Algeria and its conquest -Field of observation and initiation to colonisation methods for the Germans in the 19 th C Abstract: In the 19th century the Germans who had always shown a growing interest in Moslem countries, were particularly attracted by Algeria, this former Ottoman Empire province. Keywords: the conquest of Algeria - historical sources - observation phase - German settlements in Algeria - scientific travellers - testimonials - scientific committees - high ranking officers in the German army |
Slimane Rafik NEBIA : Enseignant d’allemand à l’Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie
Présentation
Lors d’une étude réalisée dans le cadre d’un projet de recherche au CRASC (Centre National de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle) intitulé : l’Algérie, histoire et société – un autre regard, nous avons eu à évoquer sur le long cheminement des Allemands depuis le Congrès de Vienne de 1815 jusqu’à la mise sous protection du Reich le 24 avril 1884, des possessions en Afrique du Sud du grand négociant Lüderitz, action annonçant le début de la politique coloniale allemande en Afrique.
Nous avons pu ainsi déterminer quatre phases dans ce long processus, dont l’aboutissement marque le début d’une politique coloniale. Les deux premières phases concernent directement l’Algérie, elles sont importantes ; nous les considérons comme « Zwischenphase », phase intermédiaire. Les deux autres phases consistent beaucoup plus en l’envoi d’explorateurs en Afrique et l’entrée officielle de l’Allemagne dans le concert des puissances coloniales. Dans cet exposé nous nous intéresserons plus particulièrement à ce que nous appellerons la « phase algérienne », où voyageurs scientifiques et autres experts militaires ont trouvé un vaste terrain d’observation et de recherche.
Dans un premier temps, le but des Allemands a été tout d’abord de rassembler un maximum de documentation sur la Régence d’Alger, puis dans un second temps qui débuta avec la chute d’Alger ils se consacrèrent à l’observation directe sur le terrain. Ce sont des voyageurs scientifiques et des militaires, dont l’objectif est de cerner « l’étude scientifique d’une guerre assez singulière ». Durant ces deux premières phases, les Allemands ont fait en quelque sorte une première expérience africaine, les deux autres, suite logique, n’étant qu’un approfondissement de leur connaissance du continent, prélude à une installation en terre africaine.
Au XIXe siècle, la Prusse d’abord, le Reich ensuite, qui ont toujours manifesté un intérêt grandissant pour les pays musulmans furent particulièrement attirés par l’Algérie, ancienne province de l’Empire ottoman, pour au moins trois raisons :
- Tout d’abord terre d’Islam et ancienne province dépendant du « colosse ottoman »[1] (par opposition à la « grandeur colossale de l’Espagne » au moment où Charles Quint et Philippe II étaient aux prises avec l’Empire ottoman).
- Une histoire très mouvementée faite de multiples invasions et conquêtes et, comme le souligne Ch. A. Julien, « un pays constamment soumis à l’influence et parfois au destin de civilisations qui lui étaient extérieures » [2].
- Et un besoin de mieux connaître ce « pays de corsaires barbaresques » qui osaient lancer leurs bateaux en Atlantique et même jusqu’à la mer du Nord, menaçant le commerce mondial et surtout celui de l’Europe, et bloquant ainsi certaines visées expansionnistes en Afrique d’une Allemagne, bien qu’encore politiquement morcelée et économiquement faible.
L’Algérie, un pays pas très bien connu
Jusqu’en 1830, date de son « ouverture » (certains parlent même d’accessibilité), pour les voyageurs et autres visiteurs, ce pays demeura mal connu des Allemands, et lorsque Alger tomba, ils furent parmi les premiers Européens à s’y rendre, sinon les seuls après les Français. Leur but est de s’informer sur place sur les « événements » (conquête) et, comme en témoignent plusieurs écrits comme ceux de Jäger, découvrir un pays « devenu historiquement important, du moins en Allemagne…mais très peu connu »[3], car, comme le poursuit Jäger dans la préface de son livre, « la plupart des journaux les plus lus en Allemagne ont déjà publié des articles à partir de l’Algérie et sur l’Algérie. Mais ces comptes-rendus ne pouvaient, à cause de leur contrainte de brièveté, donner qu’une image peu claire et incomplète et peu de détails sur la situation dans cette nouvelle colonie française. Il y eut certes des écrits plus ou moins importants sur ce sujet, mais la plupart, ainsi que la majorité de la presse périodique s’intéressaient beaucoup plus aux aspects statistiques ou politiques »[4].
Durant toute la période précoloniale, les Allemands se tournèrent vers des sources étrangères pour se documenter sur l’Algérie ; ainsi ils s’informèrent à travers des textes français, suédois, anglais, italiens, espagnols et autres. A titre indicatif et pour montrer leur centre d’intérêt, nous citerons quelques titres parmi les plus connus :
-Die Geschichte der Expedition Karl V. du célèbre imprimeur Richard Grafton (composé en latin, puis traduit en français et en anglais – édité à Londres en 1542) ;
-Topografia a Historia general de Argel de Haëdo (1614), traduite en français en 1637 par le moine français Peter Dan [Il s’agit en fait de Pierre Dan dont le prénom aurait été germanisé (?) par Das Ausland tout comme le nom de Haëdo a été transcrit « Hoedo »] sous le titre Histoire de la Barbarie et de ses corsaires ;
-Description de la ville d’Alger du Suédois Karl Reftelius (Stockholm 1737) ;
-Flora Atlantica, sive historia plantarum quae in Atlante, agro tunetano et algeriensi crescunt (Paris 1798) par René Desfontaines (1750-1833) ;
-Mémoire géographique et numismatique sur la partie orientale de la Barbarie etc. suivi de recherches sur les Berbères Atlantiques, anciens habitants de ces contrées du Comte Charles Octave Castiglioni (Milano 1826).
On voit ainsi l’intérêt que les Allemands portaient à tous les aspects concernant cette partie du continent africain. Très prisés étaient aussi les ouvrages-témoignages de diplomates, comme celui de Rehbinder, ancien consul de Danemark à Alger intitulé Notices et remarques sur Alger, Altona 1798, ouvrage également cité par Das Ausland.
L’importance de l’ancienne Régence d’Alger était telle, que l’une des résolutions du Congrès de Vienne de 1815 stipulait « [qu’il fallait] libérer le commerce de toutes les nations des attaques des corsaires barbaresques en Méditerranée »[5], résolution que la presse allemande, et en particulier le Politisches Journal von Hamburg (Cf. Bd. II 1815 / Bd. III 1816) saluèrent, tout en revendiquant la création de colonies en Afrique du Nord, « une des plus belles et plus fertiles régions de la terre, à partir de laquelle on pourrait assurer la liaison si longtemps souhaitée avec l’intérieur de l’Afrique[6]. »
Déjà germait dans les milieux bourgeois de la finance de l’époque l’idée d’une politique coloniale. Les corsaires algériens menaçaient toujours le commerce en Méditerranée et constituaient un obstacle pour l’accès à l’Afrique. Des ouvrages comme par exemple celui de D. A. Azuni intitulé Recherches pour servir à l’histoire de la Piraterie, avec un précis des moyens propres à l’extinction des pirates barbaresques (Genua, 1816) donnaient des compléments d’information pour mieux les connaître et peut-être mieux les combattre.
Durant toute la période allant du Congrès de Vienne jusqu’à 1830, les Allemands durent se contenter d’une « collecte passive » de documents sur la Régence d’Alger. Les violents remous, les problèmes économiques et sociaux que connut leur pays ainsi que la crainte des pirates ne favorisaient pas un voyage en Algérie. Ils s’informèrent alors à travers les écrits des autres nations. Ils suivaient avec un très grand intérêt tout ce qui s’y passait et dès le tout début de la conquête en 1830, parut simultanément à Leipzig dans le royaume de Saxe, à Stuttgart dans le royaume du Wurtemberg, à Karlsruhe dans le Grand Duché de Bade à Hambourg et à Vienne, la traduction d’un ouvrage de Renaudot, ancien officier de la garde du consul français à Alger, intitulé Alger. Tableau du royaume de la ville d’Alger et de ses environs : état de son commerce, de ses forces de terre et de mer, description des mœurs et des usages du pays etc. (Paris 1830).
Il faudrait aussi signaler que le grand public était informé grâce à des publications spécialisées, très sérieuses, comme Das Ausland – Ein Tagblatt für Kunde des geistigen und sittlichen Lebens der Völker où paraissent régulièrement en 1830 et 1831 des articles sur la Régence d’Alger et la conquête française. Les numéros datés de juin 1830, donc contemporains de l’expédition française d’Alger, s’intéressent beaucoup plus aux aspects climatiques, aux produits et à la population du pays. Le ou les auteurs des articles semblent mettre l’accent sur les us et coutumes des autochtones, leur mode de vie, les mariages, le choix de l’épouse, les festivités, les rites funéraires, l’héritage, etc. L’article « Climat, produits et population » se termine sur un chapitre relatif aux Berbères, leurs caractéristiques physiques, leur caractère, leur façon de vivre ainsi que l’origine du terme Amazigh, avec quelques indications bibliographiques concernant l’histoire de l’Algérie reprenant quelques uns des titres cités plus haut.
A partir de janvier 1831, c’est-à-dire quelques mois à peine après la chute d’Alger, le journal reprend dans quelques livraisons consécutives « L’histoire de la conquête d’Alger » (du numéro 14 daté du 14 janvier 1831 au numéro 44 du 13 février 1831).
Les faits sont repris chronologiquement et avec beaucoup de détails pour le lecteur allemand.
Tout d’abord des données très précises lui sont fournies en ce qui concerne « les préparatifs de l’expédition » (N°14) : les effectifs militaires et civils, la composition de la flotte et tout ce qui concerne la logistique pour un débarquement en pays étranger (dans une note en bas de page signalée par un astérisque l’auteur signale un titre sans aucune autre précision Précis historique et administratif de la campagne d’Afrique par le Baron Denniée, Intendant en chef de l’armée d’expédition. Paris 1830 : on n’a pu vérifier s’il s’agit de la traduction d’extraits de l’ouvrage cité ou si l’auteur s’en est inspiré).
Le N°15 du journal (15 janvier 1831) traite de la traversée et du débarquement des troupes françaises à Alger. L’auteur fournit beaucoup de détails sur les « premiers contacts avec la côte africaine » et les premiers affrontements avec les troupes du Dey.
« La défaite et la capitulation du Dey » sont l’objet d’un troisième article (N° 41 du 10 février 1831 et N° 43 du 12 février 1831) également assez détaillé.
L’article sur l’histoire de la conquête d’Alger se termine par un « chapitre » intitulé La Casaba « dont les joyaux et richesses qui ont fait l’objet de plusieurs écrits dans les journaux » (N°43 du 12 février 1831) ont largement couvert les frais de cette expédition. Sur le butin et les coûts de cette campagne militaire le journal livre des données assez précises : travaux de la commission des finances du 18 juillet 1830, tractations et remise des clés du trésor par le Khasnadji, ainsi qu’une évaluation très détaillée de ce butin et de son transbordement sur les bateaux français le « Marengo » (13,218,598 Fr or), le « Duquesne » : (11,550,000 Fr or, le « Scipio » (5,100,600 Fr argent), le « Nestor » (10,240,000 Fr argent) et le « Venus » (3,289,798 Fr argent) – soit au total 43,398,798 Fr qui furent pris à bord. (N°44 du 13 février 1831). Le coût de l’expédition est évalué comme suit : « 1) pour l’armée jusqu’au 1er janvier 1831 (y compris provisions, fret, or, gratifications et matériel) 25,000,000 ; 2) pour la marine 23,500,000, en tout 48,500,000 Fr. » (N°44 du 13 février 1831, p.174). Le récit de cette conquête s’achève sur un ton triomphaliste : « Certes un beau résultat pour une expédition militaire, est-il écrit, où il fallait affronter beaucoup de difficultés réelles et imaginaires et qui dans l’espace de vingt jours (du 14 juin au 5 juillet) a accompli sa mission ! » (N° 44, p. 174).
Dans la série d’articles consacrés par Das Ausland à l’expédition d’Alger on constate une multitude de détails concernant les opérations militaires et leur célérité. La résistance des Algériens n’y est évoquée que d’une façon très superficielle ; on y remarque aussi l’effet de surprise provoqué par cette attaque inattendue et dont les résultats sont connus.
Et pour clore ce point, il faudrait signaler une note apparemment assez anodine, en bas de page du N°14 du 14 janvier 1831, mais qui reflète la position de l’auteur et peut-être aussi celle de l’opinion publique de l’époque. Nous en livrons une traduction partielle : « Après avoir captivé pendant longtemps et presque exclusivement l’attention du public européen, la Grèce, la Turquie, puis enfin Alger semblent être subitement tombés dans l’oubli après les évènements de juillet. Mais, Alger notamment, ne mérite pas d’être totalement oublié, surtout après qu’il semble avoir été décidé qu’elle devait être colonisée. Si un pas était fait dans ce sens, cela ne devrait certainement pas durer longtemps pour que toute la côte de l’Afrique du nord tombe sous la domination française. […] et les Français n’ont qu’à procéder comme les Anglais l’ont fait dans l’Est de l’Inde et ils auront bientôt suffisamment de sujets et de vassaux ». Pour l’auteur de ces articles, le baron Denniée serait le premier à avoir apporté un éclairage nouveau sur la conquête d’Alger, une expédition sur laquelle le public allemand n’avait que peu d’informations.
L’Algérie devenue accessible, les Allemands ne se contentèrent plus uniquement de la collecte passive de documents ou de leur traduction. Des « voyageurs » furent alors dépêchés pour s’informer directement dans la nouvelle colonie.
Nous passons à la seconde phase :
Phase directe d’observation
En ce qui concerne cette phase qui a commencé avec la chute d’Alger, nous distinguerons deux étapes :
- Tout d’abord l’envoi d’une première génération de jeunes universitaires ou de scientifiques appelés communément voyageurs scientifiques ; certains devenus célèbres ont été répertoriés dans ADB (Allgemeine Deutsche Biographie : Bde 1-56. Leipzig : Verlag von Dunker und Humbolt 1875-1912) Voici quelques noms :
- Barth, Heinrich : voyageur en Afrique né le 16 février 1821 à Hambourg, décédé le 25 novembre 1865 à Berlin.
Août 1840 : voyage en Italie où il visita Venise, Florence, Rome Naples et la Sicile.
Mai 1841 : retour à Berlin. Prédilection pour le « bassin méditerranéen classique »
Eté 1844 : doctorat
A partir de janvier 1845 : voyage de trois ans autour de la Méditerranée. Il visita la France, l’Espagne et les pays de la côte de l’Afrique du Nord
Depuis 1863 président de la Société de géographie pour toutes les branches du savoir géographique
1861 : voyage en Turquie
1862 : " à l’intérieur de la partie européenne de Turquie
1863 : " dans les Alpes
1864 : " en Italie
1865 : " en Turquie
- Maltzahn, Heinrich Karl Eckhard : Baron de Wartenberg et Penzlin. Voyageur et linguiste né le 6 septembre 1826 à Dresde.
1846-1850 : études de droit à Munich, Heidelberg et Erlangen, parallèlement étude des langues orientales.
Après avoir visité à partir de 1852 une grande partie de l’Europe, la Palestine, la Syrie, l’Algérie et le Maroc, s’installa pour quelque temps à Alger.
22 février 1874 : suicide à Pise.
Maltzahn avait également des talents de poète : entre autres poèmes « Das Grab der Christin » (1865).
- Schimper, Wilhelm : Voyageur scientifique et collectionneur de plantes, né à Reicheschwand le 2 août 1804, mort en Abyssinie en octobre 1878.
A partir de 1828 études des sciences naturelles à Munich.
Trois années plus tard il fut envoyé par « l’agence de tourisme botanique » d’Eblingen tout d’abord dans le sud de France, dans la région de Sète et Montpellier, puis en Algérie. Tombé malade et après avoir perdu une partie de sa collection de plantes il retourna l’été 1832 en Europe.
- Il y eut également quelques militaires qui se rendirent dans la nouvelle colonie française.
L’intention des Allemands était de mieux connaître ce pays en cours de colonisation et de bénéficier également de quelques avantages de cette conquête, comme par exemple entre autres, la création de colonies pour leurs compatriotes émigrés. Des colonies furent effectivement crées dans la région d’Alger et dans l’Ouest du pays malgré l’opposition de quelques milieux en France qui ne voulaient pas de colons allemands et suisses. Mais comme les Allemands étaient considérés comme travailleurs, ils furent privilégiés. Ch. A. Julien écrit à ce propos : « Les colons doivent être recrutés non seulement parmi les Français mais parmi les étrangers, notamment les Allemands aux qualités solides… »[7]. Dès 1832 deux localités furent prévues pour les nouveaux immigrants à Kouba et Ibrahim-pacha, dans la banlieue d’Alger. D’autres Allemands sont propriétaires terriens, dans des villages comme Douéra et Boufarik, où beaucoup d’entre eux furent décimés par des épidémies. Plus tard d’autres colons furent accueillis et répartis à travers le pays. Leur nombre n’était certes pas très élevé ; en Oranie par exemple on pouvait trouver quelques individus et parfois même des familles entières comme à Nemours (Ghazaouet), Tlemcen, Georges Clemenceau et Sainte Léonie (près de Mostaganem).
Les « Reisevereine » (associations à caractère touristique) qui existaient alors et les sociétés de géographie ont dans une large mesure contribué à mieux faire connaître ce pays. Nous pensons entre autres à W. Schimper dont le voyage (1831-1832) a pu être effectué grâce au « Reiseverein » de Hochstetter et Steudel fondé à Eblingen. Pour les sociétés de géographie les Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin ont publié plus d’un article sur l’Algérie.
En ce qui concerne les voyageurs scientifiques, Moritz Wagner est l’un des plus célèbres et ses écrits demeurent aujourd’hui encore une référence pour la connaissance de l’Algérie des débuts de la colonisation. Ce dernier, en « tant que naturaliste et voyageur scientifique compte parmi les plus éminents »[8]. Ce dernier se rendit en Algérie pour « ramasser des pièces pour une collection dans le domaine des sciences naturelles et également s’informer sur la situation politique et sociale de l’Afrique du Nord »[9]. Ce jeune voyageur (né en 1813 à Bayreuth) fit en 1834 « une courte visite en Afrique », « une toute petite excursion, écrit-il, vers la côte africaine » suivie d’un séjour plus long. Les Reisen in der Regentschaft Algier in den Jahren 1836-1838. Nebst einem naturhistorischen Anhang und einem Kupferatlas. Bde 1-3. Leipzig 1841, dédiés à Louis Philippe, duc d’Orléans, sont le résultat de ce séjour ininterrompu de presque trois ans ; il est considéré comme « l’œuvre la plus importante et la plus complète sur l’Algérie du XIXe siècle »[10]. L’auteur n’y relate pas uniquement la traversée de Toulon à Alger et ses nombreuses randonnées à travers le pays. Il s’intéresse également à la nouvelle colonie et à ses habitants, leurs us et coutumes, la faune, la flore, etc. Effectivement nul autre voyageur de l’époque n’a laissé un ouvrage aussi documenté. Cet « explorateur de la nature et voyageur scientifique » qui était très proche d’Adrien Berbrugger, « fut intégré par le général Damrémont à la commission scientifique pour l’exploration de l’Algérie » et put ainsi participer, comme il l’écrit dans son ouvrage, à la 2ème expédition de 1837 contre le Bey Ahmed de Constantine. « Cette commission, écrit-il, devait étudier les antiquités, mesurer les altitudes, collectionner toutes les raretés botaniques et zoologiques, afin de rédiger, une fois l’expédition achevée, un mémoire sur tout ce qui pouvait avoir un intérêt pour la science et être digne d’être mentionné »[11].
Il serait intéressant dans ce contexte de livrer quelques détails sur sa participation à cette commission scientifique ainsi que les observations qu’il a faites, la composition de cette commission et ses objectifs. Nous citerons des passages du chapitre XII (« Reise in das Innere der Provinz Constantine ») du 1er volume des Reisen in der Regentschaft Algier in den Jahren 1836-1838), le 3ème volume de son ouvrage étant consacré exclusivement à la faune de la Berbérie. On y trouve une foule de renseignements très précis. Il faudrait aussi rappeler que Wagner est considéré comme l’un des plus éminents zoologues de son époque.
A propos de la Commission scientifique nous lisons ceci : « Le 25 septembre 1837, je quittai Bona en compagnie de mon ami Amadeus von Muralt, capitaine au quatrième régiment suisse du roi de Naples. Nous nous joignîmes tous les deux au corps expéditionnaire en direction de Constantine. (…) En ce qui me concerne, je fus nommé par le général Damrémont comme membre de cette commission scientifique »[12]. Wagner trouva l’idée de désigner une telle commission assez louable, mais, écrit-il plus loin « pour une telle mission, il aurait fallu un autre général en chef, autre que le flegmatique Damrémont qui n’avait pas beaucoup de penchant pour la science, pour qui la belle flore sauvage du pays n’était que mauvaises herbes, les monuments romains de la pierre et qui osa néanmoins avec suffisance écrire ceci dans son rapport adressé au ministre de la Guerre : "Au milieu des préparatifs pour l’expédition et des difficultés de toute nature, je n’ai pourtant pas perdu de vue l’intérêt de la science"[13]. Le décret de nomination des membres de la commission scientifique était, selon Wagner, rédigé comme un ordre militaire. Nous le reproduisons à titre informatif : « Monsieur, Je vous préviens que conformément à mon arrêté en date de ce jour, je vous ai nommé Membre de la Commission scientifique chargée de suivre l’armée expéditionnaire qui se porte contre Constantine. Mr. le Général Perregaux, qui est le président de cette Commission, vous donnera des instructions pour accomplir la mission qui vous est confiée. Recevez, Monsieur, etc. Le Pair de France, Gouverneur Général Damrémont »[14].
Wagner ajoute que les membres de cette commission étaient généralement traités comme des gens « en uniforme » (en français dans le texte). Chacun avait un grade et recevait sa ration alimentaire et celle de son cheval en fonction de son grade.
Les pièces et matériaux ramassés lors de son séjour dans la Régence d’Alger ont été confiés à des équipes de spécialistes pour rédaction et publication. La partie concernant la faune, par exemple, et publiée sous le titre Bruchstücke zu einer Fauna der Berberei, mit besonderer Rücksicht auf die geographische Verbreitung der Thiere am Becken des Mittelmeeres fut assurée par son frère le professeur Dr Rudolph Wagner. En outre Wagner nous informe qu’une grande partie de ses collections fut cédée, contre remboursement des frais, à des institutions publiques et privées en Allemagne. Dans l’avant-propos du volume relatif à la faune, nous lisons ceci : « J’ai envoyé la plupart des espèces d’insectes au musée zoologique de Berlin. Avant mon départ je fis don au musée d’Alger, qui venait d’être érigé, d’une collection d’insectes et de mollusques et j’eus ainsi le plaisir d’avoir participé à la fondation de la première collection zoologique […] Une partie considérable de mon butin africain se trouve dans la collection de l’université d’Erlangen »[15].
Les Allemands ont ainsi pu recueillir à la source, grâce à ces voyageurs scientifiques, les renseignements sur ce pays qui fut « la terreur de la Méditerranée » et s’informer par la même occasion sur la pratique de la colonisation.
D’autres voyageurs scientifiques, non moins célèbres et répertoriés dans ADB, mériteraient aussi d’être cités dans la mesure où ils ont, eux aussi, contribué à une meilleure connaissance de l’Algérie.
1. Schimper par exemple, dont il a été question plus haut, « voyageur scientifique et collectionneur de plantes »[16], a été l’un des premiers à entreprendre en 1831 un voyage en Algérie « pour le compte et aux frais de l’Association touristique d’histoire naturelle fondée par nous [c'est-à-dire les éditeurs de l’ouvrage de Schimper intitulé Reise nach Algier in den Jahren 1831 und 1832]»[17]. Schimper était âgé de 27 ans lorsqu’il accepta cette mission pour le compte de cette association fondée à Eblingen par Hochstetter et Steudel. Tombé malade, il ne put visiter qu’Alger et ses environs. Il perdit également une grande partie de ses collections. L’objectif principal de Schimper était la recherche et l’étude de nouvelles espèces de plantes et d’animaux inconnus en Europe.
2. Barth se rendit en Algérie en 1845 pour une mission scientifique. Son intention, lit-on dans l’introduction de son ouvrage Wanderungen durch die Küstenländer des Mittelmeeres 1845-1847, était, après avoir connu ces pays, d’en faire une description à caractère historique et géographique. Dans cette même introduction, il ajoute que la description de ces régions a été faite « selon leur configuration topographique et leurs particularités ethnographiques »[18]. Barth qui est connu pour la qualité documentaire de son oeuvre et la précision dans la description de ses explorations en Afrique n’a pu faire un voyage systématique en Algérie, regrettant, très réaliste, que cela ne fût pas possible pour les raisons que nous verrons plus loin.
Heinrich Karl Eckhard Helmuth von Maltzahn, baron de Wartenberg et Penzlin appartient, lui aussi, à cette génération de voyageurs scientifiques. Ce linguiste qui se rendit plus d’une fois en Afrique du Nord est considéré par ADB, comme « l’un des meilleurs connaisseurs de l’Orient »[19], ayant visité plusieurs pays musulmans dont, entre autres, la Palestine, la Syrie, l’Algérie et le Maroc. Son volumineux ouvrage Drei Jahre im Nordwesten von Afrika. Reisen in Algerien und Marokko (Leipzig 1863) est un livre détaillé d’une grande valeur documentaire sur les trois provinces d’Algérie, leurs habitants, leurs us et coutumes, leur histoire, etc.
Maltzahn est aussi connu par ses nombreux articles publiés dans différentes revues (Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft, Geographische Mitteilungen, Allgemeine Zeitung, Das Ausland, etc.).
Les apports de ces voyageurs ont été d’une très grande importance pour la science, car si l’on en croit M. Wagner, jusqu’en 1830 aucun « observateur scientifique » n’a écrit quelque chose sur l’Algérie et, « du reste, ajoute-t-il, même depuis 1830 aucun ouvrage d’importance en sciences naturelles sur l’Algérie ne fut publié et le peu qui ait été écrit et ne concernant que quelques collections de particuliers se trouve éparpillé dans des journaux savants et des mémoires »[20].
Il devenait alors important pour les Allemands après « l’ouverture » de l’ex-Régence, n’ayant plus à craindre pour leur sécurité, d’entreprendre des voyages scientifiques. Toutefois, les missions de ces voyageurs devaient tenir compte de la conjoncture politique, l’Algérie étant en état de guerre. Il y avait également des restrictions concernant leurs déplacements, ce qui nécessitait des lettres de recommandation.
A propos des lettres de recommandations
Les voyageurs allemands se procuraient ces lettres auprès des plus hautes instances en France. Pour W. Schimper par exemple, elles lui furent délivrées par le ministre des armées lui-même. Ces lettres étaient destinées au gouverneur de l’Algérie et à d’autres fonctionnaires. Et c’est ainsi que presque tous les voyageurs essayaient de se munir d’un maximum de recommandations afin d’obtenir des facilités dans leurs déplacements et dans l’espoir de trouver aide et protection auprès des nouveaux maîtres du pays. M. Wagner nous rapporte comment il les obtint et cite même les noms des personnalités qui les ont signées : « Quand j’eus terminé tous les préparatifs en Allemagne, écrit-il, je me rendis en septembre 1836 à Paris, où j’obtins, grâce à la bonté du ministre de la guerre Bernard, des professeurs du musée d’histoire naturelle, des généraux Dejean et Feisthamel des lettres de recommandation destinées aux autorités françaises et aux plus hautes instances militaires à Alger »[21].
Ce voyageur avoue que ces documents lui ont été d’une très grande utilité et ont beaucoup facilité sa mission, ce qui n’a pas été toujours le cas pour d’autres. En guise de remerciements, il écrit dans la préface de son ouvrage : « L’accueil qui m’a été réservé à Alger dépassa toute espérance, car les autorités, les généraux, les chefs de camps m’accordèrent non seulement la protection et les facilités dont j’avais besoin pour mes déplacements, mais je pus aussi faire la connaissance d’hommes éminents de par leur position politique, leur intelligence et leur caractère, qui étaient toujours disposés à me fournir des renseignements sur tout ce qui m’intéressait, et dont j’évoque le souvenir avec plaisir et beaucoup d’affection »[22].
Par contre, pour H. Barth, il ne lui a pas toujours été possible de se déplacer selon ses prévisions, malgré ses lettres de recommandation. Après un séjour de trois semaines à Alger apparurent les premières difficultés qu’il nous rapporte comme suit : « je reconnus bientôt que dans la situation équivoque de guerre dans le pays et avec mes recommandations, insuffisantes, destinées aux autorités militaires qui dirigent tout ici, un voyage systématique n’y était pas possible »[23].
Tout comme H. Barth, W. Schimper a eu, lui aussi, moins de chance et s’est même plaint de la façon dont il a été traité malgré ses nombreuses lettres de recommandation. Il n’a obtenu ni aide, ni soutien, dans des moments difficiles, alors qu’il était très malade. Ecoutons son témoignage : « Je ne peux cependant pas m’empêcher de regretter que les nombreuses recommandations que j’ai eu du Ministère de la Guerre et du Ministre de la Guerre lui-même, destinées au gouverneur et à d’autres fonctionnaires à Alger n’aient eu que peu de succès, qu’on m’ait traité comme un vulgaire soldat engagé dans la légion étrangère, qu’on m’ait conduit chez ces mauvaises gens, au lieu de s’occuper décemment de moi, alors qu’il y en avait la possibilité, et qu’il existait un hôpital militaire pour officiers à Alger. Ce n’était pas correct de la part de fonctionnaires à Alger de se comporter ainsi sans égards ni pitié avec un étranger qui leur a été recommandé par leur gouvernement »[24]. Comme nous le voyons les lettres de recommandation n’étaient pas toujours, comme le croyait M. Wagner, de précieux documents qui pouvaient procurer toutes les facilités aux voyageurs scientifiques ; ils n’avaient qu’une valeur toute relative.
Pour clore ce point, nous citerons la mésaventure vécue par Heinrich Karl Eckhard Helmuth von Maltzahn, baron de Wartenberg et Penzlin, lors de son premier séjour en Algérie. Désirant visiter l’intérieur de l’Algérie, et sachant comme tous ses compatriotes, que cela était impossible sans l’autorisation des autorités militaires, il se procura à Paris une lettre de recommandation officielle destinée au gouverneur de l’Algérie. A cette époque, écrit-il, « ce poste était occupé par le maréchal R. » (probablement le maréchal Randon qui était gouverneur de 1852 à 1858). Une fois à Alger, Maltzahn se rendit chez le gouverneur dans l’espoir d’obtenir des informations et l’aide nécessaire pour son voyage à l’intérieur du pays. Il en fut déçu, ce qu’il rapporte avec ironie : « Je remis donc ma lettre de recommandation et fut gracieusement invité à passer à table »[25].
Les voyageurs scientifiques que nous venons de citer sont les seuls à avoir évoqué dans leurs écrits ces lettres de recommandation qui n’ont pas toujours eu l’effet escompté. L’Algérie n’étant désormais plus un pays dont on ne savait que très peu de chose, les nombreuses relations de voyages ayant contribué à cette meilleure connaissance, certains milieux pensaient déjà à faire profiter leurs compatriotes des richesses de la nouvelle colonie, « qui a, écrivaient certains, beaucoup plus à leur offrir que les Etats-Unis ». En effet de 1834 à 1855, le nombre d’Allemands qui quittèrent leur pays ne cessa de croître, en raison de la situation économique aggravée par les mauvaises récoltes des années 1845-1847 : de 20.000 émigrés par an il passa à 110.000 par an. On s’ingéniait alors à orienter ses compatriotes vers la nouvelle colonie. C’est le cas, par exemple, de Max Maria baron de Weber, directeur de chemin de fer royal qui, début 1853, fit une courte visite en Algérie et publia une brochure de 75 pages intitulée Algerien und die Auswanderung dahin (1854) qui s’adresse spécialement à ceux « qui envisagent de s’installer en terre africaine ». Le fascicule contient une foule d’informations pratiques à l’intention des futurs colons allemands. On y trouve également des renseignements sur le pays et son climat, le prix des produits alimentaires, les décrets et ordonnances français relatifs aux concessions … et un « Almanach pour le colon en Algérie ».
Le même but était poursuivi par un certain Dr L. Buvry qui séjourna en Algérie en 1852. Son livre intitulé Algerien und seine Zukunft unter Französischer Herrschaft. Nach eigener Anschauung und authentischen Quellen, namentlich auch in Rücksicht auf deutsche Auswanderung (Berlin 1855), se voulait avant tout un guide pratique à l’usage des immigrants allemands. Ces courts extraits sont révélateurs de l’objectif attendu. Il parle de « pays très intéressant »[26] où ses compatriotes « pourront réaliser leurs rêves, c’est-à-dire faire leur bonheur mieux que dans n’importe quel autre pays d’Outre-Atlantique »[27]. Buvry était membre de l’« Association centrale pour l’émigration allemande et les affaires coloniales de Berlin », « association à caractère philanthropique », qui encourageait l’installation de ses compatriotes dans la nouvelle colonie française ; il était également membre correspondant de la Société orientale de France. Il serait intéressant dans ce cadre de signaler un autre ouvrage de Buvry intitulé : Relation d’un voyage d’exploration scientifique au Djebel Aurès en Algérie. Exécuté sous les auspices du Ministère Impérial de la Guerre. (Extrait du Bulletin de la Société d’Acclimatation du Royaume de Prusse) Berlin 1859. (Dans les bibliographies consultées il n’est pas mentionné s’il s’agit du titre original ou d’une traduction).
L’Allemagne ne s’intéressait pas seulement au placement de ses citoyens émigrés dans une colonie européenne en terre africaine, mais semblait aussi être attirée par l’aspect exploration d’une région connue pour être difficile d’accès, vu son relief, et réputée pour la vaillance légendaire de ses habitants, surtout face aux conquérants venus d’ailleurs. Le plus frappant est le fait que ce " voyage d’exploration " fut initié par une instance officielle qu’est le Ministère impérial de la Guerre, lorsqu’on sait que la plupart des voyageurs scientifiques allemands se procuraient leurs lettres de recommandation, obligatoires, auprès du Ministère français de la Guerre. L’Algérie, pays intéressant à tous points de vue, demeurait un vaste terrain d’observation où tout restait à découvrir, connaître et étudier. Durant les deux premières décennies de la colonisation, les Allemands ont continué régulièrement à se documenter sur ce pays. Durant cette phase d’observation, ils ont accumulé certes beaucoup de renseignements grâce aux écrits des voyageurs scientifiques. Mais ils semblaient aussi s’intéresser à d’autres domaines, dont l’aspect militaire de la conquête, ce qui ne pouvait naturellement être réalisé que par des spécialistes. L’information était tout d’abord fournie par le biais de la traduction de documents à caractère militaire. Il s’agit d’ouvrages spécialisés surtout d’officiers danois comme par exemple A. W. Dinesen ou W. Von Raaslöff. Mais il fallait observer les opérations militaires sur le terrain. C’est ce que fit le général-major prussien Carl Von Decker en automne 1842 ; il voulait vivre sur place et « étudier scientifiquement cette guerre singulière, d’une part pour ma [sa] propre information et d’autre part, je crois pour rendre service à mes compagnons d’armes »[28], comme il l’avoue lui-même. « Guerre singulière », car il ne s’agissait pas d’un conflit entre Européens mais de la conquête d’un pays africain, qui a toujours été considéré en Allemagne comme très dangereux. Dans les deux volumes de son livre Algerien und die dortige Kriegsführung (L’Algérie et la conduite de la guerre qui y est menée) il fournit un maximum d’informations sur le pays, sa population et d’autres renseignements d’ordre stratégique ainsi que des cartes « selon des relevés trigonométriques et topographiques ». L’ouvrage, s’adressant plus particulièrement à des spécialistes militaires est structuré, avertit l’auteur, selon les trois critères applicables en Europe sur le terrain des opérations :
- « 1. En relation avec la viabilité, ce qui veut dire dans quelle mesure il existe des routes et chemins pour faciliter les opérations ».
- « 2. En relation avec la fertilité, ce qui veut dire dans quelle mesure le pays offre des moyens (…) pour le ravitaillement des troupes »,
- « 3. En relation avec les possibilités du pays [ terrain ] pour les combats, ce qui veut dire dans quelle mesure la topographie du terrain peut favoriser ou pas le déroulement des opérations au point de vue défensif et offensif »[29].
L’intérêt pour les Allemands était, sans aucun doute, de recueillir des données fiables et précises sur une guerre autre, menée en Afrique. Et, deux décennies environ après la chute d’Alger et l’ouverture du pays, ils se lancèrent presque simultanément dans l’exploration de l’Afrique profonde, étape que nous avons appelé phase africaine d’exploration, prélude à la politique coloniale allemande. Il s’agit là aussi de l’envoi d’une jeune génération d’explorateurs, nés pour la plupart dans les années vingt et originaires du Nord de l’Allemagne, Hambourg ou Lubeck, pôles économiques de l’époque, et soutenus par les cercles des négociants et des aristocrates et d’une manière plus officielle par leurs souverains. Leur mission était d’explorer certaines régions subsahariennes. Parmi les grands noms retenus par l’histoire de l’exploration, nous citerons H. Barth qui devint à partir de 1863 « président de la Société de géographie pour toutes les branches du savoir géographique » (cf. ADB), G. Nachtigal, qui s’établit en 1863 en Tunisie, où il fut plus tard consul général d’Allemagne à Tunis ou G. Rohlfs qui lui aussi devint plus tard consul général d’Allemagne au Zanzibar.
L’intérêt scientifique des Allemands pour l’Afrique au XIXe siècle fut stimulé par "l’ouverture" de l’ex-Régence d’Alger ; et avec le développement d’intérêts privés européens dans ce continent s’intensifia aussi un certain engagement, exploration et recherche de nouveaux marchés aboutissant à un véritable sentiment expansionniste. L’Allemagne, puissance ascendante, surtout après sa victoire dans la guerre franco-allemande (1870-1871), estima que la possession de territoires outre-mer renforcerait sa place dans le continent européen. L’Algérie et la guerre de colonisation qui y est menée semblaient particulièrement l’intéresser. Les données, renseignements de base sur ce pays (climat, relief, population, us et coutumes, etc.) étaient en grande partie fournies par les voyageurs scientifiques, dont M. Wagner, qui est souvent cité comme référence par, entre autres, les "militaires-explorateurs" dont le général-major von Decker qui voulait rendre service à ses compatriotes, compagnons d’armes, en « étudiant scientifiquement » sur le terrain la conquête de l’Algérie ou Heim, lieutenant dans le 5ème régiment royal d’infanterie est-prussienne, qui consacra un volumineux ouvrage de plus de 600 pages à cette guerre intitulé Geschichte der Kriege in Algier (1er volume 1854, 2ème Volume 1861). L. Buvry, membre d’une association à caractère philanthropique, fut mandaté de manière officielle par le Ministère Impérial de la Guerre pour accomplir une mission d’exploration dans les Monts des Aurès dans la nouvelle colonie française.
La qualité des " voyageurs " comme par exemple G. Rohlfs, explorateur et médecin qui a servi durant quelques années (1855-1861) , comme chirurgien volontaire, dans la légion étrangère, plus tard consul général d’Allemagne à Zanzibar ou Max Maria baron de Weber ingénieur, directeur des chemins de fer royaux qui fit une « excursion » en 1853 en Algérie etc., la durée parfois assez longue du séjour dont la nature du financement serait à étudier, ainsi que les risques encourus dans un pays en situation de guerre nous permettent de conclure que cet engagement n’était ni fortuit ni gratuit. Le général-major V. Decker avoue lui-même que ce n’est ni une curiosité inopportune, ni la vanité du touriste qui l’a poussé au-delà de la Méditerranée, mais un désir naturel de vivre une guerre de colonisation et de rendre service à ses compagnons d’armes. Ce qu’il fit, en les informant entre autre sur « Les systèmes pour mener la guerre en Afrique », « la colonisation et la civilisation » ou en leur présentant « une esquisse stratégique du système du général Bugeaud ».
Nous venons en outre de découvrir par hasard, dans un rapport sur les Gemeinschaftsprojekte Algerien/Deutschland, publié sur le site Internet de l’Ambassade d’Algérie à Berlin, que d’après des archives secrètes d’Etat, des officiers prussiens ont participé à des opérations militaires de l’armée coloniale française. Le document cite comme source: Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz, II. H.A., I Nr. 10564, Teilnahme preußischer Offiziere an der Expedition nach Constantine (Algerien), September 1837. (www. algerische- botschaft. de/alg _deutsch/projekte).
« L’expérience algérienne » (connaissance du terrain, du climat, des autochtones, leur réaction devant l’occupant…) complétée par celle des explorateurs en Afrique, n’aura pas été inutile, bien qu’il existe des différences géographiques et culturelles dans le continent ; elle aura servi à mieux connaître pour conquérir et aussi mieux combattre. En juillet 1884, au Togo et au Cameroun, le drapeau allemand est hissé au nom du gouvernement par l’explorateur et ancien consul général à Tunis G. Nachtigal.
Notes
[1] Carlier, Omar, « Braudel avant Braudel ? Les années algériennes (1923-1932) », in Insaniyat, N° 19-20, Oran, Éditions du CRASC, 2003, p.146.
[2] Julien, Ch. A., Histoire de l’Afrique du Nord des origines à 1830. Livre 1, Tunis, Cérès éditions, 2003, p.69.
[3] Jäger, Gen ; Von Schlumb, August, Der Deutsche in Algier oder 2 Jahre aus meinem Leben, Stuttgart, 1834, Vorwort S. V. (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[4] ibid.
[5] cf. Saim, Mohamed, « Die deutschen Reisebeschreibungen von Algerien in der Epoche zwischen 1671 und 1830 », in DAAD Dokumentationen & Materialien, N°20, Bonn, 1990, S.136 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[6] ibid.
[7] Julien, Ch. A. Histoire de l’Algérie contemporaine, La conquête et les débuts de la colonisation 1827-1871, Paris, 1964, p.112.
[8] cf. Allgemeine Deutsche Biographie. Bd. 40. S. 532-543 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[9] Wagner, Moritz, Reisen in der Regentschaft Algier in den Jahren 1836-1838. Bd. I. Leipzig 1841. Vorrede S. XIII (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[10] ADB (Allgemeine Deutsche Biographie) (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[11] Wagner, op. cit., p. 286 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[12] ibid. p. 286.
[13]Wagner, op. cit., pp. 286-287 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[14] Wagner, op. cit., p. 287 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[15] Wagner, op. cit., Vorrede S. IX (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[16] cf. Allgemeine Deutsche Biographie (Traduction faite par l’auteur de l’article)
[17] Ouvrage édité à Stuttgart 1834 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[18] Barth, Heinrich: Wanderungen durch die Küstenländer des Mittemeeres 1845-1847. Berlin 1849. Einleitung und Vorwort. S. XIV (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[19] Allgemeine Deutsche Biographie (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[20] Wagner, op. cit., Bd. III. Vorrede S. VII f (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[21] Wagner, op. cit., Bd. I. Vorrede S. XIV (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[22] Wagner, op. cit., S. XIV f (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[23] Barth, H., Wanderungen durch die Küstenländer des Mittelmeeres 1845-47, Berlin 1849. Bd. I. S.55 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[24] Schimper, Wilhelm, Reise nach Algier in den Jahren 1831 und 1832, Stuttgart 1834. S. 214 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[25] Maltzahn, Heinrich, Drei Jahre im Nordwesten von Afrika. Reisen in Algerien und Marokko. Leipzig 1863. Bd. I. S. 23 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[26] cf. Buvry, Leopold, Algerien und seine Zukunft... S. XI (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[27]Buvry, op. cit., S. 265 (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[28] Decker, V., Carl, Algerien und die dortige Kriegführung. Bd. 1. Zur Verständigung. S. III (Traduction faite par l’auteur de l’article).
[29] Decker, op. cit., S. 16 (Traduction faite par l’auteur de l’article).