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Les graffiti au service de la sécurité routière au Maroc. Esquisse d’une approche psychosociale


Insaniyat N°s85-86| 2019 |Les graffiti en Afrique du Nord : les voix de l'underground |p. 59 - 73| Texte intégral



 Fatima Zahra SAHLI: Université Mohammed V, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 10 000, Rabat, Maroc. 


La présence des graffiti est de plus en plus visible dans le contexte marocain. Cette pratique se répand grâce au développement urbain et architectural qui offre de multiples supports et surfaces que les graffiteurs mettent au profit de leurs créations artistiques. Ces nouvelles perspectives artistiques explorent des espaces muraux ou terrestres pour en faire des lieux de création et de discours. Pour le grand public, les œuvres graffitiques renvoient plus souvent à la délinquance ou à la criminalité. Or, de nos jours, cette pratique scripturale et artistique quitte la sphère de l’anonymat et de l’interdit pour investir d’autres espaces et d’autres fonctionnalités. Nous constatons qu’elle est même sollicitée par des associations ou des organisations reconnues par les autorités locales. Ainsi, les auteurs des graffiti peuvent bénéficier de la logistique nécessaire pour réaliser leurs œuvres murales. Cependant, ce passage du statut spontané et illégal au statut légal et officiel parrainé par les autorités politiques a ôté aux graffiti leur aspect originel.

Le cadre esquissé ci-dessus nous conduit à évoquer la transition du graffiti d’une pratique illégale et spontanée liée aux quartiers vulnérables à une réalisation légale occupant les surfaces des grands immeubles, des panneaux publicitaires, le design intérieur et les véhicules poids lourd dont il sera question dans la présente contribution.

Au Maroc, les usagers de la route croisent souvent des camions poids lourd avec différentes œuvres artistiques apposées sur la surface de leurs remorques/citernes représentant des paysages naturels (montagnes ou désert), des animaux qui symbolisent l’endurance, la vitesse et la force physique (tigre, léopard, gazelle, lion et autres). Ces œuvres sont notamment produites sur des véhicules travaillant dans le secteur informel. Elles sont souvent réalisées par des graffiteurs talentueux gravitant autour des garages de mécanique ou des vendeurs de pneus.

Au Maroc, comme partout ailleurs, la sécurité routière occupe une place de premier plan dans l’agenda médiatique et politique. Pour remédier à ce fléau qui fauche des milliers de vies chaque année, il est fait appel à une multitude d’actions et d’outils mêlant sanction et sensibilisation. Les graffiti, dans leurs différentes expressions, font partie de cet arsenal mobilisé en vue de stopper l’hécatombe qui endeuille les familles marocaines au quotidien. Plus de trois mille personnes sont tuées et plus de cent mille autres sont blessées chaque année sur les routes au Maroc, soit près de 10 décès et de 278 blessés par jour. Dans ce contexte, le Maroc a mis en place un plan quinquennal de sécurité routière avec un but de réduire à moitié la mortalité due aux accidents de la route (Statistique Maroc, 2018).

Transporter de grandes quantités de marchandises dans le secteur informel est souvent exécuté par des conducteurs qui travaillent à la tâche en réalisant des trajets aussi longs que risqués. Le secteur informel représente 70, voire 75 % du transport de marchandises (Teravaninthorn et Raballand, 2009), et peut concerner même les grandes unités les plus structurées (Mejjati, 2007), comme celle qui a retenu notre attention dans cette recherche à savoir le Groupe Lafarge-Holcim au Maroc.

Pour mener cette recherche, nous avons donc accordé une importance particulière aux graffiti représentant une campagne de sensibilisation à la sécurité routière, réalisés sur des véhicules poids lourd du Groupe Lafarge-Holcim appartenant au secteur formel, en partenariat avec l’Agence Nationale de la Sécurité Routière (NARSA) (ex-CNPAC) et l’Agence artistique Placebo spécialisée dans le graffiti et le Street-art au Maroc.

Cette collaboration a fait naître plusieurs graffiti et fresques sur des citernes poids lourds mobilisant des messages relatifs à la sécurité routière. En d’autres termes, les trois organismes sont à l’origine d’une campagne de sensibilisation à la sécurité routière à travers trois construits essentiels, à savoir le camion poids lourd comme support mobile, le graffiti comme œuvre transmettant un message et un énoncé en arabe représentant un message relatif à la sécurité routière. Ce qui nous interpelle dans cette collaboration, c’est l’institutionnalisation du graffiti qui se fait à travers des éléments divergents mais qui convergent tous vers une forme artistique au profit de la sécurité routière. De ce point de vue, nous nous interrogeons sur les représentations générées par ce construit hétérogène chez les usagers de la route auquel cette campagne est adressée.

Cette étude se donne pour objectif de comprendre ces représentations et voir comment l’usage institutionnel des graffiti pour des besoins de sécurité routière les transforme.

Le graffiti au profit de la sécurité routière

Le graffiti est considéré comme un outil par lequel les auteurs peuvent décrire leur vécu et exprimer leurs pensées et leurs idées dans un contexte précis (Tracy, Ma, Bnurs et Rgon, 2005). En fait, il était toujours considéré comme un art vulnérable, souffrant de l’exclusion sociale et de différents mouvements de l’anti-graffiti. Devant sa perception comme étant un marquage illégal de biens publics ou privés, il a commencé à être lié au crime. De ce point de vue, un cadre de construction des communautés est abordé pour gérer ce domaine considéré comme illégal. En revanche, il y a toujours moyen pour changer la représentation des formes d'art qui ne sont pas présentes dans les galeries d’art (Ten Eyck, 2014). Il convient de rappeler que les graffiteurs adoptent une démarche qualitative dans leurs réalisations artistiques, ce qui leur permet de générer de nouveaux contenus à travers des innovations techniques qui peuvent être considérées comme des avancées stylistiques pour le graffiti (Lachmann, 2003).

Dans une perspective plus approfondie, le contexte, dans lequel ces graffiti sont produits, joue un rôle majeur dans leur perception. Les différentes expressions artistiques de rue interviennent dans un espace autre que celui de l’exposition, propre aux galeries d’art. En fait, La ville adhère à  une stratégie qui sert à déterminer les initiatives spontanées des artistes devant la multiple disponibilité des supports susceptibles de les attirer (Le Gallou, 2019).

En relation avec cela, les courtes perspectives, ne tenant qu’à la réputation de l’attribut personnel de l’auteur, revêtent une autre dimension devant le développement de différentes actions organisées qui ont pour but l’évaluation quantitative de la réputation (Lachmann, 2003). À ce titre, les usagers de la route, habitués à voir différentes expressions artistiques sur les citernes attelées aux poids lourds, mais avec l’institutionnalisation du contenu, ces expressions artistiques auront-elles toujours le même impact ? Avec la précision de la consigne, de la thématique et de la finalité voulues par l’institution, l’aspect qualitatif s’efface-t-il devant l’aspect quantitatif dû à l’institutionnalisation du graffiti ?

Les véhicules poids lourd comme support de graffiti

En raison de la nature de leur activité et de par leur présence dans l'environnement routier, les conducteurs de véhicules de poids lourds sont des acteurs de la route. En ce sens, Belhaj (2009) a relevé que la mise en exergue des relations homme / environnement de travail et les diverses interactions socio-culturelles est cruciale. Cette mise en exergue inclut les normes sociales et les différents déterminants psychosociaux de l'usage de la route (Belhaj, 2009).

Nous avons tenté de comprendre le lien entre la connaissance et la perception de tout élément appartenant à l’environnement afin de comprendre le comportement routier. Selon Neisser (2006), la perception est liée à l’action, en mettant en œuvre le rapport entre trois éléments essentiels qui représentent, par la suite, un cycle entre le schéma, l’exploration et l’environnement.

Nous avons intégré cette relation triadique dans notre analyse en procédant à des rapprochements entre le graffiti, le schéma, l’idée de sécurité routière et l’exploration en prenant la route comme composant principal de l’environnement spatial. Par ailleurs, certains coûts sociaux importants génèrent un sentiment d'insécurité de la part des passagers (Thompson et al., 2012). Face à cette entrave, une exposition répétitive et la transmission de contenus à un espace inhabituel sont susceptibles de favoriser l'instruction (Grogono, Johnson, Jastremski et Russell, 1982).

Notons que les camionneurs représentent 3,95 % des tués de la route dont 40,82 % sont des conducteurs 3,14 % des blessés graves dont 42,55 % sont des conducteurs et un taux de 2,11 % des blessés légers dont 42,75 % sont des conducteurs (Statistique Maroc, 2017). L'importance de la sécurité des camions et de leurs chauffeurs n'est pas remise en question, même si les accidents de camions par kilomètres parcourus sont moins fréquents que ceux des autres véhicules, ils sont néanmoins plus graves (Dionne, Desjardins et Ingabire, 2001).

Cela dit, les conducteurs de véhicules poids lourds sont exposés à de multiples facteurs de risques pouvant influencer leur santé ;  chose qui entraîne l’augmentation de risques dans l’environnement routier (Crizzle et al., 2017).

Le choix d’un camion poids lourd comme support mobile d’un message sensibilisant à la sécurité routière se veut une nouvelle façon de lire l’environnement graffitique dans le contexte marocain. D’ailleurs, le graffiti s’inscrit d’une façon durable dans l’espace urbain, permettant une communication à travers laquelle nous pouvons analyser le phénomène comme tout autre phénomène langagier, en interrogeant les rapports complexes entre les langues, les signes, les normes et les espaces qui caractérisent cette pratique langagière qui ne peut être décortiquée qu’en examinant la complexité des rapports qu’elle exprime (Ouaras, 2015). 

Graffiti et représentations sociales des usagers de la route

La recherche sur les représentations sociales liées aux graffiti ainsi que sur les contextes où ils interviennent est susceptible de contribuer à la compréhension des dynamiques sociales au Maroc. Malgré les recherches de plus en plus nombreuses dans diverses disciplines et en particulier la psychologie cognitive (Crozier et Chapman, 1984), le stimulus iconique apparaît comme « un univers complexe » , régi par des lois souvent mal connues,  à la différence du monde linguistique apparemment mieux apprivoisé.

Cependant, la réalisation de ce type d'expression murale a, aux yeux des auteurs, un caractère hautement symbolique en vertu du lien social unissant les membres participants dont les codes et les symboles sont communs (Aghababaie et Pens, 2018).

En fait, différentes écoles d'art peuvent avoir des influences plus spécifiques sur la manière dont les pratiques artistiques sont perçues. Les recherches actuelles se concentrent plus sur les spectateurs non formés (Hagtvedt et Patrick, 2008). Cela dit, la représentation de ces œuvres chez ces derniers ouvre une perspective fertile à la recherche, étant donné que la représentation sociale est un construit social représentant un ensemble organisé d’informations, d’opinions, d’attitudes et de croyances à propos d’un objet donnée (Abric, 2005).

Dans le contexte des pratiques sociales, les mutations des valeurs et des utilités sociales sont primordiales (Beauvois, 2012). En fait, l’utilité de l’approche psychosociale réside dans la prise en compte des déterminants sociaux, tout en offrant la possibilité d’interprétation des discours et de compréhension des pratiques à travers les représentations sociales (Fieulaine, 2010). Par ailleurs, la compréhension d'une trajectoire ou d'une subculture permet l'analyse et le positionnement par rapport, d’un côté, à la valeur que les individus se donnent, et d’un autre, à la continuation de leur activité artistique ou toute activité sociale (Lachmann, 2003).

Approche méthodologique

La présente recherche a ciblé 25 usagers de la route, en l’occurrence des conducteurs, pour constituer des données qualitatives. Il leur a été demandé de commenter une image de graffiti mobile comme une planche inductrice, en suivant nos consignes.

La constitution de ces données est une étape principale dans l’étude des représentations des usagers de la route. Pour explorer ces données, nous avons utilisé la méthode de « réseau d’associations » qui représente une technique pour détecter la structure, les contenus, les indices de polarité et de neutralité du champ sémantique liés aux représentations sociales (De Rosa, 2005).

Nous avons choisi un graffiti comme planche inductrice représentant un stimulus aux répondants. La photo-ethnographie est devenue indispensable, face à l’incapacité textuelle de définir un produit visuel. En fait, les images racontent les actions des graffiteurs et restituent la localisation de leurs œuvres dans l’environnement. Sans ce dernier, la signification des graffiti est biaisée (Spinelli, 2007). Habituellement, le stimulus est un mot, cependant, il est possible que celui-ci soit un matériel iconique, comme une image choisie selon des critères de saillance et de cohérence avec les objectifs de la recherche (De Rosa et Farr, 2001).

Quant à la démarche, nous avons présenté une planche inductrice représentée dans la figure 1 à la population de recherche, en quatre temps successifs. D’abord, demander aux répondants d’écrire tous les mots qui leur viennent à l’esprit concernant l’image montrée, en numérotant ces mots par ordre d’apparition. Puis, donner une connotation selon la signification de chaque mot, donner (+) pour une connotation positive et (-) pour une connotation négative, et (0) pour une connotation neutre. Ensuite, mettre une flèche entre les mots qui sont en liaison. Finalement, mettre les mots écrits par ordre d’importance en recourant au marquage alphabétique.

Les indices de polarité et de neutralité consistent à évaluer l’attitude implicite dans le champ représentationnel. Pour visualiser ces représentations, nous nous sommes appuyée sur les formules ci-dessous :

Indice de polarité = (N de mots positifs – N de mots négatifs) / N total de mots associés, avec N = Nombre.

Indice de neutralité = (N mots neutres – N mots positifs + N mots négatifs / N total de mots associés).

Quant à la hiérarchisation des contenus, nous nous sommes appuyée sur les résultats du réseau d’association pour déterminer la structure de la représentation selon l’approche structurale de Abric (2005) en se référant aux données de fréquence et celles d’importance.

L’art et la sécurité routière

S’inscrivant dans le cadre d’une campagne de sensibilisation à la sécurité routière, les graffiti examinés ici ont été réalisés en 2018 par les artistes de l’agence Placebo et apposés sur plus de quatre-vingt citernes attelées aux camions poids lourd travaillant au profit du Groupe Lafarge-Holcim. Nous avons choisi un graffiti de format presque cylindrique tout comme les autres œuvres artistiques réalisées dans ce contexte. Celui-ci s'inscrit dans le genre artistique de la calligraphie réalisée en style bubble dont le contenu linguistique présente des pseudonymes ainsi que certains mots lisibles. Ce graffiti est accompagné par un message écrit en arabe associé à une icône représentant son contenu.

Figure 1 : Un graffiti sensibilisant les usagers de la route sur les dangers de l’utilisation du téléphone au volant.

 

En termes d'identification, l'œuvre présentée est un graffiti (figure 1) de style bubble à contenu linguistique comportant l’énoncé suivant [L’utilisation du téléphone au volant multiplie de quatre fois le danger d’un accident routier] et quelques pseudonymes de graffiteurs marocains Señor, Trick, Abid et Roksy, Dynam. Cette œuvre est reproduite avec de la peinture sur toute la surface cylindrique de la citerne en acier fixée sur un camion poids lourd.

Le message véhiculé par ce graffiti est écrit en arabe sur le côté droit de la citerne, avec une icône illustrative à gauche à la dernière partie de la citerne. Le graffiti est réalisé en usant de couleurs chaudes et froides alternées dont la saturation change selon la luminosité du jour, de nuit et d’éclairage routier. Ces graffiti sont ainsi exposés aux usagers de la route. La valeur de cette œuvre est représentée dans l’expression artistique qui entoure un message sécuritaire. Cette expression est réalisée avec des couleurs froides comme le violet (Trick), les dégradés de vert (Roksy), (Abid) et le bleu (Dynam), lesquelles couleurs sont chapeautées par des couleurs chaudes, à savoir le rouge, le jaune (Señor) et le rose. Comme il y a une certaine dominance de couleurs froides par rapport à celles chaudes, ce mélange assure une certaine proximité au récepteur tout en éveillant chez lui des sensations reliées au sujet de l’œuvre. En effet, les couleurs chaudes communiquent l’interdiction et les couleurs froides mettent en relief la sécurité. Néanmoins, l’œuvre prend une dimension subjective selon la logique, la sensation et l’interprétation du récepteur.

Résultats

La technique de réseau d’associations nous a permis de constituer des données reliées à la représentation sociale d’un graffiti (figure 1) réalisé sur une citerne d’un camion poids lourd adressant un message relatif à la sécurité routière. Cette représentation est étudiée chez les usagers de la route. L’évocation de différents mots nous a permis d’obtenir un champ sémantique qui est mis en relief à travers l’ordre d’apparition et d’importance. De surcroît, l’approche structurale de Abric (2005) nous a permis de déterminer la zone du noyau central, des éléments contrastés et de la périphérie.

 Tableau 1 : Analyse descriptive des items évoqués par les participants (n=25)

 Nous avons répertorié 186 mots évoqués par les répondants, relevé 14 items, et d’autres mots évoqués une seule fois. Les mots ou expressions les plus évoqués sont : « interdiction de téléphone, vitesse, danger, code de la route ». Selon la codification de l’ordre d’apparition, les items évoqués en premier sont : « art », « camion », « vitesse », « interdiction de téléphone ».

Selon la codification de l’ordre d’importance, les items en moyenne les plus importants sont : « somnolence », « interdiction de téléphone », « vitesse », « incendie », « code de la route », « route ».

Généralement, l’indice de polarité varie entre (–1) et (+1). Pour les valeurs comprises entre (-1) et (.05) elles représentent les items qui sont connotés négativement, c’est-à-dire tous les items sauf « art », « attention » et « Maintenance ». Pour les valeurs comprises entre (– 0.4) et (+.04), elles sont représentées par les mots positifs et ceux négatifs qui ont tendance à être égaux, comme « camion », « honte » et « route ». Pour les valeurs comprises entre (+0.4) et (+1), les mots sont connotés positivement, comme « art », « attention » et « maintenance ».

Quant à l’indice de neutralité, il varie aussi entre (–1) et (+1). Pour les valeurs qui sont comprises entre (–1) et (–.05), elles représentent les mots qui sont connotés d’une faible neutralité, comme « art » et « Maintenance ». Pour les valeurs comprises entre (–.04) et (+.04), elles représentent les mots qui sont connotés d’une neutralité moyenne comme « attention » et « honte ».

Tandis que les valeurs comprises entre (+.04) et (+1), elles représentent les mots qui sont connotés d’une haute neutralité comme « somnolence »,« excès de tonnage »,« route »,« interdiction du téléphone au volant», « vitesse », « danger », « Code de la route », « camion »,« Mort », « incendie ».

Tableau 2 : La fréquence d’items évoqués par les participants (n=25)

Items

Nombre d’évocations (N)

Fréquence %

Interdiction du téléphone

20

10,75

Vitesse

20

10,75

Danger

17

9,14

Code de la route

15

8,06

Camion

12

6,45

Mort

8

4,3

Incendie

7

3,76

Route

6

3,22

Excès de tonnage

6

3,22

Attention

5

2,69

Maintenance

4

2,15

Somnolence

3

1,61

Honte

2

1,07

Art

2

1,07

Autres

61

32,8

Total

186

100

 

En termes de fréquence, l’« interdiction du téléphone  au volant » (N=20) représente 10,75% du total, avec un pourcentage égal à celui de « vitesse » (N=20).

Le « Danger » (N=17) vient après avec un pourcentage de 9,14%, proche de celui de « Code de la route » (N=15) et « Camion » (N=6,45). Puis un pourcentage de 32,8% est accordé aux différents mots qui ont été évoqués une seule fois ou qui sont loin du sujet de la représentation.

Pour mesurer la phase de la hiérarchisation de la structure, nous avons mis l’accent sur la moyenne de l’ordre d’importance et la moyenne de fréquence pour établir la structure qui est hiérarchisée selon quatre cases essentielles, permettant un zonage du noyau central, de la première périphérie, des éléments contrastés et de la deuxième périphérie.

Tableau 3 : Le noyau central, les périphéries et les éléments contrastés dégagés à partir des évocations (n = 25)

 

Rang moyen d’importance 

Moins de 4,64

Plus de 4,64    

 

Fréquence moyenne (m= 6,66)

Plus

de

6,66

Noyau central

1ère périphérie

« Interdiction de téléphone » « vitesse », « code de la route »

« Danger »

Moins

de

6,66

Éléments contrastés

2ème périphérie

« Camion », « Mort » « incendie » ,  « excès de tonnage » , « attention » « Maintenance » , « Honte » « art »

« Somnolence »

« Route »

Récapitulant le contenu et la structure, le tableau ci-dessus contient quatre cases essentielles. La première case est dédiée au noyau central qui regroupe, selon Abric (2005), les éléments importants de fréquence élevée. D’ailleurs, c’est au niveau de cette zone que figure le noyau central qui renvoie aux éléments suivants : « Interdiction du téléphone au volant », « vitesse», « code de la route ». Pour les deux mots qui restent, ils ne possèdent pas la même valeur significative que celle accordée au noyau central.

La première périphérie contient l’élément le plus important qui renvoie au « Danger ». Quant à la troisième case qui représente les éléments contrastés, ceux de faible fréquence mais considérés comme éléments importants par les répondants, tels « camion », « mort », «  incendie », « excès de tonnage », « attention », « maintenance », « honte » et « art ». C’est au niveau de cette case que nous avons repéré des sous-groupes percevant le graffiti comme « honte » et d’autres comme « art ». Selon Abric, c’est au niveau de cette case que nous pouvons détecter un élément de noyau central pour des sous-groupes et qui complètera l’élément central qui répond aux exigences de la fréquence et de l’importance. Au niveau de la quatrième case, nous avons rangé les mots « somnolence » et « route » comme deux éléments à faible fréquence et importance dans le champ représentationnel.

Représentation, institutionnalisation et prévention

L’étude de l’attitude implicite des usagers de la route envers le graffiti apposés sur les véhicules poids lourds à travers l’approche qualitative nous a permis de recueillir un contenu et déterminer sa structure. Nous rappelons l’objectif de cette étude qui se manifeste dans l’exploration de la représentation sociale des graffiti réalisés sur une citerne de véhicule poids lourds. Ce graffiti est le fruit d’une coopération institutionnelle entre l’Agence Nationale de la Sécurité Routière et le Groupe Lafarge Holcim et Placebo.

D’après les résultats obtenus et toujours en relation avec la planche inductrice montrée aux répondants, l’« interdiction du téléphone au volant » existe dans la zone du noyau central et l’« art » est un élément contrasté qui peut être un noyau central pour un sous-groupe. Il importe de souligner que personne n’a évoqué les mots « graffiti » ou « street art », ce qui peut renseigner sur la place de l’art et de la culture artistique dans le quotidien des usagers de la route dans la société marocaine. Comme il importe aussi de rappeler qu’il y a un sous-groupe qui a perçu le graffiti montré comme une « honte » vu qu’il a fait l’objet d’un projet d’institutionnalisation. Un nombre important d’informateurs a lié la planche présentée à la « mort » à l’« incendie », à l’« excès du tonnage » et à la « maintenance », en mettant en cause le comportement du conducteur du poids lourd. Les usagers de la route détectent plus facilement l’icône représentant l’« interdiction du téléphone au volant » réalisée au centre du graffiti en question, une icône que nous retrouvons partout dans les hôpitaux, les administrations, les stations de service avec le signe d’interdiction qui est présent dans l’environnement routier à travers différents panneaux de signalisation.

Nous explorons la structuration de la représentation en mettant en lumière le fait que le support du graffiti est un camion-citerne, constitue une attitude implicite dans la représentation. Celle-ci était davantage perceptible à travers des évocations de l’« excès de vitesse », qui se retrouve dans la zone du noyau central ainsi que de la « mort » et de l’ « incendie » qui figurent dans la zone des éléments contrastés.

L'observation des graffiti permet de dévoiler les mutations des pratiques et des attitudes à travers leur dimension culturelle et révéler des formes diverses de perceptions (Terrance et al. 2015). Le support du graffiti choisi dans cette action influence profondément la perception du message relatif à la sécurité routière. En d’autres termes, le choix de support mobile permet l’émergence d’autres messages qui sont transmis implicitement.

Les usagers de la route s’attendent à faire plus « attention » aux signalisations standardisées au niveau des panneaux de signalisation, mais en présence de cet « Art », la signalisation est devenue plus visible et plus profonde. Par ailleurs, les répondants ont évoqué les différents items en tenant compte de l’environnement routier, par l’écriture des items reliés à la « route » et à l’infrastructure. Ils étaient aussi intéressés par le comportement à risque du conducteur de véhicule de poids lourds, en citant la « somnolence », la « faible vision » et l’« excès de tonnage ».

À l'ère de l'institutionnalisation du graffiti, les arts de la rue dans la ville ne sont pas seulement assujettis à un cadre moral de l'extérieur, mais contribuent également à la génération de nouveaux codes moraux en ville (Mcauliffe, 2012). De ce fait, les graffiti mobilisés dans le cadre de cette sensibilisation à la sécurité routière, ont été d’un apport certain dans la transmission du message portant sur l'interdiction du téléphone au volant. De surcroît, ce graffiti est parvenu à anticiper les dommages occasionnés par l’imprudence des chauffeurs, cependant, la dimension artistique a été mise en contraste.

Le graffiti sur des supports mobiles a, sans doute, contribué à sensibiliser les usagers de la route à la sécurité routière, mais le graffiti comme forme d'art soulève des questions en ce qui concerne son institutionnalisation.

Conclusion

L’approche psychosociale adoptée dans la présente étude a permis de révéler les spécificités du contexte marocain en ce qui concerne l’usage des graffiti à des fins de sensibilisation à la sécurité routière. Cette approche structurale a révélé aussi l’organisation hiérarchisée de différents éléments évoqués par les répondants aboutissant à des résultats qui confirment que le graffiti a rendu le message relatif à la sécurité routière plus présent, et que son support joue aussi un rôle important dans l’étude de la représentation.

L’institutionnalisation de ce genre de graffiti devrait passer par l’identification de ses fonctions dans la société marocaine et par l’étude des représentations sociales qui en découlent.

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