Insaniyat N° 75-76| 2017| Sur les réformes en Algérie | p. 177-180 |Texte intégral
La problématique des réformes scolaires représente un véritable défi pour les décideurs politiques et pour les chercheurs en éducation, compte tenu de la résistance des établissements au changement pédagogique. La question est de savoir pourquoi les réformes éducatives sont si nombreuses à échouer et comment limiter le risque de leur échec ? Les titres des deux ouvrages publiés en 2015 réfèrent au changement : changement d’école pour les premiers et changement des conditions institutionnelles et organisationnelles pour le second. Par ailleurs si Dupriez se demande si on peut réformer l’école, Dubet et Duru-Bellat avancent dix propositions pour le faire. Nous tenterons de comprendre, à travers les deux ouvrages, pourquoi les réformes pédagogiques sont difficiles à conduire.
La justification croisée de l’échec des réformes
Dubet et Duru-Bellat justifient l’échec de l’école par son incapacité à réduire les inégalités devant l’apprentissage. « Trop d’élèves échouent, apprennent mal ou trop peu, parce que le projet éducatif lui-même semble parfois s’effacer devant la rigueur des mécanismes de la machine à sélectionner et à décourager les élèves » (p. 142). Tous les enfants sont éducables si on les aide à trouver leur voie selon les auteurs qui expriment leur scepticisme quant aux politiques d’égalité et d’équité. Lutter contre les inégalités à l'école c'est agir pour une école qui fabrique des citoyens par des pratiques de vivre ensemble. Les auteurs ont des mots durs sur les leçons d'enseignement moral et civique et sur la laïcité de l’exclusion.
Dans un article co-écrit avec Xavier Dumay dans la revue française de pédagogie 150 (2005), à propos de l’égalité des chances des élèves, Dupriez formule l’hypothèse selon laquelle les systèmes scolaires où la réussite scolaire à l’âge de 14-15 ans est moins associée aux ressources socio-culturelles des familles sont plus égalitaires. L’école peine à établir l’égalité des parcours scolaires parce que le mérite et le talent, dont on connaît la relativité, restent les seuls critères. Le principe de l’égalité des chances s’est affaibli puisqu’il s’agit uniquement d’égalité de traitement et que les dispositifs compensatoires, conçus comme une formation additionnelle, restent faibles.
Pour Duru-Bellat dans un autre ouvrage de 2002 sur les inégalités, « l’observation des statistiques scolaires, incluant l’origine sociale des parents, confirme la résistance des inégalités sociales aux politiques de démocratisation». L’école s’est sans doute transformée, sans se réformer, et surtout sans vouloir se réformer, précisent les auteurs.
La thèse défendue par Dupriez est que « les systèmes éducatifs sont hostiles aux réformes pédagogiques» L’auteur explique que les réformes ont d’abord été pensées selon un mode hiérarchique et vertical ; les décideurs ne se préoccupant des personnes relais pour la diffusion, que tardivement. Ce qui fait des enseignants des agents passifs. Or, les enseignants sont des agents actifs, transformant les réformes en fonction de leur environnement. Ils résistent aux réformes conçues et planifiées d’en haut. Ils perçoivent dans les tentatives de changement un manque de confiance dans leurs compétences et/ou la mise en danger des valeurs auxquelles ils sont attachés ! Aussi ne peuvent-ils pas adhérer aux réformes engagées car ils les perçoivent trop éloignées des situations de classes.
Une problématique commune : le changement
Dubet et Duru-Bellat plaident en faveur d’un changement d’école et non de l’École. Cet écart sémantique est à relever dans le sens où il peut influer sur le discours et l’action des politiques. L’école doit cesser d’être un appareil distribuant des diplômes qui permettent de se placer, pour jouer pleinement son rôle d’instruction et d’éducation des jeunes. Régulièrement, l’actualité interpelle l’institution scolaire sur son inefficacité. La question posée est de savoir si cette inefficacité est liée à un manque de moyens ou à une absence de sens pour les jeunes ? Aujourd’hui, elle classe les élèves sur la base de savoirs inégalement maîtrisés et cette évolution s’est faite aux dépens de sa fonction de creuset culturel et d’éducation du citoyen.
Pour Dupriez, le changement est indispensable et il est dû à la capacité de l’école à susciter des innovations pédagogiques. Comprendre la différence entre réforme et innovation est donc essentiel : une réforme pédagogique vise à transformer les contenus, la manière dont ces contenus sont organisés ou l’organisation de l’enseignement et correspond à «une opération coordonnée de changement à large échelle » (p. 13). Par ailleurs, une innovation correspond à «une nouveauté dans un cadre particulier et pour des acteurs particuliers». Le changement passe nécessairement par les innovations pédagogiques et l’autonomie des enseignants : autonomie présentée comme une réponse à la diversité des situations de classes. Il s’agit dit-il d’octroyer plus de responsabilités professionnelles aux enseignants qui doivent être associés aux prises de décision.
Les propositions avancées
Dubet et Duru-Bellat avancent dix propositions articulées autour de trois concepts : diversification, interdisciplinarité, professionnalisation. Créer des liens entre les disciplines académiques éviterait l’empilement de connaissances décloisonnées, amènerait un allègement des programmes et en corrigerait le caractère de plus en plus abstrait. Ces projets permettraient l’apprentissage de nouvelles compétences qui restent à préciser dans le socle commun. Il est nécessaire, selon les auteurs, d’offrir aux jeunes des formations professionnelles en même temps que leurs études afin de leur présenter des voies d’accès à l’emploi et de démystifier le pouvoir des seuls diplômes. Il devient par ailleurs urgent d’apprendre aux futurs maîtres le métier d’enseignant : car le statut n’est pas le métier et être agrégé n’induit pas de savoir gérer une classe.
Le système éducatif, pour progresser, affirme Dupriez, « a besoin d’une évolution des pratiques éducatives des enseignants, mais la structure du système est telle que les autorités ont peu de prise sur ces pratiques ». L’auteur insiste, de manière particulière, sur l’autonomie des enseignants. Il note que si le système scolaire est favorable à l’éclosion d’innovations locales et il est défavorable aux réformes planifiées et décidées à partir d’une autorité centrale. La logique bureaucratique du système éducatif devrait céder la place à la responsabilité professionnelle des enseignants. Et si les décideurs ne tiennent pas compte de cet enjeu, ils risquent certainement de démotiver les enseignants, qui vont percevoir un décalage entre les réformes engagées et leur environnement de travail. L’auteur invite les décideurs de faire davantage confiance au jugement professionnel des enseignants qu’à des outils standardisés, plus ou moins adossés à des recherches expérimentales. « En somme, conclut-il, l’expertise des enseignants est au cœur de tout processus de réforme pédagogique »
In fine, ce qu’il y a lieu de retenir de la lecture de ces deux ouvrages c’est que tout système éducatif pour progresser a besoin d’une évolution des pratiques éducatives des enseignants. Aussi les trois auteurs nous invitent-ils à faire plus que jamais l’éloge de la pédagogie. La relation entre enseignants et élèves ne doit pas être reléguée au second plan et la qualité de l’expérience scolaire va de pair avec la qualité des apprentissages.
Aïcha BENAMAR