victoire une guerre qualifiée de « Révolution »[4]. Les textes fondateurs du Front de Libération Nationale (FLN) employaient ce terme pour désigner la lutte pour l’indépendance (Harbi et Meynier, 2004, p. 648-652), mais son usage après la guerre cherche plutôt à mettre en scène une rupture avec l’ordre colonial en recourant à l’imaginaire de la mort. Car la nation ne tient sa signification que par le sacrifice consenti par ses enfants, leur immortalité est brandie comme un symbole de son éternité. Il y a là une jonction entre l’émotionnel recherché par toute commémoration et le registre religieux visible dans le titre de chahid (martyr) que porte le mort au combat pour la patrie. Ce rapprochement est renforcé par les lois fondamentales de l’Algérie qui, depuis la première constitution (1963), consacrent l’Islam comme religion de l’État. Ce qui alimente un imaginaire nationaliste lequel se préoccupe tellement de la mort que cela « suggère une affinité profonde avec l’imaginaire religieux » (Anderson, 2002, p. 24). Les commémorations cherchent donc à entretenir un récit national lié au registre de l’émotionnel, en rappelant le sacrifice suprême des chouhada. La rhétorique nationaliste repose aussi sur une « politique mythologique » à travers laquelle « on est assurément dans l’ordre du sensible - et d’abord des sens - et dans l’ordre de l’émotion (…), on est ici sinon au cœur du moins au plus profond du politique » (Ory, 2020, p. 279). L’instrumentation de la mémoire[5] cherche ainsi à « prescrire des représentations et des attitudes » (Gensburger et Lefranc, 2017, p. 9) qui visent à entretenir la cohésion nationale autour d’un passé consensuel.
Et pour renforcer ce dispositif de contrôle mémoriel, une chaîne dénommée Al-Dhakira TV, consacrée exclusivement à la mémoire et à l’histoire, fut lancée le 1e novembre 2020.

Dans cette mémoire collective, 1954 représente un « marqueur de frontière entre passé et présent » (Le Goff, 1988, p. 32). Cette date fondatrice marque une césure dans l’histoire dans la mesure où il y a un avant et un après 1954. C’est ce qui pourrait expliquer la place de la Guerre de libération nationale dans les récits de mémoire. Ceux-ci traduisent un passé mythifié qui entretient une cohésion sociale par l’intensité de l’engagement contre la domination coloniale. Dès lors, la célébration des martyrs confère à l’acte d’adhésion à la nation un caractère religieux qui insiste sur le sacrifice suprême : « mourir pour son pays ». Le nom donné aux combattants pour l’indépendance de l’Algérie rappelle cette jonction entre les besoins de la construction nationale et la dimension mystique, à travers laquelle le martyr est récompensé par le paradis. Le nom de « Moudjahid » de l’arabe jahada (combattre) renvoie en effet à un vocabulaire religieux dans lequel le résistant est assimilé à celui qui combat pour Dieu. Le lien national est alors relié à une cosmologie tout comme la référence quasi sacrée à cette séquence revêt un caractère fondateur d’une mémoire historique, une consécration de la longue marche structurée par le mouvement national et alimentée par les récits des résistances à l’armée coloniale au XIXe siècle. Les événements de la guerre structurent ainsi un temps historique qui déborde la mémoire de groupe pour se raccrocher à une grande Histoire. Les grandes dates qui marquent celle-ci sont d’ailleurs systématiquement commémorées. Il s’agit du 1er novembre (déclenchement de la Guerre de libération), du 19 mars (fête de la victoire qui correspond au cessez-le-feu suite à la signature des accords d’Évian la veille), du 5 juillet (fête de l’indépendance) et du 20 août (congrès de la Soummam).

Dès l’indépendance, la mémoire de la guerre se matérialise par la construction de stèles commémoratives à l’initiative notamment des collectivités locales[6]. L’édification d’ouvrages dédiés aux morts va alors inscrire des actes de remémoration dans des espaces publics (places, jardins, etc.) ou bien dans des lieux consacrés exclusivement à cette mémoire (cimetières de chouhada par exemple). Pendant des années, ces constructions ont été le fait des institutions rattachées à l’État (Assemblée Populaire Communale, Assemblée Populaire de Wilaya et organisation des moudjahidine) qui cherchent ainsi à monopoliser l’acte d’identification à la nation. Le monument peut être flanqué, selon les cas, d’une liste nominative des morts au combat (figure 1). L’arabe et le français étaient, jusqu’à récemment, les seules langues utilisées dans ces lieux de mémoire avec un accent politique plus affirmé pour la première langue car elle résume en quelques mots les « deux grandes instrumentalisations symboliques que sont la langue et la religion » (Ory, 2020, p. 279). La ritualisation des cérémonies qui y sont organisées fait ressortir des pratiques mythico-religieuses puisées dans l’héroïsme des morts et le sens mystique de leur finitude qui se présente dans « les modèles d’une théâtralisation profane et d’une pédagogie vertuiste » (Raynaud, 1994, p. 103). 

Le martyre (chahada), témoigne de la consubstantialité entre l’acte de résister à l’ordre colonial et une expiation par laquelle les moudjahidine (combattants) acceptent un sacrifice de propitiation selon la conceptions de l’islam et, ipso facto faire triompher la cause pour laquelle, ils (les moudjahidines) ont répondu à l’appel de la Guerre de libération nationale. Les expressions « la terre d’Algérie est purifiée par le sang des martyrs » et « nous devons notre liberté aux sacrifices des martyrs » renvoient à un registre religieux à travers lequel la dimension sacrificielle fonctionne comme un catalyseur de la cause nationale. La sémantique du sacrifice se traduit dans les monuments aux morts qui, en général, portent les symboles de la nation (drapeau et carte de l’Algérie) et une inscription en langue arabe[7] d’un verset coranique qui promet le paradis aux martyrs. Ce qui renvoie à l’idée d’une présence éternelle dans l’au-delà, présence couplée à la mémoire accordée aux morts dont le sacrifice assure une pérennité à leur personne et à la nation.

Figure 1 : Stèle avec liste des chouhada du village Mehaga

(Commune d’Idjeur)

Source : ©salhi (19/08/2016).

La célébration des morts pour la Guerre) est aussi visible dans des espaces publics qui se voient marqués par le sceau de la lutte pour l’indépendance : dénomination de rues, de lieux
et d’institutions qui prennent les noms des héros ou des dates. L’évocation du passé multiplie, ainsi son champ d’intervention pour s’inscrire dans les lieux de mémoire (espaces de solennité) et en dehors. Ainsi, le paysage urbain et rural offre à la vue des enseignes qui évoquent les personnages ou les événements de la Guerre de libération. Quelques dénominations se rattachent, néanmoins, aux résistants du XIXe siècle comme l’Université Émir Abdelkader à Constantine, le lycée Fadhma n Soumer à Tizi-Ouzou, etc. 

De la rivalité des initiatives au niveau local

Les cérémonies commémoratives, mises en place par l'État et ses institutions au niveau local, revêtent un caractère officiel : décision de la date à commémorer, le lieu, les moyens mis en œuvre et la présence des agents des administrations publiques. Par ailleurs, les commémorations sont marquées par un ancrage local où l’événement commémoré s’inscrit dans le territoire du groupe célébrateur, ou du moins un lieu qui lui est proche. Ces pratiques peuvent évoluer d’une façon ou d’une autre en fonction de la dimension recherchée, du retentissement escompté et de la régularité de la célébration des événements en commémorant les dates liées à la Guerre de libération. Par exemple, les premières cérémonies en souvenir de la bataille d’Izemmourene[8] furent initiées par des habitants de Sahel (dans la commune d’Aït Khellili), village situé près du lieu de l’affrontement. Les autorités officielles y étaient absentes. Le rituel de ces débuts emprunte au registre religieux des pratiques de sacralisation des espaces - ici le lieu de l’événement - en entonnant des chants à la gloire des martyrs. Le cérémoniel est organisé selon les rites d’une ziara (pèlerinage) lors de laquelle les pèlerins allument des bougies et partagent des mets préparés chez eux. La mémoire de l’événement retentit à travers les récits des témoins et des acteurs qui se souviennent de cet épisode dont les stigmates étaient encore visibles. Dans ce cas de figure, « toute remémoration, même lorsqu’elle n’est pas ritualisée en commémoration, passe nécessairement par le sas de la guerre et réactive le souvenir des occupations et des humiliations » (Carlier, 1991, p. 83).

Au fil des années, ces pratiques rituelles glissent vers des cérémonies plus officielles qui débutent le 23 mars 1994, date anniversaire de l’événement[9]. Ce fut la première célébration officielle qui vit la présence du wali (préfet) de Tizi-Ouzou, des cadres des administrations locales, des élus locaux, des représentations des moudjahidine et des enfants de chouhada ainsi qu’une foule nombreuse. La cérémonie se déroula dans un lieu où aucun monument n’était encore érigé. Il fallut attendre 2007 pour qu’une stèle matérialise le souvenir de cet épisode. Des années auparavant, les autorités avaient proposé de construire un monument sur un endroit surélevé situé dans la même commune pour rendre hommage aux morts de toute la région. Les villageois de Sahel se sont alors opposés à ce que la mémoire des lieux de la bataille soit transplantée ailleurs. C’est ce qui explique le temps mis pour réaliser l’édifice. Sur l’ouvrage en marbre, on peut lire sur une inscription bilingue : « Stèle commémorative de la bataille d’Izemourene 23 mars 1957. Gloire à nos martyrs » en langue française ; en dessous le verset 169 de la sourate III en langue arabe (figure 2). La présence des symboles de l’État, notamment des couleurs nationales, montre comment la mémoire des héros locaux sert à célébrer la nation. Le monument ne comporte aucune liste nominative, sans doute parce que les noms qui devaient
y figurer sont déjà marqués sur des plaques dans leurs localités d’origine.

Figure 2 : Monument commémorant la bataille d’Izemmourene

Source : ©salhi (23/03/2024).

Afin d’ériger des stèles dans leurs villages, les représentants des citoyens sollicitent la contribution financière du Ministère des moudjahidine par l’intermédiaire de l’association de wilaya « Tagrawla 1954-62 » Cependant, l'État ne prend en charge qu'une partie du financement de ces ouvrages en raison d'une demande croissante observée au cours des dix dernières années. Une partie des ressources nécessaires est, par conséquent, fournie par les villageois eux-mêmes et parfois les collectivités locales (APC notamment)[10]. Ainsi, les ouvrages mémoriels, au niveau local, s’inscrivent dans une territorialité plus restreinte qui traduit une appropriation de la mémoire des morts par leurs groupes d’appartenance. L’imaginaire qui entoure le martyr devient plus saisissable par la nomination des disparus dans une sorte de « démocratie mortuaire » (Ory, 2020, p. 290) qui tient à nommer chacun quels que soient sa position sociale et son rang dans l’Armée de Libération Nationale. Cette appropriation concerne également des personnages de dimension nationale auxquels les membres de leurs groupes érigent des statues dans leurs propres villages ou communes. La communauté entend par-là disposer de son "cadavre" enterré loin de chez lui. Cette forme de « double sépulture » symbolise l’articulation entre la mémoire ancrée localement et l’imaginaire national à l’exemple de la statue du colonel Amirouche[11] qui se trouve tout proche de son village natal, Tassaft Ouguemoun. Ce célèbre commandant de la Wilaya III historique, mort au combat le 29 mars 1959 est inhumé dans le carré des martyrs au cimetière national d’El-Alia à Alger.

Ainsi, les commémorations officielles sont parfois concurrencées par des pratiques qui nous « invitent à reconsidérer l’étanchéité des frontières entre registre commémoratif et répertoire protestataire » (Latté, 2009, p. 117-118). En effet, la production de la mémoire collective, à un niveau local, offre à l’observateur des scènes plus ou moins ritualisées dans lesquelles les formes et les symboles traduisent des différenciations qui se démarquent du consensus défini par les pouvoirs publics. Cette forme de mémoire « renvoie à la contestation du discours officiel sur la mémoire dans le sens où ce discours impose son récit national sans débat et sans tolérer aucune discussion ou critique » (Benzenine, 2022, p. 143). Ceci adjoint à la mémoire collective un mouvement de va-et-vient dans lequel les pratiques officielles qui fondent et maintiennent ce consensus, se disputent avec les initiatives locales qui tentent de réinterpréter le passé et proposer sa relecture. Ce dissensus tient aux différences dans les représentations du passé de la guerre et leurs influences dans la construction des mémoires. Il est à la fois lié aux trajectoires des acteurs sociaux et politiques aux écarts entre les générations qui se projettent sur le terrain des commémorations et surtout sur celui des lieux de mémoire. Ceux-ci, en effet, reflètent de plus en plus une symbolisation dissonante avec celle définie par les autorités publiques.

Ces dernières années, de nombreuses stèles dédiées aux martyrs de la guerre se distinguent, dans leur présentation, du schéma conventionnel. Dans certaines, en effet, le verset coranique transcrit en caractères arabes est absent. Ces ouvrages consacrés à la mémoire portent les listes, en langues amazighe (caractères latins ou tifinagh) et française, des villageois morts au combat.
Si leur désignation garde le mot « chouhada »[12], la référence religieuse n’est pas mentionnée. Une autre nouveauté apparait aussi dans ces édifices : l’emblème amazigh est montré avec le drapeau national (figure 3).

Figure 3: Fresque murale avec, au milieu, la liste des chouhada du village Sahel (commune d’Aït Khellili) et les représentations picturales du roi numide Massinissa (à gauche), le colonel Amirouche, Ramdane Abane (au centre) et la reine Dihia (à droite)

Source : ©salhi (23/03/2024).

La mémoire collective se voit ainsi associée à un symbole qui traduit une redéfinition du passé selon un présent chargé de l’affirmation identitaire qui porte en elle les stigmates de la marginalisation de la dimension amazighe du pays des décennies durant. Par cette mise en scène, les acteurs locaux attribuent aux martyrs un combat qu’ils considèrent trahi par les orientations de l’État algérien après l’indépendance. Pour beaucoup, en effet, les martyrs ont consenti des sacrifices pour une Algérie plurielle et une nation qui reconnaît l’ensemble de ses composantes culturelles.

Il est vrai que le nationalisme algérien, du moins son aile indépendantiste, et les réformistes religieux ont imposé une définition réifiée de la nation en se limitant à son caractère arabe et musulman. Les tentatives de quelques militants kabyles du PPA/MTLD de proposer une définition plurielle de la nation ont échoué en 1949 (Idir El Watani, 2015 ; Ouerdane, 1993 ; Hadjerès, 2022). Quelques années après, la proclamation du premier novembre 1954 et la plate-forme de la Soummam en 1956 n’ont pas jugé opportun de traiter cette question dans le contexte d’une guerre violente. C’est donc l’héritage du nationalisme qui servit à légitimer les décisions prises après l’indépendance pour définir une identité nationale globalisante et essentialisée qui n’a pas su résoudre la question de la nation dans sa diversité (Hamdi-Cherif, 1992).
La contestation d’une identité assignée représente ainsi une réaction à une stigmatisation (Goffman, 1975). Pour certains, cette stigmatisation est née de l’exclusion de la dimension amazighe de la nation durant de longues années. La redéfinition progressive de celle-ci par l’État algérien, depuis la constitution de 1996 jusqu’à la consécration de tamazight comme langue nationale et officielle en 2016, renforce ce processus de déstigmatisation jusqu’à l’étendre aux lieux de mémoire après avoir investi les espaces des vivants. L’imaginaire national est ainsi redéfini par le rattachement de la séquence de la Guerre de libération nationale - du reste, la plus présente dans la mémoire collective - à l’engagement des militants nationalistes en faveur de la culture amazighe et aux longues résistances aux occupants étrangers depuis l’antiquité[13]. Les martyrs de 1954-1962 ne seraient alors que les derniers d’une longue histoire jalonnée de douleurs et de résiliences.

Hors des circuits institutionnels, la mémoire de la guerre peut, aussi, faire l’objet d’un marquage familial et privé. Sur la route principale qui traverse un grand village, Djemâa n Saharidj (commune de Mekla), le fils d’un chahid a érigé un monument sur sa propriété en hommage à son père, tombé au combat[14]. Composé au début d’une plaque sur laquelle le nom et des éléments biographiques du disparu sont inscrits, l’ouvrage est complété ensuite d’une statue le représentant[15] (figure 4). En face, de l’autre côté de la route, la maison familiale est flanquée à l’entrée d’une inscription portant son nom. Mort dans la wilaya IV, loin de son village et de sa région, le chahid est honoré chez-lui afin de signer sa présence symbolique parmi les siens.

Figure 4: Statut d’un chahid érigée par sa famille à Djemâa Saharidj (Commune de Mekla)

Source : ©salhi (30/03/2023).

À travers ce lieu de mémoire, construit avec ses propres moyens, la famille cherche à rendre présent son ancêtre et à lui faire une place dans la mémoire collective au niveau local. Le monument en question est d’ailleurs ouvert et paré des couleurs nationales à chaque date commémorative. Une gerbe de fleurs y est également déposée par les descendants du mort. Ce type de monument est probablement unique car la mémoire des martyrs n’a jamais été célébrée de manière privée. C’est l’ensemble de la communauté villageoise et les autorités officielles qui ont généralement le monopole des pratiques commémoratives et de l’édification de ce genre de stèles. Il est vrai que le mort appartient à sa famille qui rentre d’ailleurs dans la catégorie des « ayant droits des chouhada ».

Néanmoins, cette reconnaissance n’a de signification que si les instances étatiques lui donnent une certaine visibilité, en l’inscrivant dans un cadre tangible, tel qu’une liste gravée sur du marbre, exposée à la vue des villageois et des visiteurs de passage.

Des mémoires marquées par le présent

La méfiance envers la construction d’un passé soumis à des avatars idéologiques et nationalistes conduit à l’utilisation de la mémoire sous toutes ses formes (Le Goff, 1988). Dans ce va-et-vient entre le passé et le présent, « la relation de mémoire entre les vivants et les morts, liée à un rite et un mythe visant au consensus, reste un enjeu de pouvoir symbolique, politique et économique qui conduit paradoxalement mais logiquement au dissensus entre tous les vivants » (Carlier, 2004, p. 59). En effet, bien que la nation serait tentée de balayer les récits d’une mémoire vernaculaire en leur substituant une version plus cohérente avec le lien national (Nora, 1984), les différents groupes sociaux, ayant un lien direct ou indirect avec la Guerre de libération, préservent leurs propres mémoires et tentent de résister à la suprématie de l’histoire, du moins celle frappée du sceau de l’officialité. Ainsi, malgré les implications institutionnelles dans l’entretien de la mémoire - à travers notamment la contribution du ministère des Moudjahidine au financement des monuments aux morts - les communautés villageoises tiennent à célébrer les noms, les siens en premier, en insistant sur leur dimension nationale et leur contribution à l’indépendance de l’Algérie. La mémoire est alors restituée dans « un récit qui met en jeu simultanément une histoire individuelle et des références collectives » (Augé, 2001, p. 62).

À titre d’illustration, le village de Mehaga (daïra de Bouzeguène) expose les portraits de ses martyrs à l’intérieur d’une carte représentant l’Algérie (figure 5) pour rappeler le sens de leur sacrifice et réaffirmer leur attachement à une nation unie[16]. Au-delà de cette mise en perspective, du reste très symbolique pour la communauté villageoise, il y a là les éléments d’une réponse à une actualité marquée par l’émergence d’un mouvement indépendantiste en Kabylie entre 2003 et 2019. Ainsi, le souvenir de la guerre est associé au présent pour faire face aux défis immédiats. D’ailleurs, lors des commémorations, les intervenants insistent dans leurs discours sur l’unité de la nation et son indivisibilité.  

Figure 5 : Les chouhada du village Mehaga (commune d’Idjeur) représentés sur la carte de l’Algérie

Source : ©salhi (19/08/2016).

Dans cette mémoire villageoise encore cantonnée au registre oral (Goody, 1994), les contingences du présent conduisent à des aménagements qui accompagnent toute mémorisation / commémoration. On commémore ce qui est susceptible de réactualiser les solidarités de groupe et les projeter dans l’avenir et on « oublie » ce qui les menace et les enchaîne dans un avant capable de réveiller des conflits liés à la guerre. La séquence
1954-62 a connu, en effet, des violences entre les combattants pour l’indépendance et les auxiliaires de l’armée française (harkis), sans parler des luttes fratricides entre les partisans de Messali Hadj regroupés au sein du Mouvement National Algérien (MNA) (Sidi Moussa, 2019) et le FLN. Ces conflits provoquèrent des hostilités et des déchirures entre familles et groupes rivaux. À l’avènement de l’indépendance, les autorités interdirent, d’ailleurs, tout règlement de comptes afin d’éviter de nouvelles effusions de sang après une guerre meurtrière. Afin d'assurer une atmosphère de cohésion, les cérémonies commémoratives occultent les divergences liées à la guerre de libération, privilégiant un récit national commun dans un cadre solennel. De même que la mémoire et l’histoire sont exaltées pour célébrer les lieux de partage du passé, l’ « oubli » intervient subrepticement pour entretenir le présent. Celui-ci tient alors une place centrale dans la définition du passé et du futur. Il relève d’un régime d’historicité dans lequel le rapport au passé est vécu plus sous forme de mémoire et de patrimoine, conçus et pensés à partir du présent et de ses exigences immédiates. Ainsi, « le présent devient la catégorie prépondérante, tandis que le passé [...] exige d'être incessamment et compulsivement visité et revisité » (Hartog, 2003, p. 153). Les temporalités sont alors vécues selon les contextes et la mémoire de la Guerre de libération n’échappe pas à ce constat. D’ailleurs, lors des cérémonies commémoratives, les intervenants n’évoquent que l’ « unité du peuple » dans sa lutte contre le colonialisme.

L'impact du présent se manifeste aussi par la prise en compte des évolutions sociales, notamment en ce qui concerne les rapports sociaux de sexe. Les commémorations et les rites, qui suivaient majoritairement les normes de la domination masculine, s'ajustent à l'implication croissante des femmes dans l'espace public. Par exemple, lors de la célébration de la bataille d'Izemmourene, le 23 mars 2024, de nombreuses femmes ont pris part à l'événement. Une moudjahida, également veuve d'un chahid, a partagé son témoignage pendant plusieurs minutes, relatant les faits auxquels elle a assisté. Cette participation permet aux femmes de s'engager davantage dans la préservation de la mémoire de la guerre. Cela représente une réappropriation de ce passé par celles qui ont contribué au conflit sans avoir obtenu la reconnaissance qu'elles méritent. Cette situation résulte de leur statut social, qui a empêché la majorité d'entre elles de rejoindre le maquis aux côtés des hommes. Celles qui se sont engagées dans la lutte armée ont dû défier les normes patriarcales et remettre en question leur place dans la sphère domestique. Beaucoup ont été intégrées dans des circonstances où la violence militaire nécessitait le soutien de l'élément féminin (Amrane, 1991). Leur rôle a ainsi été occulté, même dans la mémoire collective, où leur contribution au conflit est souvent réduite à des tâches « féminines » telles que cuisiner pour les moudjahidine ou laver leur linge. Les femmes elles-mêmes exaltent les combattants dans leurs chants et se dissimulent derrière leur bravoure, alors qu'elles jouaient un rôle d'agents de liaison et apportaient un soutien moral aux combattants dans les moments critiques. Dans l’imaginaire populaire, le pays fut libéré par les armes et ce sont les hommes qui les portèrent.

D’un autre côté, la dimension du passé n’est convoquée que pour servir un présent tourné vers le futur. Dès lors, la mémoire collective ne cherche pas à restaurer un statu quo ante afin de retrouver une vie antérieure. Ainsi, un village dénommé Iguersafene (commune d’Idjeur) meurtri par les bombardements de l’armée coloniale, qui ont causé la fuite de ses habitants, n’a pas cherché à reconstruire ses maisons comme elles étaient avant. Afin de tourner cette page de leur histoire, les villageois qui regagnent les lieux après l’indépendance se sont attelés à bâtir des maisons de style nouveau pour s’insérer dans une modernité qui commençait déjà à s’installer dans les villages quelques décennies auparavant. Du reste, pour ne pas oublier ce passé douloureux, le village en question a édifié un monument funéraire, avec la contribution des autorités publiques. L’ouvrage abrite des tombes de chouhada, un musée et une stèle dédiée aux morts. Il accueille ses visiteurs par un grand panneau où est inscrit : « Bienvenue au village des 99 martyrs ». Là encore, la remémoration de ce passé est marquée par les exigences du présent qui conduisent le village à montrer sa contribution à la guerre à l’instar des villages voisins qui ont aussi édifié des monuments à leurs morts. L’investissement dans la mémoire, liée à la séquence de la guerre, sert alors à regarder un passé pour mieux le dépasser.  

Conclusion

La commémoration des événements liés à la Guerre de libération nationale, ainsi que la construction de monuments en hommage aux morts, suscitent des réflexions à plusieurs niveaux. Sur le plan institutionnel, la mémoire des martyrs est mise en avant pour renforcer l’intégration nationale et légitimer le pouvoir politique, dont la rhétorique repose fortement sur l’héritage de ce passé. En effet, l’État demeure le principal acteur dans ce domaine, notamment à travers les organisations des Moudjahidine, de leurs enfants et de ceux des chouhada. Les veuves de ces derniers sont également présentes lors des cérémonies de recueillement.

À l’échelle locale, certaines pratiques commémoratives observées dans plusieurs villages s’écartent des règles conventionnelles instituées par l’État. Ainsi, des formes vernaculaires de définition de la nation et d’interprétation de l’histoire apparaissent, notamment à travers les stèles commémoratives qui portent les marques de l’identité locale et de l’imaginaire national. Des acteurs locaux (associations et comités de villages) s’efforcent ainsi de produire un récit valorisant le rôle de leur territoire durant la Guerre, tout en l’intégrant dans une histoire nationale.

Par ailleurs, le passé de cette période de l’histoire de l’Algérie est revisité à la lumière des contingences du présent. La réapparition des souvenirs entraîne des réinterprétations qui reflètent à la fois le temps écoulé depuis les événements commémorés et l’évolution du regard porté sur ce passé, influencée par la manière dont les acteurs reconsidèrent leurs propres souvenirs. Autrement dit, le passé n’est jamais figé dans les représentations et dans la mémoire. Il donne lieu à des interprétations diverses, dont les objectifs tendent à servir des finalités sans cesse revisitées.

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(1) Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, 15 000, Tizi-Ouzou, Algérie.

[1] La France, par exemple, pousse l’évocation de son passé loin dans le temps : « millénaire capétien, quinzième centenaire du baptême de Clovis » etc. (Nora, 2000, p. 209).

[2] Il convient de distinguer ici entre « la modernité objective des nations aux yeux de l’historien par rapport à leur ancienneté subjective aux yeux des nationalistes » (Anderson, 2002, p. 18). Autrement-dit, la rhétorique nationaliste ne s’encombre pas de faits historiques avérés pour situer la genèse de la nation.

[3] Des auteurs  coloniaux légitiment ce mythe par l’antériorité de la latinité, par rapport à l’Islam et à l’arabe, en Algérie (Mazari, 2011).

[4] Guerre ou révolution ? Ces dénominations sont employées pêle-mêle sans distinction des sens (Meynier, 2004).

[5] Dans ce cadre, l'État algérien ne se distingue pas de ses homologues, il s’inscrit ainsi dans une forme de « globalisation des rapports au passé » (Rousso, 2007, p. 5).

[6] Avant l’indépendance, de pareilles constructions furent érigées dans les bases du FLN/ALN en Tunisie et au Maroc (Alcaraz, 2010).

[7] « Et ne prends pas ceux qui furent tués sur le chemin de Dieu pour des morts. Oh non ! ils vivent en leur Seigneur, à jouir de l’attribution ». Verset 196, Sourate III, La famille de ‘Imrân (traduction Berque, 2002, p. 89).

[8] La bataille a commencé près de Maouia et Amazoul (commune de Mekla)
le 22 mars 1957. Cette date donne lieu à une commémoration dans ces deux villages. Elle fut déclenchée par l’armée française à la suite de renseignements sur le déroulement d’une réunion de l’état-major de la wilaya III que Maouia devait abriter. L’affrontement s’est ensuite prolongé à Izemmourene le lendemain. Le bilan fut lourd puisque l’ALN perdit 137 de ses hommes.  

[9] Entretien avec un ancien membre du comité du village Sahel, réalisé sur le site même de la bataille le 21 mars 2024.

[10] Entretien avec le secrétaire général de l’ONM de Tizi-Ouzou et président de l’Association « Tagrawla 1954-62 », réalisé par téléphone le 10 mars 2024.

[11] En 2015, onze statuts de colonels et cadres de la Zone III de la Wilaya III historique furent érigées tout au long de la RN 12 depuis Tadmait jusqu’à Chaoufa. Voir : https://www.lesoirdalgerie.com/s@9fw0mhfr44663.

[12] Parfois remplacé par le néologisme amazigh Imeghras.

[13] Une fresque murale représente la reine Dihia (Kahina) (figure 3).

[14] D'après le concerné, les autorités publiques n'ont offert aucune aide. Entretien mené à son domicile le 15 février 2024.

[15] Ce type de monuments est unique, du moins sur le terrain que nous avons étudié. Dans certaines situations, les familles choisissent de nommer des structures en l'honneur de leurs martyrs, comme l'hôpital privé « Chahids Mahmoudi », dans la ville de Tizi-Ouzou.

[16] D’après le responsable du comité de ce village, ces symboles illustrent l'attachement des habitants de la localité à la nation algérienne. Entretien réalisé le 19 août 2016.

Citer cet article

SALHI, K. (2024). Les pratiques commémoratives liées à la Guerre de libération nationale en Kabylie. Enjeux de la mémoire collective au niveau local. Insaniyat - Revue algérienne d'Anthropologie et de Sciences Sociales, 28(106), 83–103. https://insaniyat.crasc.dz/fr/article/les-pratiques-commemoratives-liees-a-la-guerre-de-liberation-nationale-en-kabylie-enjeux-de-la-memoire-collective-au-niveau-local