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La dénomination des sites web algériens : un compromis entre créativité linguistique et contraintes juridico-commerciales


Insaniyat 98, octobre-décembre 2022, p. 49-66

Farid HADJARI: École Normale supérieure de Mostaganem, département de langue française, 27 000, Mostaganem, Algérie.

Farid BENRAMDANE: Université M'Hamed Bougara, faculté des Lettres et des langues étrangères, 35 000, Boumerdès, Algérie.


Les systèmes de dénomination, à la faveur de la massification des technologies de la communication, intègrent de plus en plus des créations onomastiques nouvelles et inédites, issues de l'imaginaire local certes, mais adossées de plus en plus à des apports et des contraintes induits par les effets de la globalisation. Comment s'opère cette perception des faits de langue, de culture et de dénomination d'une société quand les stratégies linguistiques à dominante commerciale sont soumises à des contraintes autant juridico-commerciales que techniques relatives à la signalétique électronique et à l'attribution des noms aux sites web ?

En effet, ce type de dénominations atypiques dans le champ de la communication sociale, appelées « chrématonymes » quand il s'agit de « noms des produits, institutions, organisations, phénomènes sociaux[…] » (Mandola, 2017, p. 37), fruits de la création humaine, non en rapport avec la nature mais à partir des relations économiques, politiques et culturelles, évoluent dans un univers numérique exponentiel, faisant fi de tous types de frontières, sans pour autant négliger la résurgence des spécificités locales dans des logiques à dimension universelle.

Dans cette contribution, nous tenterons de « rendre compte des stratégies de dénomination en onomastique commerciale » (Fèvre-Pernet, 2008, p. 1) en mettant en avant l’articulation des approches onomasiologique et sémasiologique afin de dégager les particularités linguistiques impliquées dans l’opération de création des noms de domaine (désormais NDD), en termes de schèmes de nomination et de formats dénominatifs propres au concepteur-scripteur algérien.

Corpus, pluralité linguistique et contraintes techniques

L’analyse linguistique des NDD en contexte algérien nécessite la mise en place d’un dispositif méthodologique qui préconise de resituer les données collectées, issues d’actes de nomination permanents et dynamiques (Benramdane, 2007, p. 20), dans le contexte général dans lequel se déroule la communication numérique. Cette dernière est caractérisée par sa nature composite, mixant productions langagières et contraintes technologiques (Paveau, 2015, p. 22), mais soumise aussi, d’un côté, à des contraintes juridico-commerciales induites par la situation de communication qui caractérise le champ de l’onomastique commerciale et de l’autre, à des contraintes de type sociolinguistique dues au caractère plurilingue du contexte algérien, qui met en scène plusieurs langues activées selon la stratégie argumentative retenue, soit à visée informative, soit à visée de captation (Charaudeau, 1995, p. 167).

Afin de saisir certains aspects de la structuration linguistique des NDD, nous avons constitué, dans un premier temps, une liste, la plus longue possible, d’adresses de sites web algériens. Ces adresses web ont été extraites à partir d’une dizaine d’annuaires internet algériens qui classent les sites web selon plusieurs catégories comme illustré dans la figure suivante :

Figure 1 : Exemple d’un annuaire internet

 

 

 

Source : https://algerie-annuaire.com

Nous avons extrait, par la suite, toutes les adresses web contenues dans chaque rubrique de l’annuaire. A titre d’exemple, nous avons pu extraire 38 adresses de la catégorie voyage Algérie (voir figure ci-dessous).

Figure 2 : la rubrique voyage Algérie

 

 

 

Source : https://algerie-annuaire.com

Nous avons pu réunir, de cette manière, plus de 6000 adresses web. Cependant, le matériau collecté avait besoin d’un travail de tri afin d’éliminer les doublons, c’est-à-dire les sites web identiques provenant d’annuaires différents, en plus des adresses web qui ne comportaient pas d’informations sur la dénomination de leur site, réduisant par conséquent, le nombre de sites à environ 4980 formations onomastiques. La dernière étape a été d’éliminer le préfixe de chaque site pour ne garder que le NDD (voir figure 3).

Figure 3 : Structuration d’un NDD

Cette homogénéité apparente des NDD obtenus, imposée par des contraintes techniques, à savoir le choix des unités autorisées (les lettres : « A » à « Z » et les chiffres : « 0 » à « 9 »), le nombre de caractères autorisés (pas plus de 63 caractères extension exclue) et l’exclusion des lettres accentuées, des espaces et des signes spécifiques à l’exception du tiret « - » utilisé comme séparateur, cache une hétérogénéité assumée ; exigée même, dirons-nous. Puisque les NDD prétendent répondre à des contraintes juridico-commerciales, deux qualités sont recherchées par le concepteur-scripteur, à savoir l’originalité et l’attractivité. Ces deux qualités font de l’opération de référencement[1] d’un site un exercice linguistique qui fait appel à la créativité, faisant de la collecte de données un exercice considérablement complexe. Vu l’hétérogénéité des données sur le plan de la forme (longueur des syntagmes, caractères utilisés, etc.) et de la pluralité des langues sollicitées, nous étions dans l'impossibilité d'utiliser des logiciels d’extraction automatique des adresses web et des NDD.

Identification des procédés onomastiques et des stratégies linguistiques dans la formation des NDD

La prise en compte de la dimension composite issue de l’alliance technico-linguistique, elle-même déterminée par les contraintes socio-juridico-commerciales, inscrit d’emblée notre recherche sur la structuration linguistique des NDD dans une perspective sociolinguistique dont l’un des aspects privilégiés est l’analyse des productions langagières issues du phénomène de plurilinguisme (Moatassime, 1992 & Boyer, 2001).

En effet, ces chrématonymes, au risque de nous répéter, évoluent « au milieu d’un écosystème électronique en pleine effervescence » (Handler, 2018, p. 291) qui dépasse les frontières des pays et des continents. Cependant, leur caractère universel ne doit pas faire perdre de vue leurs spécificités locales lors de l’analyse linguistique. S’impose, dès lors, une articulation des dimensions universelle et locale qui trouve son origine dans la maxime « penser globalement, agir localement » (Ellul, 2006) pour une meilleure compréhension du fonctionnement des NDD. Partant de ce principe, le choix et l’élaboration des NDD s’apparentent à une stratégie commerciale par excellence puisqu’elle permet d’ajuster un produit censé avoir une portée universelle du simple fait de son existence sur le réseau mondial, au marché local afin de l’adapter à la demande, au même titre que le discours publicitaire (Adam & Bonhomme, 2012). Cette adaptation se manifeste chez le concepteur-scripteur par une liberté dans l’utilisation des différentes langues du paysage sociolinguistique algérien et des différents procédés de construction linguistico-onomastique. Il faut noter que ces NDD, même s’ils ont en commun le fait d’être transcrits en caractères latins, appartiennent à plusieurs langues en usage dans le contexte algérien, à savoir l’anglais, l’espagnol et le français, mais aussi l’amazigh, les différentes variétés de l’arabe (classique, standard, algérien) et parfois même des langues plus exotiques comme le chinois ou le turc. Quel que soit le procédé linguistique sollicité et la/ les langue(s) utilisée(s), les NDD soumis à notre analyse font apparaitre des schèmes de nomination et des procédés de construction morphologique récurrents (Roché, 2009).

L’identification des schèmes de nomination

La création et l’attribution des NDD sont gérées par l’ICANN[2]. Cet organisme ne tolère pas qu’un même NDD désigne deux entités différentes, en d’autres termes, chaque NDD doit être unique parce qu’il ne peut représenter qu’un seul site web, ce qui fait des NDD une ressource rare et un produit monnayable très prisés répondant au principe purement commercial du « premier venu premier servi ». En fonction de sa rareté et de son caractère générique, un NDD peut se négocier entre 1 200 et 12 000 dollars. Cependant, il arrive que leur valeur marchande atteigne des sommes astronomiques : à titre d’exemples, le NDD Las Vegas.com a été cédé à 90 millions de dollars en 2005, tandis que le NDD QuinStreet.com appartenant à une société de services de marketing Internet a été cédé à 49 700 000 dollars ; ce site ne proposait aucun contenu et seul le NDD a été vendu[3].

Les qualités recherchées dans un NDD sont donc la rareté, l’originalité et surtout le caractère générique et concis des termes qui le composent. Il parait clair que la dimension dénotative du discours est privilégiée dans la structuration linguistique des NDD. Dans notre corpus, cette dimension est représentée par deux macro-schèmes, le schème descriptif et le schème actanciel (Fèvre-Pernet, 2008). Les NDD tijara.dzsiaha-dz.net[4], sante.dz et tourisme.dz renvoient au macro-schème de nomination descriptif dans la mesure où ils partagent le fait que leur dénomination s’appuie sur le nom du référent générique. Ces termes génériques constitués de mots ou de syntagmes courts sont les mieux évalués parce qu’ils couvrent, d’un côté, un « territoire sémantique » (Handler, 2018, p. 297) assez large, ce qui permet aux internautes d’identifier immédiatement le référent facilitant ainsi la mémorisation du NDD, de l’autre, ils permettent un meilleur positionnement du site sur la toile par rapport aux concurrents ; une meilleure visibilité et, par extension, une meilleure rentabilité sont dès lors assurées.

Cependant, on arrive rapidement à la saturation du marché provoquée par la pénurie de termes génériques courts. Afin de pallier le déficit des NDD génériques courts, faciles à mémoriser et à fort potentiel référentiel, et afin d’éviter tout litige d’ordre juridique, le concepteur-scripteur algérien dispose de tout un éventail de procédés puisant dans des schèmes de nomination, aidé, dans cette démarche, par les différentes possibilités offertes par le plurilinguisme qui caractérise le paysage sociolinguistique algérien. L’une des stratégies utilisées, après le recours aux termes génériques, est l’emploi de « formations réduites » (Handler, 2018, p. 297) ou « de mots courts non génériques » à dimension dénotative. Les NDD entrant dans cette catégorie sont dénommés en référence à une caractéristique perceptuelle du produit désigné comme :

  • une couleur : com ou bativert-dz.com. La couleur verte, dans les deux NDD, fait référence respectivement à la désignation de l’équipe nationale algérienne de football et à la politique soucieuse de la protection de l'environnement adoptée par une entreprise de construction ;
  • une odeur : com. Le prénom Abir utilisé dans le NDD d’une agence de voyage signifie une odeur agréable en arabe ;
  • ou une sensation : lovetouralgérie.com. L’utilisation du lexème « love » dans le NDD d’une agence de voyage est sensée donner un caractère sensuel au voyage.

Dans la même catégorie de macro-schème, la dénomination, telle qu’imaginée par le concepteur-scripteur des NDD, peut aussi cibler directement le destinataire du produit. Ainsi, les NDD femmesdz.com, yajeune.com, ptitboutchou.net, izwawen.com réfèrent à des destinataires, donc consommateurs potentiels : différentes catégories sociales sont ciblées à l’instar des femmes algériennes, des jeunes, des parents ayant à leur charge des enfants (ptitbouchou.net : un magasin de vente de jouets) ou d’un groupe ethnique : les Amazighs.

Les NDD peuvent appartenir à un deuxième macro-schème dénommé actanciel quand il s’agit de mettre en avant la notion de rôle sémantique afin d’expliquer leur conception. Les sites web entrant dans cette catégorie sont nommés soit d’après l’action qu’ils réalisent, soit d’après le patient qui subit l’action, soit d’après le résultat obtenu. Les NDD nroho.com, togodz.com, tajmille.com et taswik.com sont nommés d’après l’action réalisée par les internautes consultant le site ou adhérant à l’offre proposée. L’exemple du premier NDD (site de covoiturage algérien) s'apparente au type de dénomination à visée pragmatique porté par des prédicats signifiant respectivement « nous partons », « nous nous en allons ». Il en va de même pour les lexèmes taswik (commercialisation/ vente) et tajmille (embellir/ rendre plus belle) qui désigne un site de vente en ligne proposant des produits cosmétiques. Le deuxième micro-schème appartenant à cette catégorie met en avant la nomination du NDD en référence au résultat escompté. Cette projection dans l’avenir, dénotée positivement et explicitement formulée, possède une visée prescriptive (Charaudeau, 1995, p. 156-157) et renferme une stratégie purement commerciale. Les NDD nrecrutic.com (je te recrute/ t’engage) et agence-immobiliere-cle-du-bonheur.com (le segment figé clé du bonheur symbolise le bonheur ressenti après l’acquisition d’un bien immobilier), réfèrent à l’objectif à atteindre.

Dire que le nombre de NDD dans le monde ne cesse de croitre chaque année serait un pléonasme, tant le réseau internet est en expansion continuelle. Selon une étude de l’AFNIC[5], ce nombre a été estimé à 346 millions à la fin de 2019 enregistrant une croissance de 4,7 % par rapport à 2018, conduisant à la saturation du marché en termes de NDD génériques exploitant les mots simples et les expressions réduites. Afin de contourner la règle de l’exclusivité dans l’attribution des NDD imposée par l’ICANN, source de beaucoup de litiges juridiques, le concepteur-scripteur doit faire preuve d’ingéniosité et de créativité linguistiques pour proposer des NDD originaux et inédits. Un des procédés linguistiques utilisés, inspiré des travaux en onomastique commerciale, consiste à faire appel, à ce que l'on nomme dans la typologie des schèmes de nomination, au macro schème associatif qui exploite l’aspect connotatif du discours. Le référent du NDD, dans ce cas, n’est jamais formulé explicitement et nécessite l’activation, de la part du consommateur, d’une « compétence de décodage » : les NDD de cette catégorie sont nommés dans l’objectif de « créer un univers autour du produit, en adoptant une stratégie argumentative qui inscrit en creux les valeurs des consommateurs cibles pour mieux emporter leur adhésion » (Fèvre-Pernet, 2008, p. 8).

Trois micro-schèmes relatifs à ce macro-schème ont été identifiés dans notre corpus. Premièrement, les stratégies axiologiques qui consistent à recourir à des évaluatifs revêtant différentes formes dans la dénomination des NDD. Les sites reliés à la sphère commerciale[6] sont les plus concernés par cette stratégie de « laudation du produit et de valorisation de la marque » (Fèvre-Pernet, 2008, p. 8). Pour ce faire, différentes facettes de la valorisation des sites sont mises en œuvre à l’image de l’utilisation d’adjectifs subjectifs évaluatifs axiologiques (Orecchioni, 1980) dans la dénomination des sites internet, à l’exemple des NDD feteparfaite-dz.com et aubongibier.com (utilisation des adjectifs : parfaite et bon) ou de substantifs mélioratifs de nature lexicale ou polylexicale comme l’illustrent les NDD auxdelicesdupalais.net, izdihar[7]-dz.com ou diva[8]-autodz.com. Le troisième procédé de valorisation consiste à utiliser des suffixes grecs ou latins, sinon à consonance grecque ou latine afin de donner une connotation de sérieux ou d’attribuer une dimension scientifique attestée historiquement au site comme dans les NDD : chronoflex.com et vendox-dz.com.

Les contraintes du marché poussent parfois le concepteur-propriétaire de sites à puiser la dénomination des NDD dans le stock linguistique

et socioculturel aux niveaux local et global, espérant créer une connivence avec l’utilisateur-consommateur grâce aux savoirs partagés. Le déjà-dit lexical et discursif est mobilisé en vue de créer cette complicité avec l’utilisateur-consommateur dont la mémoire de ces noms est activée « par l’association des deux référents » (Fèvre-Pernet, 2008, p. 9). Dans ce cas le choix de la/ des langue(s) qui structure(nt) les NDD dépend de deux perspectives. Primo, du positionnement du site sur un continuum dont les deux extrémités sont représentées par les deux dimensions, locale et globale. Secundo, de la disponibilité du NDD ou plutôt des unités qui le composent.

Le deuxième micro-schème identifié est dénommé la stratégie interdiscursive. Elle consiste, entre autres, à l’emploi d’expressions idiomatiques[9], de noms de personnes célèbres et de références religieuses ou mythologiques dans l’optique de faciliter la mémorisation du NDD. Pour ce faire, deux points de vue diamétralement opposés sont identifiés notre corpus. Le point de vue global dans le NDD pegasus-voyage.com et le point de vue local dans le NDD anzar.com. La créature de la mythologie grecque Pegasus, le cheval ailé apprécié pour sa vitesse, sa force et sa mobilité est utilisé comme segment désignant une agence de voyage. La même stratégie est utilisée dans le deuxième NDD mais en adoptant un point de vue local : Anzar, dieu de la pluie dans la mythologie amazighe, est utilisé comme dénomination d’un site dédié à une entreprise spécialisée dans la production de matériels hydrauliques. Les contraintes commerciales, dans ce cas, nous poussent à formuler l’hypothèse selon laquelle plus le site web est destiné au marché local, plus il fait appel aux langues vernaculaires et aux référents locaux, et plus le NDD vise à donner une visibilité internationale (globale) au site web, plus les langues à large diffusion sont utilisées à l’instar de l’anglais et du français comme l’illustre le tableau ci-dessous :

Tableau 1 : Stratégie interdiscursive et type de visibilité

Le discours possède le pouvoir de faire voyager symboliquement. L’évocation de lieux géographiques représente le meilleur moyen pour créer un univers d’évasion et de détente. Cette spécificité se retrouve notamment, mais pas exclusivement, dans les NDD des sites consacrés aux voyages et aux toponymes. Comme les lieux ne peuvent être désignés que par un toponyme unique, le concepteur-scripteur, afin d’éviter tout litige juridico-commercial, est dans l’obligation d’avoir recours à différents procédés linguistiques créatifs dans différentes langues pour désigner un même lieu ou toponyme avec des dénominations différentes. Cette stratégie créatrice d’univers, le troisième micro-schème identifié, peut invoquer cet « ailleurs géographique ou diaphasique connoté » (Fèvre, 2008, p. 8) comme nous pouvons le constater dans les NDD dune-voyage.com et oasishotel-dz.com dans lesquels les lexèmes « dune »
et « oasis » réfèrent au désert du Sahara. Dans le NDD zemzemvoyages.com, le lexème « zemzem » fait référence à la source d’eau située à la Mecque, en Arabie Saoudite, destination de pèlerinage pour des milliers d’Algériens chaque année. La différenciation onomastique repose sur un processus linguistique créatif et innovant que nous pouvons schématiser comme suit :

Figure 4 : processus de création linguistique d’un chrématonyme

NDD et procédés morphologiques

Quelles sont les procédés linguistiques de construction de nouvelles et inédites entités onomastiques permettant de pallier le déficit linguistique en termes génériques et expressions courtes, à l'effet d'appliquer le principe juridique de l'univocité des NDD : un site = une dénomination ? Les stratégies dénominatives élaborées par le concepteur-scripteur puisent dans une typologie de mécanismes de la morphologie constructionnelle (souvent néologiques) en utilisant notamment trois procédés, en l’occurrence la dérivation affixale, la composition et les procédés de réduction de la forme.

La dérivation affixale

Nous aborderons deux procédés dans le cadre de la dérivation affixale, la suffixation et la préfixation. La suffixation est un procédé qui est utilisé dans les différentes langues du corpus. Dans les usages onomastiques en langue française, les suffixes -um et -oise dans les NDD icosium.com et cherchelloise.com sont des suffixes conventionnels comparés au suffixe -ox qui apparait dans le NDD vendox-dz.com. L’utilisation de suffixes à consonance grecque ou latine a été définie comme stratégie argumentative utilisée dans le cadre du schème dénominatif associatif mettant en avant une stratégie axiologique afin de donner un caractère savant au NDD. Dans le NDD dzhosteur.com, le suffixe -eur, habituellement utilisé en français, est associé à une base de l’anglais, elle-même accolée à une abréviation du lexème arabe « Dzaïr » transcrite en caractère latin. Étant donné qu’ « en arabe, la dérivation est un moyen de production du lexique beaucoup plus prolifique que la composition » (Yermeche, 2008, p. 253), la créativité dont fait preuve le concepteur-scripteur lui permet d’utiliser une large gamme de suffixes propres à cette langue, lesquels sont accolés à des bases de différentes langues comme relevés dans les exemples suivants : coursadz.com, el-annabi.com, safqatic.dz, manzilocom.com[10] et informatika-services.com. L’utilisation des suffixes -a, -i, -tic, -com et -ika témoignent de cette plasticité qui caractérise la dynamique des pratiques langagières en Algérie facilitant l’utilisation et l’imbrication de différents procédés lexico-sémantiques appartenant à des langues différentes.

La suffixation représente un procédé économique qui permet de contourner la règle de l’exclusivité dans l’utilisation des NDD à l’origine de nombreux litiges. En effet, il suffit d’ajouter ou de se distinguer par, au moins, un seul caractère, de surcroit porteur de nouvelles significations (terminaison en –i, - a, - com, par exemple) pour pouvoir utiliser un NDD déjà référencé comme l’attestent les NDD suivants : lemobilium.com, livrescq.com nasria.com et occasioo.com. L’ajout des suffixes (en gras) à une base constituée d’un terme générique ou d’une forme réduite (« mobile » ou « livre » par exemple) a permis au concepteur-scripteur de se distinguer et, par conséquent, de se positionner sur le marché.  

Le procédé de suffixation utilisé dans les NDD de notre corpus a également permis de mettre en lumière le concept de glocalisation tel qu’énoncé par Robertson[11], prenant tout son sens dans les usages onomastiques contemporains. Les exemples cités infra montre bien la pertinence de notre insistance sur l’articulation des deux niveaux d'interventions dénominatifs (global et local) dans les nouveaux systèmes de représentations mentales onomastiques. Les suffixes (en gras) dans les NDD safqatic.dz, netcom.dz, manzilocom.com, informatika-services.com et numeric.dz ont en commun d’être des suffixes de l’arabe : des morphèmes grammaticaux ou des marques pronominales (-tic= je te/toi, -tika= ton/ta et -com= votre) accolés à une base arabe, française ou française lexicalisée en arabe. Le concepteur-scripteur de NDD algériens a des possibilités de formation d'entités onomastiques que lui offre le phénomène du plurilinguisme ambiant, adossé à la possibilité de donner une dimension internationale (globale) à sa production en jouant sur les sonorités de langues à large diffusion, comme l’anglais ou le français. Le choix des suffixes -tic/ -tik et -com n’est pas anodin, il permet de donner plus de visibilité au site eu égard aux représentations mentales positives véhiculées par l'anglais, langue de la technologie et du développement économique.     

Le procédé de préfixation est moins présent dans notre corpus et les préfixes bio- et archi- sont les plus récurrents. Cette fréquence ne peut s’expliquer que si l’on prend en considération l’opération onomasiologique que nous avons dénommée les stratégies axiologiques et dont l’objectif est de mettre en valeur le produit. Cette contrainte commerciale favorise l’utilisation de préfixes mélioratifs bio-, archi- et méga- comme dans les NDD biodattes.com, bioexpert-dz.com, archiinfodz.bbactif.com, archipress.org et megapneu-dz.com, générant une valorisation qui peut constituer un argument non négligeable, assurant la visibilité du site sur le réseau mondial ; valorisation accrue par l’utilisation de préfixes français d’origine grecque et latine, langue bénéficiant d’un prestige avéré dans le paysage sociolinguistique algérien.    

La composition

La composition est définie comme « la formation d’une unité sémantique à partir d’éléments lexicaux susceptibles d’avoir par eux-mêmes une autonomie dans la langue » (Dubois et all, 1994 : 106). Pour des raisons pratiques, nous avons opté pour cette définition qui a  l’avantage de présenter le procédé au sens large du terme, ce qui nous permettra de multiplier les exemples. Étant donné que le marché des NDD connait une évolution constante, on arrive rapidement à saturation dans l’emploi des termes génériques. Ce procédé reste donc un procédé doublement pertinent dans la mesure où il permet d’une part, d’utiliser des termes génériques en langues locales en y joignant une ou plusieurs autres unités linguistiques comme dans les exemples suivants : hotel-kamel.com, hotel-leconcorde.com et hotelnewday.com, ce qui permet d'éviter ainsi des litiges juridico-commerciaux résultant de l’utilisation d’un NDD déjà référencé. Cette récursivité permet, d’autre part, d'enrichir le nom du site web en termes d’informations.

Quand les constituants proviennent de langues anciennes (grecque ou latine), la composition est dite savante. La présence de ce procédé dans notre corpus s’explique, d’un côté, par le fait que beaucoup de NDD réfèrent au domaine scientifique (médical et pharmaceutique notamment), domaine qui cristallise une répartition fonctionnelle des langues en Algérie (français et anglais). D'un autre côté, la volonté de valorisation du produit incite le concepteur-scripteur des NDD à opter pour une stratégie argumentative de type axiologique consistant à utiliser des constituants savants comme dans l’exemple suivant : chlorophylle-dz.com : chloro + phylle (racines grecques).

Une sous-catégorie de composition appelée la composition populaire rapproche exclusivement deux unités de la même langue selon différents cas de figure. Nous mentionnerons par exemple, l’amazigh : tizihibel.net, l’anglais : disctinctevents, l’arabe : souqbladi.com et le français : geantascenseurs.com. Les NDD vente-groupe-electrogene-algerie.com, cuisine-algerienne-de-souhila.com et oncercherpourvousdz.com appartiennent à la sous-catégorie des composés syntagmatiques. Ces derniers se différencient de la composition populaire du fait qu’ils rapprochent plus de deux unités, avec la particularité pour le procédé de composition appelé synapsie (2ème et 3ème exemples) d’insérer une préposition entre les unités du syntagme composé. La composition syntagmatique est récurrente dans notre corpus car elle permet de contourner la règle d’exclusivité imposée par les contraintes d’ordre juridico-commerciale, de pallier la pénurie de termes génériques et enfin, de donner plus de précision aux utilisateurs (consommateurs) sur le NDD grâce au principe de récursivité. 

Le concepteur-scripteur attribue aux locutions figées, considérées dans notre typologie comme une sous-catégorie de composition syntagmatique, un fort potentiel attractif, incitatif et mnémotechnique, au même titre que les termes génériques et les formations réduites. Elles ne diffèrent des autres sous-catégories de la composition que par le figement des unités qui les composent. Ces locutions résultant de l’application du schème associatif impliquant l’interdiscursivité à des fins argumentatives, très prisées dans la sphère commerciale, sont souvent puisées dans le déjà-dit lexical et discursif des différentes langues et des différentes aires culturelles comme l’attestent les exemples suivants : yeswecan.com (littéralement : oui nous le pouvons), ptitboutchou.net (voir tableau 2) et nisfeddine.com (littéralement : la moitié de la religion), un site de rencontre qui emploie cette locution nominale utilisée par les musulmans pour désigner le mariage.

En contexte algérien, le procédé de composition est adossé à des usages plurilingues déterminant un deuxième procédé que nous nommerons la combinaison. La combinaison est définie, dans notre étude, comme ce procédé qui, en contexte bi-plurilingue, emprunte le modèle structural de la composition mais en y injectant des unités linguistiques étrangères. Ce procédé, dans le domaine de la création onomastique, relevant du domaine indo-européen et chamito-sémitique, représente une source de productivité empreint d'originalité et d'individuation de nouveaux êtres de langage tels que les NDD.

Le procédé dénommé l’hybridation représente une forme de combinaison qui consiste à rapprocher, de différentes manières (soudure, juxtaposition, utilisation du trait d’union, etc.), des unités issues de langues différentes. Compte tenu des langues présentes dans le paysage sociolinguistique algérien, ce procédé possède un rendement de productivité très élevé. Nous avons identifié deux types d’hybridation. Le premier consiste en l’adjonction d’une racine grecque ou latine à une unité appartenant à une autre langue. Nous citerons les NDD : aqua-anzar.com : constitué d’une racine latine + un lexème amazigh et chronoflex.net : constitué d’une racine grecque + une troncation d’un lexème anglais.

Le deuxième type consiste à rapprocher deux unités ou plus issues de langues différentes comme illustré dans le tableau suivant :

Tableau 2 : exemples de NDD hybrides

NDD

Langues impliquées

ladylocation.com, lovetouralgerie.com,

anglais + français

nessnwes.com, babelweb.com

arabe + anglais 

jobrapido-dz.com 

anglais + espagnol + arabe 

dirsiteweb.com 

arabe algérien + français + anglais 

diva-autodz.com 

emprunt français à l’italien + français + arabe

dazibaoalgérie.com 

chinois + français

La réduction de la forme

À des fins commerciales et dans l’optique d’une meilleure diffusion-rétention du NDD, le concepteur-scripteur active fréquemment les matrices morphologiques par réduction de la forme[12]. Grâce à ce procédé, les NDD peuvent être formés soit par siglaison ou acronymie : mae.dz (Ministère des Affaires Étrangères), aaph-dz.com (Algerian Animal Health Product) ou lirf.org.dz (Ligue Inter Régions de Football), iscole.com (Institut Supérieur de Commerce et de Langues Étrangères), aadl.com.dz (Agence nationale de l’Amélioration et du Développement du Logement), soit par troncation comme dans les exemples suivants : ingeo-int.com (in = ingénierie + geo = géotechnique + int = international), job-educ.com (educ = éducation) et jijel-dz.info (dz = Dzaïr), dzvet.net (dz = Dzaïr + vet = vétérinaire).

Le recours fréquent au procédé de réduction de la forme dans la construction des NDD s’explique par le principe linguistique du moindre effort : il est certainement plus facile de mémoriser un sigle (ou acronyme) qu’un syntagme. Le procédé de troncation présente l’avantage que l’unité tronquée peut se combiner avec d’autres unités afin d’éviter, d’une part, les litiges juridico-commerciaux quand les termes génériques et les expressions réduites ne sont pas disponibles comme dans les exemples : dzhostinger.com, dzhumour.com et dzsoog[13].com. Ces NDD sont construits par adjonction d’une unité tronquée à des lexèmes de langues différentes (anglais, français et arabe). D’autre part, il permet de réduire le nombre de caractères utilisés dans un NDD imposé par la contrainte technique ; stratégie souvent payante puisque le consommateur aura tendance à le retenir plus facilement.

Conclusion

Les stratégies qui structurent la formation des NDD dans le contexte plurilingue algérien ont permis de mettre en évidence une multitude de procédés morphologiques exploités par le concepteur-scripteur. Étant donné les contraintes mentionnées et leur caractère universel, l’hybridation représente le procédé le plus utilisé avec une forte présence de l’anglais qui accompagne d’autres langues comme l’amazigh, l’arabe et le français. La fréquence élevée dans l’utilisation du procédé de siglaison (acronymie compris) et de la troncation en combinaison avec la composition s’explique, quant à elle, par des contraintes d’ordre techniques et mnémotechniques. Il est impératif pour le concepteur-scripteur algérien de fixer le NDD dans la mémoire du consommateur et le meilleur moyen pour y parvenir est l’utilisation de sigles[14]. Nous avons pu démontrer comment ces procédés morphologiques sont conditionnés par les stratégies argumentatives que nous avons identifiées en analysant les schèmes dénominatifs. Comme les NDD relèvent de la sphère économique, les dimensions communicationnelle et persuasive sont privilégiées. Puisque c’est le schème associatif qui remplit au mieux cette fonction, nous avons pu constater que les micro-schèmes qui relèvent de cette catégorie sont les plus productifs dans l’élaboration de NDD.

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Sitographie

https://bit.ly/2J0qjCt

https://bit.ly/3tYbSax

Notes 

[1] Doter un site web d’un NDD.

[2] Internet Corporation for Assigned Names and Numbers.

[3] http://www.netimperative.com/2017/02/15.

[4] tijara signifie commerce et siaha signifie tourisme.

[5] L'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération.

[6] Sites de vente en ligne, de magasins, etc.

[7] Signifie prospérité.

[8] Une diva, emprunt français à l’italien, est une cantatrice célèbre par son talent.

[9] Nous prenons la définition d’expressions idiomatiques au sens large de la notion.

[10] Littéralement : une course, originaire de Annaba, ta transaction, votre maison.

[11] Le terme « glocalisation » est un néologisme originaire du Japon introduit en anglais par le sociologue R. Robertson (1992) : le concept désigne l’articulation du global (niveau planétaire) et du local (niveau national et infranational).

[12] L’abréviation qui fait aussi partie de cette matrice morphologique ne sera pas abordée étant donné sa faible fréquence d’emploi dans notre corpus.

[13] Signifie : marché populaire.

[14] Dans une étude que nous menons sur l’analyse linguistique de quelques 4709 NDD, le procédé de siglaison représente un pourcentage de plus de 25 %, soit le quart des procédés de formation utilisés dans la structuration des NDD. 

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