Sélectionnez votre langue

« La Kahina » de Gisèle Halimi : résistance ou désir d’une réconciliation ?


Insaniyat n° 93, juillet-septembre 2021, p. 55-70


 


Mohammed Abdelatif BENAMAR: Université de Mostaganem, Abdelhamid Ben Badis, Département de français, Laboratoire Didactique des projets de formation et conception de curricula, (DPFCC), 27 000, Mostaganem, Algérie.


Aux côtés des grands noms qui ont fait l’histoire du féminisme mondial, mouvement et idéologie philosophique, à l’instar de Simone de Beauvoir, Clara Zetkin, Emilie Gourd, Gisèle Halimi est, sans doute, l’une de ces figures de proue de ce mouvement qui ont marqué notre ère. Avocate de profession et née dans une Tunisie alors sous protectorat français, Halimi a, tout de suite, choisi son camp, celui de militer aux cotés de tous ces peuples luttant pour leur liberté ; une liberté multidimensionnelle requise dans l’émancipation individuelle et commune. Dans ce sens, la militante ne se contentera pas de sa carrière d’avocate, et se mettra, très tôt, à l’écriture littéraire, objet auquel nous nous intéressons dans ce travail. Ainsi, toute l’œuvre de Gisèle Halimi sera consacrée à sa vie, à ses combats, notamment pour la revalorisation du statut de la femme ; et à ses engagements politiques.

Parmi les œuvres majeures de l’écrivaine, nous retenons « La Kahina », roman que nous traitons dans cet article. Paru en 2007, ce roman, qui selon l’auteure, viendrait boucler le cycle d’écriture entamé par la Cause des femmes (1973), suivi par Le Lait de l’oranger (1988), est l’histoire tragique d’une reine Berbère qui, commandant aux hommes et chevauchant à la tête d’une grande armée, tint en échec, pendant cinq ans, les puissantes troupes du Général arabe Hassane el-Ghassani, venues conquérir l’Ifriqiya, qui correspond, aujourd’hui, à la Tunisie, au nord-est de l’Algérie et au nord-ouest de la Lybie. Roman passionnant, mêlant aventure romanesque et faits historiques, « La Kahina » peine à choisir sa voie/voix, ballottant le lecteur entre l’esthétique de la fiction et la morosité des faits historiques.

Pourquoi Gisèle Halimi, avocate et féministe, écrirait-elle un roman sur « la Kahina », une femme dont l’existence remonterait au VIIème siècle de notre ère ? Que relate-t-elle ou exprime-t-elle dans ce roman ? Quel discours tient-elle ? Pour quelle raison l’auteure choisit-elle le tragique romanesque ? Joëlle Allouche-Benayoun, s’interrogeant sur les raisons d’un énième roman sur « la Kahina », écrit :

Peut-être parce que plus que l’essai historique, le roman permet de combler les zones obscures par l’imagination ; et aussi parce que l’identification à l’héroïne, l’empathie manifeste de l’auteure pour la chef de guerre, pour la femme indépendante, permettent, plus qu’un essai rigoureux, de la présenter avec ses doutes, ses hésitations, ses coups de cœur ; peut-être enfin est-ce une fois encore pour se démarquer de sa mère on peut rappeler la relation de leurs rapports difficiles dans son livre Fritna. (Allouche-Benayoun, 2009).

La romancière, quant à elle, au début de l’ouvrage, répond en partie à notre interrogation :

Mon grand-père paternel me racontait souvent, par bribes, l’épopée de la Kahéna. Cette femme qui chevauchait à la tête de ses armées, les cheveux couleurs de miel lui coulant jusqu’aux reins. Vêtue d’une tunique rouge […] cette femme au pouvoir surnaturel me fascinait. Je rêvais, écolière, devant les ruines d’El-Djem où, dit-on, elle fit creuser un souterrain sous l’immense colisée afin de soutenir un siège. Elle régna, comme un chef militaire, sur une grande partie de l’Afrique du Nord, de l’Aurès à Bizerte, de Constantine à Tacapas. Aucun maitre incontesté ne commanda à ses troupes avec une générosité aussi parfaite. (Halimi, 2007, p. 17).

Mais l’empathie et la fascination, éprouvées à l’égard de cette figure, suffisent-elles à justifier les raisons de l’écriture d’un tel roman ? C’est pourquoi il nous incombe de voir où se situe l’originalité de l’œuvre de Halimi, d’autant plus qu’elle n’est ni la première, ni la dernière auteure à écrire un roman sur cette figure historique.

Mais c’est sans doute la chercheure Dalila Morsly qui nous éclaire sur la question, dans son article consacré à Gisèle Halimi :

À plusieurs siècles de distance, Kahina et Gisèle se retrouvent autour d’expériences similaires, se découvrent une complicité de destin. G. Halimi rencontre en Kahina sa semblable inspiratrice à qui, dans le même temps, elle donne de ses propres rêves, aspiration et désirs. G. Halimi décide que Kahina est juive. Toutes deux sont des filles de pères et ces pères savent accompagner leurs filles dans les aventures les plus extraordinaires, les aidant ainsi à se forger de nouveaux destins de femmes. Toutes deux sont des mères de fils quelque peu inconséquentes, des justicières soucieuses d’équité. (Morsly, 2010).

En réalité, l’on peut déceler, dès le début du roman, l’empreinte de la militante féministe fascinée par la femme guerrière et commandante en chef, celle qui gouverne et dont le pouvoir est incontesté. En revanche, l’on constate que l’introduction prend la forme d’un résumé (deux pages seulement) où sont tracées les grandes lignes du roman. Ainsi, en respectant l’ordre logique des événements, l’auteure a-t-elle pris soin de rappeler, en premier lieu, les histoires de son grand-père sur « la Kahina », de mettre, en deuxième lieu, l’accent sur la relation passionnelle qui lia la Kahina ou la reine Dihya à l’Arabe Khaled, qu’elle a fait prisonnier lors de la bataille de l’Oued Nini – ce captif qui devait mourir sera finalement adopté par la reine selon les rites berbères et échappe, de ce fait, à une mort certaine. L’insertion de cet événement marquant, dans le roman et dont aucun document historique ne prouve la véracité, nous invite, d’ailleurs, à nous interroger sur les raisons d’une telle adoption – et, en dernier lieu, la fin tragique de la devineresse, qui, avant d’être décapitée, ordonna à ses fils « biologiques » de se convertir à la religion des nouveaux maîtres, l’Islam en l’occurrence. Mais au-delà de ces événements, cités supra, l’auteure ne manque pas de s’interroger sur le devenir de la descendance de la reine : « Résistants qui ne se convertirent point ? Ou, au contraire, ralliés à Hassan, mes ancêtres paternels auraient-ils fait retour au judaïsme de « la Kahéna », plus tard ? » (Halimi, 2007, p. 18). Subséquemment, cette interrogation que l’auteure formule nous indique que le roman de « la Kahina » est une quête de soi de l’auteure, elle-même juive et d’origine berbère, ce qui explique pourquoi l’écrivaine use de la thèse selon laquelle « la Kahina » et la tribu berbère des Djeraoua, dont elle est issue, seraient de confession juive, une théorie qui ne fait pas consensus chez bon nombre d’historiens[1]. Gisèle Halimi se serait approprié l’histoire et la vie de la reine berbère, qu’elle considère comme son ancêtre, afin de créer une légitimité à son discours. Il est, par ailleurs, évident que la romancière et défenseuse des droits de la femme, celle qui s’est toujours placée du côté des opprimés, s’identifie à « la Kahina », figure archétypale de la résistance et de l’insoumission. En revanche, l’auteure, qui se positionne tantôt comme romancière et tantôt comme historienne, ne change pas le destin tragique, répétons-le, de « la Kahina » et décide de tuer à nouveau son héroïne après l’avoir fait vivre, aimer et guerroyer pour reprendre ainsi ses termes. Le fait de l’avoir, encore une fois, fait mourir, alors qu’elle pouvait en décider autrement pour son personnage (tout devient possible en fiction), marquerait, à notre sens, la fin d’une résistance et l’ouverture d’une nouvelle page de l’histoire.

Mais rappelons que l’objectif de ce travail n’est pas de questionner ce roman à la lumière des thèses historiques témoignant de l’existence de cette figure et relatant les événements qui l’entourent, mais de dégager le discours et la vision du monde de l’auteure sous l’angle et le prisme de la fiction. Indubitablement, nous partons de l’hypothèse selon laquelle l’écriture halimienne se présente, ici, comme celle de la résistance et de l’insoumission, renfermant, en même temps, un discours qui tend vers l’unification et la réconciliation des peuples. Grâce à « la Kahina », l’écrivaine montrerait, d’une part, le chemin de l’indépendance et de l’émancipation à toutes ces femmes maghrébines en quête d’un statut digne et égalitaire. D’autre part, et c’est là où se situerait l’originalité de l’ouvrage, le discours de l’écrivaine se voudrait réconciliateur et unificateur. Nous tenterons donc dans ce qui va suivre de défendre la proposition avancée, en analysant, à travers une approche sémiotico-rhétorique, les événements fondamentaux dans la trame du récit, marqué, en amont, par un bref aperçu du roman. Nous analyserons simultanément les différentes figures de rhétoriques que l’auteure utilise pour peindre l’image d’une figure féminine forte, résistante et autonome, en même temps que nous recourons à une analyse discursive de quelques fragments de textes issus du roman pour appuyer le postulat du discours à la fois réconciliateur et unificateur. Ainsi, allons-nous scinder notre tapuscrit en deux parties. La première partie de l’article sera consacrée à la résistance et la résistivité du personnage féminin dans le roman. La seconde partie se focalisera, quant à elle, sur le discours réconciliateur que prône l’écrivaine.

Présentation du corpus

Roman historique scindé en quarante-six chapitres, « La Kahina » de Gisèle Halimi est l’histoire tragique d’une reine berbère, qui aurait vécu au VIIème siècle de notre ère et qui commanda en véritable cheffe militaire aux hommes de sa tribu, mais aussi à tous les hommes des autres tribus, qu’elle aurait unifiés après la mort de son prédécesseur, « le preux Koceila ». Amoureuse et passionnée, à la figure altière, cette reine berbère constitue, dans le roman, le dernier rempart en Afrique à la conquête arabe, puisqu’elle a su repousser l’une des armées les plus puissantes de l’époque, celle du général arabe Hassan Ibn Noaman dit le « Ghassanide ». Dans un roman historique qui mêle romance et résistance, l’auteure Gisèle Halimi nous livre l’histoire d’une femme hors du commun qui tombe amoureuse de son prisonnier arabe, neveu du général Hassan, qui devient son fils puis son amant. Cette romance périlleuse allait conduire « la Kahina » à une mort certaine, puisque l’amant est toujours resté fidèle à son oncle à qui il décrit dans le détail près toutes les stratégies et stratagèmes de la reine. Sentant les troupes de Hassan s’approcher, elle ordonne à tous les chefs de tribus sous son commandement de pratiquer la stratégie de la terre brulée. Toutes les terres, richesses, réserves devaient être détruites, les arbres et des greniers qui servaient de réserves devaient brûler, ce qui provoque la colère du peuple qui décide de se rallier au nouveau maitre conquérant, pensant que leur reine devenait folle. La fin du roman s’ouvre sur l’ultime commandement qu’elle donne à ses enfants, celui de se convertir à l’Islam afin d’avoir la vie sauve et assurer la continuité du peuple. « La Kahina » fut décapitée par le général Hassan, lui-même, et toute la contrée fut annexée aux forces arabes.

De la figure résistante au pouvoir de domination

Dès le début du roman, la narratrice nous livre le portrait d’une femme animée à la fois par la résistance et la domination : « Dihya rêve. Elle, « la Kahina », règne sur les tribus des sables et des monts, sur les Zénètes, les Louata, et même les Sanhadja voilés, et ceux des lointains Maghreb. Elle prophétise, domine les chefs, les mène au combat ». (Halimi, 2007, p. 21). En effet, la narratrice met en exergue, à travers cette citation, le pouvoir politique qu’exerce « la Kahina » sur les chefs de tribus, et soutient, par la même occasion, l’idée qu’une femme peut aussi bien assumer des responsabilités politiques que militaires. D’ailleurs, la narratrice ne manque pas de souligner que cette attitude dominatrice se reflète également dans sa vie sentimentale : « Avec la légèreté d’un souffle, elle effleure de sa main la cuisse de son amant endormi. Comment sa sensualité, sa science des corps qui, depuis son plus jeune âge, ont enfermé ses amants éblouis, l’ont-elles investie d’un tel pouvoir ? L’autre pouvoir. Qui se révèle, au fil des ans, aussi implacable sur le champ de bataille que sur sa couche. » (Halimi, 2007, p. 21) Sa relation amoureuse avec le personnage de Khaled, le prisonnier arabe qu’elle a sauvé puis libéré, repose, en effet, sur une relation de dominant/dominé. Ce passage refléterait l’image d’une femme phallique, qui se montre dominatrice et active, contrairement à Khaled dont la passivité pourrait être justifiée par sa position endormie. C’est donc, à travers un jeu de domination, que la narratrice fait l’éloge du pouvoir du féminin, que les hommes, nous laisse-t-elle entendre, refusent :

Khaled la hait. Lorsque leurs corps se nouent, il crie, en même temps, son plaisir et sa haine. Lui, fils du noble Yesid el-Caici, prisonnier de « la Kahina » après la victoire des berbères de l’oued Nini sur Hassan ibn Noman el-Ghassani, lui, le scribe lettré, et le neveu du général arabe, lui, le voici aujourd’hui prisonnier…Et renégat. Prisonnier sans chaines, mais enchainé dans un corps à corps à son ennemie, rivé à sa passion pour la tendre, la belle, la féroce Kahina. Il ne fuit pas. Il lui faut, d’abord, renouer avec l’estime de soi. Remonter du fond de l’humiliation heureuse, de la blessure du plaisir, de l’aliénation consentie. Il rumine sa vengeance depuis deux ans, mais le même piège exaltant se referme sur lui, sur elle, sur ce couple monstrueux. (Halimi, 2007, p. 21-22).

Dans cet extrait, il s’agit pour la narratrice de montrer, d’une part, l’emprise et le pouvoir que le personnage féminin impose à l’autre sexe. Et d’autre part, de montrer ironiquement (Lui fils du noble Yesid el-Caici, prisonnier de « la Kahina ») la haine et l’humiliation que cela provoque chez le sexe « fort ». La narratrice insistera, d’ailleurs, sur la défaite que « la Kahina » infligea aux troupes du Général Hassan : « Une guerrière qui, à la tête de ses tribus subjuguées, avait infligé une telle  défaite à Hassan et aux milliers d’hommes dépêchés par le khalife Abd el-Malek de Damas, qu’il avait fallu plusieurs années pour reconstituer une armée, aujourd’hui, prête à la conquête de l’Ifrikiya ». (Halimi, 2007, p. 22-23) ; une citation autant portée sur l’idée de l’insoumission et de la résistance que sur le désir de peindre l’image d’une femme puissante pouvant tenir tête à des milliers d’hommes.

La narratrice soulève, par ailleurs, une autre problématique liée au sexe féminin, celle de la figure de la femme « sorcière ». « La Kahina », la devineresse en langue arabe et même en hébreu, la prêtresse, et, pour clore la liste, la sorcière, autant d’attributs dévalorisants à l’égard de la femme que l’écrivaine dénonce :

Khaled fait quelques pas vers l’angle opposé de la tente. Les branches de palmiers qui la soutiennent bruissent. Le vent de l’Aurès. Il faudra compter avec lui pour la prochaine bataille qui occupe sa tête quand, par à-coups, il échappe à l’emprise de « la Kahina » la bien nommée, la prêtresse, à ses dons de divination qui électrisent les tribus. Mais aussi – Khaled ressent comme une crainte, s’en défend par un petit haussement d’épaules – au pouvoir de Dihya la sorcière. (Halimi, 2007, p. 23-24).

La narratrice souhaite, à notre sens, dénoncer la diabolisation de la femme récalcitrante aux codes imposés par « la société masculine ». Notons, par ailleurs, que l’image de la femme sorcière a, de tous temps, existé et suscité des interrogations. À ce sujet, Charles Fredrikson déclare : « La difficulté s’accroît de ce que dans de nombreuses sociétés le pouvoir sorcier est attribué tant aux hommes qu’aux femmes. Cependant, s’agissant des premiers, il peut être valorisé (conditionnant par exemple l’accession à une charge politique) ou en tout cas empreint d’ambivalence, alors que, imputé aux femmes, il entraîne leur radicale stigmatisation. » (Goody, 1970 ; Gluckman, 1965 in Fredrikson, 2000).

Refusant de se soumettre et résistant farouchement à la domination du conquérant arabe, « la Kahina » est perçue comme une sorcière au lieu d’une femme, ce que la narratrice semble condamner. Autrement dit, cela voudrait dire que si la femme jouit d’une telle puissance, c’est qu’au fond, elle n’est pas femme, mais un « diable », comme le souligne l’extrait suivant : « Je te hais, Khaled a laissé tomber ces trois mots avec douceur. Dans la langue ennemie, en berbère. Il craint que cette femme, plus que cent diables réunis, n’anéantisse en lui toute résistance. » (Halimi, 2007, p. 24). La narratrice soutient que la haine exprimée par Khaled est tributaire de la peur de la puissance de cette femme (plus que cent diables réunis) et dominatrice. À la narratrice de rajouter : « Le pouvoir de « la Kahina » les terrorise. Avec qui avait-elle donc conclu ce pacte divinatoire qui lui faisait voir l’invisible, vivre le futur, dessiner le destin de chacun et celui de son peuple ? Avec Yahvé, son Dieu juif ? […] avec le diable tapi dans les roches et sous les tentes ? » (Halimi, 2007, p. 30). À vrai dire, la narratrice ne cherche pas à avoir des réponses, puisque les questions sont émises à des fins purement oratoires. Le recours à cette stratégie rhétorique déstabilise le lecteur et l’invite, par la même occasion, à considérer la dimension absurde des deux réponses sous formes d’interrogations qui suivent la question principale. Autrement dit, ce passage soutient que « la Kahina » doit son pouvoir à elle-même, indépendamment de toute explication métaphysique ou religieuse. D’ailleurs, elle le dit explicitement, dans cet extrait qui raconte la scène du début de la cérémonie de l’adoption : « Dihya, drapée dans son haïk rouge de laine rugueuse, […] s’avance sur le rocher qui surplombe légèrement l’assemblée. Une fois de plus, elle contraint ces guerriers, les nomades et les sédentaires, cette assemblée d’homme, à la soumission. » (Halimi, 2007, p. 31). D’un point de vue sémiotique, nous lirons, dans l’expression « s’avance sur le rocher qui surplombe légèrement l’assemblée », l’idée, non seulement de la femme dominatrice, mais aussi l’image d’une élévation sociale du personnage féminin. Elle termine par le dire ouvertement : « Le chef incontesté dans l’administration des tribus, comme sur le champ de bataille, est une femme. » (Halimi, 2007, p. 31).

Un autre passage attire notre attention, celui où la reine fait preuve de clémence et de tolérance à l’égard des prisonniers arabes : « La Kahina veut traiter l’ennemi avec générosité, une leçon à donner aux envahisseurs barbares. Elle demande, au nom de Yahvé, qu’ils soient épargnés et renvoyés chez eux ». (Halimi, 2007, p. 27) et elle rajoute : « Nous sommes le peuple élu de Dieu, la loi du Talion ne nous permet pas de tuer pour tuer… " C’est à ces gestes que l’on nous reconnait ! " ajoute-t-elle plus bas ». (Halimi, 2007, p. 27).

En fait, l’écriture halimienne regorge de références religieuses. L’intertextualité religieuse, essentiellement biblique, marque, de façon surprenante, le roman de « La Kahina », comme c’est le cas ici, où la narratrice se veut moralisatrice en usant d’une parabole. L’inscription religieuse, ici, a pour juste rôle l’enseignement d’une morale. Ainsi, l’expression « c’est à ces gestes que l’on nous reconnait ! », que « la Kahina » profère discrètement, renverrait-elle à une référence biblique, datant du XIIIe siècle, qui serait « C’est au fruit que l’on reconnait l’arbre », une expression assimilée à Jésus, selon l’encyclopédie des expressions du site www.linternaute.fr dans lequel nous lirons :

« Ou rendez l'arbre bon et son fruit bon, ou rendez l'arbre mauvais et son fruit mauvais ; car c'est par le fruit qu'on connaît l'arbre. » Cela signifie que de bons actes ne peuvent pas être effectués par des hommes de mauvaise nature, et qu'à l'inverse les personnes de bonne nature ne peuvent pas faire de mauvaises actions. Ainsi, dire que "c'est au fruit que l'on reconnaît l'arbre" signifie que c'est par ses gestes que l'on peut savoir si un homme est bon ou mauvais ». (www.linternaute.fr).

Le caractère ambivalent de l’intertexte religieux opposerait, dès lors, les deux antagonistes, le peuple judéo-berbère résistant, incarnant le bien et la bonne nature, et le peuple arabe conquérant, incarnant le mal. D’ailleurs, le rapport des deux peuples à la loi du Talion – loi évoquée dans les deux religions antagonistes dans le roman, le judaïsme et l’islam, et qui consiste à rendre justice en appliquant le même châtiment subi – est très différent. Ainsi, l’héroïne applique-t-elle cette loi pour se montrer juste et équitable ; comble de l’ironie, cette même loi agira contre elle, au moment où l’un des prisonniers, qui a été condamné avant son arrivée, se lève et lui lance : « Tu fais couper nos têtes. La tienne tombera aussi… » (Halimi, 2007, p. 27).

« La Kahina », le contre-exemple d’une réalité ?

Parallèlement à la question de l’irréductibilité de la femme à la tyrannie de l’homme, le récit de Halimi, tout comme l’idéologie féministe, va à contre-courant des stéréotypes de genre qui envahissent les sociétés maghrébines et qui sont, pour le moins qu’on puisse dire, à l’origine de la présence de rôles ou de fonctions, dans la société, déterminés par le facteur sexuel. Ainsi, le parcours exemplaire de « la Kahina » permet-il à Halimi de mettre en avant de son récit un raisonnement par contre-exemple, illustrant la possibilité pour le sexe féminin d’occuper des fonctions de haut rang, longtemps sous commande des hommes. D’ailleurs, la citation qui va suivre se veut d’autant plus explicite en ce qui concerne le sexisme de l’Arabe se voyant déjà conquérant :

« Mais quel est donc le prince qui les commande ? », répéta Hassan. « C’est une femme », lui répondit-on. « La Kahina ». « Elle règne depuis l’Aurès sur toutes les tribus. Elle est d’origine berbère ».

Hassan sourit de commisération. Une femme ! ‘En venir à bout, est-ce que cela s’appelle vaincre ?’Avait-il demandé à Khaled. ‘N’ai-je pas mérité, après les batailles menées, un adversaire plus digne de moi, à ma mesure ? Il répétait : « une femme générale, Allah ne le permettra pas ! » (Halimi, 2007, p. 39).

Il s’agit, ici, de dénoncer « les rôles sexuels » déterminés par la société et l’attitude sexiste de l’homme, refusant d’attribuer à la femme toute fonction liée au pouvoir. Cela dit, il serait d’autant plus intéressant de se pencher sur la dernière phrase de la citation : « une femme générale, Allah ne le permettra pas ! », dans laquelle la narratrice pose implicitement, par l’utilisation du nom d’Allah, Dieu chez les arabo-musulmans, un regard critique à l’endroit de la religion musulmane qui empêcherait la femme d’occuper des fonctions de pouvoir dans la société maghrébine. D’ailleurs, la narratrice ne manque pas de rebondir sur la question des « stéréotypes sexuels », discriminatoires et sexistes à l’égard de la femme ; cette dernière n’étant pas apte à assumer un rôle de pouvoir dans la société, car elle aurait tendance à s’abandonner à ses sentiments : « Aide-moi à m’habiller, mais vite, très vite. Je dois rejoindre le conseil des chefs’… » Docile, Anella s’affaire. Elle lisse les longs cheveux roux de Dihya […] D’amante éperdue, inquiète, la voici métamorphosée en générale en chef, responsable de la vie de ses hommes et de ses femmes. » (Halimi, 2007, p. 46). C’est ainsi que, dans cet extrait, la narratrice montre, nettement, la capacité de la femme à distinguer sentiments et responsabilités militaires et politiques. D’ailleurs, Gisèle Halimi n’a-t-elle pas déclaré elle-même, un jour, lors d’une entrevue au sujet du roman « La Kahina », que son héroïne, Dihya, « était étanche », pour reprendre ses termes, « à toute influence du cœur et du corps, qu’elle pouvait avoir cette passion avec Khaled, son prisonnier arabe, ça ne l’empêchait pas après de tenir et de présider un conseil des ministres et de prendre les décisions en toute indépendance » ? (Halimi s.d).

Et à la narratrice d’ajouter :

Comment, en effet, « la Kahina » pouvait-elle entrainer les tribus berbères, les nomades et les sédentaires, les Djeraoua et les Aureba, régner sur le grand Aurès, et sur les royaumes de Nemencha, de Hodna jusqu à Tobna et de la grande Dorsale, vivre en souveraine à Thumar sur sa falaise de granit, administrer le pays du haut de son nid d’aigle, si elle n’était pas l’élue de dieu, sa devineresse ? Elle avait défait et contraint au repli jusqu’à Barka, en Cyrénaïque, Hassan el-Ghassani le tout puissant. Et pourtant, elle n’était que femme. (Halimi, 2007, p. 48).

Encore une fois, la narratrice nous invite, en usant du procédé de la question rhétorique ou oratoire, à adhérer à l’idée qu’elle défend, celle d’une femme qui ne doit son pouvoir qu’à elle-même. En revanche, à la même page du roman, remarque-t-on, la narratrice revient sur un élément central de la vie de son héroïne, à savoir le jour de sa naissance, qu’elle insère, évidemment, dans le chapitre qu’elle intitule « Le malheur de naître fille » : « Elle avait connu le malheur de naître fille, et tous, ici, Zeineb, sa nourrice, Oum Zamra, celle de Thabet, son père, Tayri, l’ancienne prostituée devenue sacrée, se souviennent du choc de sa naissance». (Halimi, 2007, p. 48). Le retour de l’écrivaine sur la venue au monde de Dihya revêt une importance capitale – l’auteure lui consacre tout un chapitre dans son roman – pour la simple raison que l’auteure s’identifie à son personnage – Gisèle Halimi le déclare elle-même, à l’issue de la même entrevue citée supra : « cette femme, dont la naissance, et c’est ça ce qui me faisait, un petit peu, me rapprocher d’elle, quelquefois, même, m’identifier. La naissance a été quelque chose de vécu comme une malédiction, comme une catastrophe. » (Halimi s.d) –, mettant le doigt sur une problématique cruciale, celle de la favorisation du sexe masculin au détriment du sexe féminin. Au sujet de l’identification, l’auteure s’explique ouvertement : « l’identification, elle vient que moi, née en Tunisie, à mon époque, eh bien, quand je suis née, ça été vécu comme une catastrophe. Mon père, pendant trois semaines, a dissimulé ma naissance […] il ne se faisait pas à la malédiction d’avoir une fille. » (Halimi s.d) Tout comme le père de l’auteure, le personnage de Thabet, dans l’histoire, ne s’est pas fait à l’idée d’avoir une fille :

Oum Zamra redescend enfin, elle revient de la citadelle, elle a embrassé Tanirt et tenu le nouveau-né dans ses bras. Elle s’approche de Thabet : « Tu es l’heureux père d’une fille. Tanirt, ton épouse, va bien ». Elle a parlé à mi-voix, sur le ton de la conversation. « Tu auras un garçon la prochaine fois… » ajoute-t-elle, après un court silence. Thabet n’a toujours pas bougé. Il a seulement croisé sur lui les pans de son long burnous blanc. Figé, ses yeux verts fixés haut devant lui, il ne saisit pas encore le poids de la malédiction qui le frappe. Tanirt le marque du sceau de l’impuissance. En mettant au monde une fille, elle le prive de descendance. Une fille n’est rien. Ni une héritière, ni un chef de tribu.
(Halimi, 2007, p. 50).

Force est de constater que, malgré la distanciation temporelle, qui sépare les deux figures combattantes (« La Kahina » et Halimi), la première ayant vécu au VIIème siècle, la deuxième au XXIe siècle, la situation des femmes en général et la préférence du sexe masculin, au Maghreb surtout, demeurent stables et inchangées. D’ailleurs, se dégage de la précédente citation une isotopie du figement et de la fixité, probablement, celle du caractère masculin qui induit le caractère patriarcal définissant la société maghrébine. Ainsi, retenons-nous le nom de « Thabet », qui pourrait être un sobriquet en langue arabe, par lequel on désignait le chef de la tribu des Djeraoua, qui veut dire « le fixé ». On relèvera aussi le jeu de mots sur l’expression « Thabet n’a toujours pas bougé », l’adjectif « figé » et, enfin, son regard qui demeure fixe.

L’adoption ou le désir d’une conciliation

L’auteure accorde une importance capitale à l’événement de l’adoption de l’arabe Khaled prisonnier, répétons-le, de « la Kahina » ce qui nous a amené à nous interroger, dès le début de ce travail, sur les raisons qui rendent cet événement si important aux yeux de l’écrivaine. Rappelons, à cet effet, que l’auteure place le récit de l’adoption, au tout début de l’ouvrage, juste après la partie qui raconte la passion paradoxale qui les lie. Or, dans cet article, pour des raisons purement fonctionnelles, nous avons pris l’initiative de l’analyser, au même titre que l’événement de la fin tragique de l’héroïne, à la fin de notre réflexion. En effet, nous pensons que, dans ce récit, à la fois fictionnel et historique, l’adoption du prisonnier Khaled, dont la filiation, l’origine sociale et le rang qu’il occupe dans l’armée de son oncle, sont rappelés, à maintes reprises, est, en partie, la résolution du conflit arabo-berbère et un début de retour à l’équilibre du récit.

« La Kahina » ressent, finalement, l’urgence d’une conciliation entre les deux antagonistes. Ainsi, en usant de l’adoption de « la Kahina », l’auteure aspire-t-elle à la fraternité des peuples et à leur cohabitation pacifique sur une même terre. Mais pour que cette fraternité soit possible, il fallait, d’abord, créer une légitimité par l’adoption. Pierre Levy-Soussan avance à ce sujet: « L’enfant abandonné devient enfant légitime lorsque la justice prononce le jugement d’adoption au vu de la volonté des parents de le considérer comme le leur. » (Lévy-Soussan, 2002) En effet, « la Kahina », se positionnant comme juge, crée ce lien de légitimité en se référant aux lois qui régissent sa société tribale. Nous soulignerons davantage, dans les citations présentées ci-après, une forme d’insistance par le recours au procédé rhétorique de la répétition, frôlant de peu le procédé anaphorique. Ainsi, la narratrice a-t-elle répété, à plusieurs reprises, que Khaled devient fils, à part entière, selon les rites de ses ancêtres : « Dihya n’en a-t-elle pas fait son fils ? Et n’avait-elle pas exigé que la cérémonie d’adoption se déroulât exactement selon la loi des ancêtres ? » (Halimi, 2007, p. 22). Et elle rajoute : « Celle à qui il doit la vie – ne devait-il pas mourir, pris dans la débâcle de l’armée de Hassan el-Ghassani quelques années plutôt ? –celle qui l’a fait fils de la reine de l’Aurès – ne l’avait-elle pas adopté selon ses rites et en présence de ses deux fils, hostiles comme tous les chefs de tribus ? » (Halimi, 2007, p. 22).

L’insistance de la narratrice, par l’usage de la répétition des questions oratoires, véhicule l’idée d’une obsession, celle de l’héroïne qui souhaite, à tout prix, concilier les deux peuples par « la filiation élective » (Lévy-Soussan, 2002). L’écrivaine Halimi, elle-même, réfléchit à travers la voix de sa narratrice, au sujet de cette adoption :

Elle met en scène la cérémonie avec solennité. Elle ordonne : « qu’on m’apporte de la pâte d’orge bien pétrie ». Puis elle écarte les plis de son haïk rouge, ouvert sur la poitrine, et en enduit la pointe de son sein droit. Elle fait de même pour son sein gauche, qu’elle fait jaillir magnifique, d’un seul geste. Elle appelle Yazdigan et Ifran : « venez sur mon sein ». Ifran recule, le visage mauvais. Il détourne son regard de celui de sa mère. Yazdigan, lui, n’a pas bougé. Il se demande si cette adoption ne rentre pas dans une stratégie de conciliation avec les Arabes. Si elle ne dessine pas un espoir de paix, de libération de la terre berbère, toujours menacée par eux. « La Kahina » ne réunit-elle pas sur son sein l’ennemi conquérant et les justes habitants de la berbèrie ? (Halimi, 2007, p. 32).

La libération de la terre berbère est tributaire d’un accord de paix qui, à son tour, répétons-le, n’est possible qu’en conciliant les deux antagonistes, en faisant d’eux des frères légitimes par la loi des hommes et non de celle de la nature (le biologique) : « Elle choque les têtes de Yazdigan et Ifran sur l’autre sein. Puis, fait le signe de les réunir tous les trois dans un geste ample. Elle respire, se raidit, et balaie de ses yeux toute l’assemblée figée. « Khaled, tu es mon fils. Vous êtes, tous les trois, frères » (Halimi, 2007, p. 33). L’ennemi d’hier devient le fils légitime d’aujourd’hui. En devenant enfant légal de « la Kahina », celle qui règne sur toutes les terres berbères, Khaled n’a-t-il pas obtenu le droit de jouir en toute liberté de cette terre ? « La Kahina » ne serait-elle pas, en tant que femme, d’abord, et reine, ensuite, l’allégorie de la terre résistante ? L’écrivaine palestinienne Sahar Khalifa n’a-t-elle pas dit un jour que la femme était l’image et le symbole de la terre ?

L’auteure, Halimi, semble bien vouloir rendre compte de cette allégorie, à travers cette citation : « Il réprime un rictus de sarcasme. Cette femme, lui donner le sein, à son âge, un sein sec, tari comme l’oued au printemps…une femme si belle, cependant, comme il n’en avait jamais vue. Sa maturité l’illuminait comme un soleil couchant. » (Halimi, 2007, p. 28). Les deux comparaisons que la narratrice déploie, dans ce passage, renvoient amplement à l’image de la femme, métaphore de la terre. La première comparaison « un sein sec, tari comme l’oued au printemps » rappelle le climat sec et semi-aride de l’Aurès et du Maghreb, tandis que la deuxième, « Sa maturité l’illuminait comme un soleil couchant » renvoie, explicitement, à l’ancienneté de la terre du Maghreb, « soleil couchant » qui veut dire « Maghreb en français ».

Notons, par ailleurs, que, vers les dernières pages du roman, l’auteure revient sur cette question de la terre et du vivre-ensemble mais, cette fois-ci, en faisant prédire à travers le personnage de Teyri, la prostituée devenue sacrée, que les Juifs et les Arabes vivront ensemble comme des frères sur une même terre : « Elle répétait aussi, se souvint Zeineb, « que plus tard, bien plus tard, peut-être un siècle après le grand massacre, Juifs et Arabes partageront la même terre » […] « Comme des frères » en s’expliquant ; « Juifs et Arabes ne sont-ils pas les descendants du même Abraham ? » (Halimi, 2007, p. 237). Cet extrait laisserait entendre que la terre dont il s’agit dans cette prédiction est la Palestine, surtout lorsqu’on connait les positions et l’engagement de l’écrivaine pour les droits du peuple palestinien[2]. D’ailleurs, la chercheure Danielle Pister conforte notre interprétation en déclarant dans son article sur « la Kahina » : « Cela frôle parfois le ridicule quand, usant des dons de prophétesse de l’héroïne, elle lui fait prédire qu’un jour, Arabes et Juifs vivront sur la même terre que l’on devine être celle de la Palestine ». (Pister, 2018, p. 50). C’est ainsi que la question de la fraternité entre Juifs et Arabes, par la filiation, ressurgit dans cette citation, qui, par ailleurs, advient en parallèle à celle des Arabes et des Judéo-Berbères. Le parallèle que fait l’auteur, ici, tend-il à montrer la possibilité d’une union fraternelle entre Arabes et Juifs en terre palestinienne, comme cela a été possible pour les Arabes et les Juifs du Maghreb ?

La fin du roman s’ouvre sur un dénouement tragique, puisque l’héroïne, comme le voudraient les faits historiques, et comme elle l’avait prédit dans ses visions, meurt décapitée par le Général Hassan. Ce dénouement tragique serait, à notre sens, la partie manquante de la solution que l’écrivaine propose dans son roman. Nous avons déjà avancé l’hypothèse que l’adoption du fils arabe constituait une partie de la solution au conflit. En revanche, même si conciliation il y avait, l’héroïne, sachant pertinemment qu’elle allait mourir – elle demande même à ses fils biologiques de se convertir à la religion du futur nouveau maitre pour que le peuple survive – continuait pourtant à faire de la résistance, si on s’en tient à l’intrigue du récit. La mort de « la Kahina » constitue, peut-être, la fin d’une résistance identitaire, car, en la décapitant – la tête étant la partie du corps humain symbolisant l’identité – c’est l’identité qui se trouve décapitée, mettant ainsi fin à un chapitre de l’histoire du Maghreb et ouvrant un autre, où l’ethnie vivrait, mais sous une autre forme. D’ailleurs, l’auteure ne manque pas d’insérer un épilogue où elle rapporte que Hassan el-Ghassani avait amnistié les Berbères qui se convertirent à l’islam et qu’il donna à ses deux fils, Ifran et Yazdigan, le commandement d’un corps auxiliaire de douze mille hommes, qui participèrent à la conquête arabe de l’Espagne. 

Conclusion

Le roman de « La Kahina » est une écriture de la résistance et du combat, à travers laquelle l’auteure nous fait revisiter, grâce à la figure à la fois emblématique et énigmatique de « la Kahina », l’histoire d’un peuple qui fut, jadis, gouverné et commandé par une femme, réfractaire à toute forme de soumission, en s’opposant à la plus grande armée arabe à l’époque, venue conquérir les terres du Maghreb.

Toutefois, les résultats de notre recherche démontrent que, à travers le personnage de « la Kahina », Gisèle Halimi engage à la fois un discours essentiellement féministe et politique. C’est, en somme, l’écrivaine engagée politiquement que nous lirons tout au long du roman ; on y dégage ses prises de position politique, historique et féministe. Nous noterons, par ailleurs, que toute l’originalité du roman de Gisèle Halimi, réside, justement, dans la capacité de l’écrivaine à entretenir, à travers la voix d’une narratrice omnisciente, un discours féministe, qui prône l’insoumission du sexe féminin et le rejet de tous ces stéréotypes entourant le rôle de la femme dans la société, même si le dénouement violent du récit ne peut dissimuler l’échec d’une résistance, tellement nécessaire pourtant à la création d’« Une certaine poésie de l’écriture qui cherche à donner à ce récit une valeur symbolique que le lecteur est libre de choisir : peut-être la nécessaire disparition du passé pour qu’un avenir soit possible ? » (Pister, 2018, p. 48).

Finalement, avec des mots comme humanité, fraternité et réconciliation, « La Kahina » est un récit qui affirme les positions militantes et politiques de son auteure, qui, par le pouvoir de l’écriture et de la fiction, rend hommage à une figure dont la mémoire restera à jamais gravée dans l’Histoire.

Bibliographie

Allouche-Benayoun, J. (2009). Gisèle Halimi, La Kahina, in Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], (30), p. 265-267.

Fredrikson, Ch. (2000). Quand comprendre, c’est accuser, L’Homme, (153), 269-290.

Halimi, G. (2007). La Kahina, Alger : Éditions Barzakh, pour l’Algérie. [Première édition : 2006]

Halimi, G. (2020), entretien La Kahina. Diffusé dans Gisèle Halimi - La Kahina - YouTube, consulté au mois de décembre 2020.

Levy-Soussan, P. (2002). Travail de filiation et adoption. Revue française de psychanalyse, (66), 41-69.

Moderan, Y. (2005). Kahena, Encyclopédie berbère [En ligne], (27) mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 23 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/1306 ; DOI : https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.1306

Morsly, D. (2010). Gisèle Halimi. Entre Tunisie, France et Algérie, C. Chaulet Achour, itinéraires intellectuels entre la France et les rives sud de la méditerranée, Paris : Éditions Karthala, p. 305-324.

Pister, D. (2018). La Kahina, la reine palimseste, Revista Argelina, (6), p. 33-52. (www.linternaute.fr)

Molino, J. (1975). Qu'est-ce que le roman historique?, Revue d'Histoire littéraire de la France, (2/3), 195-234. (https://www.jstor.org/stable/40525204)

Notes 

[1] Voir à ce sujet le chapitre « identité et origines de la Kahina » de l’article Kahena
(Al-Kâhina) de l’historien français Yves Moderan consultable sur le lien suivant : https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.1306

[2] Le 30 juillet 2020, deux jours après son décès, un hommage, consultable sur le lien suivant : https://www.france-palestine.org/Hommage-a-Gisele-Halimi-engagee-pour-les-droits-du-peuple-palestinien, a été rendu par l’ « Association France Palestine Solidarité » à la mémoire de Gisèle Halimi et à son engagement dans la défense des droits du peuple palestinien.

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche