Insaniyat N° 9 | 1999 | Maghreb : culture, altérité | p.45-53 | Texte intégral
The spanish language and intercultural hispano-maghrebin aspects Abstract : One often tends to omit the exceptional importance of Hispano-Maghrebin relations, even Hispano-Algerian ones, where the Spanish language constituted arabic ingredients, conveying a panoply of considerable socio-cultural arab-muslem aspects in our days. These cultural Hispano-Maghrebin interferences, inherited from a past and common history, have largely contributed to elaborating the nation of maghrebinity, marked for centuries by multiple political, economic, social, cultural and religious exchanges. |
Ahmed ABI-AYAD : Enseignant, l'Institut des Langues Etrangères, Université d'Oran, 31 000, Oran , Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
L’importance de la langue espagnole revêt pour nous un caractère tout à fait spécifique et capital pour approfondir notre conscience du passé et la connaissance de nos valeurs civilisationnelles, culturelles et historiques.
La langue espagnole devient donc, la passerelle incontournable, voir indispensable pour une approche sérieuse et rigoureuse de notre mémoire et de l’histoire des relations hispano-maghrébines voire algériennes qui ont occupé et dominé durant presque trois siècles tout l’espace méditerranéen avec au centre la puissante Alger comme capitale.
On ne saurait jamais, aujourd’hui, trop insister sur la valeur et l’intérêt de l’enseignement de l’espagnol, langue chargée d’ingrédients culturels et linguistiques arabes qui véhiculent un patrimoine scientifique important de la civilisation arabo-musulmane.
Si la didactique des langues nous apprend qu’on ne peut absolument pas dissocier l’enseignement et l’apprentissage de la langue de ses éléments constituants colporteurs de civilisation et culture, il est évident qu’on ne peut donc étudier l’espagnol et faire abstraction de tous les aspects d’interculturalité propres à une histoire commune.
Il est bon de rappeler que l’écrivain espagnol Juan Goytisolo, arabisant et grand connaisseur du monde arabe, faisait remarquer à ses compatriotes son indignation vis –à- vis du mépris espagnol enregistré à l’égard de la langue arabe en écrivant : « Je lutte déjà depuis plusieurs années pour faire connaître la culture arabe, parce qu’il me semble impardonnable l’oubli dans laquelle elle est soumise. On ne peut parler de la culture espagnole par exemple et ignorer qu’un de ses principaux ingrédients est l’Arabe. Il me paraît honteux la méconnaissance qui existe dans notre pays sur la culture arabe »[1].
De son côté, Waciny Larej, dans son roman «Alger la gardienne des ombres », a passé en revue le souvenir de Cervantes à Alger et nous a évoqué à travers le personnage de Hanna, tout l’héritage andalous et les différents rapports de l’interculturalité soulignant au passage l’importance de la langue espagnole et son patrimoine culturel : «Une inspiration me vint et je m’exprimai en langue espagnole, langue chérie de Hanna...» ou encore : «Vazquez de Cervantes ressemble à mon grand-père andalou qui a été contraint de quitter sa ville de lumière...[2] ».
Cette introduction sur l’importance et l’utilité considérable de la langue espagnole résume on ne peut mieux, tout l’intérêt que nous Maghrébins et notamment Algériens devons nous accorder à cet instrument linguistique qui doit forcément nous réconcilier d’une part avec nous-mêmes et d’autre part avec notre passé dont les rapports hispano-algériens et hispano-maghrébins remontent à plus de dix siècles sous l’impulsion d’échanges socio-culturels, politiques et économiques assez révélateurs de cette très significative interculturalité qui s’est forgée tout au long de cette période d’histoire commune et qui s’est même propagée d’une certaine manière à l’Amérique Latine avec les colons andalous ou Morisques [3] soumis à l’exil et l’expatriement forcé.
Pourquoi considérons-nous que la langue espagnole est une source d’interculturalité pour nous Maghrébins et Algériens appartenant à une Civilisation arabo-musulmane ?
Une première réponse toute simple consiste à dire que les «Arabes» ont dominé et répandu leur culture dans la péninsule Ibérique, c’est-à-dire l’Espagne et le Portugal durant plus de huit siècles et ont par conséquent laissé leurs empreintes et influences sur tous les aspects et secteurs de la vie des Espagnols jusqu’à nos jours.
Les Espagnols ont eux aussi dominé et occupé quelques places fortes dont Oran pendant environ trois siècles de 1504 à 1792, sans oublier les conflits constants en mer et les différents bombardements espagnols de la ville d’Alger[4] durant toute l’époque moderne marquée elle aussi par toutes sortes d’échanges et de communications entre les deux pays.
Tous ces rapports et liens entre ces deux régions et pays situés de part et d’autre de la Méditerranée ont marqué profondément la culture de l’autre et où les similitudes et comportements présentent souvent des caractéristiques communes aux deux peuples.
Outre ces interférences multiples, la péninsule ibérique a servi de relais transmetteur de cette culture prépondérante jusqu’en Amérique Latine en dépit de la grande hostilité de l’Eglise inquisitoriale qui a exercée toute sorte de répression atroce pour étouffer tout ce qui a relevé des mœurs et coutumes hispano-musulmans d’Al Andalus.
Cette transmission culturelle et influence arabo-musulmane opérée outre-mer en Amérique Latine a été soulignée par le Professeur mexicaine, Gloria Velázquez, qui dans son article intitulé[5] «Nos racines arabes » affirmait : «Jalisco[6] n’échappe pas à l’influence arabe, arrêtons-nous devant les maisons de Jalostitlan pour remarquer avec quel bonheur on peut associer l’ambiance de ce village avec celle de Cordoue ou Grenade, qui apparaissent dans quelques contes : des escaliers blanchis en forme d’escargot, des balcons orientaux, et, il y a quelques années, le voile couvrant le visage des femmes..., d’ailleurs, en nous promenant par ici à Guadalajara, au quartier de Santa Teresita, on découvrira les balcons morisques. Et que nous reste-t-il de la littérature arabe ? » se demande-t-elle.
Ce transfert de culture entre ces trois régions si lointaines et en même temps si proches est très significatif de l’importance des indices culturels inoubliables d’une si grande civilisation.
Il est peut être intéressant de rappeler ici que durant la prospérité et la splendeur d’Al Andalus, les communications et échanges avec le Maghreb étaient fort nombreux à tous les points de vue.
Évoquons l’exemple de Ibn Khaldun qui abandonna l’Espagne pour aller enseigner à Tlemcen, Bejaia et El Qayrawan.
Ce mouvement culturel, social et politique entre l’Espagne et le Maghreb fut expérimenté de manière fructueuse, continue et intense par deux villes historiquement importantes. En effet, Tlemcen et Grenade, deux centres attractifs, coopéraient étroitement et jouaient un rôle prépondérant dans le développement des idées et de la pensée scientifique dans tous les domaines.
Tlemcen, capitale du royaume des Beni Ziane, maintenait des liens très étroits avec Al Andalus et concrètement avec Grenade à l’époque des Nasrides. Ces contacts et échanges divers continuaient au-delà de l’époque moderne notamment avec l’arrivée des Morisques ou Andalous expulsés et expropriés de leur terre natale.
Ces relations contribuaient à l’enrichissement et au développement de la vie socio-culturelle depuis plusieurs siècles et facilitaient les mouvements des hommes, du savoir et de la connaissance vers d’autres villes aussi importantes que Fès, Bejaia, Constantine, Qayrawan, le Caire, etc. ...
L’exemple d’El Makkari est assez révélateur de ce courant culturel. Né à Tlemcen, il voyagea à Fès et à Grenade ensuite au Caire et durant ce parcours il véhicula partout des idées nouvelles qu’il intégra dans ses cours de sciences religieuses.
On peut même affirmer que les villes de Grenade, Fès, Tlemcen et Qayrawan, historiquement significatives, étaient le pivot des échanges socio-culturels médiévaux, qui ont forgé aujourd’hui cette interculturalité maghrébine commune que nous vivons au quotidien et qui a fait la prospérité de la vie culturelle et artistique des pays du Maghreb.
L’émigration andalouse n’a cessé à aucun moment d’enrichir la vie culturelle, artistique avec son apport scientifique et intellectuel. En effet, poètes, musiciens, artisans et intellectuels de grande renommée ont vécu à Tlemcen[7] qui, de nos jours, a conservé l’influence andalouse dans l’ornement de ses mosquées, dans l’artisanat, dans les coutumes, dans le mode de son parler, tout comme d’autres villes maghrébines, elle a veillé à la préservation de son patrimoine artistique et musical qui, depuis Al Andalus, s’est transmis vers l’Orient en passant par Fès, Alger, Bejaia, Constantine, Tunis, etc.
Sa réputation de grand centre du Maghreb par où passaient obligatoirement les caravanes de commerce, les intellectuels, les hommes de lettres et de sciences faisait d’elle la place incontournable où tout visiteur venait se ressourcer comme nous le rappelle à juste titre le célèbre géographe El Idrissi dans son livre : «La ville de Tlemcen peut être considérée comme la clé du Maghreb, car elle se trouve sur la grande route et on ne peut ni entrer dans le Maghreb occidental ni en sortir sans la traverser[8] ».
Mais il n’y a pas eu seulement la Péninsule ibérique et le Maghreb, qui jouissent de ses apports culturels réciproques, l’Amérique Latine, dont la langue fondamentale est l’espagnol, a hérité elle aussi de ses nombreuses influences sociales et artistiques andalouses transmises par les conquérants de l’Amérique à partir de 1492, et qui plus tard, devenaient les véritables colons des nouvelles terres et pays conquis avec une population morisque d’origine musulmane.
L’influence andalouse la plus significative de ces relations culturelles entre l’Orient, le Maghreb, l’Espagne et l’Occident, est illustrée majestueusement par l’exemple encore vivant du splendide art musical hérité par l’Amérique Latine et dont l’origine fut successivement, orientale, andalouse et maghrébine.
Autrement comment expliquer qu’on retrouve aujourd’hui au Mexique, au Venezuela, au Pérou, en Argentine, etc. beaucoup de traces et coutumes qui nous réfèrent à l’influence culturelle arabo-musulmane de l’époque de Al Andalus ?
Au Venezuela, l’influence arabo-andalouse apparaît manifestement dans le domaine musical qui remonte aux vestiges de la colonisation espagnole. Dans son article «La musique folklorique vénézuélienne et ses antécédents arabes » le Musicologue Rafael Salazar affirme que le substrat folklorique vénézuélien présente des mouvements mélodiques et des cadences andalouses. Cette influence artistique d’origine arabe se retrouve également dans les instruments de musique dans les formes de danse et structures poético-musicales souvent improvisées [9].
Rafael Salazar va plus loin dans sa recherche en faisant remarquer que certaines genres folkloriques musicaux vénézuéliens, tels que le fandango, le joropo, le cante jondo, proviennent des formes antiques de création arabes dénommées macam ou mode musical qui concordent avec l’improvisation au caractère modal.
Pour lui, certains chants religieux vénézuéliens sont imbibés de la Nouba arabe consacrée à la prière dans sa dimension cosmogonique. Ces indices artistiques sont très révélateurs de cette interculturalité tenace qui a bravé mers et montagnes pour aller se fixer à des milliers de kilomètres.
Par ailleurs le Paraguayen Alejandro Hamed Franco, d’origine arabe souligne que «la présence de la culture arabe au Chili est arrivée sans aucun doute avec les conquérants espagnols dont, selon les calculs, 33% étaient andalous ».
Au Pérou, nous retrouvons d’autres traces culturelles arabes transmises par les femmes musulmanes esclaves ramenées au continent latino-américain lors de la colonisation espagnole. L’Ambassadeur et Chercheur Jaime Caceres, qui a vécu à Alger comme diplomate de son pays met en exergue cet aspect d’interférence culturelle en affirmant : « mon travail de recherche historique consiste à prouver qu’au XVIème siècle il eut une présence morisque au Pérou. Un chapitre assez important fait référence aux femmes morisques qui arrivèrent en qualité d’esclaves blanches, mais qui après peu de temps et à cause de leurs grandes aptitudes elles furent libérées. Selon lui, elles accomplirent un rôle très important durant les premières années de la colonisation et ce qui est certain c’est qu’elles laissèrent des empreintes et indices ineffaçables dans l’art, les moeurs, la cuisine, la langue, les noms et même dans les traits physiques... ».
D’autres éléments et aspects culturels de la civilisation arabo-musulmane transmis et exportés en Amérique Latine à partir de Al Andalus durant les XVI et XVIIème siècles ont été relevés même si quelques uns sont immatériels et qu’il est difficile de prouver leur origine tels que les coutumes culinaires, vestimentaires, contes, proverbes, traditions, etc.
Par contre on sait très bien que certains signes artistiques, architecturaux, linguistiques sont visibles et évidents de nos jours, tels que la construction des maisons avec une cour à l’intérieur, une source d’eau, des arcades et un oranger ou citronnier au milieu, qu’on appelle communément la maison andalouse avec son patio et qui est largement répandu dans ces pays tout comme au Maghreb.
En ce qui a trait à l’influence linguistique arabe sur le parlé et lexique latino-américain, le professeur, Juan Yaser, argentin d’origine palestinienne a dressé dans son livre «Héritage arabe en Amérique » toute une liste de mots de ce continent qui ont gardé leur origine arabe tels que :
Malambo de l’arabe Mal’ab = danse[10] Argentine, Chili et l’Uruguay,
Bagual de l’arabe baghl = mulet ou cheval de trait[11], Argentine, Bolivie, Chili, Uruguay
Chiripá de l’arabe shirual = bombachón, mot répandu en Argentine
Zaino de l’ar. Záin = beau, se servant de sa beauté il devient sadique
Chafar de l’ar. Shafr = racine du poil, del pelo, de la barba ou del párpado
Chafariz de l’ar. Saharidj, plur. de sahridj = bassin
Chafarote de l’ar. Shafarat, plur. de shafra = hache ou grand couteau [12].
Chal de l’ar. Shal ,mandil = châle qu’on se met sur les épaules
Charque de l’ar. Sharqi = vent de l’est ou objet qui appartient á l’Est
Charrán de l’ar. Sharrán, shar = mauvais, pervers
Chavo et chavalo de l’ar. Shab = jeune = joven en Amérique Centrale, Mexique et Venezuela
Cheque de l’ar. Shaqq = document ou papier officiel
Chiva de l’ar. Shiba, shaib = barbe blanchie
Batea de l’ar. Bathia = jerrican ou baril, fût
Cazabe de l’ar. Qazaba = roseau = canne à sucre
Selon Juan Yaser, tous ces vocables américains ne proviennent pas de l’espagnol, ni du quechua mais de l’arabe que parlaient les andalous morisques depuis qu’ils ont mis les pieds en territoire américain en 1492.
En littérature, le nom de Al Andalus résonne vigoureusement à travers les deux rives de la Méditerranée et stimule admirablement la contemplation et l’exaltation des vers poétiques agréablement gravés sur les murs de l’Alhambra.
AL Andalus est symbole d’une terre où tout est lumière, musique et poésie.
Le génie artistique et l’invention créatrice ont atteint là -bas une plus grande signification et une importance inégalable.
La lumière scientifique de Al Andalus dissipa les ténèbres et Cordoba devint vite capitale intellectuelle de l’Europe permettant ainsi à la science d’atteindre plénitude et splendeur.
Al Andalus permit de cultiver et consacrer également la musique andalouse grâce au talon du poéte Ziriab qui en fut le promoteur et le transmetteur vers les pays magrébins du Macam et nouba andalouse au point oú de nos jours nous sommes tous passionnés de cette musique tradtionnelle classique andalouse répandue dans tout la Maghreb avec ses différentes écoles et styles : Fes, Tlemcen, Alger, Constantine, Tunis et Tripoli .
El Andalus c’est aussi la poésie. Là-bas les Arabes avaient cultivé la poésie au point de créer de nouvelles formes et structures tel que la moaxaja et le zejel, genre poétiques original et typiquement andalou. Ce qui fait dire à l’arabisant espagnol, Emilio Garcia Gomez ; « L’Islam a donné à l’Espagne la lyrique classique, la qasida du désert » et «l’Espagne a donné à L’Islam sa propre lyrique, celle de la moaxja et du zejel ».
L’apport et l’influence arabe dans la littérature espagnole et latino-américaine sont assez significatifs même si les études ne sont pas tout à fait exhaustives et méritent encore davantage d’intérêt et plus d’attention dans le nouveau continent.
On a l’habitude de dire que l’Andalousie est profondément poétique puisque dans ses veines circulent la traditionnelle et remarquable lyrique arabe.
Cette tradition poétique des Arabes innovateurs et créateurs de la moaxaia et du zejel, s’étendit en territoire latino-américain où elle s’intégrera à la littérature régionale.
Dans cet héritage littéraire nous retrouvons de nombreux enregistrements et indices arabes dans les lettres hispano-américaines.
Mais si beaucoup d’études ont révélé l’influence littéraire arabe sur les écrivains et auteurs espagnols, il n’est pas de même pour ce qui est de cette influence sur le monde latino-américain. Cependant on peut affirmer, compte tenu, des études actuelles, qu’il existe aujourd’hui en Argentine et en Uruguay, un payador, c’est-à-dire un poète populaire qui développe un genre de poésie locale improvisée, similaire à la forme, au style et au mode traditionnel arabe.
Nous retrouvons beaucoup d’aspects et de références du monde arabe dans les textes littéraires des grands et illustres écrivains latino-américains comme Leopoldo Lugones, Ruben Dario, Jorge Luis Borges, Jorge Amado, Gabriel García Marquez, José Martí, etc.. Nous citerons le cas bien connu et assez étudié du personnage argentin légendaire et mythique d’origine arabe, le gaucho, vocable d’origine arabe «haushi »/ marginalisé.
C’est une synthèse de l’amalgame naturel entre andalous et natifs américains.
La personnalité, le comportement et l’âme arabe de ce héros littéraire qui jouit d’une certaine réputation dans le roman des auteurs du Rio de la Plata sont confirmés par ces mêmes écrivains, qui font état de leur commentaire sur ce personnage mythique qu’est le gaucho :
Dans son livre El Payador, Leopoldo Lugones affirme : « Cet Arabe payador dont le sang porte dans ses veines le gaucho ».
Bartolomé Mitre, déclare «le gaucho argentin, cette espèce d’Arabe et cosaque, modifié par le continent est une nouvelle et belle race » Domingo Sarmiento Faustino commente «jusqu’à aujourd’hui est gravée au feu comme une marque indélébile dans notre cerveau, l’âme musulmane ».
Ricardo Rojas dans son livre Vida de Sarmiento, en se référant au gaucho, écrit «quand le prophète de la pampa porte le turban et la chalaba, il ressemble à l’arabe ».
Sanchez Zimmy, dans son livre «El Gaucho » affirme : « l’authentique gaucho était indubitablement d’ascendance andalouse, ce qui voudrait dire qu’il portait dans ses veines du sang arabe ».
Santiago de Peralta dans son livre «Influence du peuple arabe en Argentine», signale que : l’élément humain, le soldat qui arrive avec les conquérants, était morisque, arabe chrétien. C’est-à-dire arabe christianisé, (mudejar)..., et il ajoute «par contre, beaucoup de sang arabe se voit chez les hommes des plaines de la Plata, et ceci s’explique parce que Mendoza recrutait ses gens en Andalousie, c’est à dire dans les villages où le sang arabe est resté le plus pur ».
Tout ceci nous révèle, on ne peut mieux l’existence profonde d’une interculturalité qui se répandit jusqu’en Amérique Latine par l’intermédiaire de la Péninsule Ibérique qui a servi peut être malgré elle, de palier transmetteur de la culture et civilisation arabo-musulmane.
Cette vision un peu éparse sur la considérable influence socio-culturelle arabe jusqu’en Amérique Latine nous sensibilise davantage sur le rôle civilisationnel joué par Al Andalus au-delà de la péninsule d’Espagne et les efforts qu’il reste à fournir pour conquérir de nouveau cette espace culturel grâce à cette langue espagnole qui constitue pour nous l’outil de choix pour étudier, évaluer et appréhender cet inimaginable héritage culturel arabe et déceler les différents rapports d’interculturalité répartis dans le continent latino-américain.
Ce phénomène de l’interculturalité n’est pas à sens unique, bien au contraire, il se nourrit de l’autre, en l’occurrence les Espagnols qui durant leur présence dans l’Oranie à l’époque moderne puis lors de la conquête française avec des colons espagnols et plus tard avec l’exil forcé de la communauté espagnole en Algérie pourchassée par les franquistes pendant la guerre civile de 1936-1939.
Le cas de Melilla et Ceuta au Maroc illustre bien cette interculturalité réciproque qui n’a presque jamais cessé.
Cette cohabitation a développé la convivialité et renforcé les échanges au point où nous retrouvons aujourd’hui certaines marques et aspects de comportement socioculturels d’origine espagnole bien implantés en Algérie, notamment dans l’Oranie et au Maghreb.
C’est ainsi que les relations historiques évoquées succinctement consolident ces liens traditionnels entre les deux communautés et donnent lieu naturellement à toute sorte d’échanges pour faciliter la coexistence et l’acceptation de l’autre.
Toutes ces circonstances et expériences humaines ont favorisé et développé ces interférences culturelles et de ce fait l’arabe algérien, marocain et dans un moindre degré, le tunisien, s’est vu lui aussi soumis à des emprunts linguistiques d’origine espagnole qui sont largement utilisés dans nos sociétés. Autrement dit, l’Hispanisme algérien s’est vu conforté par cette pratique courante de mots espagnols intégrés dans notre parlé maghrébin et notamment algérien puisque nous relevons quelques mots issus particulièrement du domaine de l’agriculture, de la pêche et du poisson tels que : gambas, salmonete, cipia, raya, besugo, bajeles, ganche, etc.
D’autres hispanismes sont utilisés dans notre parlé Arabe et perdurent encore dans le langage quotidien des gens telles que les expressions : ojo, tonto, calentica, mamía, chica, nabos, viejo, amigo, señor, adiós, ou d’autres mots d’apparence espagnole mais qui sont en vérité d’origine arabe comme azotea, almario, almohada, hola, ojalá, zroudia , etc.
Ces transferts ou richesses linguistiques et culturels ne sont pas propres à l’Algérie. On retrouve des cas similaires au Maghreb et ailleurs.
Les traditionnels rapports historiques des relations séculaires entre le Maghreb, l’Espagne et l’Amérique Latine ont implanté et développé certains aspects socio-culturels assez révélateurs de leurs sociétés et font que ces emprunts linguistiques et autres ressources soient significatifs de l’importance considérable de cette interculturalité qui doit être gérée, étudiée et évaluée dans le bon sens, la tolérance et l’acceptation de l’autre.
Toutes ces considérations et réflexions nous ramènent enfin de compte à l’élément essentiel et fondamental que représente la langue espagnole pour nous Algériens, car en plus d’être une langue véhiculaire d’une importante culture et civilisation, elle est l’outil indispensable pour la recherche scientifique et la connaissance de notre histoire, de notre patrimoine, de notre identité et de notre mémoire.
Cette langue espagnole, source de l’interculturalité nous permettra de voyager loin dans le temps et l’espace pour se réapproprier ces quelques aspects de notre culture disséminée dans ces pays et récupérer cette énorme et précieuse documentation de manuscrits relatifs à l’histoire de l’Algérie.
Cette espèce de bilan succinct sur nos rapports interculturels entre ces trois grandes régions met en exergue l’importance de l’Hispanisme maghrébin, voire algérien, et qui grâce à la langue espagnole nous ouvrent des perspectives intéressantes, sérieuses et prometteuses de grandes possibilités d’échanges et d’expériences dans les domaines culturels et scientifiques, particulièrement dans la recherche scientifique de thèmes communs (comme la linguistique et la didactique de l’enseignement de la langue Arabe et de la langue Espagnol) qui consolideront et développeront sans aucun doute cette vaste et multiple interculturalité que nous partageons avec tous les pays latino-américains à travers la péninsule ibérique depuis des siècles.
Notes
[1]- Voir ma conférence sur '' La musique Andalouse : Pont culturel entre Tlemcen et Grenade'' présentée á Grenade lors de la Semaine culturelle entre Tlemcen et Grenade en avril 1989.
[2]-Waciny Larej.- Alger la gardienne des ombres.- Paris, Ed. Marsa, 1998. -p.p. 43-49.
[3]-On appelle Morisques les descendants des musulmans convertis officiellement au christianisme mais qui continuaient de pratiquer secrètement l'Islam jusqu'à leur expulsion définitive de 1609-1614. Définition du projet "ACALAPI UNESCO", Contribution de la culture arabe aux cultures ibéro-américaines, par le biais de l'Espagne et du Portugal ", réunion de Nouakchott, 93.
Voir Abdekader Cheddadi.- 1492: De la conversion forcée à l'expulsion des morisques espagnols.- In Revue Histoire n° 541, janvier 92 .-p.p.18-27.
[4]-Voir mes articles sur la question :
Oran dans la littérature espagnole XVIème -XVIII ème siècles.-In Sharq el Andalus n°7.-Université d'Alicante, 1990.- p.p. 203-217.
Le Siège d'Oran et de Mers-el-Kébir de 1563 et ses répercussions littéraires.-In Islam Storia e Cultiva n° 42, Roma, marzo, 1993.-p.p.35-49.
La victorieuse Alger face à l´attaque espagnole de 1775 et ses répercussions littéraires hispano-algériennes.-In Arab Historical Review For Ottoman Studies.- Zaghouan, FTERSI, 1995.- p.p.7-29.
Alger et l´attaque manquée de 1601 d’après deux documents hispano-italiens.-in Arab Historical Review For Ottoman Studies.- Zaghouan, FTERSI, 1995.-p.p.207-219.
Les bombardements d´Alger de 1783 et 1784 à travers quelques documents littéraires espagnols.-In Mélanges, hommage à Charles Robert Ageron.- Zaghouan, FTERSI, 1996.-p.p.19-51.
[5]-Gloria Velázquez est Chercheuse au Centre des Etudes Littéraires de l'Université de Guadalajara, Mexique. Son article est publié dans le journal l'Occident de Guadaljara, en 1988.
[6]-Jalisco est un Etat mexicain dont la Ville de Guadalajara est la capitale. Jalostitlan est un quartier de la ville de Guadalajara.
[7]-Abu Al Hasan Al Basti Al Qalasadi, célèbre en mathématiques et en d´autres sciences- il a formé beaucoup de citadins. Il vécut á la fin du royaume de Grenade et mourut en 1486.
Parmi les personnalités les plus remarquables de Grenade qui ont vécu á Tlemcen, nous pouvons signaler le célèbre Vizir Lisan Al Din Ibn Al Khatib, historien et poète de renom et auteur de plusieurs oeuvres. Il arriva de Grenade en 1370 pour y vivre et mourra á Fès en 1376.
Les géographes El Bekri et Al Azuhri l'ont également visitée et décrite.
Le poète Abu Abdellah Ibn Khamis, qui émigra á Grenade où il mourut en 1307, après avoir servi dans le cabinet du Visir Ibn Hakim .
[8]-Description de l´Afrique et de l´Espagne, ver Artículo référente à Tlemcen de R. Dozy et de J. de Goeje.-In Revue Tlemcen, Bulletin de la Société, les Amis du Vieux Tlemcen, 1956.- p.11.
[9]-Voir son article «La musique folklorique vénézuélienne et ses antécédents arabes ».
[10]-Signifie danse populaire en Argentine, au Chili et en Uruguay.-Voir Dicionario de Americanismos.- Buenos Aires, Ed. Muchnik, 1966.
[11]-Signifie mulet, ou homme grossier en Argentine, Bolivie, chili, et Uruguay.
[12]-Signifie grand couteau, épée, hache en Amérique Centrale, Chili, Ecuateur, Argentine, Pérou et l'Uruguay.