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Noms de personnes et activités socioprofessionnelles : une identité nominale par le métier exercé


Insaniyat 98, octobre-décembre 2022, p. 13-28

Ouerdia YERMECHE: Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


Cet article est consacré à un domaine de l’onomastique qui est l’anthroponymie. Nous y étudions les noms patronymiques à base de noms de métiers ou patronymie « professionnelle » [1], qui constituent un stock important des noms de famille algériens. Le décryptage de ces constructions patronymiques particulières nous permettra de comprendre sur quels paradigmes socioculturels elles se fondent et leur place dans la construction de l’identité nominale individuelle et générationnelle.

Après avoir préalablement brossé un bref aperçu de la science onomastique et décrit l’évolution du système onomastique algérien à travers l’histoire, nous abordons la patronymie professionnelle par l’analyse sociolinguistique d’un corpus de noms patronymiques collectés dans les principales régions du nord de l’Algérie.

L’onomastique : une voie royale pour la connaissance de l’homme

L’onomastique est un domaine très vaste qui étudie les noms propres dans toute leur diversité, toponymique, anthroponymique, hagionymique, ethnique, marquétique, signalétique... Les noms propres, en sus d’être des unités lexicales de la langue, sont les témoins vivants d’un patrimoine linguistique, culturel et religieux, transmis de génération en génération. Ce legs, qui constitue un capital immatériel et mémoriel inestimable, témoigne de l’histoire des peuples, des contacts de populations, de cultures et de langues à travers le temps. Travailler sur la nomination et les systèmes dénominatifs, revient à étudier une société dans toute sa subjectivité, ses us, ses coutumes et ses pratiques sociales. (Dauzat, p. 1942). De tout temps, en tout lieu et dans toutes les sociétés, les lieux et les personnes sont nommés. L’acte de nommer, ou « marquage nominal », constitue un fait socioculturel universel et en tant que tel, le nom propre représente un vecteur marquant de référenciation spatio-temporelle et de structuration de la société. (Bourdieu, p. 1970). En attribuant un nom à un lieu, à un espace, on le territorialise, on se l’approprie, preuve en est les phases successives de nomination/dé-nomination/re-nomination que connaissent les personnes colonisées et les lieux annexés par des populations exogènes. (Akin, p. 1999) En tant qu’indicateur spatial, le nom de lieu ou toponyme permet à l’individu d’investir l’espace, de se positionner et de s’orienter en terrain connu. Le nom propre anthroponymique joue, quant à lui, un rôle de différenciation, de repérage et de positionnement social par rapport d’une part, aux individus d’un même groupe socioculturel et d’autre part, par rapport à des individus exogènes à une communauté. (Zonabend, p. 1980). Il permet de classer, d’individualiser et d’identifier les personnes en les inscrivant dans l’ordre symbolique et social. (Cl, Lévi-Strauss : 1962/a) En tant que paradigme identitaire, le nom propre de personne précise la spécificité culturelle et linguistique d’un individu. (Lacheraf, p. 1998)

Etroitement lié à l’être humain, le nom propre constitue un objet d’étude privilégié pour différentes disciplines qui s’intéressent à l’être humain, à ses comportements et à son évolution, telles que l’histoire, l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, la sociolinguistique et la linguistique. Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études académiques algériennes ont été produites. (Cheriguen, Benramdane et Yermeche, Atoui, Hadaddou…). Plusieurs projets de nationaux de recherche PNR consacrés à l’onomastique algérienne se sont concrétisés par des publications (Benramdane & Atoui, 2005 ; Sadat-Yermeche & Benramdane, 2013, Sadat-Yermeche, p. 2014). Une unité de recherche destinée aux systèmes de dénomination en Algérie (RASYD) a été créée par le CRASC et une quinzaine d’équipes de recherche interdisciplinaires étudient, actuellement, la problématique du nom propre sous toutes ses facettes (toponymiques et anthroponymiques).

L’anthroponymie algérienne à l’épreuve de l’histoire

Chaque société construit son propre mode de dénomination anthroponymique. Ainsi, au Maghreb, dans les sociétés berbères anciennes, la dénomination des personnes est calquée sur la structuration sociale de type concentrique et dans le respect du mode lignager et patrilinéaire (Yermeche, p. 2008). Durant la période médiévale, et ce, malgré les nombreuses occupations étrangères, les Berbères ont continué à utiliser le mode de désignation traditionnel, à savoir le système agnatique. Dans le monde berbère contemporain, la dénomination de l'individu demeure la continuité du système onomastique ancien. Elle se réalise par rapport à la filiation ou au lien de parenté (consanguinité), la génération ou le sexe. De nature dénotative, la désignation remonte en amont la filiation jusqu'à deux ou trois générations. Dans la famille restreinte, l’individu a un prénom de naissance ou nom individuel qui lui assigne une identité personnelle et qui permet de le distinguer des autres membres de la fratrie ( Menad, Ziri, Amokrane, Ameziane, Menzou…). Un « petit nom» ou surnom affectueux ou hypocoristique, lui est parfois attribué ( Fettouche, H’midouche, H’mitouche, Kadirou). En dehors de la famille restreinte, au sein de sa communauté, la personne est désignée par rapport à ses ascendants directs, père, grand-père… ( Mohand Ouali n’Chérif), voire par rapport à son ancêtre éponyme qui est généralement le nom du clan auquel il appartient (Amokrane Mohand n’Ali Ou Seghir Aït Saadi). À l’extérieur du village, le même individu est le plus souvent identifié par son ethnie ou nom de sa tribu : Amokrane Mohand n’Ali Ou Seghir N’at Djennad. Cette dénomination originelle est toujours en usage dans la communication quotidienne des sociétés berbérophones.

À partir du VIIème siècle après Jésus Christ, sous l’influence de la langue et de la culture arabes, les Berbères arabisés sont influencés peu ou prou par les principes arabes d’appellation des personnes, lesquels, par ailleurs, ne sont pas différents du modèle berbère. Le nom complet arabe, à cinq composantes (désignation honorifique -hadj, sidi-, prénom de l’individu, prénom du père, désignation patronymique ou de famille, indication du lieu de naissance) était encore en usage au XIXème siècle, notamment dans les documents écrits et pour les personnes d’un rang social élevé, selon Elie Tabet (1882), cité par Yermeche (2008). Ce système de dénomination va connaître une simplification qui va donner lieu à une forme plus abrégée (Mercier, 1902), composée du ism ou nom propre (ou prénom) et de la filiation ou nasab. La kunya a pratiquement disparu des usages tandis que la nisba apparaît quand l’individu se trouve en milieu exogène à l’exemple de Mohamed ben Amar Ould Ali Mostaghanemi. Quant au laqab ou surnom, très en usage dans nos sociétés modernes, il est utilisé en milieu restreint. La structure sociale algérienne fondamentalement tribale de la fin du 19ème siècle et au moment de l’instauration du mode patronymique, expliquerait d’un point de vue historique la pérennité de la nisba en témoigne le nombre imposant de patronymes à base ethnique présents dans les noms de famille algériens. L’influence arabe va essentiellement porter sur le lexique des désignations prénominales arabes, surtout de type religieux (noms théophores). Ainsi, une pléthore de noms composés en Allah,Eddine et Abd + qualificatifs de Dieu comme Abdellah, Salaheddine, Abdelrezak…, vont rentrer dans l’usage.

Jusqu’à l’occupation française en 1830, le système dénominatif algérien était globalement stable et fonctionnait selon les schèmes dénominatifs en vigueur depuis des siècles. À partir de 1882 (avec la loi du 23 mars 1882 qui instaure l’état civil et le mode patronymique pour « les indigènes »), va s’opérer une rupture dans les modèles de nomination et dans le continuum généalogique. Le mode patronymique, fondé sur la dénomination individuelle, va supplanter la dénomination traditionnelle, du moins administrativement. Deux modes de désignation vont cohabiter, la dénomination officielle de type patronymique et la dénomination patrilinéaire usuelle. Les noms patronymiques vont se construire et s’écrire selon la culture, le modèle et l’orthographe français en faisant souvent fi des schèmes dénominatifs autochtones. Opérée dans la précipitation, la transcription des noms sur les fichiers d’état civil va considérablement altérer le système dénominatif algérien, tant dans sa forme (perte du signifiant) que dans son contenu (signifié). La transcription multiple des noms, l’attribution de noms différents aux membres d’une même famille, l’introduction de nouvelles formes, contraires aux habitudes dénominatives ont contribué à brouiller la cohérence du système anthroponymique. L’état civil tel qu’élaboré par l’administration française a quelque peu « falsifié » l’identité nominale des Algériens (Lacheraf, 1998 & Yermeche, 2013), voire causé un « syndrome nominatif » chez certains Algériens, notamment ceux à qui on a attribué des noms SNP et des noms dégradants (Benramdane, 2000). La fixation des noms « algériens » en orthographe française par l’administration coloniale[2] a eu des conséquences désastreuses sur la gestion des noms postindépendance. Encore aujourd’hui, les services administratifs de l’état civil continuent à gérer les multiples dysfonctionnements liés à la transcription des noms et aux requêtes multiples des citoyens algériens confrontés aux déficiences orthographiques de leur patronyme ou tout simplement désireux de recouvrer un nom plus en adéquation avec leur identité (Yermeche, 2014).

Patronymie et activités professionnelles : une lecture de la société par ses métiers

Dans la patronymie élaborée et transcrite par l’administration coloniale française, nous retrouvons une diversité de schèmes (modes) de construction de l’anthroponymie algérienne traditionnelle fondée essentiellement sur un mode patrilinéaire (Yermeche, 2008). Toutefois, nous relevons une catégorie patronymique à base de surnoms faunique, floristique, d’objets, de qualifications physiques ou morales et autres (Yermeche, 2008). Ce qui n’est pas totalement surprenant, connaissant la tendance de nos congénères à attribuer des surnoms descriptifs ou qualificatifs à leurs prochains (Yermeche, 2002). L’autre caractéristique de ces surnoms est celle qui consiste à identifier l’individu par l’activité exercée (Yermeche, 2008). Notre société traditionnelle du 19ème siècle était fondée essentiellement sur des activités artisanales en milieu citadin et agraires en milieu rural. Dans les habitudes dénominatives des Algériens de l’époque et encore aujourd’hui d’ailleurs, la dénomination des personnes par le surnom en général et le surnom professionnel en particulier est largement répandu (Yermeche, 2008). La place qu’occupe la pratique professionnelle dans la vie de l’individu est tellement importante qu’elle finit par devenir une composante de son identité onomastique (Yermeche, 2008). Ainsi, le patronyme algérien ayant été instauré au 19ème siècle, le surnom de métier, utilisé jusque-là à l’oral, s’est cristallisé dans les registres d’état civil, avec l’instauration du mode patronymique (loi du 28 mars 1882) par l’administration coloniale en tant que nom héréditaire (Yermeche, 2008).

Le surnom héréditaire (Billy, 1994), attribué par le voisinage de proximité, va ainsi se fixer dans le patronyme, même après la cessation de la pratique par le nommé ou la disparition de l’activité. Ces surnoms qualifiants vont se transmettre aux descendants qui vont porter le surnom de leur père.

Après l’indépendance de l’Algérie, le programme socioéconomique de Houari Boumedienne basé sur le tryptique (révolution agraire, industrielle et culturelle) et l’absence de politique touristique constituent des facteurs favorisants de la réorganisation et de la restructuration de la division du travail sans pour autant bouleverser les dénominations anthroponymiques, lesquelles ne disparaissent qu’avec l’extinction de la lignée mâle. Ainsi, les patronymes à base de noms d’artisans et de petits commerces, témoins des occupations et des métiers de nos ancêtres, continuent à vivre grâce à la transmission générationnelle.

Linguistiquement, ces patronymes socioprofessionnels sont produits dans les langues en usages dans le milieu social de l’époque (arabe algérien, berbère, hébreu et osmanli) et mettent en exergue la diversité de la composante ethnique de la société de l’époque. Morphologiquement, ils respectent la syntaxe de la langue de production et se présentent sous une forme simple Lebane « marchand de petit lait », Djellid « peau, cuir », une forme dérivée [nom commun + suffixe d’agent i-dji] Debahi « boucher », Khefafdji « marchand de beignets », ou une forme composée [nom filiatif ben/bou + nom du produit], Boukhobza « marchand de pain », Benfellah « fils du paysan », Bennedjar « fils du menuisier ».

Les patronymes professionnels identifient les nommés mais les classifient également. La désignation par l’activité exercée est souvent déterminée par la nature même du métier mais aussi, par son prestige au sein de la société économique et le lieu d’exercice de ce métier. Les fonctions administratives, signes d’érudition et de réussite, sont fortement appréciées dans nos sociétés à vocation fondamentalement artisanale et agraire ; elles confèrent à celui qui les exerce un statut social prestigieux. Les surnoms de profession et de métiers pratiqués à la fin du 19ème siècle renvoyaient essentiellement à des corporations et à des corps de métiers. Ils constituent de véritables marqueurs sociaux à l’instar de certaines activités professionnelles réservées exclusivement à la classe des nobles et qui nous renseignent sur la hiérarchisation de la société. Ainsi, dans la tradition berbère, le métier de forgeron, Aheddad (fabricant d’armes et de bijoux) était généralement réservé et pratiqué par des corporations, constituées de père en fils, et qui ont donné la lignée des Ihaddaden « les forgerons » (Zaid, 1999, p. 402)[3]. Les Ihaddaden sont en général respectés par la communauté chez laquelle ils exercent leur art. (Hanoteau et Le tourneux (1893) À l’inverse, le métier de boucher était réservé aux esclaves Ak°len « esclave, noir ». Ce fait est tellement ancré dans les mentalités que, dans la langue berbère, la désignation raciale d’Akli et Loucif renvoie indistinctement au statut d’esclave et à sa pratique professionnelle.

Ces surnoms professionnels, de métiers, de fonction et d’activité [4], décrivent avec précision le milieu socio-professionnel auquel ils se réfèrent. Spatialement catégorisés, ils reflètent le mode de vie binaire de la population algérienne de l’époque : d’un côté, les populations rurales avec leurs activités pastorales et de l’autre, les populations urbaines, qui exerçaient des métiers artisanaux et occupaient des fonctions administratives (Fabre, 1998, p. 81) [5].

Les noms de métier en milieu citadin

En milieu citadin, les noms de métier nous renseignent avec précision sur l’organisation sociale, la stratification du travail et le partage des tâches des populations au sein de la cité, au 19èmesiècle. La structuration professionnelle en classes et en corporations est significative d’une organisation communautaire (Ottomans/autochtones) au sein de laquelle existent une cohésion, une solidarité ainsi qu’une interdépendance des différents membres du groupe social (Yermeche, 2008). Cette « organisation contribue de manière spécifique à modeler l'identité de métier. » (Zarca, 1997, p. 13). En milieu urbain, les noms de métier les plus fréquents sont ceux relatifs d’une part, au secteur tertiaire avec les différentes fonctions administratives ou militaires et d’autre part, au secteur primaire, où dominent les petits métiers (artisanats et commerces divers).

Le surnom professionnel : un témoin de l’histoire coloniale

Les surnoms professionnels, surtout ceux relatifs aux fonctions et à l’administration civile et militaire, sont historiquement marqués par l’occupation ottomane[6]. À cette période, l’armée de la Grande Porte a été un grand pourvoyeur d’emplois (Yermeche, 2008). Ces noms, provenant, pour la plupart, de la langue osmanli, sont majoritairement circonscrits aux cités occupées par les Ottomans et limitées essentiellement aux zones côtières et plus précisément à certaines grandes villes (Alger, Bougie, Médéa, Tlemcen…). Ces noms décrivent la pyramide du pouvoir ottoman, son administration bien stratifiée, la hiérarchie militaire et les fonctions y afférentes, des plus importantes jusqu’aux plus subalternes. La marine qui représentait, à l’époque, la force politique et économique de l’empire ottoman est bien présente dans les noms qui désignent les différents postes de cette catégorie de métier, lesquels peuvent être classés en trois grandes rubriques, les fonctions juridiques et civiles, les fonctions militaires et activités annexes, la marine et la fabrication d’armes de guerre.

Les fonctions juridiques et civiles

Les fonctions militaires et activités annexes

La marine

Agha/Lagha «haut fonctionnaire indigène aux pouvoirs judiciaires, administratifs et militaires»

Kazi / Kaza «subdivision du sandjaq»

Kadi «juge musulman»

Kahia «substitut»

Tordjman «interprète, traducteur»

Khodja «secrétaire»

Chaouche «sergent huissier, appariteur»

Bitelmadji «directeur du domaine du fisc»

Baidji «receveur d’impôt»

Kaznadji «trésorier»

Gmardji «collecteur de taxes sur les marchés»

Khane «chef, prince»

Pacha «chef ayant plusieurs aghas sous ses ordres»

Bey «gouverneur, fils de pacha»

Sta «officier des janissaires»

Takarli «commandant d’une forteresse»

Ghazi «garde des frontières de l’empire»

Kobtane «capitaine»

Laskar «soldats»,

Haddak «soldat hongrois à pied»

Ghozzali «corps d’archers turkmènes »

Rami «tireur, archer»

Allag «lancier»

Alamdar ou Sandjak «porte-étendards»,

Herbadji «gardien sous les ordres du grand vizir qui gardait et enchaînait les prisonniers»

Zabanti/Zbaïti «l’officier de police»

Kasbadji «ancien gendarme à Alger»

Moundji «officier chargé de l’éclairage»

Kourzi / Kerroudji «garde-forestier, garde»

Bestandji «jardinier qui s’occupait de la garde et de l’entretien des jardins du sultan »

Damardji «celui quis’occupe de la gestion de l’eau»

Arbadji «charretier, voiturier, charron»

Oueznadji/Ouazani «charge municipale qui a pour fonction de peser les grains, de s’assurer des pratiques commerciales». [7]

D aouadji «caravanier, administrateur du caravansérail»

Salouadji «propriétaire de camps de pehlivans (lutteurs turcs)»

Bach Sais «palefrenier en chef»

Serradji/ Atchi «garçon d’écurie, sellier, palefrenier»,

Cebeci «fabricant de harnais»

Chaqmadji/Bouchakdji «coutelier, armurier»

Damardji «maréchal-ferrant, serrurier»

Dennane «maître des forges»

Kafaldji «serrurier»Boudjakdji «qui fait des foyers, des fours, des cheminées»

Baltadji «l’homme à la hache»

Ketrandji «fabricant et marchand de goudron»

Kilardji «chaudronnier»

Kezadri «celui qui travaille l’étain»

Zenouda «fabricant de chien de fusil»

Dey «titre donné aux capitaines des navires»

Amir «chef de bateau»

Tachqami «grand chaland ponté»

Doumandji «timonier, patron de chaloupe»

Boumabadji «bombardier» Bachtobdji«maître-canonnier»

Tobjli «canonnier»

Sermadji «vendeur de produits de beauté, le khôl qui servait à protéger la vue des marins et des caravaniers»

Fenardji «allumeur de lampes, gardien de phares »

Les surnoms professionnels : un panorama des activités professionnelles du 19ème siècle

Au 19ème siècle, les arts et métiers, les petits métiers, commerces et prestations de service qui constituaient la principale activité des populations urbaines caractérisaient la société de l’époque. Véritable représentation de la carte professionnelle de l’époque, ces surnoms métonymiques évoquent le métier exercé et nous renseignent sur les multiples activités pratiquées à cette époque. Ces métiers répondaient aux besoins immédiats des citadins (métiers de l’alimentation, de l’habillement et des objets usuels). Il est difficile de distinguer entre les noms d’artisans et de commerçants tant ces deux fonctions se mêlent, les gens, à cette époque, étant souvent fabricants et vendeurs de leurs produits. L’artisanat sous toutes ses formes, textile, tannerie, ferblanterie, vannerie et dérivés, constituait l’essentiel des pratiques professionnelles du milieu urbain. Une diversité de petits métiers activait à la fabrication de produits de première nécessité. Ces métiers se répartissent selon les différents moments de la fabrication du produit jusqu’à sa vente au consommateur, du traitement de la matière première, essentiellement la laine, le lin, la soie, le cuir et le métal (fer, étain, argent et or) jusqu’à la mise en vente du produit fini. C’est ainsi que nous trouvons des patronymes qui renvoient à la matière première de l’activité. La fabrication des produits dérivés tels que le coton et la laine, du cuir, du fer et du bois était une activité prospère et constitue une grande part du tissu professionnel. Ces désignations à forte connotation qualifiante dénotent le degré de spécialisation de la masse ouvrière de l’époque.

Matière 1ère et métiers y afférant

Travail du cuir, fer et bois

Travail de l’or

Objets divers

Lahrir «soie»

Richa «plume, duvet, poil»

Kezzi «soie grège»

Tibliline «paquet de laine cardée»

Djellid «peaux»

Lekkam «acier»

Snikra «ferblanterie»

Boufouffa/ El Kettani «fabricant/marchand de coton»Belharir/ Bouridane «fileur de soie»

Bourdjouane/ Boussouf «marchand de laine»

Baaloudj « apprêteur des laines»

Boukheit «fileur, marchand de fils et de lin»

Benzeghiba «marchand de duvet»

Bouhallissa « fabricant/vendeur de couvertures»

Bouferrache/Benhassir «vendeur, fabricant de tapis, lits»

Bachtarzi «maître-tailleur»

MoulKhiatine «maître-couturier»

El Hakkaoui «tisserand,couturier»

Bouderrouaz/ Khiat «couturier»

Tarzi «brodeur, tailleur»

Tellidji «tisseur de broderie, de brocard»

Harid «artisan brodeur»

Terradj «matelassier, l’homme qui coud le cuir» Berdaoui «bourrelier»

Branci «fabricant de burnous»

Abadji «fabricant de blouses»

Debbagh «tanneur»

Lamine Debbagh/Lamine Debbaghine «maître-tanneur(s)» Beninal«le cordonnier, forgeron»

Boudjeloud «vendeur de peaux»

Baboudji/ Boukherraz/ Sebabti / Boussebat «fabricant/marchand de souliers, savetier, cordonnier»

Bouhedadja « marchand de litière de chameau »

Haddad /Ihaddaden «forgeron, ferronnier, ferrailleur» Nedjar /Nechar «menuisier»

Boulouh «vendeur de planches, menuisier»

Boulanaache «fabricant, vendeur de civières»

Sebsadji «marchand, fabricant de pipes»

Boulahbel «vendeur, fabricant de cordes»

Bougherbal «fabricant, réparateur, vendeur de tamis»

Seladji /Sellaoui «fabricant, vendeur de corbeille»

Bouksani « vendeur, marchand de vêtements»

Kirati/ Saigh «artisan-bijoutier» Lamine-Seyagghine «maître-bijoutier» Boufetta «fabricant de bijoux en argent» Boudjoudjou«vendeur de perles»

Azebache «fabricant de bracelets»

Nekkache/ Louichaoui «sculpteur»

Bounefissa «fabricant ou vendeur de joyaux»

Attaren / Ouattar / Bonnatiro Boulariah «colporteur, marchand ambulant de bibeloterie, de parfums…»

Zerar «fabricant de boutons»

Boulgous «fabricant d’arcs»

Halfaoui «tresseur d’alfa»

Skakni «affûteur de couteaux»

Boukhoudmi «fabricant/vendeur de couteaux»

Nechab /Nechachbi «fabricant, vendeur d’épées»

Boulemkahel «fabricant, marchand de fusils»

Boubtana «l’homme au moulin à foulon»

Boutebina « fabricant de Tabouna»

Tebouldji «fabricant et vendeur de tambours»

Bendroh «fossoyeur»

Djebbas «plâtrier»

De nombreux surnoms professionnels nous renseignent sur les occupations de nos ancêtres. Ils constituent un tableau panoramique, détaillé et précis, des activités de nos concitoyens à l’orée du 20ème millénaire. Ces activités répondent essentiellement à leurs besoins élémentaires immédiats (nourriture, habillement, objets usuels) et à leur désir de subsistance. Elles se répartissent en activités du secteur secondaire (producteur/vendeur de produits de première nécessité, pain, lait, viande et dérivés) et du secteur tertiaire (hôtellerie, bains, petits commerces divers…).

Dénominations relatives aux petits marchands

De produits de première nécessité

Dénominations relatives aux petits commerces et activités diverses

Bouyeghroumni/ Khobzi / Boulkhobz «fabricant/vendeur de pain»

Kesradji «fabricant de pain traditionnel»

Benkoucha «boulanger»

Khefafdji «marchand de beignets»

Benbrik «homme qui fait/vend des beignets»

Mehamsadji «fabricant ou vendeur de mhamsa»

Sekkal Skali etBoulehlib «vendeur de produits laitiers »Lebbane/Labandji etBoulben / Boulbina«vendeur de Lben (petit lait)»

Bouraib «marchand de lait caillé, laitier»

Zebdji/ Bouzbid «fabricant, vendeur de beurre»

Bouzit/ Bouzouata «marchand d’huile»

Boulmelh «vendeur de sel»

Bouseksou «fabricant, marchand de couscous»

Nebbad /Khamer «vendeur de vin»

Djezzar /Leham/Molhem«le(s) boucher(s)»

Bouasabana «le tripier»

Boudjadja «vendeur de poules»

Houat/ Belhout «vendeur de poisson» Boukhodra/Khoddar(i)/Boukli /Bekkali«marchand, vendeur de légumes»

Boulkaraa «marchand de courgettes»

Bensekkouma «personne qui cultive ou vend des asperges»

Boulandjas «marchand de poires»

Boudelaa « marchand de pastèques »

Bellouz «vendeur d’amandes»

Boulahchiche «marchand d’herbes aromatiques»

Bounanaa «marchand de menthe»

Boussouak «vendeur d’écorce de noyer»

Belmesk «vendeur de musk»

Boulaacheb «marchand d’herbes médicinales»

Djaidja «marchand de thé»

Bouchiha «marchand d’absinthe»

Serkadji «fabricant de vinaigre»

Chemamdji «vendeur ou fabricant de chique, ou tabac à priser»

Bezari «marchand de grains»

Bouchemaa «vendeur de bougies»

Saboundji /Boussaboune «vendeur ou fabricant de savon»

Mahali «boutiquier»

Benhanoute «l’homme à l’épicerie, l’épicier»

Tadjer «commerçant»

Khanji «hôtelier»

Fenadki «l’hôtelier»

Kahouadji «cafetier»

Boulassel /B aldji «marchand/fabricant, négociant en miel»

Ko uaci «boulanger»

Halouadji «pâtissier»

Tebbakh «cuisinier»

Kebabdji/ Hamardji «rôtisseur, restaurateur»

El Haffaf/ Hadjam!Benmechta/ Berbar /Berber «barbier, coiffeur, poseur de ventouses»

Benhamam «l’homme au hammam»

Hamamdji «ouvrier de bain»

Kayes /Kias «masseur»

Bouma/Sakkai/ Belguessab «vendeur, transporteur d’eau»

Belbouab /Bouab/Labaoub «qui ferme les portes, portier»

Belatel / Hamladji / Mehamel «porteur»

Berrah «crieur public (au marché)»

Laouadji «vendeur de chevaux»

Troumbadji «propriétaire d’une pompe»

Bahri /Bahari « marin, l’homme de la mer»

Boudellal «agent, commissionnaire, courtier»

Keraressi «chauffeur de voiture, de taxi»

Belkalem/ Kateb « écrivain public»

Bouressam «celui qui dessine, peintre»

Racim «artiste (des arts graphiques)»

El Branki /Bramki «vernisseur»

Kerrache «qui se consacre à la lutte sportive »

Bennacef «domestique, valet»

Kheddache etKhedam « le serviteur, l’ouvrier »

Touba «médecin(s)»

Boudoua «celui qui soigne»

Snadji « arracheur de dents, dentiste»

Bachedjerrah/Djerrah «chirurgien, chirurgien en chef»

Djebbar «rebouteux».

Cette diversité des patronymes professionnels montre parfaitement le degré d’élaboration et d’organisation de la société. Le maillage de tous les secteurs socio-économiques donnent à penser que la population, parfaitement organisée, vivait en harmonie et autosuffisance.

Les patronymes professionnels en milieu rural : reflet d’un bien-vivre avec la nature et son environnement

Le monde rural, à l’instar des zones urbaines, a des activités spécifiques en adéquation avec la nature et l’environnement dans lequel il évolue. À la campagne, la vocation agraire et pastorale des populations a donné lieu à de nombreux surnoms patronymiques en rapport avec les activités quotidiennes des gens, essentiellement terriennes et manuelles (travail de la terre et élevage de certains animaux). Ces noms, qui laissent deviner l’origine agraire de leurs porteurs, décrivent dans le détail les outils de travail et les opérations effectuées par le paysan dans son travail de la terre. Ces surnoms évoquent la vocation pastorale (élevage d’ovins et de bovins) de nos aïeux, les métiers relatifs au travail de l’argile, de la pierre et du marbre. À la campagne, le paysan est en parfaite symbiose avec la nature et ses animaux et les métiers exercés sont directement liés aux produits de la terre et des animaux qui y vivent.

Travail de la terre

Elevage ovins, bovins

Noms de métier de la campagne

Travail de l’argile

Nebbache /Nibouche « celui qui pioche » Haffar «laboureur» Ghris«arboriculteur» Zebairi« celui qui débroussaille, sarcle et taille» Khareb«celui qui greffe» Bouzerb/Zerbadi « l’homme qui fait les haies» Hachi «faucheur de foin, d’herbe» Bechlem/Bouchalma «celui qui travaille l’écorce» Boughella/Benghella «l’homme à la récolte, à la production» Boukhebache/Bounebbache«l’homme à la pioche »

Boughalem /Bou choubane/ Barkouk [8] «berger, l’homme aux moutons» Benbraibache «l’homme aux brebis» Benmaïz «le chevrier»Beggar/Bouizgarene «maquignon, l’homme aux bœufs»Djelmane/Bendjelmine «tondeur de moutons» Bouhaicha «l’ânier, le muletier»

Fellah «paysan» Demil/Boukerb «laboureur »Merdjadi/Hassed/Bouhacida«moissonneur » Derradji/ Ikhalfounen «meunier(s)» Hattab «bûcheron » Amerras «gardien des silos»

Fekhardji /Boukellal etBoulefekhar/Boutine, Boudjerradji/Ioualalen « potier» Bourekhoum«marbrier»Benbalit«fabricant de dalles» Fellag/Meghdas/Merdas/Boumerdas «casseur de pierres» Benhadjer etTachdjan «tailleur de pierres» Boukanoune «celui qui vend du charbon de bois pour le kanoun» Berremila «vendeur/marchand de sable»Rekhima «marbr» Laadj«ivoire» Fekhar/Kellal/Oukellal «argile servant à faire des poteries» Timlelt /Timlet «argile blanche qui sert à décorer les poteries et les soubassements intérieurs de la maison

Conclusion

Ces patronymes à base de surnoms professionnels, au-delà d’être des faits d’histoire sociale et d’histoire tout court, ont une fonction identificatrice et classificatrice des composantes diverses de la société algérienne du 19ème/20ème siècles (arabe, berbère, turque, française, espagnole, maltaise et autres). Produits d’histoire et d’économie sociale, ils constituent, pour les chercheurs de diverses disciplines (historiens, anthropologues, sociologues, linguistes…), un legs patrimonial riche d’enseignements. Ils nous donnent à lire une véritable carte descriptive des activités économiques et sociales de la couche laborieuse de cette époque. Les patronymes à base de nom de métier, véritable indicateur majeur de l’organisation sociale, nous informent sur le lien qui lie l’homme à son activité quotidienne, nous renseignent sur la diversité des corporations et des petits métiers, sur le dynamisme de l’activité économique et sociale de la cité, sur la division du travail et sur les modes alimentaires, vestimentaires et usuels de nos concitoyens à la fin du 19ème siècle, bref, sur le mode de vie de nos ancêtres. La stratification professionnelle ou la corporation des métiers calquée sur l’organisation communautaire est caractérisée par une cohésion, une solidarité et une interdépendance de ses membres. La pratique professionnelle s’érige ainsi en marqueur fort de l’identité nominale des personnes.

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Notes

[1] C’est une terminologie que nous adoptons.

[2] C’est pour cela que nous parlons d’état civil de l’Algérie et non des Algériens car il a été conçu et réalisé par une autorité coloniale et pour une administration coloniale.

[3] L’aheddad est une « catégorie sociale des villages kabyles qui, à côté des marabouts, ont une fonction spéciale à remplir : ouvrir la saison des labours et fabriquer les outils nécessaires au travail de la terre. Dans certains villages, ils sont également bijoutiers. Dans un cas comme dans l’autre, ils manient le feu et le métal. »

[4] Notre corpus se compose de patronymes exclusivement collectés au nord de l’Algérie (Constantine, Kabylie, Alger, Oran…)

[5] « Il y a les métiers de la ville où l’artisanat diversifie les appellations d’après sa propre diversité; il y a les métiers des champs où l’on retient surtout les occupations spécialisées du monde rural où chacun est agriculteur; il y a les métiers de telle ou telle région forcément pratiqués en fonction de ce que ces régions proposent comme activités possibles ».

[6] L’administration ottomane était installée en Algérie dans la première moitié du XVIème siècle et ce, jusqu’à l’arrivée des Français en 1830.

[7] Définition donnée par Amine Maalouf dans son roman Léon l’Africain (p. 63).

[8] Schimmel, 1987, op.cit., p. 107 : « Tout le monde le rattache allégrement au mot arabe baqûq qui signifie « abricot » mais Ibn Taghrîbirdi explique qu’il s’agit d’une forme arabisée du circassien mallîkhûq qui signifie « berger » ».

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