Insaniyat N° 75-76 | 2017 | Sur les réformes en Algérie | p. 91-108 | Texte intégral
Schooling Reform of 2002: between adoption and denial The issue of the 2002 schooling reform stands for a true challenge for policy makers and different actors of the education system. Indeed, if research proved that school is mostly difficult to reform from pedagogical viewpoint, some authors keep questioning on the outcome of changes, planned on a large scale and of a prescriptive way mainly for teachers. The major questions raised in this contribution are: how was this reform of 2002 perceived, and what impression had it caused to the performances and teaching practices? Keywords: reform - change - quality - education system - performances - practices - Algeria. |
Aïcha BENAMAR, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
Introduction
Les arguments selon lesquels le changement du système éducatif doit être opéré ont été suffisamment développés : il s’agit de faire face à de nouveaux enjeux comme l’économie de la connaissance et l’obligation de résultats. Aussi, la réforme de 2002, devait-elle viser en priorité l’amélioration de la pertinence et de la qualité de l’enseignement ainsi que l’autonomie des enseignants et des équipes pédagogiques. Cette réforme était devenue nécessaire, disait-on, autant en raison de l’état objectif de l’école qu’en raison des mutations intervenues dans les différents domaines au plan national. Ainsi, les différents cycles ont enregistré quelques changements sur le plan pédagogique, les programmes et méthodes ont été révisés et de nouvelles orientations ont été adoptées, telles que l’approche par compétences ou la pédagogie de l’intégration. La principale question que nous soulevons, dans cette contribution, est de savoir quels changements cette réforme a-t-elle introduits aux plans organisationnel et pédagogique ? Notre objectif est double. Il s’agit d’une part d’analyser cette réforme au regard de la typologie de Rowan et Miller (2007) et d’autre part déterminer son impact sur les représentations et les pratiques enseignantes.
Méthodologie
Pour atteindre ce double objectif, nous avons mis en place un dispositif de recueil de données nous permettant :
- - d’approcher les principes du changement envisagé, d’une part par les concepteurs de cette réforme
et d’autre part le référentiel général des programmes. - - d’analyser les représentations et les pratiques des enseignants.
L’approche des principes du changement envisagé par les concepteurs de cette réforme nécessitait un repérage et une mise en perspective des principales notions utilisées d’une part dans les deux ouvrages de présentation2 et d’autre part dans le référentiel général élaboré par la commission nationale des programmes (CNP)
Au regard de la typologie de Rowan et Miller (2007)3, les questions auxquelles nous avons tenté de répondre sont de savoir, à quel type de changement les concepteurs de cette réforme ont-ils accordé le plus d’importance et en quels termes ? L’enjeu des réformes, selon Rowan et Miller, réside dans un problème d’agencement : « faire adopter et faire faire aux agents (ici les enseignants) ce que le pilotage a conçu ». Les deux auteurs distinguent trois modes de mise en œuvre des réformes : un mode procédural, un culturel et un professionnel.
Le mode procédural est basé sur la standardisation, la pression à la conformité et le contrôle des actions des enseignants. Il s’agirait d’un ensemble d’instructions et d’outils didactiques qui leur sont fournis en vue de la réalisation de séquences d’apprentissage/évaluation. Le mode culturel réfère à la promotion d’innovations locales octroyant une grande autonomie aux enseignants, au sein d’équipes pédagogiques. Le mode professionnel passe par la diffusion et l’appropriation de standards professionnels par des experts qui ont autorité dans la promotion de curricula.
Pour analyser les représentations et les pratiques des enseignants, nous avons mené des entretiens individuels et collectifs (focus-groups) à l’issue desquels nous avons procédé à une analyse de discours4. Les entretiens individuels se sont déroulés, durant le deuxième trimestre 2016, avec 21 enseignantes de 7 écoles primaires de la commune de Mers-el-Kébir (Oran), dont sept enseignantes chargées de l’enseignement préparatoire (ECP)5 et 14 enseignantes de première année primaire (PEP)6. Les entretiens collectifs (focus-groups) ont concerné 23 professeurs d’enseignement moyen (PEM) et 31 professeurs d’enseignement secondaire (PES) de six lycées à Mostaganem et Tiaret. Notre étude a consisté à faire émerger les représentations des réformes « vécues » de quelques unités discursives recensées. Les données ont été recueillies au cours d’échanges d’une durée ne dépassant pas quinze minutes. Cette durée relativement courte a été retenue pour deux raisons : tout d’abord obtenir l’accord des enseignants peu enclins à prendre le temps de confier leurs conceptions et ensuite éviter les discours convenus. Pour examiner les représentations des enseignants, l'analyse de la langue orale a été privilégiée puisque, contrairement à celle de l'écrit, elle a l'avantage de donner une place aux ratages, aux répétitions, aux hésitations, aux reprises, aux bafouillages, qui sont autant de lieux de signifiance laissant lire en filigrane les non-dits.
Si le spectre d’âge des ECP et des PEP est relativement similaire, celui des PEM et des PES est très variable avec une nette dominance de la tranche d’âge comprise entre 35 et 50 ans. Il s’ensuit une grande variation de leur ancienneté personnelle avec une majorité dont l’expérience globale dépasse les 10 ans de service. Il faut noter que les 23 PEM et les 31 PES ont reçu une formation (à Bac+4 ou 5), soit à l’école normale supérieure (ENS), soit à l’université (à Bac+4) (Tableau 1).
Tableau 1 : Nos interlocuteurs
Les entretiens s’articulaient autour de deux questions principales :
- - Quels sont les principes fondateurs de la réforme de 2002 ?
- - Quels changements, cette réforme a-t-elle apportés, aux plans organisationnel et fonctionnel (de la classe/de l’établissement) ?
Principaux fondements de la réforme de 2002
Nous serons d’accord pour dire que la notion de réforme éducative réfère à la modification d’un système éducatif dans le but de l’améliorer. La réforme en Algérie a été lancée en juillet 2002, date à laquelle la Commission Nationale des Programmes (CNP) fut installée ; mais il a fallu attendre janvier 2008 pour avoir un texte d’orientation7. Nous notons qu’entre 2002 et 2006, cette réforme a été présentée dans deux ouvrages collectifs8 dont le premier a fait l’objet d’un compte-rendu en 2007, paru dans le numéro 38 de la revue Insaniyat. Entre-temps, la CNP élaborait un référentiel général des programmes, un guide méthodologique, des manuels et des documents d’accompagnement dits de première génération.
Pour appréhender les principaux fondements de cette réforme, telle qu’elle est décrite par ses auteurs-concepteurs (en 2005 et 2006) et par le référentiel général des programmes (2009), nous avons procédé à un relevé systématique des principales notions sur lesquelles un accent particulier semble avoir été mis.
Principaux fondements de la réforme dans les ouvrages de présentation
Nous avons retenu les notions-clés au centre des différents articles qui composent les ouvrages de 2005 et 2006 (Tableaux 3 et 4).
Tableau 2 : La réforme dans l’ouvrage de 2005
Les contributions des différents auteurs, experts pour certains, politiques pour d’autres, convergent vers l’objet et les principes fondateurs de cette réforme. De la première préface signée par Koïchiro Matsuura, directeur général de l’UNESCO à la seconde sous la plume de Aboubakr Benbouzid, ministre de l’éducation, en passant par l’ensemble des textes, le maître-mot c’est le changement. Les termes de « réforme », « refonte » et « refondation » sont utilisés indifféremment pour nommer le processus enclenché, avec la même idée en creux : celle du changement. De la refondation de l’école chez Toualbi, à la refondation des plans d’études chez Maradan, le changement visé est à la fois structurel et fonctionnel. Il s’agirait d’une nouvelle vision de l’éducation selon Sobhi Tawil. Ce qui est préconisé, c’est un processus de changement à large échelle où il s’agit désormais d’appliquer l’approche par compétences9 (Adel) ou plutôt la pédagogie de l’intégration10 (Roegiers), en identifiant les ressources à mobiliser (Miled).
Des principes généraux de la réforme aux nouvelles finalités du système, un consensus se dégage : « l’enseignement et l’apprentissage sont considérés désormais comme des instruments pour le développement d’individus autonomes capables de faire face à des défis ». Le changement préconisé semble tendre vers le développement de l’autonomie des enseignants, à travers un curriculum national défini par les compétences.
Tableau 3 : La réforme dans l’ouvrage de 2006 « Réforme de l’éducation et innovation pédagogique en Algérie »
Dans cet ouvrage, les auteurs ne parlent pas de refonte mais de réforme. Et si cette notion de réforme semble prédominante, celle d’innovation pourtant présente dans le titre de l’ouvrage, n’apparaît pas explicitement sous ce vocable dans l’ensemble des articles. Elle est implicite autant dans le « changement de paradigme » que dans le « renouveau des programmes et des manuels » avec Sobhi Tawil. Nous la retrouvons également avec Xavier Roegiers, dans les notions de profil de sortie, de référentiel de compétences (transversale, disciplinaire, terminale) et de situation d’intégration.
L’innovation est un processus créateur et collectif qui se définit par une trajectoire que l’on ne peut prévoir, programmer, mais que l’on sait retrouver a posteriori. En ce sens, elle n’est pas totalement liée au hasard ; elle est contingente aux situations qu’elle traverse (Gaglio, 2011). Selon Altet (2005), la trajectoire des innovations rencontre souvent des obstacles, parfois des retours en arrière. Elle pourrait s’apparenter à une ligne brisée mais en tout cas, elle n’est jamais linéaire. Altet distingue ainsi l’«innovation » du « changement » lequel serait plutôt le résultat d’un processus ; alors que l’innovation est ce processus. Les trois axes d’intervention référant à l’innovation introduite sont : le renouveau des curricula, la qualification des enseignants à travers la formation, et la réorganisation des filières d’enseignement.
Lorsque dans cet ouvrage, les auteurs-concepteurs, experts pour la plupart, parlent de réforme, ils traitent de la refonte des programmes scolaires. La rhétorique employée est sous-tendue par les instructions officielles à donner aux enseignants afin qu’ils adaptent les contenus de leur enseignement aux nouvelles
Un consensus se dégage quant à la nouvelle vision de l’éducation, se définissant par une approche par les compétences.
Principaux fondements de la réforme dans le référentiel général des programmes11
Le référentiel général des programmes, élaboré par la Commission nationale des programmes (CNP), est un outil à la fois méthodologique et technique, fondé sur la politique éducative de l’Etat. Il met en avant une posture épistémologique déterminée par de nouveaux paradigmes qu’il s’agit d’approcher à travers les principales notions utilisées pour décrire la réforme mise en œuvre (Tableau 4)
Tableau 4 : La réforme dans le référentiel général des programmes
Le référentiel général des programmes permet de comprendre que la réforme est largement orientée vers la transformation de l’école. Le curriculum national est désormais défini par l’approche par les compétences, érigée en principe organisateur de tous les programmes. Des deux ouvrages de présentation de la réforme, à ce document, les mêmes notions constituent la vision conceptuelle en partage. En effet, « le changement de paradigme au niveau de la pédagogie » est à l’origine du nouveau dispositif mis en œuvre en terme « d’approche par les compétences », amplement détaillée par la CNP. Cette approche qualifiée de rhétorique dans les deux ouvrages revêt la forme d’un discours opérationnel dans le référentiel qui indique les grandes lignes de force de ce que devraient être le changement et l’innovation à l’école. Qu’en est-il sur le terrain ?
Les représentations de la réforme dans les discours des ECP et des PES
Nous serions probablement d’accord pour dire qu’il n’existe pas de pratique pédagogique sans croyances ou conceptions initiales ; autrement dit sans système de références ou de représentations. Pour Grize (1987 :15), « ces représentations constituent le lieu même à partir duquel l’individu va réagir ».
La réforme de 2002 est à l’origine d’un ensemble de représentations que nous avons tenté de traduire et d’analyser en éléments constitutifs discrets ou plutôt de les interpréter. En admettant que des liens peuvent exister entre les discours des enseignants et les représentations qu’ils ont de la réforme, notre hypothèse était que les représentations ne pouvaient pas être toutes communiquées. Celles qui pouvaient se manifester dans les discours, pouvaient se présenter de manière fragmentaire ; telles un texte en miettes, fait de bribes qu’il s’agissait de reconstituer (Benamar, 2009 : 122).
À la question de savoir quels sont les fondements de la réforme de 2002, les enseignants interrogés citent indifféremment: « la réforme des compétences »12, « l’approche par compétences », « l’approche par les compétences », « la réforme de la pédagogie », « la refonte pédagogique ». Le seul sens attribué à cette réforme, par la plupart des enseignants interrogés, est celui d’une nouvelle méthodologie.
Si les fondements de cette réforme étaient, selon ses concepteurs, porteurs d’innovations et de changements importants, qu’en est-il pour les enseignants enquêtés ? (Tableau 2).
Tableau 2 : Fondements de la réforme selon les enseignants enquêtés
Pour cinq ECP13 sur sept que nous qualifions de positifs, les fondements de cette réforme sont pertinents. Ce qui ressort d’abord c’est le nouveau langage : « on parle de compétences comme on parlait de capacités ». C’est ensuite le curriculum qui propose des activités diversifiées. Ce sont enfin les projets que la réforme n’a pas évacués. Au préparatoire, selon la plupart des ECP, « c’est le jeu dans toutes les activités de lecture, d’écriture et de calcul » et la réforme insiste sur cela. Partant du contexte réel de la commune, caractérisé par la présence des sept classes préparatoires, de trois Kuttabs et 3 jardins d’enfants privés agréés et en l’absence d’école coranique, elles expriment à haute voix leur inquiétude. Compte tenu de l’insuffisance des classes enfantines dans les établissements scolaires et eu égard au manque de confiance accordée dans les structures privées échappant au contrôle de l’État, un grand nombre d’enfants de 5 à 6 ans ne bénéficient pas, selon elles, de l’enseignement qui les prépare à l’accès en première année primaire. La solution préconisée pour résoudre le problème est de multiplier les classes préparatoires existantes par deux.
Pour neuf PEP sur quatorze, que nous qualifions de sceptiques, la réforme ne peut pas être appliquée dans le sens où la jonction entre les compétences disciplinaires et les compétences transversales est difficile à assurer. Nous relevons de leurs discours : « La réforme date de 2002, 2003 ou 2004»14 « Elle a été découverte dans les documents pédagogiques »15. « Toutes les demi-journées pédagogiques sont consacrées à des leçons modèles réalisées avec cette approche, au lieu de nous l’expliquer». Certaines PEP déclarent que la théorie a été détaillée de long en large. Elle a constitué « une leçon qu’ils ont apprise». Le premier regret exprimé est de ne pas avoir été familiarisées à l’approche au sein de l’établissement au cours de séances organisées par leur chef d’établissement. « Toute réforme, disent-elles, est expliquée aux inspecteurs, lesquels l’expliquent à leur tour aux directeurs d’école qui eux doivent présenter les nouveaux programmes aux enseignants pour les appliquer.» Le second regret exprimé par d’autres est qu’avec la réforme, « il n’est toujours pas possible, de faire redoubler en première année primaire les élèves, qui en fin d’année ne savent ni lire ni écrire.» Arrivés en deuxième année primaire, ils « gonflent » les effectifs et retardent ceux qui sont en avance parce qu’ils avaient déjà appris à lire, écrire, compter au préparatoire16. Si les compétences disciplinaires sont relativement bien prises en charge, selon certaines, il n’est pas simple d’intégrer les compétences transversales.
Dix-neuf PEM sur 23 (dont les 4 de sexe masculin), que nous avons qualifiés de réfractaires, trouvent les fondements de la réforme « paradoxaux.» Parlant de refonte pédagogique, ces enseignants reprochent au ministère de ne pas s’être occupé du système de formation continue des enseignants et du dispositif d’évaluation. Ils précisent que «les projets de réforme qui ne modifient que la pédagogie sont discutables.» Car, ajoutent certains d’entre eux, «pour former un tout cohérent, les parties de l’ensemble doivent être en harmonie les unes avec les autres ». «On ne peut pas réformer les programmes et les méthodes avant de penser aux enseignants qui doivent les appliquer par la suite.» La question soulevée était de savoir s’il était possible de réformer l’ensemble du système tout en évitant la complexité du processus. La majorité des élèves au collège ont un rapport négatif avec les savoirs enseignés, même quand ces savoirs sont contextualisés, disent-ils. Alors que peut apporter une réforme dans ce contexte ? Certes, la question des rapports aux savoirs se pose quand on constate que dans la même classe certains ont envie d’apprendre alors que d’autres ne manifestent pas cette envie.
Vingt-huit PES sur 31 (dont les sept de sexe masculin) admettent difficilement le fait qu’il y ait véritablement « changement » : «la réforme ne peut pas venir d’en haut, disent-ils ». « L’enseignement se joue dans le quotidien des classes, on ne peut pas le changer par en haut ». « Pour que la réforme soit connue et acceptée, il faut qu’elle associe les enseignants. » « Nous faisons des choses innovantes avec nos élèves, alors que le discours public est plutôt de dire : ça va mal, il faut réformer. Personne ne sait à l’extérieur de l’institution ce qui est bon pour les élèves. Il y a quantité d’initiatives qui doivent être encouragées, voire diffusées. C’est faux de dire que l’enseignement ne bouge pas, il faut le réformer ». Ces enseignants s’appuyant sur les fondements de la réforme, qu’ils qualifient d’antinomiques, critiquent, en l’absence d’une réflexion approfondie, cette approche qui met selon eux, les savoirs au second plan17.
Les changements apportés par la réforme de 2002
Entre la logique de la prescription des pratiques et celle de l’autonomie des enseignants et des équipes pédagogiques, une réelle tension se manifeste. Cette question de « l’autonomie laissée à l’enseignant » a été largement discutée en particulier avec les PEM et les PES, qui dans leur majorité font référence aux contraintes des programmes. Si le principe de l’autonomie, accordée aux enseignants, est admis par les ECP et les PEP, il est occulté par les PEM et les PES. Ce principe, certes défendu par les auteurs-concepteurs de la réforme, est dévoyé par les inspecteurs sur le terrain. Certains, en revanche, admettent l’existence d’une relative autonomie des équipes pédagogiques quand il s’agit de l’organisation des séquences d’apprentissage et du choix du dispositif d’évaluation.
Quant à la guidance pédagogique, les ECP déclarent « savoir désormais ce qu’il faut faire et pourquoi il faut le faire », et ce, grâce aux documents en leur possession. Le changement notoire perçu se situe au niveau de la transformation du « préscolaire » en « enseignement préparatoire » préparant au programme de première année primaire. Par contre déclarent-elles « la réforme n’a réglé ni le problème de la formation ni celui du matériel individuel de l’élève. » Les PEP sont partagés entre ceux qui soulignent le changement et le qualifient de positif et ceux qui n’en perçoivent aucun. Le changement perçu se situe au niveau de la cohérence et de la cohésion des séances en séquences d’apprentissage. «C’est une innovation dans l’enseignement primaire où on parlait de leçons et de séances », selon certaines qui semblent reconnaître une nouveauté18.
Á la question de savoir si la réforme avait un impact sur l’apprentissage et les résultats des élèves, tous les PEP répondent par l’affirmative. Certains PEM, relativement critiques sur le manque de formation, admettent à demi-mot que le changement est en marche, au niveau de la classe et de l’établissement, quand d’autres reconnaissent un réel changement en terme d’amélioration des résultats des élèves. Pour certains PES, « les situations d’apprentissage favorisent les compétences contrairement aux situations d’évaluation qui continuent à fonctionner autour des savoirs. » La réforme devrait selon eux régler définitivement ce problème d’incohérence.
Les réajustements introduits progressivement depuis la mise en œuvre de la refonte de la pédagogie et des programmes restent relativement méconnus par l’ensemble des enseignants enquêtés. La refonte, avons-nous fait remarquer, a été mise en œuvre en 2002 et la loi d’orientation sur l’éducation 08-04 a été promulguée en 2008, la question est de savoir ce qui a changé avec cette loi n’ayant obtenu aucune réponse à cette question, il y a lieu de se demander si tous les enseignants sont informés par leurs institutions et/ou sont intéressés par les innovations introduites dans le système. En matière de curricula par exemple, le ministère de l’Éducation, recherche la consultation la plus large possible afin de légitimer ses choix. Dans le cadre de la réforme curriculaire qui a caractérisé le système éducatif, cette consultation s’est actualisée, à travers de nombreux ateliers.
Un consensus s’est dégagé autour de la nécessité d’impliquer les enseignants dans le processus de mise en œuvre de toute réforme si on veut garantir la réussite. Les enseignants admettent que les processus de réforme sont lents à mettre en place ; en particulier si on n’associe pas les enseignants dès le début. Cela nous ramène à Dupriez qui précisait (2015, p. 32) que les réformes ne doivent être pensées « ni au niveau du pilotage, ni au niveau de l’établissement mais elles doivent être systémiques, associant les différents niveaux et les différents acteurs ». Et c’est Maradan qui soulignait (2005, p.102) que toute réforme éducative consistait en une course de relais, où la victoire n’est que par le dernier relayeur ; autrement dit l’enseignant dans sa classe.
Conclusion
Au regard de la typologie de Rowan et (2007)19, nous pouvons affirmer que la réforme de 2002 a tendance à osciller entre une approche professionnelle et une approche procédurale. Le dispositif mis en place reposait essentiellement sur l’adhésion aux valeurs de la réforme et un accompagnement pédagogique. Or, nos données qualitatives révèlent une relative adhésion et un manque de guidance pédagogique, dans la plupart des situations. Aussi, n’est-il pas possible de permettre à certaines équipes, eu égard à leur expertise professionnelle de favoriser l’ajustement de la réforme à leur contexte ? Quels que soient le mode de mise en œuvre et de régulation de la réforme, la mobilisation des équipes pédagogiques, au sein de l’établissement scolaire, est incontournable. Toute réforme introduit des formes managériales de régulation qui se traduisent par une concertation pédagogique in situ. L’analyse de nos résultats met en évidence trois points majeurs : la demande explicite de la plupart d’une orientation pédagogique plus rapprochée, le relatif désarroi de certains quant à l’unicité de l’approche et le besoin d’une masse critiques de ressources, exprimé par d’autres. Beaucoup reconnaissent que le changement est amorcé et il reste à savoir comment consolider sa dynamique.
Bibliographie
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Notes
[1] La réforme de 2002 ou « refonte pédagogique » mise en place par le Ministère de l’éducation nationale, dès novembre 2002, a été conduite par la Commission Nationale des Programmes (CNP), installée à l’Institut National de Recherche en Éducation (INRE). Il s’agissait pour cette commission de concevoir et d’élaborer le général des programmes d’enseignement dans un premier temps.
2 Ministère de l’Éducation Nationale-UNESCO, (2005). La refonte de la pédagogie en Algérie : Défis et enjeux d’une société en mutation», Alger : Casbah Éditions, p. 241.
Ministère de l’éducation nationale. Programme d’appui de l’UNESCO à la réforme du système éducatif (PARE), 2006. Réforme de l’éducation et innovation pédagogique en Algérie. Éditions UNESCO-ONPS.
3 La typologie élaborée par Rowan et Miller (2007) se base sur le modèle des programmes « Comprehensive school reforme (CSR) » qui proposent aux enseignants des outils plus ou moins standardisés, une formation à ces outils et un coatching pour leur utilisation en classe.
4 La notion de discours est utilisée ici pour désigner l’ensemble des réponses recueillies à travers les entretiens individuels et collectifs (focus-groups).
5 Les sept enseignantes du préparatoire (ECP), initialement MEF (maîtresses d’écoles fondamentales) ont été précédemment chargés de la première année primaire. Elles ont un profil similaire au profil de leurs collègues en charge de la première année primaire.
6 La commune de Mers-el-Kebir compte sept écoles primaires : Dadaioum (Sainte Clothide), Lahcène Hansaline (Longchamp), Ouarsenis 1, Ouarsenis 2, École de filles, École de Garçons, 12 classes Mers-el-Kebir. Chaque école possède une classe d’enseignement préparatoire. Les enseignantes du primaire sont des professeurs d’écoles primaires ou assimilés (Bac+3).
7 Loi 08-04 du 23 janvier 2008 portant loi d’orientation sur l’éducation nationale.
8 Ministère de l’Education Nationale-UNESCO, (2005). La refonte de la pédagogie en Algérie : Défis et enjeux d’une société en mutation » Alger, Casbah Éditions, p. 241.
Ministère de l’éducation nationale. Programme d’appui de l’UNESCO à la réforme du système éducatif (PARE), (2006). Réforme de l’éducation et innovation pédagogique en Algérie. Éditions UNESCO-ONPS.
9 Nous remarquons au passage les deux injonctions dans l’article de Farid Adel : « appliquer l’approche par les compétences », « introduire les TICE ».
10 Nous remarquerons également l’évolution du discours de Xavier Roegiers passant de l’APC à la pédagogie de l’intégration.
11 Ministère de l’éducation nationale 2009. Référentiel Général des programmes. Alger, Commission nationale des programmes (CNP).
12 La compétence est l’un des concepts qui se situent au centre de la réforme de 2002. Dolz et Ollagnier (2002 : 8) la définissent comme « la capacité à produire une conduite dans un domaine donné ».
13 Qui ne sont pas débutantes dans l’enseignement, par conséquent elles sont toutes les sept supposées avoir bénéficié d’une formation en cours d’emploi.
14 Elles retiennent en particulier la date de 2004, date d’édition des documents pédagogiques.
15 Programme et document d’accompagnement.
16 La première année a consolidé leurs acquis.
17 Alors que ce sont des ressources indispensables.
18 Nouveauté terminologique alors que la nouveauté épistémologique et didactique n’est pas perçue.
19 Nous rappelons que cette typologie fait ressortir trois types de stratégies de changement dans toute réforme pédagogique. Les principales variables permettant de caractériser ces stratégies sont la guidance pédagogique, le degré d’orientation ou de standardisation des pratiques et d’accompagnement des enseignants le travail collaboratif entre eux ainsi que leur autonomie.
20 « Pédagogie » est le terme consacré dans le titre.