Insaniyat n° 98, octobre-décembre 2022, p. 107-109
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Le champ onomastique, dans ses investigations scientifiques, s'est légitimé comme science productive de sens et de revalorisation du patrimoine dénominatif en Algérie. Les deux ouvrages, des deux professeurs, sont issus d'une réflexion à la fois synchronique et diachronique. Ils exposent des problématiques actuelles de dénomination et investissent les données historiques en s'interrogeant sur les noms des personnes ainsi que les espaces et par conséquent l'impact des échanges internes et externes sur la formation de la toponymie et de l'anthroponymie locale.
Ce compte rendu propose d'explorer la recherche accumulative des deux auteurs, Haddadou et Cheriguen, dans l'étude et l'analyse des dénominations des lieux et des personnes.
Ces deux productions scientifiques s’inscrivent dans une approche interdisciplinaire, car l'investigation autour de la toponymie et l'anthroponymie s'est imposée dans les études des sciences sociales. Les historiens, les sociologues et les anthropologues, les juristes,
et les politiciens, d’un côté et les pouvoirs publics, d’un autre côté s'intéressent aux données onomastiques pour analyser et maîtriser l'espace social. De même, l'examen des dénominations ne peut se passer des interprétations historiques et socio-anthropologiques sur l'origine, le statut et les différents usages des noms.
Haddadou, dans la partie introductive de son ouvrage, présente l'objet d'étude et met l'accent sur les toponymes, qui sont des points de repères pour localiser et mémoriser les lieux. Le classement des toponymes par les spécialistes, met en évidence leur rôle d’indicateur des éléments du relief comme les monts pour désigner les oronymes, des cours d'eau pour identifier les hydronymes et les voies de communication dans les villes et les quartiers afin de distinguer les odonymes. Dans leurs morphologies syntaxiques, les toponymes sont des noms communs, à l'exception de quelques noms propres figés comme des noms de lieux. L'auteur avertit les lecteurs de la problématique de l'étymologie de la toponymie algérienne. Comme il le précise : « seule une partie des toponymes actuels peuvent être expliqués avec certitude : il s'agit de noms communs, d'origine berbère ou arabe, en rapport avec le relief, la flore et la faune locale, ou alors de noms propres de personnages anciens (noms de marabouts par exemple) ou modernes (martyrs de guerre de libération nationale ». (Haddadou, p. 21).
La complexité de retrouver la signification des toponymes s'explique par sa stratification depuis la civilisation antique jusqu'aux différentes invasions. Ils sont identifiables, selon l'auteur, par diverses couches linguistiques : pré-berbère, libyco-berbère, punique, romaine, arabe, turque et la phase de francisation des toponymes algériens. À l'indépendance, l'auteur montre comment s'est produite l'opération de baptisation et re-baptisation des noms des lieux. Les pratiques dénominatives ont reconsidéré les multiples références historiques pour nommer les nouveaux espaces.
De son côté, Cheriguen présente son ouvrage comme un dictionnaire de traitement de lexicographie des noms des lieux habités, simples ou composés. Il s'agit d'un inventaire, constitué de 13585 toponymes figurant dans le code postal en Algérie.
Dans sa description de l'approche d'étude, Cheriguen prend en compte les différentes souches linguistiques qui sont composées des parlers algériens. Sa méthodologie fait référence à l'importance de signaler les homonymes, sous formes de code, de nombres répétés dans le code de la wilaya. L'aspect sémantique tel que traité par l’auteur précise le sens du toponyme (son étymologie), sa catégorie, sa morphologie. D'une manière précise, l'interprétation de la toponymie est possible par la connaissance des langues et de l'écriture exacte selon la prononciation locale. Quant aux noms difficilement interprétables, la formulation des hypothèses réduit l'erreur.
D'un point de vue épistémologique, les deux ouvrages peuvent être considérés comme des bases de données offertes aux traitements, voire aux divers types de classement. La prospection de contenu admet d'autres manières de présenter la densité d'informations que contiennent les deux livres. Cette catégorisation par ordre alphabétique et par localisation est complétée par une possibilité de stratifier les toponymes en les classant dans les périodes historiques, depuis l'antiquité jusqu'aux temps contemporains. Cet aspect de livrer l'information sur la dénomination, s'il condense les noms en les reliant aux évènements historiques, permet par contre de connaître l'originalité linguistique et l'étymologie du nom. Cette orientation est évoquée par Haddadou, qui identifie ainsi des dénominations en les rapportant aux lieux historiques.
L'historicité des noms reste un vrai chantier à étudier, bien que les dénominations les plus antiques soient reconnaissables. Toutefois, leur analyse demeure difficile, car elles ne sont guère identifiables dans leur morphologie actuelle, parce que ayant subi de multiples altérations orthographiques et phonétiques.
Les auteurs mettent en exergue de nouvelles perspectives d’analyse des faits dénominatifs. Cette orientation est perceptible dans l'apparition des formes de dénomination en lien avec les technologies de l'information et de la communication. Dans l'inventaire de Cheriguen, sont indiqués des toponymes constitués à base de numérisation, d'une nomination à base de lexique français, ex : école de la Plaine, école des Falaises… Il existe dans le cadre des sociétés possédant un patrimoine culturel et historique des règles ou des chartes de dénomination en référence aux personnalités, aux dates et aux symboles qui ont marqué le pays. Les chercheurs en onomastique énoncent des recommandations, rappelant ainsi la nécessité de respecter les lois sur la dénomination en Algérie. De plus, la gestion de la normalisation, de l'écriture des noms des lieux et des personnes sont des problématiques spécifiques aux écrivains qui sont eux-mêmes confrontés aux difficultés de précision du sens et de prononciation exacte des dénominations à cause, notamment des diverses orthographes.
Kahina CHAKER