Insaniyat N° 25-26 | L'Algérie avant et après 1954 | p.143-158 | Texte intégral
Two accounts from the Biographical Dictionary of the workers Movement in Algeria Abstract: The first account focuses on the National Revolutionary Party, told by Sid- Ahmed Belarbi/Boualem, a worker cobbler in Algiers, then tramway driver, CGTU militant and Young Communist since the campaign against the war for the Rif… After the Arab Workers Congress in Algiers (1930), he starts a tentative for a National Revolutionary Party. Its success in the Belcourt district remains a point of political encounter and a place bearing witness until the years of the national liberation war. Key Words : Biographies - Sid Ahmed Belarbi/Boualem - Emilie Busquant - Messali - National Revolutionary Party - ENA (North African Star) - PPA (Algerian People’s Party) - MTLD (Movement for Democratic Triumph) - communist party - workers movement - Algeria. |
René GALLISSOT : Historien, professeur émérite, IME-Université de Paris VIII.
Enfin, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : Algérie, va bientôt paraître, sur le modèle du « Maitron ». Historien français de l’anarchisme, Jean Maitron a lancé la série des Dictionnaires biographiques du mouvement ouvrier, et m’a chargé des volumes Maghreb. Le volume Maroc est paru aux Éditions de l’Atelier (anciennement Éditions ouvrières), à Paris, en 1998. Algérie est en cours d’achèvement.
Pour éclairer la tentative d’un Parti national révolutionnaire (PNR) au début des années 1930, je soumets à lecture la notice de celui qui est connu sous le pseudonyme militant de Boualem. La biographie de Sid-Ahmed Belarbi est un bon exemple de l’effort que représente le Dictionnaire tant dans sa préparation que par la volonté de lier un itinéraire à l’histoire sociale totale, en l’occurrence, celle du syndicalisme et du communisme, et, de ce fait, à une appréhension sociologique du mouvement national.
Le travail s’appuie sur une recherche directe, non seulement dans les archives de police et la presse le plus souvent, mais aussi sur les témoignages recueillis – ici le témoignage de Belarbi/Boualem lui-même enregistré par Ahmed Taleb-Bendiab. À partir des matériaux recueillis, en collaboration, Amar Benamrouche a procédé à une première recomposition suivie. Les sources, qu’elles soient écrites ou orales, ne deviennent histoire que par la critique des préjugés énonciateurs et des catégories en usage, l’analyse de discours, la confrontation et la mise en perspective. Le PNR comme il est rappelé à la fin, est devenu un mythe d’origine d’un nationalisme ouvrier révolutionnaire. Pour ce qui est de la compréhension en sciences sociales, je persiste à dire qu’il n’y a qu’une « science sociale » qui est la sociologie historique, quelles que soient les disciplines d’approche, les protocoles méthodologiques, des sciences auxiliaires donc.
La notice consacrée à Émilie Busquant ne manifeste pas seulement l’entrelacs de son itinéraire et les mises à distance, mais se trouve révélatrice du caractère outrageusement masculin du mouvement national ; encore Émilie Busquant a-t‘elle une part dans l’ombre.
N.B. : un nom propre marqué d’un signe* renvoie à une notice du Dictionnaire, exemple Amar Ouzegane*….
Belarbi Sid-Ahmed, dit Boualem
Fils de muphti de Miliana, à Alger ouvrier cordonnier puis conducteur de tramway, militant de la CGTU et des Jeunesses communistes depuis la campagne contre la guerre du Rif, premier « indigène » à devenir secrétaire de la Région communiste d’Algérie ; animateur de la grève des éboueurs en 1927 ; délégué au congrès de l’I.C. à Moscou en 1928, élève de l’École d’Orient ; après le Congrès des ouvriers arabes à Alger (1930), lance la tentative d’un Parti Nationaliste Révolutionnaire en 1931-1933 ; son tabac du quartier Belcourt reste un point de fréquentation politique et un lieu-témoin jusqu’aux années de la guerre de libération nationale et après.
Né à Miliana le 14 février 1905, Sid-Ahmed Belarbi appartient à une famille citadine peu fortunée mais de notabilité religieuse musulmane sunnite sous le beylik ottoman, d’où le prénom de révérence Sid Ahmed. Son père, avec approbation coloniale ménageant les hommes de religion, était muphti de la ville. Il était aussi le chef spirituel local de la confrérie des Kadiriya, confrérie élitiste implantée fortement dans l’ouest de l’Afrique du Nord et dont l’émir Abdelkader est une haute illustration. Le grand-père maternel Benaouda fut au service d’Abdelkader qui le prit comme bachagha (adjoint chargé d’un commandement régional) quand il organisa son État ; l’arrière grand-mère maternelle se trouvait dans la smala de l’Émir. Le jeune Sid Ahmed fut bercé par les récits de cet âge héroïque.
Plus que des offrandes et de la portion congrue de muphti, la famille Belarbi devait tirer ses ressources de l’artisanat, en particulier du cuir et de la cordonnerie. Sid Ahmed Belarbi fit l’apprentissage de cordonnier dans l’échoppe familiale tout en suivant l’école française. Éducation en arabe à la maison, en français à l’école, le jeune Belarbi sera bilingue. À Miliana, la puissance occupante française soutenait la montée des Bensiam, propriétaires fonciers au bénéfice de l’immatriculation des terres, et qui faisaient aussi fortune dans le commerce et des fonctions qui n’étaient pas qu’honorifiques, en mettant à profit les complaisances administratives. Ce que dénonçait le muphti, citant des versets coraniques contre les fortunes mal acquises, « un péché qu’il fallait combattre », si l’on se fie aux souvenirs de Sid Ahmed Belarbi enregistrés par l’historien A. Taleb-Bendiab, soixante ans plus tard au quartier de Belcourt à Alger dans son tabac où ce vétéran continuait à habiter.
En effet en 1919, l’administration coloniale déplace le père Belarbi en le nommant muphti adjoint de la mosquée de Sidi-M’hamed à Belcourt où arrive une grande part de la famille. Tant il s’intègre rapidement à ce quartier de circulation dans le bas d’Alger, assez proche de la gare, comprenant garages et entrepôts, mais se construisant vite pour loger petits blancs européens et travailleurs blédards et souvent kabyles arrivants s’employer dans le grand Alger, dès sa quinzaine d’années, le jeune Belarbi est un « jeune de Belcourt ». À Alger, il poursuit son instruction jusqu’au brevet élémentaire à l’école appelée Sarrouy dans la Casbah qui est certes éloignée mais accueille plus facilement les « indigènes » nouveaux arrivants ; nombre de futurs militants nationalistes sont passés et passeront par cette école. Il commence par travailler à l’atelier de cordonnerie qui emploie une dizaine de personnes, que son frère aîné a installé, rue Marengo au centre d’Alger. Non sans peine, il finit par entrer en 1924 au CFRA, les Chemins de fer sur route de la Région d’Alger qui deviendront ensuite les Tramways d’Alger (T.A.) avant d’entrer bien plus tard dans la Régie des transports urbains ; Sid Ahmed Belarbi devient wattman (conducteur de tram) dans cette compagnie, encore privée, de plus d’un millier d’ouvriers et employés, une des plus grosses concentrations de travailleurs, principalement venant de Kabylie, à Alger. Il adhère à la CGTU comme beaucoup de traminots car l’activisme militant des jeunes syndicalistes communistes est ouvert aux travailleurs algériens et parle d’émancipation des colonies.
Sid-Ahmed Belarbi se trouve aussi entraîné dans les manifestations où la participation, fut-elle serrée, vient du soutien de la CGTU, lors de la campagne que les Jeunesses communistes conduisent contre la guerre du Rif et de Syrie, exaltant notamment Abdelkrim et l’action des communistes jusque la grève, en France. L’orateur de choc des Jeunesses communistes, Jacques Doriot* vient à Alger en 1925 tenir un discours dans une grande salle devant le port, sur les lieux où sera construit cinq ans plus tard l’hôtel Aletti de triomphale et sinistre gloire coloniale. Le rassemblement se prolonge par une marche dans les rues d’Alger. « Ce qui est frappant dans ce meeting et cette marche, se souvient A. Belarbi, c’est qu’il y avait une majorité d’Algériens ». Jacques Doriot est rapidement refoulé, et les arrestations et inculpations tombent : 351 arrestations pour toute l’Algérie et 137 condamnations à de lourdes peines. En 1926-1927, A. Belarbi passe des Jeunesses communistes au secrétariat central de la Région communiste d’Algérie qui tient lieu de Bureau politique. L’instructeur des Jeunesses communistes en Algérie envoyé de Paris en 1926, était alors Edouard Cormon* qui écrit dans La Lutte sociale sous le double pseudonyme de Jacques et Jacques Péraud ; dynamique, il va réorganiser le secrétariat de la Région communiste ; Boualem sera son adjoint. C’est en effet pour échapper à la répression, que Sid Ahmed Belarbi devient Boualem ; il gardera à tout jamais ce surnom. La répression redouble quand le ministre français des colonies, le radical-socialiste Albert Sarrault s’exclame dans un discours à Constantine : « le communisme, voilà l’ennemi », dénonçant comme toute la propagande coloniale et patriotique française depuis la révolution soviétique, la collusion du bolchevisme, du panislamisme et du panarabisme.
Alors que la Région communiste est en déperdition d’effectifs et s’épuise dans un volontarisme radical, c’est ce Boualem qui a animé la grève des éboueurs de la ville d’Alger en 1927. Grève lancée par la CGTU, les communistes y ont les premiers rôles auprès de ces immigrants Chaamba sahariens, généralement membres de la confrérie tidjani, abrités dans le même fondouk de la Casbah. Le succès de la grève qui est reconduite sur une dizaine de jours, fait aussi la promotion de Boualem. En juin 1928, la conférence de Région lui donne statutairement le titre de secrétaire de la Région communiste qui pour la première fois en Algérie, revient à un Algérien, mais en partageant la fonction, en bonne entente reconnaît Boualem : E. Cormon reste lui aussi secrétaire. Cette pratique se retrouvera ensuite au PCA jusque dans les années 1950. E. Cormon est rappelé à Paris en 1929 pour entrer à l’administration de l’Humanité, ce qui lui vaudra dans l’imbroglio des difficultés financières, d’être exclu du Parti en 1931 au motif avancé en interne de « malversations ». Curieusement il poursuivra son expérience coloniale en Algérie comme colon à Staouéli (voir à son nom et au nom de son beau-frère Garaud* qui fut lui aussi communiste d’Algérie).
Les directives de l’Internationale communiste sont de promouvoir dans le parti de jeunes nationaux qui se distinguent par leur militantisme et de les envoyer à l’école de Moscou. Boualem est délégué au congrès de l’Internationale communiste qui se tient à Moscou dans l’été 1928 ; il intervient sous le pseudonyme d’Abderrahmane, le nom du saint patron d’Alger, et plaide pour la relance de l’action anticolonialiste en Tunisie et en Algérie. Il reste à Moscou plusieurs mois en stage à l’École d’Orient. Au retour en 1929, il passe par Paris et participe aux discussions du Parti communiste sur la reprise de l’Étoile Nord-Africaine, de fait affaiblie par la répression. Messali* tire à lui l’organisation ; les communistes veulent la ressaisir par la CGTU et lui donner prolongement en Algérie. C’est la mission dont sont chargés Ahcène Issad*, Mohamed Marouf* et Youbi* qui passent en Algérie, mais sont aussitôt arrêtés et internés dans le sud. La syndicalisation est cependant relancée, y compris celle des ouvriers agricoles. L’implantation chez les traminots s’élargit, et un mouvement de grèves entraîne les ouvriers des chantiers, les mineurs et à plusieurs reprises les dockers notamment des ports d’Oranie. À travers des saisies, la CGTU s’évertue à diffuser sa presse avec des pages en arabe : L’Algérie ouvrière ou L’ouvrier algérien, plus tard El Amel (L’espoir). Mais la répression est la plus forte et interdit la perspective de former une confédération syndicale proprement algérienne.
C’est du projet politique d’autonomiser le mouvement communiste en parti algérien dont est chargé Boualem Belarbi. La direction de l’Internationale communiste en 1930, quelque peu dans le vide ou par fuite en avant dans cette période dure, lance l’idée d’une Fédération arabe, des nations arabes, mais à commencer par une fédération non seulement des syndicats mais des partis communistes arabes ; cette vision arabe concerne toute la région de l’Orient où elle peut s’appuyer sur le parti communiste de Palestine ; au Maghreb, elle escompte une base possible en Algérie. Dans sa stratégie du bloc ouvrier et paysan, elle lance le mot d’ordre révolutionnaire hallucinant de « gouvernement ouvrier et paysan » tant à Jérusalem qu’à Alger.
Il reste que deux « congrès des ouvriers arabes » se sont tenus, un assez nombreux à Haïfa à l’heure de la grève en Palestine, le second en modèle réduit à Alger. En pleine célébration du centenaire de la conquête de 1830, faute de pouvoir obtenir la Bourse du travail, c’est dans le garage du communiste René Cazala* à Bab el Oued que s’est tenu semi-clandestinement le 15 juin 1930, ce congrès des ouvriers arabes d’Algérie. Entre les sources policières et les souvenirs tardifs, le nombre des assistants varie de la trentaine à la soixantaine ; il a peut-être varié dans la journée suivant le cours des discussions. Boualem s’en tient à la version défendue par le secrétariat de la Région communiste : 69 délégués censés être arabes, 6 délégués européens, venant au total de 14 villes, pour une quinzaine de professions représentées. Comme ce sont les responsables syndicalistes activistes de la CGTU qui font nombre, le vote aurait été unanime pour transformer la CGTU en CGTA. Les réticences et les oppositions s’exprimeront après, notamment chez les cheminots et les postiers européens, c’est-à-dire citoyens français, fussent-ils communistes ; la Fédération des cheminots de la CGTUcompte près de 60 % syndiqués « Européens », et la CGT rivale, très socialiste française, a en outre beaucoup plus d’adhérents.
Conformément à la ligne de l’Internationale communiste, est approuvé un Manifeste aux ouvriers et paysans d’Algérie, réclamant en particulier, outre la suppression du code de l’indigénat, une Assemblée populaire élue au suffrage universel et une réforme agraire, ce qui est inscrit au programme communiste en 1924 et reconduit dans celui de l’ENA depuis 1926. Le projet de parti communiste algérien dans une perspective de fédération arabe semble être resté en suspens. Des oppositions répétées parmi les communistes français (voir par exemple au nom de Seiss*) aggravent la crise de la Région communiste qui perd ses militants. Si la CGTU conserve de l’ordre de 10 000 adhérents, les syndiqués notamment algériens ne sont pas inscrits au Parti et le nombre des communistes en Algérie tombe aux premières centaines, peut-être moins de deux cents. S’ajoutent les soupçons et les accusations sur l’action des dirigeants qui répercutent en Algérie, sans rien y comprendre, l’affaire de l’élimination interne à la tête du Parti à Paris que l’on appelle affaire ou groupe Barbé-Célor. (Voir au nom de Barthel* pour les effets sur la Commission coloniale). Le secrétaire de Région Boualem est pris dans ces conflits en vase clos qui tournent à la mise en cause personnelle.
Selon ses souvenirs, une lettre d’accusation pour « déviation nationaliste » aurait été adressée au secrétariat de l’Internationale communiste à Moscou ; convoqué, Boualem aurait été chapitré vertement par André Marty*. Celui-ci est en 1931, délégué du P.C. français auprès de l’exécutif de l’I.C. et soutient au reste la dénonciation de ce qu’il appelle le travail fractionnel de Barbé ; il reviendra à Moscou en l’été 1932 pour prendre place officiellement au Comité exécutif de l’I.C. Or sous le nom déformé en Ahmed Bellardi, Boualem/Belarbi figure, pour un deuxième stage donc, sur les listes de l’École d’Orient à Moscou ; rien ne prouve qu’il ait suivi les cours, mais il peut avoir une nouvelle fois séjourné à Moscou. En tout cas, Bélarbi/Boualem est toujours considéré comme le premier dirigeant de la Région communiste d’Algérie ; il participe au Congrès du parti communiste à Paris en mars 1932 et intervient sous le nom d’Ahmed, transformé en Achmed, et il est porté sur la liste des membres du Comité central (et non pas en 1929 à St. Denis comme il l’affirme dans ses souvenirs). En mai 1933, étant encore secrétaire de la Région communiste, il conduit l’envoyé de Paris du Bureau politique, Maurice Thorez dans une tournée à l’Est de la Mitidja notamment à l’Arbaa et Tablat.
En 1931-1932, les orientations de l’I.C. – et André Marty peut en rajouter en dureté –, sont encore acquises à la lutte classe contre classe qui se traduit par une dénonciation outrancière des réformistes ce qui veut dire socialistes ou sociaux-démocrates de la IIe internationale comme en Allemagne, et nationalistes réformistes dans les pays dominés, comme le parti du Congrès en Inde ou le Wafd en Egypte ; rien à voir donc avec le réformisme musulman et le mouvement des Oulémas en Algérie qui n’en est qu’à ses débuts. Par contre l’Internationale communiste encourage l’alliance avec les partis nationalistes révolutionnaires et soutient leur constitution. En Algérie, alors que la Région communiste se décompose ou tourne le dos à une fédération communiste des partis arabes, l’idée demeure d’avoir un équivalent de l’Étoile Nord-africaine, et les communistes algériens comme les frères Badsi* à Tlemcen et jusqu’à Oujda, diffusent El Ouma, épisodique journal de l’ENA que Messali* tente de relancer en région parisienne en prenant ses distances avec le Parti communiste.
Plus qu’à la Région communiste, semble-t-il, Boualem se consacre alors à la mise en place d’un Parti nationaliste révolutionnaire (PNR), rassemblement algérien au-delà des communistes mais dont les communistes seraient le moteur. Boualem compte sur les traminots d’Alger fortement syndiqués à la CGTU derrière A. Mezerna* ; les réunions se tiennent chez A. Mezerna puis les liens semblent se nouer autour de Mohammed Mestoul* et la plaque tournante tenue par son atelier de serrurerie au 10 rue de Bône à Alger. La tentative d’implantation d’un PNR rallie des militants partisans communistes ou étoilistes de la Casbah, et a des échos à Boufarik et Blida, et peut-être dans l’Est. L’originalité de ce PNR en gestation est de reposer sur des comités de quartiers, qui n’ont peut-être existés que dans quelques lieux d’Alger, à nouveau ou déjà : Belcourt et la Casbah. Des délégués de quartiers, selon les témoignages oraux, auraient ainsi tenu une réunion constitutive à la Casbah le 17 mai 1933, établi le programme qui, outre l’abrogation du code de l’indigénat et l’émancipation de l’Afrique du Nord, aurait demandé la séparation de la religion et de l’État (ce que demandait aussi à l’époque l’Association des Oulémas), et l’instruction obligatoire en français et en arabe ; mais personne n’a jusqu’alors produit le texte original.
De 1933 à 1934, les références au PNR disparaissent. Quand A. Ferrat*, au titre de la Commission coloniale du Parti communiste, vient de Paris, au printemps 1934, tenter de remettre en marche la Région communiste d’Algérie, il semble que les relations avec Boualem aient été distantes. La campagne de discrédit dans le parti français et la Région communiste à l’égard de Ferrat au bénéfice de Maurice Thorez, va bientôt commencer et susciter des jugements rétroactifs (voir au nom de Barthel*) qui seront tenaces ensuite dans le PCA. En tout cas, à la Conférence communiste régionale d’Algérie qui se tient en mai 1934 à Kouba à l’Est d’Alger, Boualem n’appartient plus au secrétariat de Région, remplacé par Ben Ali Boukort*, et apparaissent outre M. Badsi*, M. Marouf*, de nouveaux promus : K. Belkaïm*, R. Dali-Bey*, A. Ouzegane*, pour une autre reconstitution du parti communiste. Dans son entretien des années 1970 avec l’historien israélien Emmanuel Sivan, André Ferrat* dit avoir écarté Boualem/Belarbi pour « incompétence » et par soupçon de liens avec la police. Pressé de rentrer à Paris, A. Ferrat fut en fait expéditif ; il passe à la promotion de jeunes dont il ignore la compétence alors que celle de Boualem est acquise. Cependant on peut s’interroger sur le fait que Si Belarbi/Boualem, fiché et suivi par la police, ait pu ouvrir un tabac ; ce qui ne peut se faire sans licence, et donc sous contrôle. Peut-être la contrepartie fut l’abandon de l’activité politique.
Boualem n’a pas démissionné pas plus qu’il n’a été exclu ; personne ne retiendra contre lui de manifestations d’anticommunisme ; son tabac de Belcourt demeure un lieu de rencontres et en ce sens de formation nationaliste entretenant une sensibilité au syndicalisme et aux liens avec le mouvement ouvrier. L’explication la plus simple de la disparition du PNR et du retrait de Boualem/Belarbi de l’action communiste est de constater que dans l’été 1933 commence l’implantation de l’ENA à Alger et en Algérie, conduite précisément par ceux qui avaient participé au projet du PNR : M. Mestoul* et A. Mezerna* en premiers, aidés par Salah Ghandi*, Rabah Moussaoui* Ahmed Yahiaoui* formés en émigration et envoyés de Paris par Messali ; il s’agit d’organiser l’Étoile Nord Africaine en Algérie dont les nouveaux statuts voulus par Messali interdisent la double appartenance avec le P.C. Boualem ne semble pas non plus entrer en messalisme et moins encore en célébration du Hadj.
Les traces du PNR sont très ténues dans les rapports de police, ce qui prouve que son activité fut quasiment insaisissable, voire qu’il n’a guère dépassé le travail de gestation. Par contre les témoignages d’après l’indépendance, deviennent débordants, en particulier ceux souvent changeants d’Amar Ouzegane*, et le surchargent. Les souvenirs de Boualem enregistrés en 1991 ne sont pas exempts de contradictions chronologiques, tout en étant honnêtement logiques. Surtout, un peu à la manière de la première Étoile Nord Africaine dont on a prêté la fondation à l’émir Khaled*, le PNR est devenu une référence largement mythique, pour trouver sinon un précurseur au syndicalisme national algérien, un exemple de conjonction de l’engagement nationaliste et d’une genèse à l’intérieur du mouvement ouvrier, en particulier pour la gauche du FLN et les communistes algériens critiques du PCF. Il est vrai que les jeunes nationalistes qui après 1945-1947 se retrouveront au MTLD-PPA ou à l’O.S. clandestine que l’on désigne comme « les jeunes de Belcourt », se réclameront de la fréquentation de Boualem ou de son exemple (voir à Mohammed Belouizdad*). Le vétéran Boualem aurait été le premier jeune de Belcourt.
Benamrouche et R. Gallissot
SOURCES : Arch. d’Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H18,19 e t20.-Arch. IRM, Paris, microfilms I.C., commission coloniale. – Interviews de Amar Ouzegane et Ben Ali Boukort par J.-L. Planche, Alger, 1976-1977. -Entretien enregistré de Si Bélarbi/Boualem et notes d’A. Taleb-Bendiab, Alger, avril 1991. -E. Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie. 1920-1962. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1976. -R. Gallissot (ed.), Mouvement ouvrier, communiseme et nationalismes dans le monde arabe, Éditions ouvrières, Paris, 1978.- M. Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, t.1, SNED, Alger, 1980.- B. Stora, Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, op. cit. -Omar Carlier, Entre nation et djihad, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995.-Collection Jean Maitron, Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, L’Atelier, Paris, 2001.
Busquant Émilie, dite Mme Messali
Née le 3 mars 1901 en France à Neuves-Maisons en Lorraine industrielle, morte à Alger le 2 octobre 1953 ; sa tombe est au cimetière de Neuves-Maisons. Compagne de Messali Hadj*; liée à son militantisme à Paris (CGTU-PC-Etoile Nord-Africaine) et à son action politique d’inspirateur du mouvement national algérien et d’organisateur du parti nationaliste dans l’immigration et en Algérie, de la nouvelle ENA, dissoute par le gouvernement de Front populaire (1937), au Parti du Peuple algérien, interdit en 1939 puis clandestin, au MTLD (1946) jusqu’à la crise de 1953. Les exils, les arrestations répétées, les périodes de détention, les longues assignations à résidence du leader nationaliste lui ont donné un rôle difficile d’intermédiaire dans les vicissitudes du parti messaliste, notamment en demeurant à La Bouzaréah au-dessus d’Alger, après la deuxième guerre mondiale jusqu’à sa mort, alors que Messali était éloigné et contesté dans son parti même.
Si la rencontre de Messali*, Ahmed Mesli, qui vient d’arriver de Tlemcen à Paris en octobre 1923 et d’Émilie Busquant provoque un coup de foudre – « J’étais attiré par la jeune fille comme par un aimant », écrira-t-il –, elle est aussi le recoupement de deux itinéraires sociaux, qui manifeste qu’à cette époque encore, en métropole plus facilement, la barrière coloniale n’était pas rédhibitoire. Fréquemment les soldats nord-africains pendant la guerre de 1914 et après, et le sergent Messali à Bordeaux en 1918-1919, sont accueillis dans des familles françaises ; il est vrai que le jeune sous-officier indigène fut éconduit par les parents d’une jeune fille de Bordeaux dans une demande de mariage. À Tlemcen, dès son adolescence de garçon apprenti en rupture d’école, Messali avait trouvé un foyer bienveillant dans la maison sans enfants d’un couple sensible aux autres par morale chrétienne protestante. Veuve de son mari dentiste, Mme Couthéoux, après Oran, était venue s’installer à Paris, rue du Repos, près du cimetière du Père Lachaise dans le XXe arrondissement. À 25 ans, Messali ne voyant pas d’avenir en Algérie, avait quitté définitivement son milieu familial en difficulté, pour faire sa vie en France. Deux jours après son arrivée, il se rend chez Mme Couthéoux, celle qu’après la perte de sa mère, il appelle sa seconde maman. Logeant dans la chambre voisine au fond du couloir, une jeune ouvrière orpheline arrivée de Lorraine, Émilie Busquant vient visiter, comme elle le fait souvent, Mme Couthéoux. C’est probablement une tante venue de Lorraine travailler à Paris et qui habite déjà au même étage qui a trouvé l’hébergement pour sa nièce.
Le père d’Émilie était ouvrier aux Hauts-fourneaux de Neuves-Maisons ; la vie est courte des hommes à la peine ; il laisse neuf enfants. Trois soeurs d’Émilie dont une est mariée, sont déjà au travail en région parisienne, habitant au Perreux. Après un premier emploi de cuisinière, Émilie Busquant est devenue vendeuse aux Magasins Réunis, les grands magasins qui occupent tout un côté de la place de la République. À ses débuts à Paris, Messali est employé comme manœuvre dans une usine textile du XXe arrondissement. Il n’y a pas de distance sociale ; dès 1924, Émilie et Messali vivent ensemble rue du Repos, au grand dépit de la tante, sans être mariés officiellement comme souvent les prolos et donc les migrants dans les villes. Mais dans les relations et plus encore dans la vie publique et politique, Émilie Busquant sera Madame Messali. Quand Messali Hadj sera vénéré comme le père du nationalisme, on entendra parler de sa femme comme de la « mère du peuple algérien », celle qui, avant les manifestations, cousait le drapeau algérien à déployer. En août 1925, Messali va présenter à son père et à la famille à Tlemcen, sa compagne Émilie ; on accepte tout de ce garçon qui a pris le large en ne se mariant pas au pays dans le giron familial des mariages croisés.
C’est au retour que Messali donne son adhésion au Parti communiste ; Émilie n’a jamais adhéré, peut-être parce qu’elle reste en second. Ensemble cependant, ils descendent à la Maison des syndicats de la rue de La Grange aux Belles qui abrite la CGTU et bien souvent les réunions de la Section nord-africaine de l’Union intercoloniale qui est à l’origine, en 1926, de l’Étoile Nord-Africaine. Les Messali se retrouvent souvent à Brunoy, chez Abdelkader Hadj-Ali* qui, lui a épousé une bretonne, et tient une quincaillerie, tout en étant le dirigeant communiste de l’ENA ; c’est A. Hadj-Ali qui fait de Messali son adjoint dès 1927 et en fait aussi un permanent de l’association au gré des allocations financières de la CGTU et de la Commission coloniale du parti communiste. Émilie Busquant partage cette vie militante et précaire d’autant que les liens se distendent avec le mouvement communiste. Cependant Messali semble conserver le petit logement que lui assure « La famille ouvrière, », coopérative de la CGTU, qui va avec le siège de l’ENA, rue du Marché des Patriarches au quartier latin, puis 49 rue de Bretagne. Au printemps 1930, Émilie Busquant donne naissance à un garçon : Ali. Pour le père qui se réjouit, 1930 marquera aussi la naissance en octobre du journal El Ouma (communauté/nation) avec le nom du directeur : Messali Hadj.
Émilie Busquant soutient les efforts de réorganisation de l’Étoile Nord-Africaine. Selon Messali dans ses mémoires (écrits au début des années 1970), c’est « avec la collaboration de son épouse », qu’il compose le rapport sur la situation de l’Algérie adressé à la Société des Nations à Genève en 1930. En fait, c’est Émilie qui écrit sous le propos de Messali qui ne se mettra que plus tard à la rédaction écrite en français. Le rapport sera repris ensuite dans les articles de protestation contre le Centenaire de la conquête de l’Algérie et en 1931 dans la contre-exposition de la CGTU pour dénoncer les fastes de l’Exposition coloniale. C’est de la nouvelle Étoile Nord-Africaine relancée comme parti indépendant en 1933, dont le siège est rue Daguerre dans le 14e arrondissement, que Messali devient maintenant un des deux permanents mal rétribués ; aussi il fait les marchés de la région parisienne, vendant principalement de la bonneterie. La petite famille vit encore sur le travail d’Émilie, qu’elle suspend cependant à la fin de 1934 ; elle devient alors tributaire des allocations du parti qu’incarne son compagnon.
La seconde assemblée générale annuelle de la nouvelle ENA se tient à la Maison des syndicats de Levallois-Perret, ville de forte immigration nord-africaine, le 5 août 1934 ; le drapeau algérien vert et blanc marqué d’une étoile et d’un croissant rouge qui est tendu derrière la tribune, est présenté comme l’œuvre de Mme Messali. Mais ce n’est pas la première apparition du drapeau algérien que les manifestants syndicaux déploient déjà le 1er Mai depuis 1919 et 1920 en Algérie et en France, puis dans les cortèges de la CGTU à partir de 1921. La répression frappe l’ENA, et Messali est arrêté le 1er novembre 1934 et interné à la prison de la Santé. Cette fois c’est bien pour la première fois que Mme Messali apparaît à la tribune, dans un meeting à la Mutualité pour demander la libération de l’emprisonné, le 22 novembre 1934, entre les avocats anticolonialistes André Berthon*, encore au Parti communiste, Jean Longuet, petit-fils de Marx, qui se situe dans la gauche de la SFIO, et le responsable de la Commission coloniale du parti communiste, André Ferrat *; c’est Amar Imache qui parle au nom de l’ENA ; il est aussi arrêté peu après. Messali ne sera libéré que le 1er Mai 1935. Mme Messali continue son service de lien et de représentation politique pendant que le dirigeant s’abrite à Genève avant de revenir à Paris à l’heure du Front populaire. A chaque retour, elle fait le point de l’organisation en commentant les notes qu’elle prend lors des contacts avec le cercle des fidèles politiques.
À l’entrée politique de Messali en Algérie, comme par effraction, au meeting du Congrès musulman, organisation parallèle du Front populaire et qui accepte le rattachement administratif de l’Algérie que Messali dénonce, le 2 août 1936, Émilie est du voyage et des déplacements dans le pays. Elle revient avec le jeune Ali pour la seconde campagne de l’été 1937. À Tlemcen lors d’un meeting, elle porte la contradiction à l’orateur du PCA qui est Amar Ouzegane*. Sa présence en Algérie devient autant dire définitive en s’installant dans un petit logement à Alger dans la cité Bish, rue de la Montagne, au-dessus des tournants de la rue Rovigo. ; un 2e enfant, une fille, Djenina, naît à Alger le 16 avril 1938. Présentée comme Mme Messali, Émilie redevient la figure de femme et de mère, cette fois du PPA, qui porte la résistance nationale algérienne à la répression coloniale. Messali est arrêté et condamné à deux ans de prison dès novembre 1937. Bien sûr Émilie conduit les visites des enfants à la prison Barberousse et participe aux actions de protestation ; elle est à la tête de la manifestation du 14 juillet 1939. Le PPA est interdit le 26 juillet 1939 ; cependant Messali sort de prison le 27 août, mais pour un mois seulement. À l’ouverture de la guerre avec l’Allemagne hitlérienne et l’Italie fasciste, fin septembre, avec d’autres responsables nationalistes, il est à nouveau emprisonné à la centrale de Maison Carrée (El Harrach), près d’Alger, comme les dirigeants communistes, car le PCA cette fois est lui aussi interdit. Il écarte les avances des autorités de Vichy qui gouvernent à Alger, et rejette la fraction des activistes d’Alger et les cadres du PPA qui entrent en collaboration avec l’Allemagne. Il est condamné le 17 mars 1941 à 16 ans de travaux forcés et envoyé au bagne de Lambèse. Émilie non seulement le visite, -et les enfants découvrent leur père boulets aux pieds-, apporte le panier aux condamnés, mais reprend son rôle d’intermédiaire politique et de lien avec les militants de l’entourage. À Alger, elle fait des travaux de couture pour une maison de fournitures militaires.
Messali quitte le camp de Lambèse en avril 1943 pour être assigné à résidence à Boghari, puis en plein Sahara à In Salah. Il est amené brièvement à Alger pour déposer en janvier 1944 devant la Commission de réformes. Celle-ci est mise en place par les nouvelles autorités françaises pour tourner le Manifeste rédigé par Ferhat Abbas et que soutient Messali. Il est aussitôt renvoyé longuement en résidence surveillée à Reibell (Chellala) où les contacts sont cependant plus faciles, avant d’être transféré pour prévenir une évasion, à El Goléa en avril 1945, puis à Brazzaville au Congo français. Si par la fréquence des visites, Émilie Busquant assure les relations familiales, son rôle d’intermédiaire politique diminue.
Ce sont les hommes politiques, Ferhat Abbas lui-même et les frères Boumendjel*, adhérents à l’UDMA, qui le rencontrent directement ; bientôt de jeunes militants intellectuels d’Algérie viennent se présenter. Ceux qui entourent Émilie, sont les anciens de l’ENA en France et ceux qui ont fait leurs premières armes dans le PPA qui a traversé la guerre. La levée en masse derrière les Amis du Manifeste lancé en mars 1944 qui renouvelle, dans l’ombre, le PPA, va constituer après la terrible répression de mai 1945, le parti nationaliste en Algérie : le MTLD. À partir de 1946, en rivalité avec le PCA, le parti participera aux élections, en particulier municipales, discute de la formation d’un front national avec les adeptes de Ferhat Abbas et les Oulémas, sans les communistes, tout en accueillant de jeunes activistes impatients de former une OS sur le modèle des partisans de la résistance antifasciste et des luttes de libération nationale. Messali est devenu le leader premier et populaire du mouvement national qui parle au nom du peuple musulman d’Algérie et fait écho au nationalisme arabe, quand il est libéré en étant ramené à Paris en juillet 1946. Il retrouve le concours des vétérans anticolonialistes formés au syndicalisme révolutionnaire, du groupe et de la revue La Révolution prolétarienne ; il est aussi autant dire pris en charge par les trotskystes du Parti communiste internationaliste (IVe Internationale) ; ses relations s’étendent aux dirigeants politiques du monde arabe et au delà.
Comme il reste interdit de séjour dans les villes d’Algérie et dans la ville proprement dite d’Alger, quand il rentre en octobre 1946, il s’établit dans une grande maison de La Bouzaréah comme on disait encore, au-dessus d’Alger. La première conférence des cadres du MTLD se tient là, et la maison est remplie par les longues rencontres de discussions politiques, renvoyant à la marge, la vie privée dont répond Émilie. Sortir au centre d’Alger avec Émilie, s’attabler pour prendre une bière dans un grand café, portent ombrage à la haute figure du chef, du Zaïm (guide) qui parle au nom de l’Ouma, la nation arabo-musulmane. C’est Émilie avec les enfants, qui reste en Algérie quand le leader politique drapé dans sa grande djellaba jetée sur son costume, se déplace. Dans l’été 1951, gagnant d’abord Paris, Messali comme pour justifier enfin la dénomination de Messali Hadj, fait le pèlerinage de La Mecque. ; il rencontre l’émir Abdelkrim au Caire ; mais plus encore se place auprès des dirigeants de la Ligue arabe qui sont des têtes couronnées et des princes. Il repasse en aoùt par La Bouzaréah puis revient en France assurer sa place de leader du nationalisme algérien arabo-musulman et d’interlocuteur des hommes politiques, en s’installant à l’Hôtel du Parc à Chantilly de novembre 1951 à février 1952. La vie à part est consommée. Messali Hadj revient en Algérie au printemps 1952 pour une tournée de meetings qui soulèvent des manifestations ; les forces armées coloniales tirent à Orléansville (Chlef) le 14 mai 1952. Messali est arrêté, transféré en France à Niort sur la côte atlantique. Selon la remarque de Marie-Victoire Louis, « son exil à Niort acheva la séparation ».
Dans le MTLD, monte la critique du culte de la personnalité et s’approfondit la crise qui met en cause la conception de la nation algérienne et aiguise la volonté de passer à l’action armée. Après l’élimination dès 1949, de ceux qui ont été désignés comme berbéristes et berbéro-marxistes et préconisaient une Algérie algérienne pluraliste à l’encontre d’une Algérie arabo-musulmane, par défiance intellectuelle aussi, la ligne de partage se porte vers une exclusivité de la nation qui correspondrait au peuple musulman, voire se raidit en un islamo-populisme qui fait passer pour un discours à usage externe, la tonalité de nationalisme marxisant qui n’appartiendrait qu’à Messali et à son entourage trotskiste. Mme. Messali reste une Française quand elle n’est pas perçue comme une étrangère. Certains qui font le voyage de Chantilly, suggèrent un autre mariage qu’avec une Française. Notamment, Ahmed Bouda, pourtant ancien de l’ENA, conduit une double bataille à la fois contre les centralistes du MTLD et contre la place encore accordée à Mme Messali. Pour être algérienne, Émilie devrait aller vivre avec ses enfants, à la Casbah.
Or Émilie est sans ressources autres que la mensualité assurée par le MTLD et qui vient à être contestée. Elle vit chichement avec les enfants, isolée dans la grande maison de La Bouzaréah doublement gardée par la police et les vigiles du parti ; les grandes pièces servent à longueur de temps aux conciliabules partisans. Le parti messaliste a deux sièges : pour les fidèles en Algérie à Bouzaréah, et en France autour même de la personne de Messali. Aussi Émilie Busquant quitte La Bouzaréah pour retrouver l’appartement de deux pièces de la rue de la Montagne à Alger. Elle qui écrivait encore dans une lettre de l’automne 1952 : « Je ne veux pas mourir avant de voir l’indépendance de l’Algérie », souhaite être enterrée à Neuves-Maisons. Hémiplégique, elle devient autant dire impotente ; elle entre en coma le 23 septembre 1953. Les autorités françaises refusent à Messali de venir pour ces derniers moments à Alger, sauf à lui faire signer un engagement de garantir le calme politique. Émilie Busquant meurt le jour où est prononcée cette interdiction, le 2 octobre 1953.
Le lendemain, son cercueil est exposé au Foyer civique qui est aussi la Bourse du travail au centre d’Alger. Un grand cortège de quelque 10 000 hommes et femmes peut-être, accompagne dans les rues, le transfert au port ; à l’appel de la CGT, les dockers observent un arrêt de travail de dix minutes. Aucun signe ou représentant religieux, seul le drapeau algérien sur le cercueil ; derrière la famille Messali et les enfants, les délégations du Comité central du MTLD, de l’Association des Oulémas, du PCA, -le PCF est représenté par Léon Feix*-, et derrière encore, les délégués de l’UDMA, de la CGT, d’Alger Républicain, de l’Algérie libre, de Liberté (PCA), de l’Association des femmes musulmanes d’Algérie (MTLD), de l’Union démocratique des femmes d’Algérie (PCA), des Scouts musulmans….L’hommage du Comité central du MTLD est prononcé par Mustapha Ferroukhi qui salue « la femme modèle aussi bien vis-à-vis de son compagnon et de ses enfants que de la cause algérienne ».
En France, le cercueil fut transporté par train, jusqu’à Pont Saint-Vincent avant de poursuivre en traversant la Moselle et de longer l’usine où avaient travaillé le père et les hommes de la famille ; une soeur mariée sur place, accueillait l’enterrement au cimetière de Neuves-Maisons, sans cérémonie religieuse mais en présence des délégations du PCF et du PCA, de la CGT, de la IVe internationale, et du MTLD. Messali qui avait refusé le car et l’escorte de police avec les menottes, était arrivé dans une voiture de l’administration sous la garde d’un policier en civil ; il évoqua la vie de l’ouvrière lorraine, les grèves, le compagnonnage au cours de sa vie et le soutien dans les longues périodes d’emprisonnement ; il conclut son adieu en saluant ce « symbole de l’union des peuples algérien et français dans leur lutte commune ». La tombe de Messali est à Tlemcen.
René Gallissot
SOURCES : Arch. du Ministère de la France d’Outre-mer, Paris, SLOTFOM, série 3. -Arch. d’Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H47 et 9H50. -Arch. Préfecture de police de Paris, rapport ENA 1934, rapport du 30 octobre 1935. – Mémoires de Messali, cahiers inédits, en particulier cahier n° 5 ; publication partielle : Les Mémoires de Messali Hadj, J.-C. Lattès, Paris, 1982. -L’Algérie libre, octobre 1953. – B. Stora, Messali Hadj (1898-1974) fondateur du mouvement nationaliste algérien. Thèse, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1978, et Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, op. cit. – S’appuyant sur de nombreux témoignages recueillis auprès des proches, Marie-Victoire Louis, « Madame Messali », Cahiers du GREMAMO, n° 7, Université de Paris VII, 1990, et « Busquant Émilie : Madame Messali », Parcours, n° 13-14, Paris, 1990, op. cit. – J. Simon, Messali Hadj (1898-1974). La passion de l’Algérie Libre, Éditions Tirésias, Paris, 1998.