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Adjel Adjoul 1922-1993. Un combat inachevé

Insaniyat N° 25-26 | L'Algérie avant et après 1954 | p.37-63 | Texte intégral

Adjel Adjoul 1922-1993. An unfinished combat

 Abstract: Adjel Adjoul, a companion to Mostapha Ben Boulaid, interrupted his route as a veteran for the national cause, by giving himself up to the French military authorities in the autumn of 1956.
In the perspective of a new historical approach of the national liberation war, the paradoxical path taken by Adjel Adjoul is a pretext to orientate thought on the build up of political engagement and its opposite.
In other words, the theme of the” making of heroes “which was the matrix of traditional national history can only be enriched by analyses of anti heroes. In fact, the example of Adjel Adjoul outlines the two contradictory profiles of heroes and anti heroes at the same time. His story, with the ambiguity it emphasises, enables us to go beyond the limits of classical monograph, and to understand such political procedures written in a given social dynamic.

Key Words : history - war - National liberation war history - Algeria - Aures - memory - Adjel Adjoul - heroes - anti heroes - political engagement - micro history - national disenchantment - rallying.


Ouanassa SIARI-TENGOUR : Université de Constantine, 25 000, Constantine, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


 

« L’homme ne se souvient pas du passé ; il le reconstruit »
Lucien Febvre, Combats pour l’histoire.

 

Parmi les maquisards qui ont participé au déclenchement de la guerre de libération nationale dans le massif de l’Aurès, Adjel Adjoul n’a pas retenu l’attention des historiens. Il est vrai que ce compagnon de la première heure de Mostefa Ben Boulaïd[1] a interrompu, contre toute attente, son parcours de combattant de la cause nationale, en se rendant aux autorités militaires françaises stationnées au camp de Zeribet-el-Oued, à l’automne 1956.

Cette capitulation est demeurée inexpliquée jusqu’à la publication récente d’un certain nombre d’écrits relatifs à la période de la guerre. La contribution de Mohammed Larbi Madaci[2] mérite notre attention dans la mesure où elle reproduit les entretiens que l’auteur a eus avec Adjel Adjoul et d’autres maquisards de la wilaya I tels Hadj Lakhdar, Ammar Benchaiba, Messaoud Bellagoune, Mostefa Boucetta, Bicha Djoudi et Amor Mestiri, dans les années 1970.

Depuis, d’autres textes ont apporté de nouveaux éclairages sur les circonstances à l’origine de la reddition de Adjel Adjoul[3]. Pour l’historien du temps présent, ces publications constituent une véritable aubaine qui permet de contourner l’obstacle des archives non disponibles[4]. Sans cesser de revendiquer le libre accès aux archives publiques, il est possible, à partir d’un renversement de posture, de tenter une autre voie, celle de l’histoire-problème, celle-là même que Lucien Febvre et François Furet appelaient de tous leurs vœux[5].

Dans cette perspective, le parcours de Adjel Adjoul sera saisi à travers la construction de son engagement politique et de son désengagement. Ce qui veut dire qu’il sera rendu compte moins de sa reddition que du concours de circonstances qui l’ont provoquée. Traditionnellement, l’histoire nationale s’est plus préoccupée de la fabrique des héros[6] que de la présentation des contre-modèles. Or, l’exemple de Adjel Adjoul a cette singularité de recouvrir, à la fois, deux profils contradictoires : celui d’un homme épris de liberté, qui s’engage intensément dans la lutte anticoloniale, avant de déserter le maquis et de rejoindre l’armée française. Il est l’homme de deux situations, diamétralement opposées, qui ont été vécues par d’autres, au cours de la même période. Du coup, son histoire et ce qu’elle implique comme ambiguïtés et comme aspects imprévisibles permettent de dépasser les limites de la monographie de type classique qui laisse en suspens les interférences inhérentes au jeu complexe des configurations sociales.

Cette histoire nous conduit donc à sonder autrement son itinéraire, à replacer l’analyse de ses choix dans les différentes chaînes de causalité, sans jamais perdre de vue le contexte général où ses choix se sont déployés. On peut donc considérer que cette histoire est imprégnée de sens variables, selon les différents champs de la vie sociale inscrits dans une multiplicité de temporalités. De fait, les modalités du militantisme en tant de paix toute relative diffèrent de celles qui s’inscrivent dans le temps de la guerre et de la violence. La fin de l’année 1954 inaugure un temps de crise ouverte et multiforme, amplifiant les tensions existantes. Le processus politique enclenché se situe bien dans une continuité – celle du mouvement national –, mais la rupture qu’il entraîne va au-delà des opérations strictement militaires. Il pose, dans une perspective tout à fait neuve, la question de vivre ensemble la « révolution ». Les rapports aux autres membres qui prennent le maquis génèrent des relations sociales qui ne se sont pas déclinées, comme on voudrait nous le faire croire, uniquement sur le mode du consensus.

Les sources tant algériennes que françaises ont révélé l’existence de conflits et des désaccords qui ont surgi entre les maquisards, mais également entre les maquisards et l’organisation ALN-FLN. Nombre d’écrits ont réduit l’analyse de ces antagonismes à la seule segmentarité, dont la prégnance ne saurait être la seule explication. Un phénomène aussi important que l’émergence d’une opposition ou d’oppositions qui ont abouti à des éliminations physiques ne serait donc que le reflet d’une violence atavique, propre aux sociétés « indigènes » dont le massif de l’Aurès en serait l’archétype. Cette tendance à n’envisager l’histoire de ces conflits internes aux groupes sociaux algériens que sous l’angle d’une anarchie reproduite mécaniquement, à l’infini, en tout lieu et en tous les temps, suppose une vie sociale déterminée à l’avance et douée d’une stabilité perpétuelle[7].

Pourtant, à observer attentivement la réalité sociale, celle-ci ne se réduit pas seulement aux contraintes des liens de parenté. Les manifestations conflictuelles sont d’autant plus acerbes qu’elles ont à composer avec les nouvelles données politiques. Autrement dit, ces guerres entre clans ennemis ne seraient-elles pas plutôt le résultat d’un processus politique qui ne va pas sans heurt avec l’ordre des hiérarchies sociales en place, et qui tend à s’amplifier d’autant plus rapidement que la fragmentation sociale et le déclassement sont forts avancés ?

La guerre imprime une dynamique sociale et politique nouvelle, qui s’accompagne d’un changement des sensibilités et des représentations et du monde et de soi. En ville comme à la campagne, tant à l’échelle de l’ensemble du pays qu’à l’échelle locale, les « actes de rébellion » façonnent les comportements, bousculent les hiérarchies sociales, inversant souvent les rôles des uns et des autres. Ces conditions particulières traversent la société rurale campée dans les villages de l’Aurès, à un rythme particulièrement accéléré libérant les identités sociales des contraintes symboliques qui sont à la base du prestige, du code de l’honneur, du recours à la vengeance…

Un natif des Serhana, douar Kimmel, commune mixte Arris

Le douar Kimmel fait partie de la commune mixte d’Arris. Il est situé sur le versant méridional du djebel Ahmar-Khaddou, dont les contreforts se fondent dans les oasis du désert saharien. Le nom du douar a été emprunté à la toponymie : le djouaf Kimmel, qui domine un grand espace forestier et culmine à 1 200 mètres. Ici comme ailleurs, les anciennes appellations tribales qui se partagent le territoire du douar sont encore en usage. Kimmel se confond avec les Serhana et les Cheurfa[8], tribus arabophones qui vivent sur le piémont de l’Ahmar-Khaddou. Le territoire de Kimmel est coincé entre les douars de Zalatou et Tadjemout, situés respectivement à l’auest et au sud-ouest ; ceux d’Alinas et Tamza, à l’est et au nord-est ; et ceux d’Aidel et Galaa, au sud et sud-est. La vie quotidienne est ponctuée par les travaux agricoles dans les jardins au fond des vallées ou dans les palmeraies. L’élevage complète les ressources provenant de l’agriculture. Les effets du climat se distinguent par des variations extrêmes entre des hivers rigoureux (neige et pluie) et des étés particulièrement chauds. Ces contraintes du milieu ont imposé aux populations du massif un mode de vie ponctué par des déplacements réguliers des troupeaux vers des zones plus propices au printemps et en automne. Cette transhumance a l’avantage de rompre l’isolement de ces populations qui sont en fait très mobiles. C’est lors de ces déplacements que les contacts et les échanges se nouent entre les uns et les autres. Ils ne se limitent pas aux échanges économiques. Ils sont aussi l’occasion d’avoir des nouvelles du reste de la région.

C’est dans cet environnement que naquit en 1922 Adjel Adjoul. Son père, Abdelhafid Adjoul, est assez aisé, possède une importante palmeraie. Le fief familial est situé dans la région arrosée par l’oued Darmoun. Son enfance se déroule entre la fréquentation de l’école coranique et les activités agropastorales. Au douar Kimmel, il n’y pas d’école française, pas plus que dans les centres des alentours. Dans les années 1930, la seule école est située à Arris, siège de la commune mixte[9]. Adjel Adjoul a donc appris à lire et écrire la langue arabe à l’école coranique, la seule accessible aux enfants de sa génération. Ce moment de l’apprentissage coïncide avec la pénétration des idées réformistes dans tout le massif. Dès 1936, l’Association des oulémas y développe une grande activité, en ouvrant des écoles dans la vallée de l’oued Abdi, dans différents villages comme Ménaâ, Nouadher, Tagoust, Arris, Tifelfel…, multipliant la création de cercles culturels (nadi), avant de rallier à ses idées, en un temps très court, deux des principales zaouïas du massif de l’Aurès[10]. Cet essaimage de l’action réformiste est un événement majeur pour les jeunes gens de l’Aurès. On sait que les leaders réformistes se dépensent sans compter à travers tout l’Aurès. Leurs discours captent l’attention par la nouveauté des thèmes qui visent à rénover l’islam, à œuvrer au développement de l’arabisation, à chanter la patrie. Les réformistes introduisent le goût de l’instruction en arabe pour des générations privées d’école. Leur influence est indéniable, même s’il faut la partager avec d’autres discours politiques en compétition dans la région. En effet, au même moment, le massif est en pleine effervescence nationaliste : les militants du Parti communiste algérien (PCA) et du Parti du peuple algérien (PPA) se livrent également, chacun de son côté, à une propagande intense et la cartographie de leur implantation recoupe largement celle des réformistes. Cette politisation où plusieurs tendances politiques sont en concurrence a envahi les vallées de l’Aurès avant de gagner, peu à peu, les villages les plus à l’écart des routes connues. S’il est difficile de mesurer l’impact de ces foyers culturels et politiques, toutes tendances confondues, à la veille de la seconde guerre mondiale, force est de constater que la société rurale de l’Aurès, que l’on dit parfaitement repliée sur elle-même, manifeste une grande réceptivité, qui est appelée à revêtir plus d’ampleur. C’est, en effet, un moment décisif pour la région de l’Aurès, travaillée en creux, par une palette d’horizons politiques que se disputent les pionniers du PPA, du PCA, des oulémas, des élus – ce qui contribue à la désenclaver et à l’intégrer dans une configuration nationale, nécessairement plus large. Ce rapprochement entre la ville et la citadelle aurésienne suscite de l’intérêt auprès des jeunes gens, comme Adjel Adjoul, sensibles au foisonnement des idées, des programmes, des hommes qui les défendent, non sans passion. Berque n’a pas manqué de souligner cette « vigueur du local » qui confère « une validité à la vie rurale ». Cette convergence est porteuse de solutions ; elle acquiert une signification d’autant plus grande « qu’il n’y a pas, dans l’entre-deux-guerres, de politique française en Afrique du Nord »[11]. C’est dans cette rencontre dialectique du « local et de l’universel »[12] que se noue la formulation nationaliste dont la résonance atteint le pays profond.

La seconde guerre mondiale : la gestation

La seconde guerre mondiale met en sourdine cette ébullition pour quelques années. L’administration interdit le PPA et le PCA, incarcère les leaders politiques comme Messali[13], place Bachir Ibrahimi en résidence surveillée… Les nouvelles du monde relèguent à l’arrière-plan les préoccupations nationalistes. La mobilisation décrétée en Algérie déplace des milliers de soldats algériens sur des champs de bataille lointains. Ceux qui échappent à la défaite de juin 1940 racontent la guerre à ceux qui sont restés sur place. Les échos de la propagande allemande tiennent en éveil des populations dont la précarité matérielle s’est aggravée, les rendant encore plus vulnérables.

Quand les forces anglo-américaines débarquent sur les côtes algériennes au mois de novembre 1942, le choc ressenti est énorme : les Algériens comparent leur misère à la puissance militaire et économique d’outre-Atlantique. Ce n’est donc pas un hasard si c’est pendant ce second conflit mondial que les Algériens se mettent à rêver d’un État avec des couleurs nationales[14].

Que se passe-t-il dans l’Aurès entre 1939 et 1945 ? À l’instar de nombreux jeunes algériens, Adjel Adjoul accomplit son service militaire en 1943[15]. Cette expérience lui sera utile plus tard. Démobilisé, il rejoint Kimmel. Il retrouve un pays profondément ébranlé par les retombées de l’accélération de l’évolution politique. Le rejet du Manifeste du peuple algérien, suivi de la création des Amis du Manifeste et de la liberté (AML)[16], ont provoqué l’implantation rapide de sections politiques à Batna, à Khenchela, mais également dans les principales bourgades de la région de l’Aurès. Biskra, la ville du docteur Saadane[17], est un autre pôle politique que les habitants de l’Aurès méridional ont l’occasion de fréquenter. Les sections AML entretiennent une véritable effervescence dans le massif de l’Aurès. Mais la région ne bouge pas au moment des manifestations de Sétif et Guelma, le 8 mai 1945.

Est-ce en raison du déploiement des forces militaires opéré dans l’Aurès, considéré dès octobre 1944 comme « une zone sensible, soumise à des propagandes subversives »[18] ? Dans quelle mesure, la peur des représailles associée au souvenir du soulèvement de 1917 a-t-elle contenu toute velléité de manifestation dans l’Aurès[19] ?

L’après-guerre : l’engagement

Toujours est-il qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, plus rien ne sera comme avant. Même si beaucoup redoutent la répression et s’éloignent de la politique[20], certains activistes du PPA préfèrent déjà le maquis à la privation de la liberté. Leur jonction avec les « bandits d’honneur » – « ces primitifs de la révolte »[21] – n’est pas sans signification. Elle annonce, à travers le choix d’une vie marginale, une sorte de pré-histoire de l’agitation sociale et politique future. Une figure telle que Grine Belkacem redonne de l’espoir à ceux qui l’ont perdu[22].

Adjel Adjoul fait-il partie de ces groupes irrédentistes ? Est-il prêt, lui aussi, à se révolter contre l’autorité française, non par « honneur » mais par adhésion aux idées qui sont propagées dans tout le massif ? En effet, après les manifestations du 8 mai 1945, le PPA « cherche à se reconstituer dans la clandestinité », en recourant à la violence[23] s’il le faut. Envoyé dans le Constantinois, Mohammed Belouizdad s’attelle, en effet, à ranimer les comités locaux[24].

Pourtant, à cette date et selon son propre témoignage, Adjel Adjoul est d’abord très proche de l’Association des oulémas et de ses enseignements. Dès sa démobilisation, il désire poursuivre ses études à l’Institut Ben Badis, qui ouvre ses portes dans le courant de l’année 1947.

Par ailleurs, au printemps 1946, la libération des leaders nationalistes amorce un ultime tournant politique dans le cadre de la légalité : Ferhat Abbas, libéré le 16 mars, crée l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA), tandis que Messali, libéré seulement au mois d’octobre, crée à son tour le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Sous ces appellations nouvelles, les différentes tendances nationalistes se lancent dans la compétition électorale. Mais, plus que la participation aux élections législatives de novembre 1946, c’est la mobilisation autour des élections municipales d’octobre 1947 suivies de celles des jama’a au mois de novembre qui marque le retour du parti PPA-MTLD sur le devant de la scène politique. Le succès des listes PPA-MTLD est important malgré l’immixtion de l’administration française[25]. Dans l’Aurès, la désignation des membres des jama’a  à la tête des douars est l’occasion de dénoncer leur collusion avec l’administration, et les caïds locaux en feront les frais : divers rapports sonnent l’alarme sur le peu de considération dont ils jouissent auprès de leurs administrés, et nombre d’entre eux reçoivent des menaces, d’autant plus qu’ils se livrent à de gros trafics alimentant le marché noir des denrées de première nécessité. Or, les aléas climatiques se succèdent depuis le début de la seconde guerre mondiale et entraînent un effondrement de la production céréalière et une diminution du cheptel. Le ravitaillement ne suit pas et la distribution de céréales est très défaillante dans plusieurs points du territoire. Le spectre de la faim et le fléau des épidémies sont une réalité qui aggrave la situation de misère sévissant aussi bien dans l’Aurès que dans tout le reste du pays. En l’absence de solutions conséquentes à cette détresse économique et sociale, le discours des nationalistes axé sur l’indépendance recueille de plus en plus d’adhésions.

Pour Adjel Adjoul, l’heure est venue de servir la cause nationale, autrement. En 1985, dans un entretien accordé à l’« Association du 1er novembre 1954 », Adjel Adjoul déclare avoir adhéré au PPA-MTLD à la fin de l’année 1948[26], alors que Serge Bromberger avance la date de 1951[27]. Il est vrai qu’au cours de la même période, il rejoint Constantine, où il suit les cours dispensés par l’Institut Ben Badis[28]. Au bout de sept mois, toujours selon Bromberger, il interrompt ses cours. En 1947-1948, Adjel Adjoul est âgé de plus de 25 ans. On ignore les raisons qui le poussent à cesser de fréquenter l’Institut Ben Badis, alors que son attachement à la culture religieuse et aux idées réformistes est réel. Il n’est pas le seul à subir cette double séduction. Ce séjour quasi furtif à Constantine semble avoir été décisif pour le rapprochement de Adjel Adjoul avec le parti PPA-MTLD[29].

En raison de la configuration géographique de la ville limitée à la partie « indigène » qui jouxte le quartier européen où sont implantés l’hôtel de ville, la préfecture, le palais de justice, l’hôtel de la poste, il est relativement aisé, pour le visiteur, d’en faire le tour et de se familiariser avec les lieux de rencontre habituels aux jeunes étudiants en particulier. Abderazak Bouhara n’a pas manqué de noter que « les jeunes des lycées, des collèges, et des Instituts Ben Badis et El-Kettania fréquentaient souvent les mêmes cafés »[30]. C’est là que les provinciaux venus de tous les coins de l’Est algérien ont l’occasion de se retrouver et de faire l’expérience d’une sociabilité autre, qui se détachait du cercle étroit de l’horizon rural, et qui conduisait les nouveaux venus non seulement à échanger les nouvelles locales, mais aussi à s’informer de ce qui se passait ailleurs, à Alger, Paris, Le Caire… La radio tient de plus en plus de place dans les cafés. Les commentaires passionnés, les polémiques, concernaient de près les transformations du monde. Par ailleurs, l’actualité de la ville était tout aussi suivie, surtout depuis le triomphe de la liste du PPA-MTLD au conseil municipal, en octobre 1947. Hacène Boudjenana, Djamel Derdour, Brahim Aouati…, étaient devenus des personnalités reconnues, malgré eux, tout comme la forte personnalité du cheikh Belgacem el-Baidaoui[31] dont la réputation était parvenue aux oreilles des jeunes, qui étaient subjugués par l’étendue de son savoir et de son activité militante. Par ailleurs, dans la ville, ces rencontres permettaient de côtoyer beaucoup de monde : des citadins, des clients de tout bord, des lettrés et des autodidactes, des petites gens se prêtent à des joutes oratoires, laissant éclater là une verve qui puise son inspiration dans le registre de l’oralité, ici l’éloquence que confère soit la culture scolaire, celle que l’on acquiert par le livre, le journal, soit l’école du militantisme… Que sait-on de la découverte par Adjel Adjoul de cet univers qui se décline sous plusieurs aspects, révélant les manques à gagner pour les zones rurales, qui plus est, celles situées dans la montagne, et la force des traits d’union et de communion ? Sans doute, de la densité des propos qui circulaient dans ces lieux de la sociabilité tels qu’Omar Carlier[32] les a analysés, Adjel Adjoul sut tirer profit et ressources.

Le retour à Kimmel

Tout porte à croire que, dès son retour (autour de l’année 1950), Adjel Adjoul déploie une grande activité pour mettre sur pied une organisation à l’échelle du douar Kimmel. Comme ailleurs, elle échoit à un « passeur rural »[33] demeuré en contact avec le pays profond et qui sait sur qui compter. Est-il possible que Kimmel soit le « seul douar à n’être pas encore organisé » en 1951, comme le souligne Bromberger ? Ce qui est sûr, c’est que le PPA-MTLD a étendu son implantation à la totalité du massif de l’Aurès à la fin des années 1940. Lors des élections pour l’Assemblée algérienne, au mois d’avril 1948, le trucage de l’administration marque un tournant capital pour de nombreux militants du PPA-MTLD, à l’exemple de Ben Boulaïd. La répression, qui a précédé le jour du scrutin, et poursuivie par la suite, alimentera les premiers maquis.

Comme en Kabylie, les groupes sont fortement structurés : chaque mechta est dirigée par une cellule composée de 10 hommes ; 10 cellules sont chapeautées par un responsable, qui s’occupe exclusivement de leur formation politique, du prélèvement des cotisations et des entraînements militaires. La plupart de ces responsables étaient proches de l’Organisation spéciale (l’OS), dont plusieurs membres ont trouvé refuge dans l’Aurès depuis sa découverte par la police, en mars 1950. Ce travail de base exige du temps, des contacts particuliers, en raison de l’observation des règles de la clandestinité. Pratiquement, la préparation d’un réseau de militants sûrs ne peut être accomplie en « six mois », même quand on est doué, comme Adjel Adjoul. Nous ignorons les noms des militants de Kimmel, à l’exception de ceux qui seront désignés pour participer aux actions programmées la nuit du 31 au 1er novembre 1954 : il s’agit de Mohammed el-Abed, Messaoud Zahaf, Abdelwahab Othmani, Athmane Kaabchi, Ali Belakhdar Taouili, Bayouche Mohammed, Belgacem Oulaibi, Belgacem Kyour, Mokhtar Grarcha, Ahmed Bennaoui, Chechara Messaoud, Mestiri Amor, Ouassifi Lakhdar Ben Messaoud…[34].

Les troubles se multiplient tout le long de l’année 1951 et mettent en alerte les autorités coloniales, qui organiseront plusieurs opérations pour rétablir la sécurité. Le paroxysme des troubles est atteint dans des circonstances particulières. D’abord, la découverte de l’Organisation spéciale, en mars 1950, est suivie de la recherche de ses affiliés. Certains échappent aux arrestations, comme Ben Boulaïd. L’organisation semble solide et à l’abri des dénonciations, si bien que des militants recherchés, dans d’autres régions, trouvent aisément refuge dans l’Aurès.

Au mois de février 1951, à l’occasion du renouvellement triennal de l’Assemblée algérienne, le bureau de vote de la commune mixte d’Arris est occupé par des « bandes armées » qui détruisent les urnes. Au cours de cette attaque, un agent français est tué. Cela suffit pour déclencher une vaste opération de police au douar Kimmel. La garde mobile est renforcée par 65 goums, qui s’installent à la mechta Tadjin[35].

Le scénario se renouvelle lors des élections législatives de juin 1951, troublées par de violents incidents qui ne relèvent plus des traditionnelles vendettas puisqu’elles visent de plus en plus des agents du pouvoir. Trois détachements de gendarmerie se déploient à T’kout, Medina, Louestia, Kimmel… Il n’en faut pas plus pour obliger Adjel Adjoul et plusieurs militants à prendre le large. Adjel Adjoul retourne à Constantine, où « il passe deux mois au siège même du parti »[36], situé dans le quartier du R’cif, dans la vieille ville. Il rentre discrètement, au début de septembre 1951, à Kimmel, où il reprend ses activités politiques. Mais, pour la troisième fois, il devra encore s’éloigner de son foyer car les autorités coloniales lancent l’opération « Aiguille », qui va durer plusieurs mois (août 1952-avril 1953). Adjel Adjoul séjourne alors à Chemora. Au cours de ces manœuvres, plusieurs contumax ont été tués et un important lot d’armes est récupéré dans des caches soigneusement choisies. Ce qui se passe dans l’Aurès n’est pas fortuit, et doit être relié au retentissement des tournées de Messali[37] dans le Constantinois, au printemps 1952.

Ces allers et retours incessants aguerrissent Adjel Adjoul, qui consacre son temps de plus en plus à l’activité politique. Entre-temps, l’évolution interne du parti entre dans sa phase d’éclatement. La direction politique du MTLD ne cachait plus ses intentions vis-à-vis des membres de l’OS, dont elle voulait s’éloigner. Toute une série de manœuvres est mise en branle, entre 1950-1954, pour « remplacer, dans le maximum de responsabilités, les éléments illégaux par les éléments légaux »[38]. Cette reprise en main du parti semble correspondre à « l’arrivée dans l’Aurès [février 1952] de six responsables extérieurs qui viennent donner des cours de méthode de travail aux militants de base. Ils le font par-dessus la tête des responsables locaux, ce qui déplaît profondément à Adjoul »[39].

Finalement, l’affrontement entre centralistes et messalistes éclate durant la tenue du deuxième congrès du MTLD, réuni au mois d’avril 1953, à Alger, en l’absence des membres de l’OS. La question, cruciale, de la liberté du peuple algérien est affirmée, mais elle ne dépasse pas le stade des intentions alors que le Maroc et la Tunisie passaient à la lutte armée. Lors des débats, contre toute attente, la déclaration de Ramdane Benabdelmalek introduisit une objection de taille à la tendance réformiste. C’est à l’issue de ce congrès que l’on décide le rétablissement de l’OS. La commission à qui incombe cette tâche regroupe Ben Boulaïd, Messali, Lahouel, Ben Khedda et Dekhli. Les querelles du sommet indisposent la base militante, dont l’impatience est mise à rude épreuve. Au niveau de l’Aurès, pour Ben Boulaïd, membre à la fois du comité central et ancien de l’OS, c’est un moment de doute. L’esprit de la discipline spartiate qui caractérisait le parti a été rompu par le « travail de sape et de dénigrement ». Que faire dans ces conditions ? Essayer d’observer la neutralité entre les deux courants qui se livrent une bataille sans merci. C’est dans ce contexte de guerre larvée au sein de la direction que Adjel Adjoul est convoqué à la daïra du parti, à Batna, par Bachir Chihani[40]. Nous sommes à la fin de l’année 1953 quand Bachir Chihani invite les différents responsables de l’Aurès à demeurer à l’écart des querelles du sommet. Mais, d’ores et déjà, ils reçoivent comme consigne de ne plus verser au parti le produit des cotisations. Adjel Adjoul continue de consolider la formation de son secteur. Quand le CRUA est mis sur pied le 23 mars 1954, Ben Boulaïd en fait partie, aux côtés de Boudiaf, Dekhli et Bouchebchouba[41]. La question du passage à la lutte armée est en marche et Adjel Adjoul, à l’instar d’autres militants, est convié à réviser les structures de base dans le sens d’un strict cloisonnement. À l’échelle de l’Aurès, ce sont vingt-cinq cellules qui bénéficient de toute l’attention de chefs comme Adjel Adjoul.

Mais la rupture n’étant pas encore consommée entre centralistes et messalistes, les partisans de la lutte armée continuent de participer aux rencontres que le parti organise. Ainsi, Adjel Adjoul assiste, avec la délégation de la daïra de Batna, au rassemblement des sections locales de l’Est algérien qui a lieu à Constantine, le 13 ou le 15 avril 1954[42]. La séance, présidée par le cheikh Belgacem el-Baidaoui, dégénère en bagarres opposant centralistes, messalistes et activistes du CRUA. Adjel Adjoul et Abbas Laghrour refusent l’entrée à Mezrana. Ils seront expulsés. Le groupe de l’Aurès, plus acquis à la nécessité de passer à l’insurrection, retourne dans l’Aurès, plus déterminé que jamais.

La préparation du 1er novembre 1954

Fin avril-début mai 1954, Ben Boulaïd tient une série de réunions avec les chefs de secteur, dont Adjel Adjoul, Tahar Nouichi, Messaoud Bellagoune, Abbas Laghrour, Bachir Hadji, Mohammed Khantra, et Bachir Chihani, le responsable de la daïra de Batna. Il les reçoit par petits groupes séparés, maintenant encore les règles de la clandestinité. « Ils prêtent tous le serment de s’engager dans l’insurrection. »[43] Tous donnent donc leur parole d’honneur à Ben Boulaïd et lui apportent leur appui inconditionnel et leur fidélité qui ira jusqu’au martyre, le martyre religieux[44].

Cette réunion préparatoire est décisive pour les groupes de l’Aurès. Adjel Adjoul est chargé de l’accélération de l’entraînement des groupes de partisans, pour tout le secteur sud de l’Aurès, au niveau des douars de Kimmel, Zalatou, Ichmoul et Ouldja. Il s’agit d’accélérer l’entraînement de quelque cent cinquante hommes. Pour beaucoup, les exercices sont relativement faciles : ils ont déjà servi dans l’armée française. Cependant, le plus urgent est de collecter des armes, de les acheter, même à un prix élevé, dans les marchés clandestins de Khanguet-Sidi-Nadji et Zeribet-el-Oued[45]. On dévalise aussi les stocks des fripiers de la région, à la recherche de vêtements militaires.

C’est fort de l’aval de ses chefs de secteur que Ben Boulaïd ira à la réunion des « 22 », à Alger, où la décision de déclencher l’insurrection armée est prise. Mais officiellement, rien ne filtre de ces nouvelles dispositions. La vie intérieure du parti est écartelée entre les attitudes irréductibles des centralistes et des messalistes. En effet, au cours de l’été 1954, le congrès d’Hornu (13-15 juillet) et celui d’Alger (13-16 août) consacrent la scission du parti. Mais, dans l’intervalle qui sépare les deux congrès, les militants continuent de répondre aux convocations du parti. C’est ainsi que Adjel Adjoul accompagne Ben Boulaïd et Bachir Chihani à Alger. Ensemble, ils assistent à la conférence des cadres, le 1er juillet, où les débats se déroulent dans la plus grande confusion, selon Mohammed Harbi. Et quand Adjel Adjoul veut ouvrir le débat sur la « préparation immédiate de l’insurrection », Ahmed Bouda lui répond sans détour, mais non sans ambiguïté : « On ne peut discuter d’une question aussi grave ici. »[46]

De Lokrine à la dechra des Ouled-Moussa

C’est dans la maison de Abdallah Oumezitti, située à la mechta de Lokrine, près de Chemora, à quelque 30 km au nord-est de Batna, que Ben Boulaïd réunit les principaux chefs de l’Aurès vers la fin du mois d’octobre[47]. La date du soulèvement leur est communiquée. On fixe la prochaine rencontre au 29 octobre. On constitue les vingt-cinq groupes : les uns ont mission d’attaquer, dans la nuit du 1er novembre, un certain nombre d’objectifs ; les autres, de surveiller des routes, de distribuer des tracts et d’expliquer l’objectif de l’insurrection. Dans l’immédiat, Adjel Adjoul a reçu comme ordre de convoquer les hommes retenus, qui proviennent des cellules implantées dans tout l’Aurès (El-Hadjadj, Yabous, Melloudja, Khanguet-Maache, Aïn-el-Fodda, Foum-el-Toub, Arris, Chemora, Barika, Aïn-el-Ksar, M’chounèche…). Ali Benchaiba le seconde efficacement dans l’organisation : c’est lui qui, averti du refus de Benouana d’héberger les « hommes de novembre », le 19 octobre, prendra la décision de mettre à leur disposition sa maison des Ouled-Moussa, située dans les environ d’Arris, dans la vallée de l’oued Labiod.

Adjel Adjoul et Ali Benchaiba font de ce premier rendez-vous un succès. Les hommes se découvrent et ne sont pas surpris outre mesure quand on leur apprend la date de « baptême du feu que chacun attend avec impatience ». Les uniformes et les armes ont été acheminés par des convois, la nuit, pour éviter d’éveiller le moindre soupçon. Du reste, Adjel Adjoul ne laisse rien au hasard : il a désigné des agents de liaison qui ont installé un dispositif de protection des itinéraires, des relais et des déplacements des militants. Mostefa Ben Boulaïd improvise un discours, suivi dans un silence religieux : « Nous allons commencer la guerre de libération ! » Après la distribution des armes, des bombes artisanales et le repas, les groupes se dispersent.

À la dechra des Ouled-Moussa, ne restent que Ben Boulaïd, Chihani, Meddour Azoui, Mostefa Boucetta, Bicha Djoudi et Adjel Adjoul. Au petit matin, ils grimpent à Tafrent-Ouled-Aïcha, attendant les premières nouvelles, grâce à un poste transistor… Tous les objectifs n’ont pas été atteints, mais l’insurrection est lancée. Dès la fin de la première semaine de novembre, Chihani et Adjoul sont informés du départ prochain de Ben Boulaïd au Moyen-Orient, qui doit rejoindre la délégation extérieure se trouvant au Caire et régler la question des armes.

Ce n’est que le 10 novembre 1954 qu’eut lieu, à Aïn-Touzalt (El-Hara), la réunion des chefs de groupe affectés au sud de l’Aurès[48]. Ben Boulaïd entend les rapports et revient sur le cas du caïd de M’chounèche, tué lors de l’embuscade tendue à un car de voyageurs lors de son passage dans les gorges de Tighnimine. Il avait pourtant donné l’ordre de ne pas s’attaquer aux civils. On procède à des mutations et à une nouvelle répartition des tâches. Deux incidents, mineurs en apparence, entachent cette réunion. La conduite très indépendante de Messaoud Benaïssa[49] (dont la mésentente avec Adjel Adjoul était connue) est sanctionnée par l’application du règlement, soit la mise en quarantaine. Par ailleurs, la défection de Mohammed Chérif Bouslimani – d’où l’échec de l’attaque prévue à Barika –, entraîne sa mutation comme simple djoundi. Sitôt Ben Boulaïd parti, « Adjel Adjoul lui redonne son grade » et le nomme à la tête d’un groupe de combattants à Serhana.

Une seconde réunion est tenue le 13 novembre 1954, à Inoughissen, avec les groupes de l’Aurès nord. Comme lors de la précédente réunion, les chefs de groupe font leur rapport, s’expliquent sur les défections et rendez-vous manqués. Ainsi, les actions attendues à Arris échouèrent par la faute de Ahmed Nouaouara, demeuré absent la nuit du 1er novembre. Quand Ben Boulaïd annonce son maintien comme chef de secteur d’Arris, il est contesté immédiatement par les autres chefs de groupe. Ont-ils été encouragés par Adjel Adjoul ? Finalement, Nouaouara est remplacé par Ali Baazi. Quant à Abbas Laghrour, le chef du secteur de Khenchela, il rejoint le commandement d’El-Hara à partir de cette date.

« Jusqu’au 17 novembre, le travail d’évaluation et d’explication se poursuit », tandis que les premiers accrochages opposant soldats de l’ALN aux soldats français commencent à être de plus en plus fréquents, suivis de la destruction systématique des mechtas comme Hambla, Akriche et Boucetta, dans les environs de T’kout. D’un côté comme de l’autre, on enregistre des morts. L’Aurès entre en guerre, et les armes autant que les munitions manquent. Adjel Adjoul et Abbas Laghrour se complètent : l’un est un combattant hors pair ; l’autre, plus réfléchi, a le sens de l’organisation et de la prévision. Toute attaque ne peut être menée sans un minimum de renseignements vérifiés. Bachir Chihani coordonne toutes les opérations militaires, s’attelle à tenir le secrétariat, à tirer des tracts… Ben Boulaïd peut partir tranquille, l’équipe est tout à fait capable de s’en tirer sans sa présence. Néanmoins, il prend le soin de confier le commandement (idara) à Bachir Chihani avec comme adjoints Adjel Adjoul et Abbas Laghrour ; Mostefa Boucetta est chargé des finances, Meddour Azoui du ravitaillement, et Messaoud Bellagoune, troisième conseiller. Ben Boulaïd fait deux dernières recommandations à Abbas Laghrour : maintenir son frère Omar loin de l’organisation, et adresser un avertissement à Messaoud Benaïssa. Le 23 janvier 1955, Ben Boulaïd quitte l’Aurès en direction de la Tunisie…

L’Aurès en l’absence de Ben Boulaïd : les premiers complots

À partir de cette date, le commandement est donc assuré par Bachir Chihani. Mais très rapidement, et surtout dès que la nouvelle de l’arrestation de Ben Boulaïd tombe[50], Bachir Chihani cède sa place à la tête de l’idara à Omar Ben Boulaïd. Cette décision inattendue surprend les responsables de l’Aurès réunis alors à Louestia (Kimmel) en cette fin du mois de mars 1955. Chihani a-t-il subi des pressions de la part d’Omar Ben Boulaïd ? Craint-il Adjel Adjoul, dont les compétences sont reconnues ? Il semble que Bachir Chihani ait cherché à temporiser entre les prétentions de l’un et de l’autre, croyant à tort ou à raison qu’il pourrait continuer à les tenir à distance. Mais la préférence donnée à Omar Ben Boulaïd fut très mal accueillie par une majorité regroupée autour de Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Ali Baazi, Ali Benchaiba, Mohammed Ben Messaoud, Abdelwahab Othmani, Messaoud Bellagoune, Mostefa Boucetta et Bachir Ouartal dit Sidi Hani. Tous rejettent cette exigence qui relève du népotisme. À l’opposé, le second clan se forme autour de Omar Ben Boulaïd, Ammar Maache, Messaoud Benaïssa, Meddour Azoui, Tahar Nouichi.

La discussion s’envenime entre les partisans des deux clans. Adjel Adjoul, ulcéré, souhaite se démettre de son poste ; il essuie un refus très sec de Bachir Chihani. C’est grâce à la sagesse du vieux Messaoud Bellagoune, qui propose la nomination d’Omar Ben Boulaïd à la tête de l’idara à titre honorifique, que l’assemblée se réconcilie au moins en apparence. Le vote avalise la proposition. Désormais, la direction de l’Aurès est composée d’Omar Ben Boulaïd, de Bachir Chihani, de Abbas Laghrour, adjoint militaire, et de Adjel Adjoul, adjoint politique. Mais la réalité du commandement, installé désormais à Galaa (Nementchas), reste bien entre les mains du trio composé de Chihani, Abbas et Adjoul. Et Omar Ben Boulaïd ainsi que ses affidés le savent bien. La seule solution qui se profile, peu à peu, est l’élimination du trio composé de Chihani, Adjoul et Laghrour.

Sans se préoccuper de la discipline interne, Omar Ben Boulaïd s’entoure d’un « important détachement de combattants… » dirigés par des Touabas[51] exclusivement. Ignorant les ordres de Chihani, il enrôle Ahmed Benabderazak (futur Si Haouès)[52].

D’après le récit de Adjel Adjoul, Omar Ben Boulaïd, fort de la complicité de Messaoud Benaïssa et Ahmed Azoui, ne tarda pas à fomenter un complot pour écarter ceux qu’il considère comme ses rivaux. La découverte de tracts hostiles à Chihani, Laghrour et Adjoul, accusés tous les trois d’avoir trahi l’Aurès au profit des Nementchas, déclenche un processus dangereux pour l’Aurès, qui rentre dans une spirale de règlements de compte aboutissant à des éliminations physiques. Ce sont Mohammed Ghabrouri[53] et Ammar Maache qui portaient ces tracts. Mohammed Ghabrouri révélera les grandes lignes du plan ourdi par le groupe d’Omar Ben Boulaïd. Les tracts étaient destinés à préparer le terrain à la prise de pouvoir. Le commandement installé à Galaa est dénoncé comme un abandon de l’Aurès, sinon comme une atteinte grave à la révolution. Les coupables, à l’origine de cette dérive, sont nommément désignés. Leur assassinat devait remettre la révolution sur la voie tracée par Mostefa Ben Boulaïd. Enfin, le commandement revenant aux Aurésiens, son siège devrait réintégrer El-Hara (Arris).

Les conséquences de cette sombre affaire sont multiples : d’abord, l’unité précaire du commandement est ébranlée. Chihani, mis au courant, critique sévèrement la conduite de Adjel Adjoul et Abbas Laghrour et « leur incapacité à prévoir les événements ». Adjel Adjoul en profite pour lui rappeler sa responsabilité dans le choix d’Omar Ben Boulaïd sans que soient prises en considération les recommandations de son frère Mostefa. Pour la première fois, Adjel Adjoul dévoile son désaccord avec Chihani, malgré son « sens élevé de la discipline, du nidham », comme il se plaît à le répéter[54]. Par ailleurs, dès ce mois de juin, Omar Ben Boulaïd et ses alliés font bande à part et inaugurent le cycle des dissidences, qui seront très nombreuses dans l’Aurès. Ainsi, il s’abstiendra de répondre à la convocation de se présenter au PC de Galaa.

Chihani dut reconnaître la gravité de la situation et procéder à la destitution d’Omar Ben Boulaïd, qu’il remplace par Saïd Farhi. L’ordre est donné de ramener Omar Ben Boulaïd au poste de commandement pour être jugé.

Enfin, la dissidence d’Omar Ben Boulaïd non seulement crée un malaise entre compagnons de longue date, mais aggrave la situation d’insécurité à l’intérieur des rangs de l’ALN-FLN. Chihani et Laghrour n’osent plus s’aventurer du côté du Chélia et du djebel Lazreg, occupés par les troupes d’Omar Ben Boulaïd[55].

Les conséquences de la bataille d’El-Djorf : la mort de Bachir Chihani

La bataille d’El-Djorf a lieu à la fin du mois de septembre 1955. Quand l’armée française lance l’opération « Timgad », elle était loin de soupçonner de tomber sur la réunion des chefs de l’Aurès et Nementchas que Bachir Chihani avait organisée entre le 18 et 23 septembre 1955. la surprise est valable pour les deux parties. Mais,pour l’ALN, c’est l’un des affrontements les plus meurtriers, qui se solde par la perte de 45 djoundis et l’arrestation de 40 autres.

Si les échos de cette bataille qui a duré plusieurs jours (25 septembre-4 octobre) ont dépassé la région et ont conforté le moral de l’ALN ailleurs[56], ils ne sont pas partagés par ceux qui ont réussi à échapper, par miracle, à l’encerclement par les troupes françaises. Lors de l’entrevue des différents chefs le 10 octobre 1955 à Galaa, Abbas Laghrour et Adjel Adjoul[57] ne cachent pas leur mécontentement devant Bachir Chihani. Beaucoup lui reprochent mutatis mutandis son imprudence à organiser un rassemblement aussi important que celui d’El-Djorf, en négligeant les règles élémentaires de la sécurité, et espèrent aussi une autocritique de sa part, qui ne vint pas. Tous se quittent non sans une pointe d’amertume et promettent de se revoir le 20 octobre 1955. Ce devait être la dernière pour Bachir Chihani qui, pressentant la remise en cause de sa gestion, tente de gagner du temps. La réunion se déroule en deux étapes.

Bachir Chihani rappelle d’abord à tous qu’il doit sa nomination à la tête du commandement à Mostefa Ben Boulaïd et qu’ils ont tous approuvé ce choix. En chef avisé, il demande à tous les présents (Adjoul, Laghrour, Lazhar Chériet et tous les chefs de région) de lui renouveler leur confiance. Est-ce pour conjurer la crise qu’il redoute ? Cette prestation de serment devait ressouder les rangs et préserver leur cohésion, une manière de se repositionner dans un échiquier politique plus ou moins ébranlé depuis la bataille d’El-Djorf. Il semble toutefois que l’allégeance ainsi formulée n’a plus d’effet sur le cours des choses, qu’elle est désormais révolue. On sent bien, derrière les réticences des uns et des autres, que la lutte enclenchée le 1er novembre implique de nouvelles références, éloignées du formalisme des relations personnelles de fidélité, fussent-elles fondées sur le rituel religieux. Dans ce cas de figure, le serment n’a pas d’autre signification que de reconduire à la stricte obéissance au chef politique. Le rituel du serment n’est alors tout au plus qu’un artifice utile pour entretenir la communion des hommes. Or l’évolution de l’insurrection et la réaction violente de l’armée française, qui ne se limite pas seulement au harcèlement des « rebelles », mais à une mise au pas de toute la société, ont engendré une situation des plus complexes nécessitant l’adoption de mesures appropriées. Bachir Chihani et son équipe sont conscients des changements qu’il faut introduire. Le 1er novembre 1954 est le début d’une guerre de libération, qui exige une organisation révolutionnaire de type moderne. Dans cette perspective, l’embryon de l’idara suppose l’introduction de règles juridiques qui ne sont pas encore clairement définies et encore moins comprises de tous. La question des ordres et contre-ordres n’est pas évidente pour tous et elle ne va pas de soi. L’observation des directives nouvelles, l’instauration d’un laissez-passer rendu obligatoire pour chaque combattant[58], le respect de la hiérarchie, autant d’innovations auxquelles les rudes montagnards de l’Aurès sont peu habitués. En fait, la mise en place de cette idara, indispensable à la coordination des opérations militaires, à l’organisation d’une économie de guerre et à l’encadrement des populations civiles, soulève d’énormes questions d’ordre pratique. L’empirisme des uns et l’intransigeance de Bachir Chihani accomplissent le reste, créant des tensions mal comprises. Ces quelques hypothèses méritent d’être étayées par des sources dont nous ne disposons pas, et l’état actuel des connaissances est encore insuffisant pour mieux cerner l’évolution des premières années de l’insurrection.

La seconde étape de la réunion sera consacrée aux mutations des responsables. Adjoul doit rejoindre la zone de Tébessa, Lazhar Chériet est muté à Kimmel, Abbas Laghrour à la frontière algéro-tunisienne. Tous acquiescent et apposent leur signature sur le procès verbal de la réunion. En fait, Adjoul est furieux de devoir quitter Kimmel qui, grâce à ses efforts, a été transformé en un véritable quartier général, où les renseignements parviennent régulièrement par une rotation de tissals, où le ravitaillement est stocké, où une infirmerie de fortune est aménagée pour soigner les blessés. Pour prévenir toute attaque de l’armée française, Adjoul « entoure le PC de Kimmel d’une ceinture de sécurité, avec des postes à Tamza, T’kout, Tadjemout, Ouldja, Kheirane, le long de l’oued El-Arab ». Les embuscades qu’il organise avec méthode lui permettent de récupérer armes et munitions. Tout le versant oriental de l’Ahmar-Khaddou est structuré et ne manque de rien, contrairement à d’autres zones fortement mises à mal par le blocus de l’armée française. C’est fort de ces résultats que Adjoul n’admet pas la décision de Chihani, qu’il ne comprend pas. Nous sommes devant deux fortes personnalités mues par une audace révolutionnaire remarquable. Mais l’un inscrit son action dans un contexte de mouvement de libération nationale, l’autre partage le même idéal mais doit compter encore avec les diverses traditions locales.

Les historiens ne peuvent plus ignorer l’importance de cette « polarisation régionale »[59] manipulée comme une catégorie de la construction du politique, dans un contexte de guerre. Seul le retour à l’échelle locale est en mesure de nous éclairer sur les structures profondes qui caractérisent les sociétés rurales et colonisées et sur leur perception des bouleversements induits par la guerre[60]. Compte tenu de ces quelques remarques, Bachir Chihani n’a pas été tué parce qu’il était étranger à l’Aurès. Le chauvinisme comme la vengeance ou la propension à la révolte anarchique sont secondaires dans le complot fomenté par Adjel Adjoul et Abbas Laghrour. Ils contribuent cependant à expliciter les tensions inhérentes à deux projets de pouvoir quasi exclusifs l’un de l’autre. L’un vise à la construction d’un Etat-national moderne, l’autre se fonde sur « l’espérance millénariste en un régime parfait », comme le fait remarquer Mohammed Harbi[61]. L’opposition qui s’est dressée devant l’entreprise de Bachir Chihani ne serait-elle que l’expression d’une définition concurrente de l’Etat-nation ? Nous touchons aux ambiguïtés qui caractérisent le populisme révolutionnaire algérien, où références passéistes empiètent sur les nouvelles conditions nées de la guerre.

Pour revenir au cas qui nous préoccupe, l’assassinat de Bachir Chihani le 23 octobre 1955[62] à Alinas, sur ordre de Adjoul et de Laghrour, met en échec le processus de la construction nationale. C’est le sens que revêt la rupture du serment prêté quelques jours auparavant par Adjoul et Laghrour. Le reniement de la parole donnée est à la mesure des résistances politiques et culturelles de communautés rurales, éprises de liberté, mais peu disposées à perdre leur monopole social au profit de la « communauté de destin ».

Le règne éphémère de Adjoul

La disparition de Bachir Chihani, qui n’est pas divulguée[63], ne règle rien du tout. Mais de fait, elle assure à Adjoul l’exercice d’un commandement absolu, d’abord au PC de Galaa, puis à Kimmel. Il consacre son temps à l’organisation politique et militaire des six zones qui se partagent le territoire de l’Aurès. Mais la dissidence de Omar Ben Boulaïd, campé sur le versant occidental de l’Aurès, restreint son champ d’action au versant méridional du djebel Ahmar-Khadou, la partie saharienne (Biskra) et la forêt des Béni-Melloul. Adjoul se prépare à éliminer Omar Ben Boulaïd et ses alliés. Mais un facteur inattendu va contrecarrer ses desseins. Le 13 novembre 1955 a lieu l’évasion spectaculaire de Mostefa Ben Boulaïd de la prison du Coudiat (Constantine).

Adjoul décide alors d’appliquer le règlement et ordonne la mise en quarantaine de Mostefa Ben Boulaïd. Mais les chefs de secteur font bon accueil à ce dernier, qui s’interroge sur l’absence de Chihani, Adjoul et Laghrour.

Adjoul et Mostefa Ben Boulaïd finissent par se rencontrer à Tedjine, non loin du hammam Chaboura. Adjoul lui donne sa version de l’évolution de la zone depuis son départ. La présence de Mostefa Ben Boulaïd apporte la paix dans l’Aurès, pour quelques mois. Adjoul s’efface et lui cède le commandement, conscient de la force de son charisme, en cette fin du mois de décembre 1955. Symboliquement, il lui confie le sceau de l’ALN-FLN. Peu à peu, secondé par Adjoul, Mostefa Ben Boulaïd reprend les rênes. Sa disparition survenue le 23 mars 1956 « sonne le glas pour l’Aurès et les Nementchas », qui replongent dans l’anarchie.

Le 25 avril 1956, les chefs de l’Aurès se réunissent pour trancher la question de la succession de Ben Boulaïd, à Taghedda (djebel Lazreg). Adjoul n’y assiste pas, ignorant encore la mort de Ben Boulaïd. C’est Hadj Lakhdar qui propose Adjoul à la direction de la zone de l’Aurès. Aucun des présents n’approuve ce choix, pourtant dicté par le bon sens. Vainement, Hadj Lakhdar essaie de réconcilier les parties adverses et de mettre un terme à la mésentente qui existe entre Messaoud Benaïssa et Adjoul. Finalement, faute de tomber d’accord sur la nomination de l’un d’entre eux, ils dégagent un comité composé de douze membres : Hadj Lakhdar, Omar Ben Boulaïd, Meddour Azoui, Ahmed Azoui, Tahar Nouichi, Mostefa Reaili, Ahmed Nouaouara, Ammar Bellagoune, Mohammed Chérif Benakcha, Abdelhafid Torèche, Hocine Ben Abdeslam et Messaoud Benaïssa. La première décision du « comité » est de transférer le poste de commandement à Oustili, au sud-est de Batna. Omar Ben Boulaïd n’a plus aucun obstacle pour se hisser à la tête de l’idara. Sûr de l’appui du comité, à l’exception de Hadj Lakhdar, il entreprend tout un travail de sape contre Laghrour et Adjoul, qu’il accuse nommément d’avoir tué Chihani et son frère Mostefa Ben Boulaïd. De son côté, Adjoul use des mêmes procédés à l’égard d’Omar Ben Boulaïd et de Messaoud Benaïssa, son ennemi de toujours.

Les deux factions rivales se lancent dans de stériles opérations de harcèlement. La direction de l’Aurès est de nouveau partagée entre trois prétendants : Omar Ben Boulaïd (versant occidental de l’Aurès), Adjoul (versant méridional de l’Aurès) et Laghrour (Nementchas). Aucun ne parvient à imposer son autorité à tout le massif. Cette fragmentation de l’autorité aggrave la situation fortement ébranlée par la contre-offensive de l’armée française. Aux opérations militaires, l’armée multiplie les regroupements de population dans les zones suspectées d’aider les maquis. Et l’Action psychologique, consciente des vieux antagonismes, tente de les utiliser à son profit, à travers la constitution des harkas. Toutes ces contingences ne facilitent pas les choix que les hommes sont appelés à faire : les recompositions politiques obéissent en partie aux appartenances tribales et aux réseaux clientélistes, mais s’inscrivent également dans une temporalité aux prises avec des changements en profondeur. Les engagements et les choix politiques ne sont donc pas automatiques et réglés d’avance.

La mise à l’épreuve : Adjoul face à Amirouche

Le congrès de la Soummam (août 1956) s’est déroulé en l’absence des représentants de l’Aurès[64]. À l’issue de ce congrès, le comité de coordination et d’exécution (CCE) délègue le soin au colonel Amirouche de remettre de l’ordre dans la wilaya I.

Réceptionné par Omar Ben Boulaïd[65] au mois de septembre 1956, Amirouche entame son inspection, explique les décisions prises à la Soummam, confirme leur affectation aux responsables des mintaqa (zones), distribue des grades… Il écoute attentivement les rapports présentés par Tahar Nouichi, Omar Ben Boulaïd, Ali Mechiche, Mohammed Lamouri, Brahim Kabouya et Hadj Lakhdar… Il apprend la dissidence de Adjoul, désire le rencontrer. Le rendez-vous a lieu en pleine forêt, non loin de Sidi-Ali, vers la mi-octobre. Amirouche est accompagné de Hadj Lakhdar, Tahar Nouichi, Ali Mechiche et Mohammed Lamouri.

La prise de contact se déroule sans problème. Amirouche soumet Adjoul à un interrogatoire en règle. À la question cruciale relative à la mort de Mostefa Ben Boulaïd, Adjoul donne la réponse suivante : « Je n’ai appris sa mort que deux mois après, soit vers la fin du mois de mai 1956. C’est la date à laquelle j’ai été contacté par Ali Benchaiba et Mostefa Boucetta. Ces deux hommes ont été gravement blessés par la bombe qui a tué Si Mostefa… » Amirouche renchérit : « Est-il normal de rester sans nouvelle de son chef direct pendant deux mois ? » Réponse de Adjoul : « Avant de quitter Kimmel, il [Mostefa Ben Boulaïd] m’avait demandé de l’attendre… J’ai obéi à son ordre et je n’ai pas bougé de la mintaqa de Kimmel. » Et l’interrogatoire se poursuit ainsi durant trois jours. À l’issue de ce qu’il faut bien appeler un tribunal, Amirouche lui annonce sa mutation[66], qu’il accepta. Quant à son désaccord avec Omar Ben Boulaïd et Messaoud Benaïssa, il ne s’en cache pas.

Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1956, Adjel Adjoul affirme avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat perpétré par Ali Mechiche et Ahmed Azeroual. Sa version est corroborée par Hadj Lakhdar, qui se trouvait dans le même refuge que Adjoul. Hadj Lakhdar[67] accuse Amirouche d’être la cause de la tuerie qui a coûté la vie à Sadek Batsi, Abderrahim Thenia et Abderrahim Hellaili, tous trois gardes du corps de Adjoul. Amirouche se défend et reconnaît avoir seulement donné l’ordre de l’arrêter[68]. Pourquoi l’arrêter après lui avoir notifié sa mutation ?

Amirouche dut quitter précipitamment l’Aurès. A-t-il été lui aussi victime d’Omar Ben Boulaïd et ses alliés ? Toutefois, il convient de rappeler que, depuis le congrès de la Soummam, tout litige doit être soumis à un tribunal, seul habilité à sanctionner le non-respect du règlement

Quant à Adjoul, blessé, il se réfugie chez lui, à Dermoun. Le cercle des fidèles se resserre chaque jour un peu plus. Son épouse a précisé : « Ses hommes ont commencé à le lâcher… À la fin, il est resté avec son fils, ses cousins et son père. » Il aurait ensuite émis le vœu de partir vers la Tunisie. « Mais la route était coupée… Il a alors demandé à son père d’aller avertir le colonialisme qu’il descendait au camp de Zeribet-el-Oued. » Quel rôle ont joué Omar Ben Boulaïd et Messaoud Benaïssa dans l’isolement de Adjel Adjoul ? Deux ans après le 1er novembre 1954, jour pour jour, résigné à son sort, Adjel Adjoul dépose les armes et se rend à l’armée française qu’il combattait. La presse fit grand bruit de sa reddition, qui fut par ailleurs savamment exploitée par l’Action psychologique[69].

Adjel Adjoul, rallié à l’armée française, sera par la suite assigné à résidence à Arris. On sait dans quelles conditions cet « avantage »[70] est consenti. En tout état de cause, son nom figure sur les rôles des harkis d’Arris[71]. Il fera une tentative pour renouer le contact avec Hadj Lakhdar[72], au même moment où le caïd Sebti Merchi[73] lui propose une somme d’argent. Cette coïncidence n’a pas manqué de troubler Hadj Lakhdar. Pourtant, le ralliement de Adjel Adjoul relève plus de l’acte désespéré pour échapper à une mort certaine qu’à « une adhésion à la cause française ». Et comme le souligne Gilbert Meynier, « Adjoul était le prototype du moine soldat, fier, courageux et intransigeant, et en aucune façon l’acteur d’un contre-maquis monté par les Français »[74]. À l’indépendance, il ne quitte pas la région et il est arrêté par l’ALN-FLN. Il séjournera durant cinq ans à la prison de Lambèse. Il n’a cessé, durant tout le temps qu’a duré son incarcération, de demander à être traduit devant un tribunal[75]. Libéré en 1967, il vivra modestement dans le quartier populaire de Bouakal, à Batna, où il meurt en 1993.

Cette présentation fragmentaire a été structurée autour du questionnement volontairement ouvert sur les conditions d’un engagement politique et de son contraire, c’est-à-dire le désengagement politique. Si l’expérience vécue par Adjel Adjoul est intéressante, c’est parce qu’elle n’est pas isolée et que les ralliements comme les dissidences ont compliqué la lutte pour l’indépendance. Les contradictions relevées dans le comportement de Adjoul montrent les limites des analyses fondées sur des interprétations culturalistes. Mais l’exemple de Adjel Adjoul, ses choix, invitent à une lecture autrement plus complexe de la réalité politique durant la guerre de libération. La micro-histoire constitue de ce point de vue une solution pratique en mesure de rendre compte de la dynamique sociale.

Par ailleurs, le dilemme de la mémoire qui refuse de considérer le désenchantement n’est pas celui de l’histoire. La mémoire se contente des héros. Dans un contexte d’histoire nationale, elle participe à la clôture du champ des représentations admises. Or, l’une des mutations de l’historiographie contemporaine est d’accorder plus d’attention aux individus, aux acteurs, derrière les structures, les institutions où ils agissent. Cinquante ans après, il est possible d’envisager, sereinement, une histoire nationale qui intègre tous ses membres, indépendamment des fausses dichotomies. Si la symbolique des héros conforte l’histoire nationale, l’échec des « héros défaillants » ne manque pas non plus d’intérêt. Il est en effet la preuve qu’une construction téléologique de l’histoire est erronée.

Enfin, Adjel Adjoul, devenu « harki », n’a pas été exécuté. Son cas est loin d’être isolé. Il a été emprisonné, et n’a pas fait l’objet de jugement comme de nombreux harkis. Il appartient, par conséquent, aux historiens d’expliquer comment et par qui le sort des harkis a-t-il été traité au moment de l’indépendance.

 

* Tous mes remerciements à Fouad Soufi qui a bien voulu relire le texte et me faire part de ses nombreuses remarques.


Notes

[1] Pour une vue d’ensemble sur cette période, cf. Mohammed Harbi, le FLN, mirage et réalité : des origines à la prise du pouvoir (1954-1962), éd. Jeune-Afrique, Paris, 1980. La principale référence au cas de Adjel Adjoul est constituée par le récit de Serge Bromberger, les Rebelles algériens, Plon, Paris, 1958. L’auteur l’aurait rencontré. Voir aussi Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, tome II : la Liquidation, 1954-1962, Laffont, Paris, 1972 ; Yves Courrière, les Fils de la Toussaint, Fayard, Paris, 1969, qui reprend en partie la version de Serge Bromberger et les informations fournies par Jean Vaujour, directeur de la sécurité de 1953 à 1955, à Alger. Celui-ci a rendu compte de son expérience algérienne dans De la révolte à la révolution, Albin-Michel, Paris, 1985.

[2] Mohammed Larbi Madaci, les Tamiseurs de sable, Aurès-Nementchas, 1954-1959, Anep, Alger, 2001. Cf. nos contributions : Dits et non dits dans les mémoires de quelques acteurs de la guerre d’Algérie, rencontre du WOCMES, université de Mayence, septembre 2002, et la Guerre d’Algérie à l’épreuve de l’écrit, colloque « Regards croisés sur la guerre d’Algérie », Université de Clermont-Ferrand, 12-14 novembre 2003.

[3] Mostefa Merarda Bennoui, Mémoires, témoignages et positions… (en arabe), Aïn-M’lila, Dar-el-Houda, 2003.

[4] Du côté des Archives françaises, il existe au SHAT, château de Vincennes, de nombreux dossiers concernant Adjel Adjoul, communicables uniquement sous dérogation. Dans l’attente d’une réponse positive à notre demande, nous tentons le pari d’ouvrir le dossier des « ralliés »… Du côté algérien, quotidiennement, des archives de la guerre de libération tombent dans le domaine public par le biais de leur publication, en annexes dans les récits et mémoires de nombreux acteurs de la guerre de libération.

[5] Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, A. Colin, Paris 1953 ; François Furet, « De l’histoire-récit à l’histoire problème », in L’atelier de l’histoire, Champs-Flammarion, Paris, 1982.

[6] Titre de l’ouvrage collectif de Pierre Centlivres, Daniel Fabre et Françoise Zonabend (Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998).

[7] C’est l’ethnologue André Servier qui a tenté d’appliquer sa théorie fondée sur les oppositions lignagères, d’abord dans l’Aurès, puis dans l’Ouarsenis. La réussite première de la mise en application de ses théories n’a pas été en mesure de freiner la dynamique indépendantiste (cf. son ouvrage Dans l’Aurès, sur les pas des rebelles, France Empire, Paris, 1955.

[8] Sur l’organisation administrative, se reporter aux registres des opérations du sénatus-consulte de 1863, dont les opérations pour l’Aurès se déroulent durant la seconde période, qui commence en 1887. Les registres sont consultables au CAOM d’Aix-en-Provence et à Constantine, Service du cadastre.

[9] Dans les années 1930, à Arris, l’unique classe ouverte est abritée dans les locaux de la commune. Selon un rapport datant de 1946/AOM, série X, on dénombre 7 écoles dans l’Aurès implantées à Chir, Amentane, Arris, Foum-Toub, T’kout, Bouzina…

[10] Cf. Fanny Colonna, « Les débuts de Islah dans l’Aurès : 1936-1938 », RASJEP, n° 2, juin 1977. pp.277-287.

[11] La force de cette métaphore est à inverser dès qu’il s’agit d’analyser les conditions de la vie matérielle (Jacques Berque, le Maghreb entre les deux guerres, Seuil, Paris, 1962, p. 306 et sv.).

[12] Idem, op. cit., p. 313.

[13] Messali Hadj est condamné le 17 mars 1940, par le tribunal militaire d’Alger, à seize ans de travaux forcés, ainsi que vingt-sept autres militants. Parmi eux, Gasmi Salah est originaire de l’Aurès. Ils sont tous internés à Lambèse. Leur libération survient le 24 avril 1943. Messali est alors placé en résidence surveillée à Reibell (cf. Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, SNED, Alger, 1980, tome II, p. 610 et sv.).

[14] Le Manifeste du peuple algérien est déposé le 10 février 1943 auprès des Alliés et du gouverneur général par Ferhat Abbas, qui abandonne alors l’idée de l’assimilation.

[15] Claude Paillat, op. cit., écrit que « de tous les hommes de sa famille, Adjoul est le seul à avoir fait son service militaire » (p. 119). Information confirmée par sa famille.

[16] Le mouvement des AML est créé le 14 mars 1944 à Sétif par Ferhat Abbas, au lendemain de la promulgation de l’ordonnance du 7 mars 1944 qui introduit quelques réformes fort éloignées des attentes des partisans du Manifeste du peuple algérien. Très rapidement, le mouvement prit de l’ampleur, fort de l’adhésion du PPA et des oulémas.

[17] Le docteur Mohammed Chérif Saadane, un des leaders du mouvement Jeune Algérien ; il a présidé la conférence des AML, réunie du 2 au 4 mars 1944. Cf. sa biographie parue dans Parcours, L’Algérie, les hommes & l’histoire, n° 10, décembre 1988.

[18] M. Kaddache, op. cit., p. 698-699, et Annie Rey-Golgzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, La Découverte, Paris, 2002, pp. 266-267.

[19] A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 351, n’a pas manqué de noter « l’influence dissuasive des manœuvres conduites en Grande Kabylie dans les premiers jours de mai… » ; la remarque est valable pour l’Aurès.

[20] Le témoignage de Lakhdar Ben Tobbal est édifiant sur les défections enregistrées dans les rangs du PPA, frappé par « une véritable purification… avec élimination de tous les éléments épouvantés par la répression ; on ne trouvait plus que des militants increvables » (cité par A. Rey-Golzeiguer, op. cit., pp. 345-346).

[21] Eric J. Hobsbawm, les Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, traduction de l’anglais (1959), Paris, Fayard, 1966.

[22] Grine Belkacem (1927-1928-novembre 1954), bandit d’honneur, originaire du douar Kimmel (tribu des Chorfa, alliés des Serhana), est récupéré par le MTLD dans les années 1950. il meurt dans un accrochage le 28 novembre 1954.

[23] A. Rey-Golzeiguer, op. cit., p. 355.

[24] Témoignage de Lakhdar Ben Tobbal, cité par A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 346. Sur Mohammed Belouizdad (1924-1952), cf. Mohammed Harbi, Aux origines du FLN : le populisme révolutionnaire en Algérie, Bourgois, Paris, 1975, et le FLN, mirage et réalité…, op. cit.

[25] Le PPA-MTLD arrache 110 municipalités : cf. Mahfoud Kaddache, op. cit., tome II, pp. 787-792, et notre article, « La municipalité de Constantine, 1947-1962 », Bulletin de l’IHTP, juin 2004, pp.23-37.

[26] Cf. Mostefa Ben Boulaïd et la révolution algérienne, publication de l’Association 1er novembre 1954 de Batna, Dar-el-Houda, Aïn-M’lila, 1999, pp. 343-424.

[27] Plusieurs biographies ont été publiées dans Chouhadas mintaqat el Awres (« Les martyrs de la zone de l’Aurès ») par l’association « Les pionniers de la révolution… » (éd. Dar-el-Houda, 2002) : cf. biographie de Azoui Embarek (1915-1955), membre de l’OS, qui était dans le réseau composé de Mostefa Ben Boulaïd, Adjel Adjoul, Azoui Meddour… Cependant, Brahim Chergui, responsable du PPA-MTLD dans l’Aurès, est catégorique : Adjel Adjoul n’était pas membre de l’OS (entretien juin 2004).

[28] L’Institut Ben Badis est créé en 1947 : cf. Ali Merad, le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, essai d’histoire religieuse et sociale, Mouton, Paris, 1967.

[29] Il est à noter qu’à la fin de la guerre, de futurs acteurs de la résistance algérienne poursuivent leurs études à Constantine : parmi eux, Ali Kafi est inscrit à la médersa El-Kettania, Abderrazak Bouhara au lycée d’Aumale, Bachir Chihani au cours complémentaire de l’école Jules-Ferry.

[30] Abderrazak Bouhara, les Viviers de la libération, éd. Casbah, Alger, 2001, p. 55 et sv. ; Ali Kafi, Du militant politique au dirigeant militaire, Mémoires : 1946-1962, éd. Casbah, Alger, 2002 ; Bachir Chihani, Mohammed Boukharouba/Boumediene poursuivent des études à Constantine à la fin des années 1940.

[31] Belgacem Baidaoui (1903-1969), militant nationaliste, proche d’abord des oulémas, avant d’adhérer au PPA-MTLD, dont il deviendra l’un des dirigeants les plus actifs, à l’échelle régionale (cf. Benjamin Stora, Dictionnaire des militants algériens, L’Harmattan, Paris, 1985).

[32] Omar Carlier, Entre nation et jihad, histoire sociale des radicalismes algériens, Presses de Sciences-Po, Paris, 1995 (chapitre III, « Entre ville et campagne », pp. 91-138).

[33] Idem, pp. 114-115.

[34] M. L Madaci, op. cit., p. 13, et Récits de feu, présentation de Mahfoud Kaddache, SNED, Alger, 1977, p. 35.

[35] Op. cit., témoignage de Mohammed Ghamri, « Le 1er novembre dans les Aurès », pp. 30-36.

[36] Serge Bromberger, op. cit., p. 25. Le siège du MTLD était situé dans la rue du Colonel-Gouvello.

[37] À l’issue de cette tournée qui a drainé les foules algériennes, Messali est expulsé du département de Constantine, le 24 avril 1952. Cf. Mohammed Harbi, op. cit., p. 124.

[38] Déclaration de M’hamed Yazid, membre du bureau politique du MTLD, à partir de juillet 1951, cité par Mohammed Harbi, op. cit., p. 125.

[39] Serge Bromberger, op. cit., p. 25.

[40] Il a remplacé Brahim Hachani, arrêté en 1952. Cf. Benjamin Stora, op. cit.

[41] Cf. Mohammed Boudiaf, « La préparation du 1er novembre », El-Djarida, n° 15, novembre-décembre 1975.

[42] M. L Madaci, op. cit., pp. 10-11, avance la date du 13 avril : la délégation de Batna comprend 15 délégués. Celle du 15 avril est avancée par Mohammed Harbi, op. cit., p. 100. Ce n’est pas la seule différence,  Harbi place la réunion sous la direction du responsable de Skikda.

[43] M. L Madaci, op. cit., pp. 11 et sv., et Jean Vaujour, op. cit., p. 421.

[44] Une réflexion est à mener sur la pratique du serment et de la parole d’honneur, qui constituent le pivot essentiel de l’engagement politique. Sur cette question, cf. Raymond Verdier, le Serment, 2 tomes, CNRS, Paris, 1991, et Lucien Febvre, Honneur et patrie, Perrin, Paris, 1996.

[45] Adjel Adjoul a exercé le métier d’armurier et maîtrisait les voies de leur acheminement, par le Sud.

[46] Mohammed Harbi, op. cit., pp. 142-143. Bromberger rapporte qu’après cette rencontre, « Adjel Adjoul, écœuré, était décidé à ne plus s’occuper de rien » (op. cit., p. 26) ; Cl. Paillat en fournit un récit fantaisiste.

[47] Adjoul, cité par M. L Madaci, évoque la date du 20 octobre 1954, in les Tamiseurs… op. cit., pp.12-15. Cette réunion n’a pu avoir lieu qu’après celle des « Six », dont Ben Boulaïd fait partie et qui se tient à Alger dans la semaine du 14 au 22 octobre. Cf. Mohammed Boudiaf, « La préparation du 1er novembre… », op. cit., p. 36. Jean Vaujour, op. cit., donne la date la plus vraisemblable, celle du 26 octobre 1954, p. 421.

[48] La plupart des données sur l’évolution du FLN-ALN, dans l’Aurès-Nementchas, à partir du 1er novembre sont empruntées à l’ouvrage de M. L Madaci, op. cit., pp. 29 et sv.

[49] Messaoud Benaïssa (1906-1960), natif des Ouled-Moussa, membre du PPA-MTLD, de l’OS, est à la tête du groupe qui doit attaquer la Recette municipale… Il entre en dissidence par la suite, aux côtés d’Omar Ben Boulaïd, et sera tué par l’un de ses hommes (cf. Mansour Rahal, les Maquisards, pages du maquis des Aurès durant la guerre de libération, Dar-el-Chourouq, Alger, 2000).

[50] Mostefa Ben Boulaïd est arrêté le 23 février 1955, dans le Sud tunisien.

[51] Les Touabas sont la tribu des Ben Boulaïd.

[52] Ahmed Ben Abderrazak, messaliste connu, n’avait pas réussi à gagner la confiance de Mostefa Ben Boulaïd avant son départ au Moyen-Orient. Lors de son retour à M’chounèche, son village natal, il offre ses services à l’ALN. Chihani, averti par Adjoul, l’accepte mais comme agent civil… cf. M. L. Madaci, op. cit., pp.99-100.

[53] Mohammed Ghabrouri sera passé par les armes, sans jugement, dans le courant du mois de juin 1955. Cf. M. L. Madaci, op. cit., p. 103.

[54] Ce n’est pas la première fois que Adjoul laisse percer son mécontentement. En raison de son âge et de son expérience, il se considère donc mieux placé que quiconque pour assurer la direction de la révolution. Cf. M. L. Madaci, op. cit., p. 88, p. 128…

[55] Bachir Chihani impose le blocus total à cette région qui dépendait de son ravitaillement, armes comprises, de la base de Kimmel. Cf. M. L. Madaci, op. cit., p. 111.

[56] Dans une lettre récupérée dans le djebel El-Ouach (Constantine), Zighout Youcef, chef de la zone 2, Nord-Constantinois, évoque l’énorme retentissement de cette bataille sur les djounouds de l’ALN (in SHAT, I H 2583).

[57] Adjoul a été blessé au cours de la bataille d’El-Djorf.

[58] Dès le mois d’avril, Chihani a rédigé une sorte de charte précisant le rôle de chacun ; la circulation des maquisards est strictement réglementée, et suspendue à la délivrance d’un laissez-passer, dont la non-présentation entraîne immédiatement l’arrestation (cf. M. L. Madaci, op. cit., pp. 79 et 95).

[59] L’histoire nationale a occulté l’existence du régionalisme ; Mohammed Harbi est l’un des rares historiens à poser la question en termes politiques (voir à ce sujet « Le complot Lamouri », la Guerre d’Algérie et les Algériens, s/d Charles Robert Ageron, Paris, Armand-Colin, 1997, pp. 151-179).

[60] De ce point de vue, le bilan historiographique de l’Algérie contemporaine est pauvre.

[61] Mohammed Harbi, idem, p. 153

[62] À propos de l’élimination de Bachir Chihani (1929-1955), M. L. Madaci a fourni la version de Adjoul et celle de Bicha Djoudi dit Boucenna qui osa, seul, affronter Adjoul, lui reprochant de manquer aux règles de l’hospitalité et de la protection dues à tout étranger ; interpellant Adjoul, il lui dira : « L’ALN est en train de se battre pour tes intérêts personnels, pas pour la révolution… Dis la vérité sur Si Messaoud [nom de guerre de Bachir Chihani] » (op. cit., pp. 136-137).

[63] De même quand Mostefa Ben Boulaïd est déchiqueté par le colis piégé, la nouvelle de sa mort ne s’ébruitera que des mois après.

[64] C’est Lakhdar Ben Tobbal qui informe Abbane Ramdane et Larbi Ben M’Hidi de la mort de Mostefa Ben Boulaïd.

[65] Outre la version de M. L. Madaci, op. cit, nous disposons du texte de Abdelhafid Amokrane el-Hassani (Mémoires de combat, Dar-el-Oumma, Alger, 1998), des témoignages de Belkacem Chatri et Salah Goudjil, publiés par Mostefa Merarda  Bennoui, op. cit., et de la version de Hocine Benmaalem, parue dans El Watan, 29-30 mars 2004. Que révéleraient les archives algériennes et françaises ?

[66] Dans ses entretiens avec M. L. Madaci, Adjoul n’indique pas le lieu de sa mutation.

[67] Belkacem Chatri abonde dans le même sens, mais précise que Hadj Lakhdar a participé à la réunion tenue par Amirouche, réunion au cours de laquelle, il fut décidé de procéder à l’arrestation de Adjel Adjoul, mort ou vif. Cf. Mostefa Merarda, op. cit., pp. 62-63.

[68] A. Amokrane et H. Benmaalem, op. cit., avancent la même thèse.

[69] La plupart des journaux étalent la nouvelle le 6 novembre 1956. Des tracts furent distribués : « Nous, on soigne le chef des fellaghas, il est en bonne santé » (M. L. Madaci, op. cit. p. 201).

[70] Référence SHAT.

[71] Son nom figure dans la liste des 365 mokhazenis en service à la SAS d’Arris (document daté du 1er mars 1959, sans référence , cité par Nordine Blouhais, Des harkis berbères, de l’Aurès au nord de la France, Presses universitaires du Septentrion, Lille, 2002, pp. 199-204).

[72] Témoignage de Hadj Lakhdar in M. L. Madaci, op. cit., p. 218

[73] De son vrai nom Abdallah Merchi, dit Sebti Ben Laala, caïd du douar Oued-Labiod, au 1er novembre 1954, il est à la tête de la première harka à Arris.

[74] Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, le FLN. Documents et histoire, Fayard, Paris 2004, p. 531.

[75] Son propre témoignage est confirmé également par Mohammed Harbi, qui a visité Lambèse, au lendemain de l’indépendance.

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