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La pensée politique de Mustafa Kémal Atatürk et le Mouvement national algérien

Insaniyat N° 25-26 | L'Algérie avant et après 1954 | p.123-142 | Texte intégral

Mustapha Kemal Attaturk’s political thought and the Algerian National Movement

 Abstract: Algeria’s adherence to the Ottoman Empire for more than three centuries created a complex feeling towards Turkey. A feeling which is not easy to qualify because of the circumstances which brought the latter into the country and the evolution of Regency authorities’ politics towards the local population. Nevertheless the colonial invasion encourages the forming of a picture of post Turkish power and the Turkish state at the beginning of the 20’th century to the level of collective Algerian imagery where reality and fantasy intermingle at the same time. This psychological attitude, in fact translates the conscious or unconscious idea of privileged communal adherence to better stand out politically and culturally with regards to the French colonial power.
While realism and evolution of the situation in the country and also its ideas lead the Algerians to build a national movement defining Algerianity from rational political discourse while leading a cultural and social action preparing the society itself to liberate itself from colonial power, the elite and the leaders who extol this liberation nevertheless continuing to look towards those that they feel  the nearest  not only from a social point of view but also, politically, notably when political action expresses a nationalism led against those who did their utmost to deny it.
It is in this perspective and in this sense that we can observe among the main Algerian leaders at least for a moment, if not an admiration for Mustapha Kemal Attaturk, at least an example whose aspects deserve a special glance.
This study is therefore an attempt to answer the question that it seems appropriate to raise, about the relationship between the Algerian national movement and Mustapha Kemal Attaturk’s political thought, that liberated the Turks from the scelerosed Ottoman power and from the domination of the foreign power’s hegemonic pretensions, by trying to show how from the privileged link between the founder of modern Turkey’s politics and some personalities of the Algerian national movement.

Key Words : Algeria - nationalism - Ottoman - turkey - politics


Nahas M. MAHIEDDINE : Université d’Oran-Es-Senia, Faculté de Droit, 31 000, Oran, Algérie


Les circonstances historiques ont créé entre les Algériens, notamment leur élite[1], et la Turquie un sentiment de proximité tel que l’on peut en retrouver des indices dans tous les domaines de la vie sociale[2]. Cette turcophilie, qui devient une sorte d’idéologie en Algérie[3] pendant la période coloniale[4], touche toutes les couches de la population[5]. Elle s’exprime tant dans la vie culturelle[6] qu’à travers des actions à caractère humanitaire[7]. Bien qu’elle semble être animée beaucoup plus par l’esprit de solidarité religieuse et l’attachement sentimental au califat que par une option politique consciente[8], elle traduit tout de même le refus des Algériens d’être assimilés à l’occupant[9]. Le phénomène est si important que certains observateurs de la société algérienne en ont fait le facteur qui explique tous les mouvements qui agitent l’Algérie. La confiance que les indigènes de l’Algérie font à la Sublime Porte, écrit l’un d’eux, est l’une des causes principales de l’opposition que nous rencontrons dans leurs âmes[10]. Le jugement est certainement exagéré mais aucunement totalement erroné. Il n’est que de rappeler que les départs des Algériens vers l’Orient entre 1830 et 1911[11] se situent dans la mouvance ottomane et que ce sont les espérances de transformation de l’Empire ottoman… qui suscitent l’attirance[12]. L’exode des Algériens vers les territoires encore sous l’autorité du sultan où ils exercent parfois de hautes fonctions dans l’administration[13], dans l’armée[14] ou comme travailleurs qualifiés[15] (ingénieurs, médecins ou professeurs[16]) participe au maintien de cette relation privilégiée avec les Turcs. Certains s’engagent même dans la vie politique de l’Empire, notamment lorsque les Jeunes Turcs arrivent au pouvoir[17].

Ce phénomène est allé en s’amplifiant à un point tel qu’en 1941 l’idée de créer un mouvement en vue de rattacher à nouveau ces deux pays circule en Algérie[18]. Certes, cette démarche tend à exprimer le désir de se dégager de l’emprise française, mais suggère aussi de se demander, au moment où le mouvement national apparaît en Algérie, s’il a été plus ou moins pénétré par cette turcophilie et comment elle s’est manifestée. La question se pose même si la trajectoire de ce mouvement est telle qu’elle témoigne que le prix que les « communautés algériennes » attachèrent toujours à la préservation de leur indépendance… a une valeur sacrée[19].

Il est certainement vrai que le refus des peuples d’être soumis à une autorité étrangère est quasi instinctif et qu’il n’a nul besoin d’être stimulé de l’extérieur. Il n’en demeure pas moins toutefois que le discours et les idées qui accompagnent l’action peuvent trouver leurs origines, au moins en partie, dans l’expérience vécue ailleurs. Ainsi, les Jeunes Turcs sont imités partout dans le monde musulman et l’on retrouve un mouvement similaire en Algérie[20] où, non seulement les discours sont repris, mais aussi les méthodes de protestation comme la pratique du boycott de certains produits coloniaux… pour aller jusqu’à imaginer une république algérienne, sœur en république de la république française mais qui se réclame aussi des symboles ottomans[21].

Au sein de ce mouvement à l’élan communautaire à ses premiers débuts mais qui se transforme relativement vite en mouvement national dès l’instant où il vise à définir l’algérianité et au fur et à mesure qu’il se développe en ampleur et en diversité avant d’être monopolisé à travers un discours politique fortement idéologisé[22], on observe que parmi les principaux leaders algériens certains ne cachent pas leur admiration pour les Turcs et plus particulièrement pour Mustafa Kemal Atatürk[23]. Essayer donc de s’interroger sur les rapports entre le mouvement national algérien et la pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk semble tout à fait opportun et c’est ce que nous nous proposons de tenter dans cette étude en essayant de montrer comment s’est construit ce rapport privilégié entre l’Algérie et la Turquie puis de démontrer l’influence des idées politiques du fondateur de la Turquie moderne sur quelques personnalités du mouvement national.

Entre l’Algérie et la Turquie, un rapport privilégié

Avec le débarquement de l’armée française à Alger au début du mois de juillet 1830 commence une nouvelle histoire pour le peuple algérien[24]. En effet, à partir de cette date et entre autres conséquences de cet événement, les Algériens ne sont plus des sujets ottomans[25]. Ils sont considérés comme des indigènes ou des arabo-berbères[26] difficilement assimilables à la société française et même incapables d’évoluer en tant que nation en toute autonomie. En réaction, les Algériens vont manifester leur identité à travers leur appartenance religieuse, avec toutes ses conséquences. Ce n’est que plus tard qu’ils développent une réflexion plus singularisée pour définir une identité moins communautaire et engager un combat politique intellectuellement et organiquement mieux structuré en privilégiant le seul niveau national[27] mais sans pour autant négliger l’appartenance régionale[28] et les liens avec le monde musulman[29].

En effet dans le contexte de l’Algérie du xixe siècle l’affirmation identitaire ne peut dans un premier temps s’exprimer qu’à travers l’appartenance religieuse. L’idée de faire corps avec une collectivité par le biais du lien créé par une même nationalité à caractère politique n’existe pas dans la pensée juridique islamique classique. Il n’y a de rapports avec l’autorité politique qu’à travers la communauté religieuse à laquelle l’individu appartient. Dans la Cité musulmane, le sujet ne peut être que musulman ou dhimmi, c’est-à-dire adepte d’une religion reconnue par l’islam (notamment le judaïsme et le christianisme). Le droit musulman organise et régit les différentes relations qui peuvent se nouer entre les individus au sein de la Oumma et celles des dhimmis avec les musulmans[30]. Par ailleurs, un musulman ne peut être en principe sous l’autorité d’un non-musulman. Aussi, lorsque l’armée française envahit l’Algérie, les réactions des Algériens ne peuvent s’élaborer et s’exprimer qu’en fonction de ces conceptions et uniquement dans le cadre de ce schéma théorique[31]. Les déclarations d’allégeance au calife ottoman sont donc logiques du point de vue de la loi musulmane et qu’il incarne donc l’islam, même s’il est considéré par beaucoup comme le seul chef politique légitime détenteur de l’autorité sur le territoire algérien[32]. C’est ce qui apparaît nettement d’ailleurs dans une pétition signée par des habitants de Constantine et adressée au Parlement britannique en janvier 1834[33] ainsi que dans une lettre[34] envoyée par le bey de cette même ville, Hadj Ahmed, au sultan ottoman par laquelle il déclare être un sujet ottoman après avoir confirmé rester un serviteur de la Sublime Porte[35] tout en ajoutant plus loin : le pays est le vôtre, les gens sont les vôtres aussi[36].

L’occupation étrangère de l’Algérie va donc donner un nouveau souffle aux liens entre ce pays et la Sublime Porte alors que, malgré sa qualité de régence, un certain relâchement était observé dans les relations entre le pouvoir local et celui d’Istanbul depuis bien longtemps[37]. Même lorsqu’il apparaîtra avec le temps que l’intervention salvatrice de l’armée ottomane est de moins en moins probable, les Algériens n’en continuent pas moins d’entretenir un préjugé favorable envers les Turcs en suivant avec intérêt l’évolution politique de l’Empire. En effet, lorsque celui-ci devient l’Homme malade, les Algériens sont aussi attentifs aux développements de la situation qu’inquiets du sort du pays. La conquête de la Tripolitaine par l’Italie ne les laisse pas indifférents, tout comme les menaces de démembrement du territoire turc par les Alliés en 1917 ou la capitulation de la Turquie en 1918[38]. Les Algériens vivent donc au rythme d’Istanbul mais ne peuvent prouver leur attachement aux autorités ottomanes qu’en accrochant symboliquement les portraits du sultan aux murs de leurs maisons[39].

Cette attitude leur permet ainsi non seulement d’affirmer leur solidarité communautaire avec les Turcs mais aussi et surtout de se distinguer de l’occupant en montrant que la société algérienne appartient à un ensemble civilisationnel qui a joué un rôle important dans l’histoire du monde et que la terre algérienne n’est pas un bien faisant partie des res nullius. Les Algériens ne veulent pas rompre les liens avec les Ottomans qui plongent leurs origines dans l’histoire vécue par l’Algérie depuis le début du xvie siècle car, contrairement à beaucoup d’autres régions soumises à l’autorité turque et malgré les résistances et les oppositions aux soldats ottomans, la population d’Alger n’oublie pas qu’elle s’est uni quasi volontairement à l’Empire[40] afin d’être en mesure de s’opposer efficacement aux menaces de conquête de l’Espagne à cette époque[41].

Si tout au cours des trois siècles de présence ottomane les rapports entre Alger et la Porte ont été variables, il n’en demeure pas moins que la chute du dernier dey est vécue comme une déchirure du fait de la perte d’un centre de référence[42], un événement qui va amplifier le désir de rendre hommage à la Turquie et hanter la conscience algérienne, qui va entretenir un imaginaire que même la raison n’atteindra pas. C’est donc dans cette perspective qu’il y a lieu de comprendre les réactions algériennes face à la colonisation et ce sont ces mêmes raisons qui expliquent la permanence de ce rapport privilégié entre les Algériens et les Turcs et ce, même après que les Algériens se soient familiarisés avec les nouvelles idées de la pensée juridique occidentale et de la politique qui en est issu.

En effet, durant la période coloniale et bien que ne participant pas ou n’intervenant que de manière tout à fait incidente et secondairement à la prise de décision dans les affaires de la cité, les Algériens observent néanmoins le jeu politique et s’initient à la gestion des affaires publiques dans un cadre qui n’est plus communautaire et tributaire de la religion mais dans celui défini par des lois laïques[43]. Ils remarquent aussi que la société politique évolue dans un contexte limité à la nation. L’assimilation de ces nouvelles conceptions permet notamment aux Algériens de gagner en réalisme. Ils ne reposent plus, dès lors, naïvement, leurs espoirs sur une intervention salvatrice venant d’ailleurs[44]. Pour certains d’entre eux d’ailleurs, l’islam n’est plus la patrie même si la quasi-totalité des Algériens continue de glorifier le passé[45], la religion musulmane et la culture qui en est issue.

Aussi, dès que s’éveillent l’idée et la volonté de libération dans les consciences, c’est dans le cadre de la conception moderne de la nation qu’elle s’exprime tant dans ses dimensions culturelles, sociales que politiques. Mais cela ne signifie pas pour autant que le divorce doit définitivement être consommé avec les idées apparues en dehors de la nation parce que la manifestation nationaliste ne s’oppose pas obligatoirement à l’intégration de la dimension de la raison, considérée comme universelle[46], dans la démarche qui en découle. Aussi, tout en œuvrant pour la libération du pays, le mouvement national algérien va néanmoins gérer des idées venues d’ailleurs et notamment celles de Mustafa Kemal Atatürk qui a bénéficié de l’admiration d’un bon nombre de ses dirigeants.

Entre Atatürk et les leaders du mouvement national algérien, une pensée harmonisée

Le mouvement national algérien a un seul objectif, celui de libérer le pays d’autant plus rapidement que l’Algérie subit une occupation à travers laquelle ni les terres, ni les hommes n’échappent à la maîtrise du pays dominant[47]. Les effets dévastateurs de la colonisation sont tels qu’un responsable politique français est amené à déclarer que le peuple algérien est devenu une poussière d’hommes[48]. Le colonisateur reconnaît donc lui-même que cette région est celle sur laquelle s’est abattue le plus lourdement la main du vainqueur, parce que la France… s’est efforcée d’imposer, outre ses institutions[49], mais aussi sa langue et sa culture. La libération envisagée n’est donc pas seulement politique ou économique, elle est aussi sociale et culturelle. C’est pourquoi le mouvement national en Algérie a eu une expression plurielle et ne se limite pas au seul niveau de la lutte armée pour l’indépendance politique entendue stricto sensu.

A la violence de l’invasion s’oppose donc la contre-violence de la résistance. Aux tentatives de dépersonnalisation s’oppose l’attachement aux valeurs identitaires fondamentales qui font que la nation algérienne n’est pas la France, ne peut être la France et ne veut pas être la France pour reprendre la célèbre formule du leader du mouvement réformateur algérien Ibn Badis[50]. Mais se libérer ne signifie pas pour autant s’isoler du reste du monde. Bien au contraire, la démarche implique une ouverture sur l’universel pour participer à son enrichissement. Cette opération est en effet comprise comme un des moyens qui permet à celui qui l’initie d’être un acteur responsable vis-à-vis de lui-même ainsi que vis-à-vis des autres. Le mouvement national algérien veut donc montrer l’attitude irresponsable du colonialisme et permettre à nouveau aux Algériens de prendre en charge par eux-mêmes le devenir de leur pays.

Or le nationalisme et l’ouverture sur le monde sont les maîtres mots de la pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk[51], qui a d’ailleurs vécu et agi au moment même où se structurait la pensée politique du mouvement national algérien. Il devient alors intéressant de se demander si les liens privilégiés entre les Algériens et les Turcs ont encore joué au sein de la génération qui a œuvré pour libérer l’Algérie de la colonisation française.

Il est évident que le mouvement national algérien s’est manifesté par une expression tant sociale que culturelle, mais aussi par une expression d’aspect plus politique qui se voulait authentique. Mais il n’en demeure pas moins que, parmi ses leaders, nombreux sont ceux qui ont manifesté une réelle admiration pour certains hommes à travers le monde, même si cette admiration ne signifie pas et n’implique pas toujours une convergence d’idées.

Atatürk est l’un de ces hommes. Il enthousiasme une génération de la population musulmane d’Algérie par son nationalisme, et ses victoires militaires et politiques sont un puissant encouragement pour tous les Algériens, qui ne cachent d’ailleurs pas leur joie lorsque les troupes turques sont victorieuses, ainsi lors de l’évacuation de Constantinople en 1922. A cette occasion, en effet, les habitants d’Alger manifestent dans les rues de la ville et les étudiants des médersas affichent partout les portraits de Mustafa Kemal[52]. La victoire turque est vécue par les musulmans d’Algérie comme une victoire algérienne face aux colons français, qui ne manifestent aucune sympathie pour la Turquie et pour son dirigeant, suspecté de maintenir en éveil le nationalisme algérien et donc de remettre en cause leurs intérêts dans le pays[53]. Le journal Le Temps écrit d’ailleurs le 24 juillet 1920 que Mustafa Kemal appelle le monde de l’islam à s’unir avec les communistes pour combattre les puissances impérialistes[54].

Atatürk apparaît donc aux yeux des Algériens, tout autant que pour les Turcs, comme le symbole de la liberté et de l’indépendance. Pour les Algériens, si Atatürk a vaincu ceux qui apparaissent comme les détenteurs de la puissance, c’est non seulement parce que son combat est juste mais c’est aussi parce que sa méthode est bonne. Il n’est donc pas étonnant que des dirigeants importants du mouvement national comme Ferhat Abbas, Abdelhamid Ben Badis ou Messali Hadj, bien que différents dans leurs approches des événements politiques, aient une même attitude vis-à-vis d’Atatürk autant comme chef militaire que comme homme politique.

Cette convergence d’opinions entre les différentes tendances du mouvement national algérien à propos de l’action du leader turc ne peut s’expliquer par la seule admiration ou la simple sympathie que des hommes peuvent avoir entre eux mais par le fait que certaines des idées qui animent Atatürk se retrouvent aussi chez les nationalistes algériens. En effet, tous portent le même regard vers la Révolution française de 1789[55]. Pour Mustafa Kemal, cette révolution a répandu dans le monde entier l’idée de la liberté[56]. L’événement est compris dans les mêmes termes par Ben Badis lui-même alors que sa formation est essentiellement religieuse[57]. Celui-ci écrit dans l’éditorial du premier numéro de son journal al-Muntaqid : Nous mènerons notre tâche avec le soutien de la France démocratique, cette France qui a répandu les lumières de sa civilisation sur toute la Terre[58]. Les nationalistes algériens, souvent imprégnés de culture française, tout comme Atatürk, optent donc pour une même philosophie politique. L’expérience turque, axée sur la défense de l’indépendance nationale, est d’autant plus intéressante pour eux qu’elle revêt une fonction pédagogique et peut légitimer aux yeux des Algériens le recours à des idées étrangères à la pensée politique musulmane traditionnelle. En outre, elle acquiert une valeur historique en isolant cette nouvelle pensée de ses origines occidentales et du contexte de domination coloniale qui l’entoure. Elle conclut enfin que la spécificité de l’environnement culturel et social ne doit pas être considérée comme un obstacle à l’adoption d’une pensée politique élaborée dans un autre milieu socioculturel et au cours d’un contexte historique particulier.

Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes en Algérie et en Turquie. Atatürk œuvre pour mettre en place des institutions dans un pays libéré alors que les dirigeants algériens sont encore en pleine lutte pour l’émancipation de leur patrie. Mais qu’importe, la prise de position a pour objectif de montrer que le fait colonial est voué à l’échec à plus ou moins brève échéance. Les instituions fondées sur l’esclavage des nations sont partout condamnées à s’écrouler, fait remarquer Atatürk[59], et cet optimisme est partagé par Ferhat Abbas qui écrit : les Français n’ont même pas l’esprit d’empire. Cela finira mal, et ils perdront tout à la fois[60]. Les motivations sont donc les mêmes et si les pays sont différents, comme le faisait remarquer Atatürk lui-même, la civilisation est une et si chaque nation réalise ses réformes en tenant compte de la situation et des conditions du milieu social de l’époque considérée[61], il n’en demeure pas moins que toutes les nations doivent prendre part à cette civilisation unique[62].

Les Algériens n’ont donc aucune peine à adopter la logique issue de cette matrice intellectuelle qui ne leur est d’ailleurs plus tout à fait étrangère. Aussi, et bien que les conditions historiques et les évolutions internes sont différentes en Algérie et en Turquie, la démarche est, au moins intellectuellement, en harmonie. Ainsi, lorsque Ben Badis déclare : pour la défense des Etats, les sacrifices sont nécessaires…, la puissance appartient aux peuples forts[63], on ne peut s’empêcher de rapprocher ces propos de ceux d’Atatürk qui soulignait en 1919 : quand son indépendance est en danger, la nation n’adopte qu’une seule attitude : verser jusqu’à la fin son sang pour son salut[64]. De son côté, lorsque Ferhat Abbas fait remarquer qu’un pays qui vit sous le régime colonial est un pays esclave… Nous sommes un peuple comme les autres et nous voulons vivre dans la dignité[65], ce sont encore les propos d’Atatürk qui reviennent à l’esprit. Celui-ci rappelait en effet dans un de ses discours qu’en 1919, il n’avait aucune force matérielle mais ma force, disait-il, c’était la morale et la dignité dont j’étais imbu[66]. De son côté, Messali Hadj, connu pour sa grande admiration du leader turc, observait avec une attention particulière la mise en place des nouvelles institutions politiques turques[67] et a pu avoir été séduit par l’idée que l’islam et le socialisme pouvaient s’accorder, idée défendue tant en Turquie dans les années 1920 que dans le reste du monde musulman[68].

Par ailleurs, il y a sans conteste une totale convergence entre les nationalistes algériens et les Jeunes Turcs quant à la forme républicaine du régime politique ainsi que sur la nature du rapport juridique qui doit exister entre le citoyen et l’Etat. Ce sont donc les théories constitutionnelles modernes qui ont la faveur des uns et des autres. Lorsque Ferhat Abbas demande aux Algériens musulmans d’adopter sans réserve la civilisation occidentale et de ne plus regarder vers l’Orient[69], il est encore dans la logique de la pensée de Mustafa Kemal qui déclarait en 1924 : le mouvement des Turcs a gardé, depuis des années, une direction constante. Nous avons toujours avancé de l’Orient vers l’Occident[70].

C’est pourquoi lorsque Atatürk met fin au califat, aucun dirigeant du mouvement national algérien ne voit dans cette décision une quelconque atteinte à l’islam. Même les représentants du mouvement religieux réformateur prennent fait et cause pour le ghazi et ne se rangent pas à l’avis des oulémas d’Al-Azhar. Ben Badis, homme de religion, ne se limite pas d’ailleurs à partager l’avis de Mustafa Kemal sur le califat, qu’il qualifie de chimère[71], mais se permet de reprocher aux milieux panislamistes d’Orient leur inaptitude à voir le vrai problème et leur propension à se perdre en discussions oiseuses et en vaines attaques contre le régime de Mustafa Kemal[72]. Le chef réformateur algérien va encore plus loin dans sa défense d’Atatürk en considérant que les véritables adversaires de l’islam sont le calife et les chefs des confréries religieuses[73] et déclare sa sympathie pour les Turcs honorables, les libérateurs des peuples et non pour ceux qui baissent la tête… ceux-là ne méritent pas la moindre attention, qu’ils soient calife ou cheikh al-Islam[74]. Ben Badis semble donc prendre position dans ce qui a été appelé la guerre des fatwas entre partisans et adversaires d’Atatürk[75], comprenant que l’objectif de ce dernier est la modernisation de l’islam et non son élimination[76], comme le souhaite d’ailleurs le mouvement réformiste algérien lui-même[77]. Il ne va pas pour autant aller jusqu’à considérer Mustafa Kemal comme le porte-bannière de la religion musulmane[78], prenant ainsi par ailleurs en considération l’impact des mesures de laïcisation considérées comme antireligieuses et quelque peu impopulaires en Turquie même[79], bien que les réformes sociales initiées par Atatürk impressionnent la jeunesse musulmane algérienne[80] et permettent à un dirigeant nationaliste comme Ferhat Abbas d’affirmer que la foi islamique n’est pas inconciliable avec les nécessités sociales du monde moderne[81].

C’est toutefois sur ce sujet que les idées turques trouvent leurs limites dans la pensée des leaders nationalistes algériens. En effet, ces derniers ne peuvent ignorer l’impact de celles qui touchent des domaines constituant le dernier camp retranché de l’identité algérienne face à l’agression coloniale. Si pour Messali Hadj ou Ferhat Abbas la laïcité ou l’égalité juridique entre l’homme et la femme peuvent se concevoir et être mis en œuvre en milieu musulman, il peut paraître plus difficile pour Ben Badis de franchir ce pas, bien que, pour la laïcité, son attitude reste ambiguë et difficile à déterminer[82]. Mais ces limites constituent en elles-mêmes une confirmation de la pensée d’Atatürk qui affirmait que chaque nation a ses propres traditions, ses propres mœurs et ses propres particularités… aucune ne doit imiter fidèlement une autre[83]. Comme en écho, Ferhat Abbas déclarait de son côté : l’Etat, la nation, la société, les lois ne s’improvisent pas, ni ne se copient sur le voisin. Ils sortent des entrailles du peuple comme l’enfant de celles de sa mère. C’est la culture, la terre et la nature de l’homme qui forgent et conditionnent les institutions d’un pays[84].

Sans multiplier les exemples, le rappel de certains d’entre eux montre que, malgré l’éloignement géographique, l’histoire peut rapprocher des hommes par la pensée et par l’action lorsque l’objectif visé est identique. La similitude observée dans la démarche pour appréhender les problèmes de la société musulmane au cours de la première moitié du xxe siècle, tant en Algérie qu’en Turquie, ainsi que dans le choix des démarches adoptées pour leur apporter des solutions démontre, au delà de l’originalité des unes ou de l’universalité des autres[85], et comme le faisait remarquer le fondateur de la Turquie moderne lui-même, que beaucoup plus que les traités ce sont les sentiments qui lient les nations[86].

Le rapprochement ne signifie pas pour autant mimétisme ou assimilation. Chaque peuple a son histoire et aucune d’elle ne peut être considérée ou utilisée comme un étalon pour juger ou apprécier celle qui est propre à chacun d’eux mais la solidarité ou la collaboration directe ou indirecte entre les nations permet d’enclencher ou d’aider les processus de dynamisation sociale qui visent à réaliser les aspirations légitimes des uns et des autres. L’histoire qui lie l’Algérie à la Turquie en est la meilleure illustration[87].


Notes

[1] Rappelons que les menaces chrétiennes sur les côtes algériennes en général et sur Alger en particulier ont conduit l’élite bourgeoise qui était à la tête de cette cité à demander l’aide des Turcs (à un moment où l’Empire ottoman était en pleine expansion et « jouissait du prestige que leur valait leur position de champions de l’Islam face aux entreprises lancées par les Portugais et les Espagnols » (André Raymond, Les provinces arabes : XVIe-XVIIIe siècle), in Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Fayard, Paris, 1989, p. 343) en raison de la faiblesse des chefs des tribus voisines et de la situation créée par la dynastie ziyanide alors en place à Tlemcen qui non seulement n’était pas en mesure de défendre le pays mais était en outre alliée aux Espagnols jusqu’à son renversement en 1554. (Yahyâ Bou Azîz, al-Mu’djaz fî ta’rîkh al-Djazâ’ir, OPU, Alger, 1999, tome II, p. 252 et suiv.).

[2] J. Desparmet, La turcophilie en Algérie, in Bulletin de la Société de Géographie d’Alger et de l’Afrique du Nord, 22e année, 1917, p. 68.

[3] Mahmoud Smati, Les élites algériennes sous la colonisation, Dahlab, Alger, tome I, 1998, p. 258.

[4] Cette turcophilie est une attitude de réaction à l’occupation coloniale et se veut être la manifestation d’un sentiment d’appartenance à une entité socio-politique et culturelle distincte de celle du colonisateur. Les Algériens se savent différents des Turcs mais pensent inconsciemment que dans la mesure où ces derniers sont à la tête du seul Etat musulman qui s’oppose à l’Occident, ils sont censés sinon les défendre, du moins les représenter. Ce sentiment ne peut néanmoins être considéré comme étant la conséquence directe de la présence ottomane, longue de plus de trois siècles en Algérie, parce que d’une part limitée du point de vue démographique (moins de 10 000 individus – soldats notamment – au xvie siècle et un maximum de 15 000 au xixe  siècle) et d’autre part du fait que la suzeraineté ottomane y est beaucoup plus théorique qu’effective (Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique. Histoire et société, FNSP/A. Colin, Paris, 1974, p. 89 et suiv. C.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, PUF, Paris, 2e éd., tome I, 1979, p. 1 ainsi que la bibliographie signalée sur cette période p. 519 ; Corinne Chevallier, Les trente premières années de l’Etat d’Alger 1510-1541, OPU, Alger, 1986), bien qu’il faille reconnaître l’efficacité de l’organisation administrative mise en place puisque le découpage ottoman préfigure celui qui s’imposera plus tard (A. Raymond, art. précité, p. 344). Il n’en demeure pas moins qu’à la veille de l’intervention française la régence d’Alger était devenue « une colonie d’exploitation dirigée par une minorité de Turcs avec le concours de notables indigènes » (Charles-André Julien, op. cit., tome I, p. 1). En effet, outre le fait que celle-ci n’a pas toujours été sans problème (tant au moment de l’installation des Turcs à Alger et lors de la prise d’autres régions de l’Algérie (‘Azîz Sâmih Altir, al-Atrâk al-‘uthmâniyyûn fî Ifriqiya al-shamâliyya, trad. Mahmûd ‘Alî ‘Amir, Dâr al-Nahda al-‘arabiyya, Beyrouth, 1ère éd., 1989, p. 50 et suiv. ; Diego de Haëdo, Histoire des rois d’Alger, rééd. G. A. L., Alger, 2004, p. 27 et suiv.) que plus tard et notamment à partir de la deuxième moitié du xviiie siècle et le début du xixe siècle lorsque les difficultés économiques et financières de la régence entraînent des révoltes dans les campagnes (Mahmoud Smati, Formation de la nation algérienne, Zaiacha, Alger, (s. d.), p. 90) auxquelles il importe d’ajouter l’hostilité de certains marabouts (Kamel Filali, Sainteté maraboutique et mysticisme. Contribution à l’étude du mouvement maraboutique en Algérie sous la domination ottomane, thèse, Faculté des sciences historiques de l’Université de Strasbourg, 1995), même si certains cheikhs de confréries religieuses sont des instruments souvent efficaces du pouvoir militaire turque qui trouve appui également au niveau de certaines tribus (Marcel Emerit, L’Algérie à l’époque d’Abdelkader, Larose, Paris, 1951, p. 10 et p. 237 ; Mahmoud Smati, Les élites algériennes sous la colonisation, Dahlab, Alger, 1998, tome I, p. 30 ; Alain Romey, l’Etat turc et les pouvoirs religieux en Algérie à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, in Cahiers de la Méditerranée, n° 4, décembre 1990, p. 31). Toutes ces circonstances et cette complexité dans les rapports entre Algériens et Ottomans ont fait que la présence turque n’a pas eu pour conséquence la constitution d’une communauté turcophone durable en Algérie susceptible de se sentir naturellement solidaire avec la Turquie, même s’il est établi que des soldats ottomans ont fait souche dans certaines villes du pays (la preuve en est apportée par certains documents judiciaires. Voir Abû-l-Qâsim Saad Allâh, « Daftar mahkamat al-Mdiyya (al-Djazâ’ir) awâkhir al-‘ahd al-‘uthmânî (1821-1839)», in La vie économique des provinces arabes et leurs sources documentaires à l’époque ottomane, Centre d’études et de recherches sur les provinces arabes à l’époque ottomane, Zaghouan, 1986, volume I (tomes I et II), p. 134 et suiv.). Il est vrai que dès le tout début du xixe siècle un certain nombre de janissaires avaient demandé à retourner dans le Levant après avoir perdu des leurs lors de la tentative avortée de déposer le dey Ali Khodja (H. de Grammont, Histoire d’Alger sous la domination turque (1515-1830), Angers, 1887, p. 383 et suiv.) et qu’après le débarquement des troupes françaises en 1830 beaucoup de ces soldats ont été expulsés d’Algérie (voir un témoignage à travers la requête présentée par Hamdane ben Othman Khodja et Ibrahim ben Mustapha Pacha au ministre de la Guerre, le maréchal Soult, pour dénoncer, entre autres, « les expulsions des Turcs mariés avec nos filles et qui ont eu des enfants », citée par Mahfoud Kaddache, in L’Algérie des Algériens, Rocher Noir, Alger, 1998, p. 29 ; également « L’embarquement des Janissaires en 1830 », in Les feuillets d’El-Djezair, Comité du Cieil Alger, éd. L. Chaix, Alger, 1937, rééd. éd. du Tell, Blida, 2003, tome I, p. 103) ce qui, évidemment, a réduit d’autant la présence des Turcs dans le pays. Ajoutons enfin, pour tenter d’expliquer l’absence de turcophones en Algérie, que même si « la conquête ottomane du XVIe siècle amena un peu de la langue des Turcs sur le littoral du Maghreb » (Albert Hourani, Histoire des peuples arabes, Seuil, Paris, 1993, p. 128), « le turc n’est pratiqué que par les Osmanlis entre eux » (Diego de Haëdo, Topographie et histoire générale d’Alger, rééd. G. A. L., Alger, 2004, p. 127). L’influence du turc sur l’arabe algérien est donc relativement négligeable (Mohammed Ben Cheneb, Mots turks et persans conservés dans le parler algérien, J. Carbonel, Alger, 1922, p. 10 ; Mohamed Meouak, Langues, société et histoire d’Alger au XVIIIe siècle d’après les données de Venture de Paradis (1739 – 1799), in Trames de langues. Usage et métissage linguistiques dans l’histoire du Maghreb, sous la direction de Jocelyne Dakhlia, Maisonneuve et Larose, Paris, 2004, p. 312). Il faut néanmoins rappeler que cette situation au niveau linguistique n’est pas propre à l’Algérie dans la mesure où dans l’Empire ottoman les langues locales préexistantes ont continué à être pratiquées et même à prospérer. En outre la relative proximité de la langue arabe avec la langue turco – ottomane a fait que celle-ci a cohabité, même à Istanbul, avec celle-là restée dominante dans les champs religieux et juridiques ainsi que dans l’enseignement (A. Hourani, Histoire…, op. cit., p. 319) ; A. El Moudden, Le turc au-delà des Turcs. Termes d’origine turque dans quelques parlers et écrits marocains, in Trames…, op. cit., p. 83 ; Sami Bargaoui, Métissages linguistiques et questions d’histoire maghrébine : le point de vue d’un historien moderne, in Trames…, op. cit., p. 208 et suiv.). C’est cet ensemble de facteurs qui explique que les Algériens n’ont pas ressenti le besoin d’être lettrés en turc à l’exception de quelques rares membres de l’élite qui occupaient des fonctions importantes dans l’administration centrale de la Régence.

[5] Il faut noter que ce sentiment n’est pas propre aux Algériens mais est perceptible à des degrés divers dans presque tout le Maghreb (Menter Sahinler, Origine, influence et actualité du kémalisme, Publisud, Paris, 1995, p. 148).

[6] J. Desparmet, La chanson d’Alger pendant la grande guerre, in Revue Africaine, n° 73, 1932, p. 54.

[7] C’est ainsi qu’en novembre 1911, des Algériens de la ville d’Oran lancent par l’intermédiaire du journal El Hack une souscription en faveur des soldats ottomans blessés lors du conflit italo – turc à propos de la Tripolitaine. L’opération est suivie également à Alger avec le journal L’Islam et par des chefs religieux pour le Constantinois. Elle a permis de réunir la somme de 410 000 francs de l’époque (Charles – Robert Ageron, Les Musulmans algériens et la France – 1871 – 1919 -, PUF, Paris, 1968, tome II, p. 1044). Cette solidarité a toutefois été interprétée comme un dérivatif pour des opinions publiques frustrées. (Voir Menter Sahinler, Origine…, op. cit., p. 148).

[8] Ali Mérad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Mouton & C°, Paris – La Haye, 1967, p. 50. Il y a lieu néanmoins de rappeler que l’Empire ottoman a été pendant plus de quatre siècles le seul représentant de l’Islam du Maroc à la Chine (Thierry Zarcone, La Turquie moderne et l’Islam, Flammarion, 2004, p. 8), fait auquel il faut ajouter que depuis la fin du XVIIIe siècle, le Calife est reconnu comme le seul représentant de la communauté musulmane de l’Asie centrale jusqu’au sud-est asiatique en passant par l’Inde (T. Zarcone, La Turquie, op. cit., p. 39). C’est cet ensemble de facteurs qui a certainement contribué à marquer durablement les esprits en Algérie et qui explique quelque peu cette attitude.

[9] A. Mérad, La turcophilie dans le débat national en Algérie au début du siècle (1911 – 1918), in Revue d’Histoire Maghrébine, n° 31 – 32, décembre 1983, Tunis, p. 387 et suiv.

[10] J. Desparmet, La turcophilie en Algérie, in Bulletin de la Société de Géographie d’Alger et de l’Afrique du Nord, XXIIème année, 1917, p. 68.

[11] L’émigration des Musulmans algériens vers l’Orient commence dès les premières années de l’occupation coloniale. Les causes sont, aux dires des intéressés eux-mêmes, la misère (les causes économiques sont reconnues par les autorités françaises elles-mêmes (voir Note du Ministère des Affaires Etrangères du 29 décembre 1911, Archives du Ministère des Affaires Etrangères, série Turquie, volume Syrie – Liban, citée par P. Bardin, Algériens et Tunisiens dans l’Empire ottoman, CNRS, Paris, 1979, p. 169) à la suite de plusieurs années de mauvaise récolte, les exactions des Français, la lourdeur des impôts, l’obligation d’apprendre le français et de négliger l’étude de l’arabe ainsi que pour ne plus vivre au contact des Chrétiens car l’Algérie n’est plus terre d’Islam. Il faut aussi ajouter le refus de la conscription militaire et la volonté de s’affranchir de la domination française (Charles – Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France – 1871 – 19191 -, PUF, Paris, 1968, tome II, p. 1079 et suiv. ; Pierre Bardin, Algériens et Tunisiens dans l’Empire ottoman de 1848 à 1914, CNRS, Paris, 1979, p. 5 et suiv. et p. 167 et suiv.). Cette émigration vers l’Orient va diminuer en nombre à partir de 1914 pour s’orienter vers la France métropolitaine et ne concerner que les hommes avec l’idée de retour au pays (R. Galissot, Problématique nationale des résistances maghrébines au XIXè siècle : interrogations d’histoire sociale à partir de l’exemple algérien, in Revue Algérienne des Sciences Juridiques Economiques et Politiques (Faculté de Droit d’Alger), vol. XX, n° 4, décembre 1983, p. 395). Elle est encouragée par les autorités françaises qui y voient une main d’œuvre précieuse en économie de guerre (C. – R. Ageron, Les Algériens…, op. cit., tome II, p. 1157).

[12] R. Galissot, Problématique nationale…, article précité, p. 381.

[13] Ainsi Mohammed Elkhedir Hussein, souvent présenté comme d’origine tunisienne mais en fait originaire de la région de Biskra, qui fut nommé secrétaire au Ministère de la Guerre turc (il fut même envoyé en mission officielle à Berlin où il séjourna plusieurs mois afin, semble-t-il, de préparer une insurrection populaire dans les pays du Maghreb contre la colonisation (‘Allâl al-Fâsî, al-Haraka al-istiqlâliyya fî-l-Maghrib al-‘arabî, Marrakech, 1948, p. 45). Après avoir été accusé d’avoir eu des relations avec des responsables d’un mouvement anti – ottoman en Syrie il est finalement acquitté par un tribunal en 1917 (Amar Hellal, Le mouvement réformiste algérien. Les hommes et l’histoire – 1831 – 1957 -, OPU, Alger, 2002, p. 47 et suiv.). Ce personnage, qui finit par s’installer au Caire, se fera remarquer encore lorsqu’il publiera un ouvrage intitulé Naqd kitâb al-Islâm wa usûl al-hukm (al-Salafiyya, Le Caire, 1926) pour réfuter celui de ‘Alî ‘Abd al-Râziq à propos du califat (Abdou Filali – Ansary, L’Islam et les fondements du pouvoir de ‘Alî ‘Abd ar-Râziq, CEDEJ, Paris, 1994. Introduction à la traduction, p. 7).

[14] Pour ne citer que les seuls enfants de l’Emir Abdelkader, notons que Mohieddin, fixé à Constantinople, est nommé général de division à titre honorifique et aide de camp du Sultan. Il sera également sénateur et membre fondateur d’une Association de fraternité arabo – ottomane (qui sera dissoute après les événements de 1909. Voir Souheil al-Khâldî, al-Ich ‘â’ al-maghribî fî-l Machriq. Dawr al-djâliyya al-djazâ’iriyya fî bilâd al-Châm, Dâr al-Umma, Alger, 1re éd., 1997, p. 118). Un autre fils de l’Emir, Abdelmalek fait carrière dans l’armée ottomane et atteint le grade de lieutenant-colonel avec le titre d’aide de camp du Sultan. Son sixième enfant, qui épouse la sœur de ‘Izzet Pacha, chambellan et favori du Sultan Abdülhamid, outre ses activités politiques, est chargé par la Porte d’organiser la résistance contre les Italiens en Tripolitaine (Pierre Bardin, Algériens et Tunisiens dans l’Empire ottoman, CNRS, Paris, 1979, p.).

[15] Mahfoud Smati, Les élites algériennes sous la colonisation, Dahlab, Alger, 1998, tome I, p. 257.

[16] C’est ainsi que parmi les premiers professeurs nommés à l’Ecole Supérieure de la Marine, fondée dans les années 1870 à Istanbul, figure un Algérien qui connaissait les langues européennes (A. Hourani, al-Fikr al-‘arabî fî ‘asr al-nahda 1798 – 1939. Trad. en arabe par Karîm ‘Azrîk, Diyâr al-nahâr li-nachr, Beyrouth, 2è éd., 1977, p. 61).

[17] Pour rester encore parmi les enfants de l’Emir Abdelkader, Mohammed (mort en 1913) est, comme son frère Mohieddin, sénateur de l’Empire. En 1913 le sixième garçon de l’Emir est président du Conseil Union et Progrès à Damas sous le gouvernement des Jeunes Turcs puis député et vice-président de la nouvelle Assemblée à Constantinople (Pierre Bardin, Algériens et Tunisiens dans l’Empire ottoman, CNRS, Paris, 1979, p).

[18] Abderrahmane Kiouane, Moments du mouvement national, Dahlab, Alger, 1999, p. 21.

[19] Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954 – 1962, Casbah éd., Alger, 2003, p. 40 – 41.

[20] Sur le mouvement des Jeunes Algériens voir Charles – Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871 – 1919), PUF, Paris, 1968, tome II, p. 1025 et suiv. ; Zahir Ihaddaden, Aux origines du mouvement « Jeunes Algériens ». Le journal « El Hack » d’Annaba (Bône), in Mélanges Charles Robert Ageron, Fondation Temmimi (FTERSI), Zaghouan (Tunisie), 1996 et in Regard sur l’histoire de l’Algérie, Les éditions al-Turâth, Alger, 2002, p. 73 et suiv.

[21] R. Galissot, Problématique nationale…, article précité, p. 382. Il semble que l’élite musulmane d’Algérie n’ait repris du parti des Jeunes Turcs que les aspects pratiques d’un mouvement d’opposition au pouvoir sans s’interroger sur l’idéologie sous-jacente qui animait la formation politique ottomane et qui divisait ses partisans entre occidentalistes et islamistes et qui ne pouvait intéresser que l’élite locale et celle de la seule société turque (Sur l’histoire de ce mouvement en Turquie voir Serif Mardin, Jön Türlklerin Siyasi Fikirleri 1895 – 1908, Iletisiim Yayinlari, Istanbul, 1983 ; Sükrü Hanioglu, The Young Turks in Opposition, Oxford University Press, New-York – Oxford, 1995).

[22] Si l’on se limite aux principaux personnages du mouvement national

[23] Nahas M. Mahieddin, L’influence des idées de Mustafa Kemal Atatürk sur l’élite politique et culturelle en Algérie durant la période de l’entre deux guerres (Communication présentée au cours du colloque sur Atatürk et la Turquie moderne organisé les 22 et 23 octobre 1998 par la Faculté des Sciences Politiques d’Ankara).

[24] Sur cet événement et les réactions des autorités ottomanes voir Ercümend Kuran, Fransa’nin Cezayir’e tecavüzü, 1827, in Istanbul Üniversitesi Edebiyat Fakültesi, Tarih Dergisi, tome III, 1953, p. 53 et Ercümend Kuran, Cezayirin Fransizlar tarafindan isgali karsisinda Osmanli siyaseti, 1827 – 1847, Publications de l’Université d’Istanbul, n° 731, Istanbul, 1957 (traduction en arabe par Abdeljelil Temimi, al-Siyâsa al-‘Uthmâniyya tijah al-ihtilâl al-firansî li-l-Djazâ’ir, 1827 – 1847, Tunis, 2e éd., 1974).

[25] La question de la nationalité des habitants d’Algérie a été une source de conflits entre les gouvernements ottoman et français et plus particulièrement pour ceux qui se sont établi dans d’autres régions de l’Empire (en Syrie notamment) après l’invasion coloniale (Pierre Bardin, Algériens et Tunisiens dans l’Empire ottoman de 1848 à 1914, CNRS, Paris, 1979, p. 27).

[26] Dans certaines correspondances les Musulmans d’Algérie sont parfois appelés turcs ou algériens turcs (Rapport du Consul de France à Damas daté du 11 juillet 1842, Archives de l’Ambassade de Constantinople cité in P. Bardin, Algériens…, op. cit., p. 34 note 12).

[27] C’est volontairement que nous omettons de mettre en relief les différentes phases de la résistance armée entre 1830 et 1954 et qui, d’ailleurs, ont été menées au début au nom de l’Islam contre l’envahisseur chrétien avant de prendre un caractère plus national. Il faut toutefois préciser que la résistance de l’Emir Abdelkader (1830 – 1847) avait pour objectif politique la mise en place d’un Etat islamique hors du passé donc temporel et moderne en rupture avec les expériences qui lui étaient contemporaines dans ce domaine (R. Galissot, Problématique nationale…, article précité, p. 388 et suiv.). Pour une analyse juridique du système constitutionnel mis en place par l’Emir Abdelkader, voir Fawzî Ûseddîk, al-Nidhâm al-dustûrî al-djazâ’irî. Dawlat al-Amîr ‘Abd al-Qâdir, OPU, Alger, 2e éd., 2003.

[28] L’idée de la construction d’un espace maghrébin n’est pas absente chez les nationalistes algériens qui déclarent dès la proclamation du 1er novembre 1954 comme but de guerre l’indépendance dans le cadre nord – africain même si dans la réalité, et malgré la création du Comité de Libération du Maghreb Arabe (CLMA) en 1948, l’idée ne voit jamais le jour. Il n’en demeure pas moins qu’il y a une réelle solidarité du Maroc, de la Tunisie et de la Libye avec les Algériens (non sans problèmes parfois) pendant la lutte de libération menée par le Front de Libération Nationale et par l’Armée de Libération Nationale contre l’armée française (Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN 1954 – 1962, Casbah éditions, Alger, 2003, p. 557 et suiv.).

[29] Non seulement pour des raisons religieuses et culturelles mais aussi en réaction avec la politique coloniale qui, dès les débuts de l’occupation du pays, ont agi dans la perspective de couper tout lien entre l’Algérie et l’Orient arabo — musulman. C’est ainsi que non seulement les liens intellectuels ne sont pas totalement rompus, mais il est surtout intéressant de signaler que certains Algériens (comme Omar Racim qui édite le journal al-Djazâ’ir en 1908) lisent non seulement des journaux publiés en Orient mais même ceux d’Asie centrale comme le journal Te gumen (Sâdeq Sellâm, Le cheikh el Oqbi au Cercle du Progrès. Un précurseur d’une « laïcité » islamique ?, in revue Naqd, Alger, 1998, n° 11, p. 22 du texte en langue arabe – notons que ce passage ne se retrouve pas dans la version en langue française de ce même article-) publié à partir de 1883 à Bah ¹isaraj (ville située à une trentaine de kilomètres au Nord Est de Sébastopol en Crimée), par le Tatar Ismaïl Bey Gaspraly (en russe Gasprinsky) (1851 – 1914), un panturc convaincu qui s’intéressait à l’ensemble du monde musulman de Russie et qui prônait une culture musulmane rénovée au contact de l’Occident à travers le modèle turc (Alexandre Bennigsen et Chantal Quelquejay, Les mouvements nationaux chez les Musulmans de Russie. Le « sultangaliévisme » au Tatarstan, Mouton & CO, Paris – La Haye, 1960, p. 39), ce qui montre aussi par quels itinéraires, parfois insoupçonnés, les idées arrivaient chez les intellectuels algériens de la fin du XIXème et du début du XXe siècle.

[30] Sur la statut des dhimmis en Droit musulman voir notamment Ibn Qayyim al-Djawziyya, Ahkâm ahl al-dhimma, présenté et annoté par Subhî al-Sâlih, tomes I et II, Dâr al-‘ilm li-l-malâyîn, Beyrouth, 3e éd., 1983 ; pour un exposé théorique et l’évolution historique de ce statut voir C. Cahen, s. v. Dhimma in Encyclopédie de l’Islam (2e éd.), tome II, p. 234.

[31] Il y a lieu d’ajouter, pour reprendre les propos de W. Barthold écrits en 1912, que pour un peuple privé de son indépendance politique, la religion est la seule expression possible de son unité nationale (cité in Alexandre Bennigsen et Chantal Quelquejay, Les mouvements nationaux chez les Musulmans de Russie, Mouton & CO, Paris — La Haye, 1960, p. 31, note 3).

[32] Ce n’est pas par hasard si parmi les premières décisions prises par l’autorité coloniale figure l’interdiction aux Musulmans d’Algérie d’invoquer le nom du Sultan ottoman au cours de la grande prière du vendredi (Jean Serres, La politique turque en Afrique du Nord sous la monarchie de Juillet, Librairie orientale P. Geuthner, Paris, 1925, p. 43.).

[33] Jean Serres, La politique turque…, op. cit., p. 132.

[34] Lettre rédigée en arabe et datée du 3 août 1837 (texte de cette lettre in A. Temimi, Le Beylik de Constantine et Hadj Ahmed Bey (1830 – 1837), Tunis, 1978, p. 255).

[35] A. Temimi, Le Beylik…, op. cit., p. 257.

[36] A. Temimi, Le Beylik…, op. cit., p. 256. On retrouve ce même loyalisme envers les autorités de l’Empire ottoman au sein de la population égyptienne et qui s’exprime d’ailleurs à travers la littérature (Voir Muhammad Husayn, al-Ittidjahât al-wataniyya fî-l-adab al-mu’âsir, tomes I et II, Le Caire, 1954).

[37] Certaines archives, notamment celles remontant à la seconde moitié du XVIIIè siècle confirment cette impression de relative autonomie de la Régence d’Alger vis a vis de Constantinople sur les plans politique et diplomatique malgré l’allégeance religieuse affirmée des autorités d’Alger envers le Sultan ottoman. Voir Ismet Terki – Hassaine, Relations entre Alger et Constantinople sous le gouvernement du Dey Mohamed Ben Othman Pacha (1766 – 1791) selon les sources espagnoles, Osmanli Tarihi Arastirma ve Uygulama Merkezi (OTAM), Ankara Üniversitesi, n° 5, 1994, p. 181. Cette situation peut être résumée en rapportant les propos du Dey ‘Alî Pâshâ Shâwush (1710 – 1718) aux autorités d’Istanbul, le Dey représente en même temps le Sultan et le Pouvoir algérien (inna al-Day yumatthilu al-Sultân wa-s-sulta al-djazâ’riyya ma‘an), point de vue accepté, semble-t-il, par le Sultan ottoman, ce qui permet à certains d’y voir une déclaration d’indépendance du pouvoir et du territoire algériens dont la population reste toutefois unie à l’Empire par des liens d’allégeance (à l’instar des dominions au sein du Commonwealth britannique par exemple) (Voir Ahmad Tawfîq al-Madanî, Muhammad ‘Uthmân Bâshâ, Day al-Djazâ’ir 1766 – 1791, al-Muassasa al-wataniyya li-l-kitâb, Alger, 1986, p. 48). Il faut néanmoins ajouter que certains Deys faisaient preuve d’une grande obéissance à La Porte comme ‘Omar Pâshâ (1815 – 1817) par exemple (A. Temimi, Le Beylik…, op. cit., p. 31) et que la solidarité des autorités d’Alger avec celles de Constantinople était réelle et se manifestait notamment par l’envoi d’unités de la flotte algérienne non seulement lors de chaque conflit où l’Empire ottoman était impliqué mais aussi en maintenant une pression quasi permanente sur les Etats chrétiens de la Méditerranée occidentale (Moulay Belhamissi, Marine et marins d’Alger (1518 – 1830), Bibliothèque Nationale d’Alger, 1996, tome II, p. 91 et suiv.).

[38] Jacques Simon, Messali Hadj (1898 – 1974), la passion de l’Algérie libre, Tisérias, Paris, 1998, p. 21 et suiv.

[39] B. Stora, Histoire de l’Algérie coloniale 1830 – 1954, ENAL — Rahma, Alger, 1996, p. 43.

[40] Yahyâ Bû’azîz, al-Mûdjaz fî tâ’rîkh al-Djazâ’ir, OPU, Alger, 1999, tome II, p. 259 et suiv. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’opposition à la venue des Turcs à Alger. Le gouvernement de l’Algérie n’échut à Hizir Reis après la mort de Baba Oruç et de son frère Ishak Reis qu’après une bataille contre les Arabes indigènes (Emin Oktay, Tarih. Lise III, Istanbul, Atlas Kitabevi, 1983, p. 99). Il y a eu même des alliances entre des Algériens (notamment les Zianides) et les Espagnols pour essayer de contrer les Ottomans (Abderrahmane al-Djilâlî, Tâ’rîkh al-Djazâ’ir al’âm, OPU, Alger, 1982, tome III, p. 47).

[41] Les Turcs, écrit l’historien Mahfoud Kaddache, ont évité au Maghreb une occupation espagnole qui aurait pu être néfaste à l’Islam et aux populations. Il n’y a qu’à rappeler ce qui est arrivé à la même époque aux populations indigènes d’Amérique du Sud (M. Kaddache, L’Algérie durant la période ottomane, OPU, Alger, 1991, p. 63). Dans le même sens, voir Ahmad Tawfîq al-Madanî, Muhammad ‘Uthmân Bâshâ…, op. cit., p. 22, note 1.

[42] B. Stora, Histoire…, op. cit., p. 13.

[43] Djamal Kharchi, Colonisation et politique d’assimilation en Algérie 1830 – 1962, Casbah éd., Alger, 2004, p. 105 et suiv.

[44] Pendant longtemps les Algériens ont pensé que l’homme providentiel allait venir de la Turquie pour les sauver de l’emprise coloniale (Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie coloniale 1830 – 1954, ENAL – Rahma, Alger, 1996, p. 13). On retrouve ce même espoir de délivrance par le Calife ottoman chez les militaires, les notables et les ‘ulamâ’égyptiens après la crise des années 1879 – 1882 qui se termine par la révolution de ‘Urâbî Pacha et l’occupation anglaise (Gilbert Delanoue, Les ‘ulamâ’d’Egypte et le califat (1800 – 1926) in Annales de l’autre Islam, INALCO, Paris, 1994, n° 2). En Egypte seul le parti al-Umma fondé en 1907 autour de Ahmad Lutfî al-Sayyid (1872 – 1963) et son journal al-Djarîda prônaient une opposition tant aux Anglais qu’aux panislamistes et aux pro-ottomans (G. Delanoué, Les ‘ulamâ’…, article précité).

[45] C’est volontairement que nous inversons en partie la formule de l’historien Mahfoud Kaddache qui écrit : l’Islam devient patrie et, tout en glorifiant le passé, l’histoire rend à ces fidèles confiance en l’avenir (M. Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, SNED, Alger, 1980, tome I, p.).

[46] Même si dans les sociétés musulmanes la raison a toujours été écartée au profit de l’orthodoxie découlant de l’enseignement religieux (Mohammed Arkoun, Positivisme et tradition dans une perspective islamique. Le cas du kémalisme, in Revue Diogène, n° 127, 1984).

[47] Claude Bontems, Manuel des institutions algériennes. De la domination turque à l’indépendance, Cujas, Paris, tome I, 1976, p. 107.

[48] L’expression est du Gouverneur Jules Cambon devant le Sénat français au cours de sa séance du 18 juin 1894, citée par Marcel Morand, Traité de Droit musulman, A. Jourdan, Alger, 1910, p. 101 note 1.

[49] M. Morand, Traité…, op. cit., p. 101.

[50] Abdelhamid Ibn Bâdîs, Journal al-Shihâb (avril 1936).

[51] Peyami Safa, écrit dans Türk Inkilâbina Bakislar, Kanaat Kitabevi, Ankara Kütüphanesi Tarih Serisi, 1re éd., 1938, p. 7 : La révolution d’Atatürk se fonde sur deux principes immuables, le nationalisme et l’occidentalisme, cité in Nilüfer Göle, Musulmanes et modernes, La Découverte, Paris, 2003, p. 55.

[52] B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas. Une autre Algérie, Casbah éd., Alger, 1995, p. 35.

[53] Nahas M. Mahieddin, Mustafa Kemal Atatürk dans la presse en Algérie durant la période coloniale. Communication présentée au cours du Colloque international sur Atatürk organisé par le Atatürk Arastirma Merkezi à l’Université de Lefkosa (République turque de Chypre du Nord), 1995.

[54] Cité par J. Simon, Messali…, op. cit., p. 33.

[55] Un siècle plus tôt un notable algérien, Hamdân Ben Othmân Khodja, haut fonctionnaire de l’Administration ottomane à Alger (mort à Istanbul en 1842) prônait la modernité et le libéralisme à partir des idéaux de la France des Lumières et considérait que les principes du régime politique islamique ne sont pas incompatibles avec le libéralisme européen qui est à la base des gouvernements représentatifs et républicains (H. Khodja, Le Miroir, Sindbad, Paris, 1985, préface de A. Djeghloul, p. 15). Il appelait aussi au dialogue entre la civilisation européenne et la civilisation musulmane tout en s’insurgeant contre ceux qui ont fermé la porte de l’ijtihâd en Islam (Muhammad al-‘Arbî al-Zubayrî, préface à la traduction arabe de ce même ouvrage al-Mir’ât, SNED, 2e éd., 1982, Alger, p. 22).

[56] Akil Aksan, Citations de Mustafa Kemal Atatürk, Ankara, 1981, p. 50.

[57] Ben Bâdîs étudie le Coran et la langue arabe et suit une formation supérieure à l’Université al-Zaytûna de Tunis. Sur la vie et l’œuvre de Ben Bâdîs, voir Ali Mérad, Ibn Badis, commentateur du Coran, SNED, Alger – Oran et P. Geuthner, Paris, 1971 ; A. Mérad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Mouton & C°, Paris – La Haye, 1967 ; Sabri Hizmetli, Cezayir Bagimsizlik Mücadelesi Önleri Bin Badis, Türkiye Diyanet Vakfi Yayinlari, Ankara, 1994.

[58] Cité par A. Mérad, Ibn Badis…, op. cit., p. 38.

[59] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 20.

[60] B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas…, op. cit., p. 58.

[61] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 50.

[62] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 55. Il faut comprendre à travers l’idée de civilisation un projet de transformation des institutions publiques, de celle du mode de vie, l’adoption des différentes connaissances scientifiques et technologiques, d’une nouvelle appréhension du monde et la nécessité d’admettre qu’il est en constante évolution (Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Calmann – Lévy, Paris, 1973).

[63] Cité in A. Mérad, Ibn Badis…, op. cit., p. 206.

[64] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 18.

[65] B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas…, op. cit., p. 216 – 217.

[66] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 42.

[67] J. Simon, Messali Hadj…, op. cit., p. 31.

[68] T. Zarcone, La Turquie, op. cit., p. 119.

[69] B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas…, op. cit., p. 69.

[70] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 41. Cette évolution de l’Orient vers l’Occident est une idée déjà avancée par Ziya Gökalp (idéologue du courant turquiste) dont la pensée tente de construire une modernisation sans rien renier de la tradition nationale (Taha Parla, Ziya Gökalp, Kemalizm ve Türkiye’de Korporatizm, Iletisim Yayinlari, Istanbul, 1989, p. 33, cité in N. Göle, Musulmanes…, op. cit., p. 33).

[71] Journal al-Shihâb, mai 1938, p. 61, cité par A. Mérad, Le réformisme…, op. cit., p. 377. Rashîd Ridâ, quoique partisan du maintien de l’institution califale, considérait le califat ottoman comme un califat de domination (taghallub) et donc périmé non pas parce que dépassé par le temps mais parce que non conforme à l’idéal qu’il s’en faisait à partir de la théorie traditionnelle des jurisconsultes musulmans. Aussi proposait-il d’organiser un séminaire destiné à former des docteurs parmi lesquels le calife serait choisi parce qu’il constatait qu’aucun souverain n’était digne d’accéder à cette fonction après sa suppression par Atatürk en 1924 (D. Sourdel, s. v. Khalîfa, in Encyclopédie de l’Islam (2e éd.), tome IV, p. 979).

[72] A. Mérad, Le réformisme…, op. cit., p. 374. C’est après le Premier Congrès Musulman de Jérusalem de décembre 1931 qu’Ibn Bâdîs adopte une attitude critique vis à vis des milieux panislamistes d’Orient (A. Mérad, id.)

[73] Journal al-Shihâb, novembre 1938, p. 130. Rappelons qu’en Algérie les chefs de confréries partisans du maraboutisme se sont retirés de l’Association des Uléma Musulmans d’Algérie dirigée par Ben Badis et ont fondé en septembre 1932 une association concurrente dénommée l’Association des Uléma Sunnites dissoute par l’Administration en novembre 1935 (Sâdeq Sellâm, Le cheikh el-Oqbi au Cercle du Progrès. Un précurseur d’une « laïcité » islamique ?, in revue Naqd, Alger, 1998, n° 11, p. 88 et suiv. du texte en langue française).

[74] Ben Bâdîs ne manque pas non plus de rendre hommage aux mérites de Mustafa Kemal pour bien montrer son désaccord avec les théoriciens du panislamisme (A. Mérad, Le réformisme…, op. cit., p. 374 et suiv.).

[75] Après la mise en place de la Grande Assemblée à Ankara, le Shaykhu-l-Islâm fidèle au Sultan ottoman promulgue en 1920 une fatwâ qui qualifie Mustafa Kemal et ses partisans d’ennemis de Dieu. Celui-ci réplique en faisant promulguer cinq fatwâs ratifiées par des muftis rassemblés dans une mosquée d’Ankara et par lesquelles le Sultan est déclaré irresponsable tout en appelant au djihâd contre les ennemis de la nation (T. Zarcone, La Turquie, op. cit., p. 119).

[76] Xavier Jacob, L’enseignement religieux dans la Turquie moderne, p. 68, cité in T. Zarcone, La Turquie, op. cit., p. 125. Mustafa Kemal déclare dans un discours en 1930 que la religion est une institution indispensable. Une nation sans religion ne peut espérer la continuité… mais il ne faut pas laisser les fanatiques l’exploiter (Ali Kiliç, Atatürk’ün Hususiyetleri, Ankara, 1960, p. 116, cité in Ethem Ruhi Figlali, Atatürk, la religion et la laïcité, in Manuel de la pensée kémaliste, Centre de Recherche Atatürk, Ankara, 2002, p. 125).

[77] Pour les réformistes algériens, l’objectif était en effet de lutter contre la forme conservatrice de la culture et de l’enseignement hérités du modèle musulman moyenâgeux en adoptant les méthodes modernes susceptibles de dynamiser l’Islam et adopter les techniques du monde moderne.

[78] Dans un ouvrage sur Ibn ‘Arabi paru en 1923, le philosophe turc Mehmed Ali Ayni (mort en 1945) octroie ce titre à Mustafa Kemal (T. Zarcone, La Turquie…, op. cit., p. 122).

[79] T. Zarcone, La Turquie…, op. cit., p. 132. Sur la question de la religion et de la laïcité dans la pensée d’Atatürk, voir E. R. Figlali, Atatürk…, article précité, p. 121

[80] Il en est ainsi pour le principe de l’égalité des hommes et des femmes. En Algérie les journaux comme La Voix des Humbles publient des études sur la condition civile de la femme turque moderne alors qu’au Maroc le kémalisme soulève un scandale horrifié (Jacques Berque, Le Maghreb entre deux guerres, Le Seuil, Paris, 1970, p. 190.). Sur le statut de la femme et l’évolution de sa situation sociale en Turquie, voir Sabine Dirks, La famille musulmane turque, Mouton, Paris – La Haye, 1969 ; Emel Dogramaci, Women in Turkey and the New Millennium, Atatürk Research Centre, Ankara, 2000.

[81] A. Mérad, Le réformisme…, op. cit., p. 319.

[82] Hammadi Safi, Abdel Hamid Ben Badis entre les exigences du dogme et la contrainte de la modernité, in Penseurs maghrébins contemporains sous la direction de Abdou Filali Ansary, Eddif, Casablanca, 1993, p. 73 et suiv.

[83] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 47.

[84] Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, p. 22, cité par B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas…, op. cit., p. 85.

[85] Rappelons que l’influence d’Atatürk a été réelle sur l’élite intellectuelle et politique de plusieurs pays du Tiers Monde (Voir Turhan Feyzioglu, Un libérateur et un modernisateur génial Kemal Atatürk, Centre de Recherche Atatürk, Ankara, 1987, p. 5 et suiv.).

[86] A. Aksan, Citations…, op. cit., p. 124.

[87] En effet la solidarité turque pendant la guerre de libération nationale algérienne (qualifiée de légère et peu importante par G. Meynier, Histoire…, op. cit., p. 587) n’a pas fait défaut malgré l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et donc alliée objectivement à la France alors en guerre contre l’Algérie. A l’époque (novembre 1957) le Premier ministre turc Adnan Menderes a ordonné d’expédier secrètement des armes à la résistance algérienne via le port de Tripoli en Libye. L’opération a été menée sous le commandement du général turc Naci Sezen. (E. Kuran, La guerre de libération nationale de l’Algérie vue par le quotidien turc Cumhuriyet – 1954 – 62 -, in Le retentissement de la révolution algérienne, ENAL – GAM, Alger, 1985, p. 213.) et semble faire suite aux demandes des Algériens en ravitaillement et en matériel (G. Meynier, Histoire…, op. cit., p. 587).

 

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