Insaniyat n° 100, avril-juin 2023, p. 87-114
Saddek BENKADA : Maitre de recherche retraité du Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC), 31 000, Oran, Algérie.
Au mois de juillet 1962, sans faire entrer en ligne de compte la Zone Autonome d’Oran (ZAO), le journaliste français, Guy Sitbon, note que les « circonscriptions du FLN » de l’Algérie sont de différentes sortes : « À l'ouest et à l'est, le long des frontières, deux bandes étroites appelées zones opérationnelles dépendent directement des états-majors de Ghardimaou et d'Oujda, qui étaient placés sous le commandement du colonel Houari Boumediene. Le reste du territoire est partagé en six wilayas et deux Zones autonomes (Alger et Sahara-Sud) »1.
Il a fallu des années pour que l’existence de la ZAO soit révélée au grand public. En dehors de certains correspondants de presse, au fait de la crise à l'intérieur du FLN durant l'été 62 et des historiens algériens, qui se sont fait connaitre par leurs travaux académiques sur Oran, durant la période de l’OAS, tels que Karim Rouina, Fouad Soufi et Saddek Benkada. Le plus important de nos connaissances, on le doit aux ouvrages de tendance « nostalgériques », axant leurs propos principalement sur les « événements d’Oran du 5 juillet 1962 » et du rôle joué par le capitaine Bakhti à propos de son action contre le groupe de Attou Moueddene2.
Force est de reconnaître que la ZAO n’a pas bénéficié de l’aura qu’avait connue la seconde Zone Autonome d’Alger (ZAA), largement popularisée par l’ouvrage du commandant Azzedine (1980). C’est à notre avis, l’une des séquences de la « crise du FLN de l’été 1962 », la moins étudiée par les historiens.
En poursuivant nos recherches sur la ZAO, nous avions la nette impression d’être, à un certain moment, à la poursuite d’un vaisseau fantôme : rareté des archives, absence de témoignages crédibles et de chroniques contemporaines des événements, décès des principaux protagonistes de cette période. Il ne restait, en somme, que des témoignages biaisés qui relèvent beaucoup plus du témoignage de vertu patriotique. Le plus étonnant, c’est le fait que de nombreux militants du FLN, reconnaissent avoir plus entendu parler du capitaine Bakhti que de la ZAO.
La difficile reconstitution des réseaux FLN d’Oran
Après avoir connu plusieurs reconstitutions, à la suite de l’arrestation de Kaddour Barka (Azzedine), en octobre 1960, le commandement régional de la nahiyya 5/4/4 (Meynier, 2002, p. 777)3 confie à Mokhtar Trari (Mahmoud), la responsabilité de l’OPM/FLN4 d’Oran. Cette dernière tend à devenir de plus en plus fermée par la mise en place d’une organisation pyramidale où le cloisonnement, très serré, des cellules permet de multiplier les ramifications, aussi bien horizontalement que verticalement. Cette nouvelle organisation, qui n’est pas encore noyautée par les services du colonel Petit, n’a pas tardé à donner la preuve de son efficience par une très nette reprise de l’activité des attentats. C’est durant cette période que se distinguera Senouci Benkenouda (Haïdara, Mokdad)5, qui trouvera la mort en mars 1961, au cours d’un accrochage avec une patrouille militaire, dans la rue général Détrie, entre l’hôpital civil et les casernes de la Remonte.
La situation en 1961 dans la nahiyya (région) 4 de la Wilaya 5
Début 1961, Abderrahmane Kerzazi (Tarik) (Fréha, 2010, p. 231)6 chef de la mintaqa 47, donne pour mission principale au commandant de la nahiyya 4 Miloud Aoufi (Mossadek) de se rendre à Oran pour rétablir l’ordre dans les rangs des fidaïyines et pour mettre en place une nouvelle organisation de la nahiyya 4. Le 11 février 1961, Mossadek, en compagnie de Mokhtar Trari (Mahmoud), firent l’objet d’une dénonciation qui aboutit à leur neutralisation à Delmonte8. Mossadek est remplacé par Mohamed Kessaïssia (Medjahed)9.
Le nouveau chef de la nahiyya 4 reprend le projet de réorganisation qui devait être appliqué par Mossadek, dont l’objectif était d’unifier les réseaux de fidaïyines en créant une nouvelle nahiyya 4 avec six secteurs, dont l’organigramme serait calqué sur celui du maquis.
Afin d’établir un équilibre dans la répartition des responsabilités et éviter des froissements de caractères entre responsables qui pourraient se répercuter sur la discipline entre militants de base, Medjahed fit diviser la nahiyya 4 en deux secteurs :
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La 5/4/4 qu’il confie à Ahmed Bachir-Bouaïdjra (Abdelbaki) et comprenant (Benaboura, 2006, p. 37-38) :
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La Ville-Nouvelle : M 95,
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Boulanger-Maraval : W 65,
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Cité Petit : P 55,
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Chollet-Eckmühl : Z 45,
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Les Planteurs : T 105,
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Saint-Antoine-Sananès : N 75.
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La 5/4/1 relevant de la responsabilité de Djilali Chadly- Benguesmia et comprenant :
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Lamur : F 5,
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Victor Hugo : E 10,
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Petit-Lac : K 15,
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Sanchidrian (actuellement El Barki) : D 20,
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Bas-quartier-Marine : L 20,
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Derb : Y 6010,
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Ras-el-Aïn : B 35,
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Gambetta-Carteaux : X 2511.
Théoriquement, l’organigramme d’un secteur est composé d’un chef de secteur, d’un secrétariat tenu généralement par un homme, des fidaïyines remplissant la fonction d’agents de l’ordre « policiers », un « 2ème Bureau » chargé des interrogatoires des Européens enlevés avec pour but la recherche systématique de renseignements sur l’OAS, la mise en œuvre d’un centre médico-social regroupant l’« hôpital » et un service de ravitaillement. Un nombre de djounouds sont détachés par le chef de zone ALN. Ces derniers, étaient plus nombreux, autour de 300, répartis en groupes opérationnels de 6 à 10 hommes (Jordi, 2011). Cependant, l’une des plus sensibles difficultés que rencontre le nouveau chef de la nahiyya est, sans contredit, la question des modalités et de la destination de la perception des « contributions patriotiques ». En plus, il va sans dire que la ville d’Oran avec Mdina-Jdida surnommée « El Kahira » (Le Caire) avec ses commerces et sa classe moyenne algérienne constitue, à elle seule, un important gisement « fiscal ». Ceci fait que celui qui contrôle Mdina-Jdida s’assure un confortable pactole : « La lutte pour le contrôle de la zone IV (Oran) et des fonds amassés, fait l’objet d’une lutte entre deux régions. La 4/4 Ville Nouvelle s’oppose à la 4/3 Lamur/Hamri. « Les terroristes de quartiers rivalisent pour prendre la tête du mouvement » avait deviné et noté R. Buchard de Paris-Presse, contrairement à la presse locale qui ne relève rien. Le conflit entre Si Abdelhamid (la 4/4) et Si Abdelbaki (la 4/3) tourne à l’avantage du premier, qui prend la tête de la zone IV, mais sans que le second ne perde vraiment son autorité sur sa région et ses hommes. Le danger qui perce est l’autonomisation de certains secteurs -ces terroristes de quartiers- dont et en particulier celui de Petit-Lac » (Soufi, 213).
L’ALN de l’intérieur face aux « bandes incontrôlées »
Aussitôt sa mission achevée, Medjahed est remplacé par Ali Bouhella (Djebli), qui trouva la mort lors d’un accrochage en février 1962, à Yellel.
Les dérives de certains responsables au sein de la 5/4/1 ont amené les activistes de l’OAS à entreprendre le 17 avril 1962 une opération punitive contre Douar Zitoun qui tourna au massacre collectif12. Cet incident incite l’état-major zonal de l’ALN intérieure à s’enquérir de la situation à Oran en dépêchant le capitaine Benisaf pour enquêter sur les méfaits dont se seraient rendus coupables Attou Moueddene13 et son groupe.
L’officier-enquêteur, qui s’est rendu célèbre par le courage et l’honnêteté qu’il a eus à dénoncer dans son rapport les faits et conclut que l’influence de Attou est telle, que même le nouveau chef de la Zone Autonome d’Oran, le capitaine Bakhti est incapable de faire régner l’ordre dans ce secteur. Suite à ce rapport accablant, Mohamed Benisaf installe à Oran Mohamed Sebti (Mohamed Rachid) de la région 3, avec le grade de chef régional placé sous l’autorité de la zone 4, wilaya V14.
Discipline imposée à la population algérienne par les deux réseaux de l’OPM/FLN
Bien avant la proclamation du cessez-le-feu, la prise en main de la population algérienne était solidement assurée par les deux principaux chefs des réseaux OPM/FLN qui se partageaient la ville. Le général Katz témoigne, à ce propos, que « Les Algériens, bien tenus en main par le FLN, ne devant plus nous poser de gros problèmes, nous laissent ainsi porter notre effort sur le maintien de l’ordre dans les quartiers européens » ; et ajoute : « Pendant cette période, où la population française est poussée à jour et nuit à l’insurrection, l’État-major de la Wilaya, zone IV, c’est-à-dire le commandement musulman de la région d’Oran, adresse, le jour du cessez-le-feu, un appel au calme à la communauté de souche algérienne. Il proscrit les rassemblements en masse dans les différents secteurs de la ville qui offrent des cibles de choix aux coups des insurgés ».
La création des forces de substitution : UFL et ATO
Une force d’interposition : les UFL (Unités de la Force Locale)
En vertu des accords d'Évian, fut créé, le 30 mars 1962, une Force locale15 mixte de maintien de l'ordre en Algérie et placée sous les ordres de l'Exécutif provisoire et du Haut-Commissaire de la République française en Algérie, Christian Fouchet.
Sous la pression du rouleau compresseur de l’OAS qui impose par la terreur sa loi à toute la ville, les autorités militaires locales, pressées de toute part, afin de pallier cette terreur, au plus pressé pour la constitution d’une force d’interposition, même provisoire, elles (les autorités militaires locales) ont pensé tout d’abord à recourir à un subterfuge, en décrétant la suspension provisoire des GMS16 (Groupes mobiles de sécurité) et les reconvertir en force de l’ordre locale. Mais le massacre, le 21 mars 1962 à Sig (Chevènement, 2002, p. 23)17 des harkis et de leurs familles, ramenés en dehors de la région, résultat des années de ressentiments cumulés par la population, dissuadent les autorités de recourir à une telle mesure même palliative.
Ce n’est qu’à partir du 30 avril qu’Oran a pu bénéficier de l’apport de 10 unités de la Force locale composées de 400 à 500 hommes, leur mission essentielle était d'assurer la protection des quartiers algériens contre des incursions éventuelles de commandos OAS et d’assurer la sécurité des grandes voies constituant les No man’s land entre zones algériennes et zones européennes.
La mise en place des unités de la Force locale aurait permis, avant tout, de libérer les unités de l'armée qui, jusqu'ici, étaient mobilisées pour la protection des quartiers algériens, et de les regrouper afin de renforcer le contrôle de la ville européenne et rendre ainsi plus efficace le dispositif de lutte contre l’OAS dont dispose déjà le général Katz ; à savoir, les troupes qui lui ont été envoyées en renfort (armée, gendarmerie mobile, compagnies républicaines de sécurité)18.
Une Force de maintien de l’ordre : les ATO (Auxiliaires temporaires occasionnels)
Les ATO constituent un corps urbain de force de police supplétive formé au pied levé à partir du mois de mai 1962 ; ils constituent, en somme, « Une sorte de police supplétive composée à la va-vite de gens peu sûrs, qui n'avaient aucune formation » (Chevènement, 2002, p. 25) encore moins celle du maintien de l’ordre. Ils appartenaient à tous les horizons de la couche sociale des désœuvrés en mal de reclassement social. Conjointement avec la Force Locale, les ATO sont mis à la disposition de l'Exécutif Provisoire.
Une conséquence inattendue : les désertions des éléments des forces de substitution
À l’approche du cessez-le-feu, on assiste à travers de nombreuses régions du pays à une recrudescence des cas de désertions, soit de groupes de harkis et soit de groupes d’appelés. Selon certains observateurs, on estimait que, chaque jour, l'effectif d’une katiba, soit cent cinquante hommes environ, passait des rangs français aux rangs de l’ALN avec armes et bagages.
Il va sans dire que ces désertions qui se poursuivent à une cadence accélérée avaient de quoi inquiéter le Haut Commandement militaire français. Ce dernier sait pertinemment que ces désertions, contraires aux conventions signées à Évian, sont encouragées par les chefs des Wilayas de l’intérieur. C’est une sacrée aubaine pour eux que de profiter du cessez-le-feu pour compenser les pertes en hommes qu’ils ont subies à la suite des différentes opérations déclenchées par le général Challe. Paradoxalement, il n’y avait que le général Fourquet19 qui avait à s’inquiéter de la question des désertions. De l’autre côté de la frontière marocaine à Oujda, l’EMG/Wilaya V avait aussi quelques soucis à se faire, en voyant dans ces désertions un apport subsidiaire à l’ALN de l’intérieur qui, au fur et à mesure qu’on se rapproche du jour de l’indépendance, se renforce et étend son influence.
Mais l’inquiétude qui semble être pour l’instant la plus fondée est de savoir si ce rythme de désertions ne risque pas de s’étendre au sein même des unités des UFL et des ATO ? En effet, à Oran, c’est Attou qui avait grandement profité des désertions des éléments de UFL et des ATO.
L’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 19 mars 1962 et la recrudescence des activités terroristes de l’OAS renforcent, en quelque sorte, la position de Attou dans son rôle de protecteur des quartiers sous son contrôle contre les incursions des commandos OAS. Entourés de militants de la dernière heure surnommés les « marsiens », ces derniers se sont très vite faits distingués par des abus de toutes sortes commis sur leurs propres compatriotes. La population de ces faubourgs, pauvre et sous-administrée, se trouve du coup, prise en étau entre les horreurs de l’OAS et les exactions de ces « éléments incontrôlables agissant pour leur compte », (général Katz).
Dans cette configuration, Attou consolide son leadership et s’autonomise relativement vis-à-vis de son neveu et responsable direct20 Benoumeur Moueddene (Omar). S’autoproclamant chef FLN, Attou se donne une image d’un « seigneur de la guerre urbaine », une sorte d’Emiliano Zapata de la zone Sud-Est d’Oran21. C’est ce que le peuple appellera la « Saïtara »22. Par ailleurs, Attou et son groupe vont s’octroyer le contrôle quasi-incontesté des deux principales autoroutes, donnant accès à l’aéroport de la Sénia, et les transforment en un « corridor de la mort » pour les Européens s’y rendant durant leur exode.
La Zone Autonome d’Oran, tête de pont pour la marche sur Alger
L’idée de création d’une ZAO n’a pas été le fruit d’une réflexion tactique de la part de l’état-major auprès de Boumediene23, elle fut tout simplement une reprise de l’initiative du président du GPRA, Benkhedda de créer la seconde ZAA24 et de la confier au commandant Azzedine.
Il est malaisé, en l’absence de documents d’archives et de témoignages crédibles, de dater avec précision la création officielle de la ZAO. En tout état de cause, la décision de création de la ZAO était rendue d’autant plus urgente et même nécessaire que, tout juste, suite aux premiers signes de mésentente entre l’EMG/ALN et le GPRA, les dirigeants de l’OPM/FLN de la ville avaient commencé à donner des signes inquiétants d’insubordination vis-à-vis de l’EMG/ Wilaya V et même, déclarer ouvertement leur loyauté envers le commandant Moussa25, qui bénéficiait à leurs yeux d’une « aura » particulière depuis le bras de fer qui l’opposa aux membres de l’EMG/ALN, plus particulièrement à Ahmed Kaïd (Slimane).
Le choix porté sur Oran n’était pas fortuit, par rapport à Tlemcen, elle présente l’avantage d’être une métropole régionale dotée de toutes les infrastructures et équipements nécessaires à jouer le rôle de seconde capitale du pays.
Une « Gleichschaltung »26 (mise au pas) de l’ALN de l’intérieur
En prévision de la déclaration officielle de l’indépendance, le Commandement Général de la Wilaya V forme le projet d’adoption d’une stratégie de redéploiement à l’intérieur du pays. Cette stratégie consista à faciliter l’infiltration « goutte à goutte » des officiers de l’ALN de la frontière-Ouest pour supplanter les chefs des maquis intérieurs qui, dans leur majorité, reconnaissent le GPRA comme seul et unique représentant de la Révolution.
Tlemcen, de par sa situation géographique, limitrophe du Maroc, lui a été assignée le rôle de base de repli27. Dès le mois d’avril 1962, de nombreux officiers, portant des habits civils, ont commencé à franchir la frontière et s’installer dans une première étape à Tlemcen. C’est le commandant Ahmed Boudjenane (Abbès) qui fut chargé de l’organisation de l’installation de ces premiers contingents.
« Aussitôt après le cessez-le-feu, à partir de fin mars 1962, selon Ahmed Bensadoun, la Wilaya V profitant du retour des familles réfugiées du Maroc, s’est empressée d’introduire parmi elles certains officiers pour remplacer les maquisards de l’intérieur : Abdelkader Benkedadra à la tête de la zone IV, Mostaganem-Relizane et Larbi Tayebi à la tête de la zone V, Bel-Abbès-Télagh (Bensadoun, 2006, p. 211) Les autres, comme le commandant Djilali Guezzane (Affane), le capitaine Djelloul Nemiche (Bakhti), Abdelghani Akbi (Ammar)28, Khaldi Hasnaoui, Djamal-Eddine Guenacha (Djamel)29 et le Dr. Mustapha Naït30 avaient pour mission d’organiser la Zone autonome qui venait d’être créée. Ils élisent domicile tout d’abord dans la modeste maison de la moudjahida Setti Ould Cadi, au 20, rue Mac-Mahon, dans le quartier Saint-Antoine, vidé de sa population européenne31.
Point n’est cependant besoin d’en dire davantage, le choix fut indiscutablement porté sur la ville d’Oran. En effet, deuxième ville d’Algérie, métropole régionale jouissant d’une intense activité économique et disposant de l’une des plus importantes infrastructures et de base (port, aéroport) civiles et militaires, mis à part celles qui sont restées sous la souveraineté française dans le cadre des Accords d’Évian (base de Mers-el-Kébir, et aéroports militaires (Tafraoui, Bousfer). Après Oujda et Tlemcen, elle constituait la troisième et décisive étape de la marche sur Alger.
Djelloul Nemiche (capitaine Bakhti) : l’homme de la situation ?
Il restait cependant à se mettre d’accord sur le choix de la personne idoine à qui confier le commandement de la Zone autonome d’Oran.
Le colonel Othman porta son choix sur le capitaine Djelloul Nemiche. Natif d’Oran, Nemiche appartient à cette génération de jeunes algériens qui, après les événements du 8 mai 1945, rallient le PPA clandestin, militent au MTLD et rejoignent l’OS (Organisation Spéciale), dont le premier responsable pour l’Oranie est Ahmed Benbella32. Traqué par la police, tout le groupe qui attaqua la poste d’Oran, le 5 avril 1949, disparait dans la nature. En 1956, Nemiche rejoint les rangs de l’ALN en Algérie, puis au Maroc où il prend pour nom de guerre, Bakhti33.
Bénéficiant de la confiance du colonel Boumediene, qui lui a confié le sensible « Bureau des relations avec les autorités marocaines », le capitaine Bakhti répondait au profil recherché pour cette mission. Pour le colonel Othman, les « irréductibles » de l’OMP/FLN d’Oran n’auraient pas accepté qu’un étranger à la ville de Sidi El-Houari puisse débarquer d’Oujda et imposer sa loi dans leur propre fief34.
Arrivé à Tlemcen, Bakhti est pris en charge par les représentants de l’ALN sur place et dirigé sur Oran.
Dès son arrivée, vers la fin du mois d’avril 1962, il évite d’entrer en contact avec le QG de l’OPM/FLN, qui avait son siège dans la biscuiterie d’un certain Mouloud, place Barrat au quartier Médioni. Il installe provisoirement le PC de la ZAO dans la maison de Setti Ould Cadi, à Saint-Antoine au 20, rue Mac-Mahon35. Le secrétariat de la ZAO fut confié au lieutenant H’mida Bakhlouf (Abdou)36. Il fallait donc choisir un endroit plus vaste et mieux sécurisé. C’est alors que, vers la mi-juin 1962, Boumediene Nemiche alors surveillant général du lycée Ardaillon (lycée Ben Badis) suggéra à son frère le capitaine Bakhti de transférer le siège du PC de la ZAO, au lycée qui venait d’être évacué par les gardes mobiles et qui se trouvait dans un état déplorable, dû aux dernières attaques des commandos de l’OAS37.
Les premiers contacts entre le général Joseph Katz et le commandement de la ZAO
Dès lors, le capitaine Bakhti, dès son arrivée à Oran, se positionne comme vis-à-vis quasi-officiel représentant de l’ALN auprès des autorités militaires françaises, notamment le Secteur Autonome d'Oran (SAOR)38 que commande le général Joseph Katz. L’une de ses premières missions était de travailler en collaboration étroite dans le cadre de la lutte contre l’OAS.
Le général Katz, dès sa prise de fonction, le 19 février 1962, charge le capitaine Clémentin d'établir le contact avec les principaux responsables de l’OPM/FLN. Et, à partir d’avril 1962, Katz se tenait en liaison étroite avec Bakhti par l’intermédiaire du commandant de Gendarmerie Humbert39.
Ces contacts officieux et discrets entre les deux hommes se transforment très rapidement en rapports directs et officiels ; à tel point qu’il y eut même des échanges de renseignements sur l’activisme de l’OAS. Et par un extraordinaire retournement de l'histoire, les deux chefs militaires se sont retrouvés à lutter contre le même adversaire C'était plus que ne pouvait supporter les activistes OAS qui tentèrent, à trois reprises, d'assassiner le général Katz.
Les mesures prises dans le cadre de la Zone Autonome
L’essai de réunification des deux branches de l’OPM/FLN
Le premier constat qu’il fait sur la situation au sein du FLN, c’est le fait qu’il trouve une ville structurée, mais divisée, en proie à des dissensions, livrée à un conflit de leadership entre les deux principaux chefs de réseaux, chacun contrôlant un secteur géographique de la ville.
Djilali Chadly-Benguesmia et ses compagnons Attou Mouedden et son neveu Benoumer Mouedden de la 5/4/1 (wilaya 5, mintaqa (zone) 4, nahiyya 1) et Ahmed Bachir-Bouyidjra, de la 5/4/4 (wilaya 5, mintaqa (zone) 4, nahiyya 4) se vouent mutuellement une totale ignorance. Chacune des deux factions n’hésite pas à en venir aux armes pour régler ses comptes publiquement. Est-il besoin d’imaginer toutes les difficultés qu’avait le nouveau chef de la ZAO de regrouper les deux frères-ennemis sous son commandement.
Pour réussir le pari de la réunification, le capitaine Bakhti instaure un Conseil de la Zone Autonome d’Oran (CZAO) dans lequel toutes les factions étaient représentées. Le CZAO fut installé à Medraçat el Falah qui venait d’être évacuée (fin avril 1962) par les zouaves de la SAU de la Ville-Nouvelle. L’une des premières initiatives qui avait été prise par le CZAO, fut incontestablement la réconciliation grâce à l’intercession du cheikh Tayeb el Mehadji, sous l’égide duquel Abdelhamid et Abdelbaki acceptent de se rencontrer pour mettre un terme à leur différend.
Le déchaînement de la violence de l’OAS avait quasiment paralysé toute activité administrative et économique. Pour pallier les démarches auprès des tribunaux civils, notamment en matière de statut personnel, Bakhti, fit appel aux anciens membres islahistes de Medraçat el Falah; parmi lesquels Boumediene Dellal (Ghaouti), cheikh Abdelkader El Yadjouri, cheikh Belbachir Boudjamma40, pour créer, sous l’égide du CZAO, un tribunal « islamique » dont la présidence fut attribuée à cheikh El Yadjouri, secondé par Dellal. Le seul membre de ce tribunal n’appartenant pas à la mouvance islahiste fut Tayeb Benkoula41.
Le CZAO avait également, à cette occasion, redonné à Medraçat el Falah42 ses vocations humanitaires, caritatives et scolaires qu’elle a toujours connues, et désigné à sa tête Snoussi Dellaï. Elle était devenue, en la circonstance, un centre d’accueil des détenus politiques libérés de prisons et des camps d'internement n’habitant pas la ville. Chacun d’eux était hébergé et pourvu d’une aide financière lui permettant de rejoindre, après quelques jours de repos, sa famille.
Sur le plan de la sécurité des quartiers algériens
Le général Katz, désormais vis-à-vis officieux du capitaine Bakhti, ne tarit pas d’éloges envers le chef de la ZAO « La rigoureuse discipline, dit-il, imposée par le FLN, ne se démentira pas, du moins à Oran, jusqu’au mois de juillet. Ses responsables constituent des comités de vigilance dans chaque quartier pour y faire régner l’ordre et protéger les leurs. Ils y confisquent les armes et punissent tout acte d’insubordination ».
Une urgence : la situation sanitaire
Le 28 mai 1962, l’envoyé du Comité international de la Croix rouge et du Croissant rouge (CIC), le Dr. Chastonay visite l’hôpital FLN de la rue de Tombouctou, il profite de son passage pour rédiger une note relative à la situation sanitaire du quartier de Mdina-Jdida43. Il note, à propos de cet hôpital, que « L’eau et l’électricité fonctionnent normalement avec cependant quelques pannes d’électricité dont une pendant mon séjour juste au milieu d’une opération césarienne qui a dû être terminée avec une lampe de poche ».
Sur ce point, le général Katz relève à son tour que dans les quartiers algériens le nombre de malades s’est accru avec les privations, ils manquent de soins : « Plus de 1.000 tuberculeux dépistés restent au milieu d’une population débilitée par une misère physiologique croissante. Les certificats de décès ne sont plus rédigés que dans la proportion infime de 1 pour 10 peut-être ».
L’impossibilité pour les Algériens d’aller faire admettre leurs blessés à l’hôpital civil, dès janvier 1962, l’OPM/FLN a décidé de créer ses propres centres de premières urgences chirurgicales, ce sont ce que le général Katz a appelé les « cliniques du quartier arabe », communément désignés par les journalistes sous le nom d’« hôpitaux du FLN » ou
d’« hôpitaux clandestins du quartier musulman »44.
Faute de moyens ou manque d’initiatives, les responsables de la ZAO n’ont entrepris aucune action pour sauver à temps les malades algériens qui étaient restés bloqués au CHRO à la merci des tueurs de l’OAS ; comme cela a été fait à Alger où, à la mi-juin, à la suite de l’affolement créé par plusieurs explosions, les commandos du commandant Azzedine avaient réussi à évacuer in extrémis les malades de l’hôpital Mustapha45.
Cependant, à Oran, le peu de personnel paramédical algérien constitué d’infirmiers et d’aide soignants qui travaillaient à l’hôpital avaient refusé de rejoindre leurs postes de travail de crainte de se faire tuer. De ce fait, ils furent les premiers aux côtés des médecins algériens à constituer les premières équipes médicales de ces centres46.
Ces derniers qui n’étaient à l’origine que de simples dispensaires de quartiers s’étaient trouvés dans une situation de violence imposée par le terrorisme OAS voués au rôle de centres hospitaliers sans disposer du moindre équipement médico-chirurgical et d’accueil des blessés. Les médicaments, notamment les antibiotiques, les produits anesthésiques, les fils chirurgicaux et les pansements faisaient cruellement défaut.
Presque chaque quartier à prédominante algérienne avait son centre ou sa salle de soins (Brunie, Cholet, Sidi El Houari, Planteurs, Ras El Aïn, Médioni). La Cité Petit-Lac disposait de deux « hôpitaux », celui du Centre médical communal était dirigé par un certain Dr. Nouvian47. Mais les plus grands centres qui ont pris l’allure de postes médicaux avancés (PMA) des zones de conflits étaient situés en Ville-Nouvelle (centre Tombouctou et Sbitar Bendaoud). Ces derniers étaient destinés à recevoir des cas nécessitant les premiers soins en matière d’urgences médico-chirurgicales, notamment les blessés par balles ou par roquettes de mortier et prodiguer à la population des soins médicaux et dentaires.
Le général Katz se désole amèrement que l’hôpital militaire Baudens, tout comme l’hôpital civil, étaient totalement acquis par l’OAS ; « à un tel point, dit-il, que depuis longtemps aucun gendarme ne vient plus s’y faire soigner, préférant aller dans les cliniques du quartier arabe » (Katz, 1982, p. 278).
La situation socio-économique
Le chômage endémique dû au ralentissement de l’activité économique touchait de plein fouet la population algérienne. Dès les premières semaines de janvier 1962, les responsables politiques du FLN mettent en place un réseau de solidarité. Puisant dans ses caisses l’argent des cotisations collectées, le FLN monte au pied levé un dispositif d’aide aux chômeurs.
Les carnets de crédit chez l’épicier qui avaient disparu depuis belle lurette avec le plein emploi réapparaissent dans le quotidien de beaucoup de familles. Dans ce cadre, le FLN ordonne à tous les commerçants, sous peine de sévères sanctions, d’accepter les carnets de crédits.
Sur le plan du logement, des mesures ont été prises, tout d’abord, au profit des familles qui ont fui les quartiers mixtes, à forte dominante européenne. Beaucoup de familles d’accueil, déjà vivant dans la promiscuité la plus intolérable, en raison de l’exiguïté de leur logement, se voient contraintes d’accueillir d’autres familles entières, fuyant leurs maisons situées dans les quartiers mixtes (Saint-Antoine, Eckmühl, Protin, Gambetta, Saint-Eugène, Cité-Petit, etc.)48. Sous l’effet de cet exode, beaucoup de haouchs des quartiers spécifiquement musulmans (Mdina-Jdida, Hamri, Médioni, Barki (Sanchidrian), etc.) ont vu, durant cette période, leur TOP (taux d’occupation par pièces) doublé ou même triplé.
Le capitaine Bakhti, dès son arrivée à la tête de la ZAO, renforce et appuie les mesures prise par l’OPM/FLN. Il avait compris que l’enjeu de la sécurisation de la population algérienne passe par la satisfaction de ses besoins vitaux. Craignant l’adage, « la faim fait sortir le loup de la forêt », il partage les appréhensions du général Katz que cette situation pourrait inéluctablement amener à un tragique « soulèvement des affamés » qu’espèrent justement les extrémistes de l’OAS49 : « La misère ne cesse de croître en Ville-Nouvelle. Là où 25.000 personnes réussissaient péniblement à vivre, s’en accumulent 60.000 dans des conditions de promiscuité et de manque d’hygiène incroyables. Les enfants déguenillés, amaigris, non scolarisés, encombrent les rues et où s’entassent des morceaux d’ordures nauséabondes que fouillent les chiens faméliques », écrit le général Katz50.
La « zone d’échange » inter-quartiers de produits de première nécessité
Grâce à un accord tacite entre les responsables de la ZAO et le commandement des gardes mobiles, une « zone d’échange » inter-quartiers, une sorte de « zone tampon »51, fut mise en place. Il était entendu entre les deux parties que les échanges effectués ne portaient que sur les produits de première nécessité et des médicaments, accessoirement aussi des cigarettes JOB et des journaux de France, notamment France-Soir, le journal préféré des Gardes mobiles métropolitains52. Ces rencontres aussi brèves que furtives permettaient aux agents de la ZAO de s’informer sur les intentions des commandos de l’OAS.
La distribution de l’aide alimentaire
Conséquence de l’ouverture de la frontière avec le Maroc, le Croissant Rouge Algérien pouvait envoyer une partie de l’aide alimentaire destinée aux réfugiés algériens au Maroc aux populations de certaines villes de l’Oranie. Parmi lesquelles Oran, qui était la plus peuplée et dont les populations des quartiers pauvres souffraient énormément de la rareté des produits de premières nécessités. À cet effet, l’OPM/FLN, en concertation avec le capitaine Bakhti, entreprirent la création de points de distribution des colis d’aide alimentaire53.
En ville-Nouvelle, le point de distribution était installé sur les ruines de l’ancienne minoterie mitoyennes du marché de Sidi Okba54. Au quartier Lamur (Hamri), « Dar el Askri »55 fut réquisitionné pour servir de point de distribution.
Le passage de la Commission de cessez-le-feu
Lorsque la Commission Centrale de Cessez-le-Feu (CCCLF), présidée par le commandant Mohamed Allahoum56 se rend à Oran, c’est au local de la place Barrat57 qu’elle fut dirigée, puisque la ZAO n’était pas encore officiellement créée.
La Commission était chargée de contacter les six wilayas pour la mise en place des comités locaux de cessez-le-feu, en principe un par arrondissement (sous-préfecture). Elle se composait de quatre officiers de l’ALN : le commandant Mohamed Allahoum58, le capitaine Nourredine Khelladi59 et les lieutenants Saddek Guellal60 et Réda Rahal61, qui furent mis par l’EMG/ALN à la disposition du GPRA62.
Le comité de coordination de la wilaya V était composé du commandant Nasser63 et du capitaine Ammar64, dont la mission était d’installer toutes les commissions locales de la wilaya V.
La partie française de la Commission était conduite par le général Jacques Navelet65.
La création du Comité de réconciliation de la population oranaise (CRPO) le 30 juin 1962
Alors que des commandos des collines OAS se livrent avec acharnement aux attentats et aux destructions, le 4 juin, Jouhaud, de sa cellule de la prison de Fresnes, tenant sa promesse de tenter d’amener l’OAS à déposer les armes, s’adresse à Salan afin qu’il agrée son initiative.
La lettre de Jouhaud semble bien être l’élément déclencheur qui a incité les partisans d’un rapprochement entre communautés. Le capitaine Bakhti qui, à la faveur de cette lettre, a pensé qu’il était temps de prendre contact avec la population européenne, en diffusant le communiqué suivant : « Les Accords d’Evian, ratifiés par le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne, doivent être à la base de toute notre activité. Il est absolument nécessaire que ces accords, respectés par la majorité de nos organismes, le soient à l’avenir, d’une façon stricte, et par tout le monde. À cet égard, nous portons à votre connaissance qu’un organisme chargé de la “Réconciliation” avec les Européens, a été créé par la Zone autonome d’Oran. Il est entré en contact avec quelques personnalités européennes, et un tract a été adressé à la population européenne en vue de rejoindre les quartiers musulmans »
(Fleury, 2002, p. 875-876).
Dans ce tract distribué dans les quartiers européens, le capitaine Bakhti annonce la création d’un Comité de réconciliation de la population oranaise (CRPO), composé de personnalités françaises et algériennes et patronné par les chefs des trois communautés religieuses. Initiative approuvée et encouragée, aussi bien par les dirigeants de la wilaya V, que par les autorités civiles et militaires françaises d’Oran66.
Ne connaissant pas très bien les personnalités européennes influentes, Bakhti fit appel à Roger Coignard67. Ce dernier, homme de conviction, connu pour son courage politique, jouit dans les deux communautés d’une réelle confiance.
Les deux hommes se sont bien convenus que les personnalités européennes auxquelles ils pourraient faire appel soient réputées pour n’avoir pas été trop proches du milieu des activistes extrémistes européens.
Le 30 juin 1962, le CRPO réussit à organiser un grand rassemblement devant l'Hôtel de Ville, regroupant plus d’un millier de personnes de toutes confessions.
Malgré une recrudescence d’intensité dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 juin, l’incendie du port est enfin maitrisé et la ville n’est plus submergée par son panache de fumée noirâtre et sa pluie de goudron. Le jeudi 28 juin, les éléments de l’armée française, stationnés dans les quartiers musulmans, ont été affectés au service de l’ordre de la ville européenne68. Finalement, les efforts conjugués du préfet René Thomas et du général Joseph Katz et la forte discipline des militants FLN, sous le commandement de Bakhti, permettent un apaisement de la situation.
À la faveur de ce retour au calme, rien n’empêchait dès lors, le chef de la ZAO accompagné de ses adjoints de se rendre, pour la première fois, à la nouvelle préfecture où les attendait le préfet René Thomas, entouré des membres de son cabinet, les deux secrétaires généraux Maillot et Bernachin, son chef de cabinet Pignol, dont l’adjoint chargé des liaisons militaires était un jeune sous-lieutenant, Jean Pierre Chevènement.
Les entretiens entre les deux délégations ont principalement porté sur la question de la relance de l’idée de constitution d’une seconde mouture du Comité de Réconciliation de la population oranaise à la tête de laquelle l’évêque d’Oran n’y sera plus président69.
Dans la nouvelle composante du Comité de Réconciliation figurent quatorze personnalités de chaque communauté. Elle est dirigée par les quatre chefs religieux de la ville70. Ironie du sort, Pierre Laffont, l’influent directeur du journal L’Écho d’Oran, qui a été avec Roger Coignard, un des seuls à s’employer à la création de ce comité, se voyait exclu. « Il en est mortifié », dira à son sujet Katz (1993, p. 316). Il fut décidé à l’issue de cette réunion que la sécurité de chaque quartier européen soit assurée, les membres du Comité désignent ainsi un délégué du FLN et appellent, pour le 30 juin, la population à participer à une grande manifestation de réconciliation, sur la grande place de la mairie.
Prélude aux journées de juillet : vacance des pouvoirs
Depuis le 30 juin, les troupes françaises stationnées dans la ville étaient consignées dans leurs casernements71. Le dimanche 1er juillet, jour du scrutin d’autodétermination, l’ordre public était principalement assuré sous l’égide de la ZAO avec l’appui des éléments algériens de la police d’État, commandée par le nouveau commissaire Lahouari Benkahla et ce qui en reste des ATO ? La seule autorité politique réelle à Oran en cette période est, sans conteste, ZAO, dirigée par le capitaine Bakhti. Ci-dessous ce qu’a écrit le journaliste Jean-Jacques Simon, le 5 juillet 1962 :
« Quelle que soit l'autorité réelle dont il jouit, le commandant de la Zone autonome, le capitaine Bakhti, apparaît comme le chef, ou au moins le porte-parole le plus autorisé des responsables du Front national et de l'Armée de libération »72.
En l’absence du conseil municipal dissous, le 12 mai 1962, par Christian Fouchet73, et remplacé par une sorte de délégation spéciale, qui démissionne à son tour le 9 juin 1962, le capitaine Bakhti entame une course contre la montre pour organiser, dans les meilleures conditions possibles, le scrutin d’autodétermination du 1er juillet. À cet effet, il fit une seconde fois appel à Roger Coignard qui, aidé de quelques conseillers municipaux européens, assure provisoirement les fonctions de maire de la ville. Leur objectif principal est de mener à bien les préparatifs du scrutin du 1er juillet, dont la commission de préparation était à pied d’œuvre74.
Au lendemain même du 1er juillet, par anticipation du côté français, le 2 juillet, à midi, devait avoir lieu la levée officielle des couleurs algériennes sur la façade de la nouvelle Préfecture, ainsi, d'ailleurs, que sur tous les édifices publics de la ville.
Panique à la Préfecture
À l’instar de son homologue de Tlemcen, l’absence du nouveau préfet représentant l'exécutif provisoire n'ayant pas encore été désigné, le préfet inspecteur général d'Oran, René Thomas, était obligé de différer la cérémonie officielle, en se contentant d’ordonner, en rendant les honneurs et d’amener le drapeau français en présence d’un détachement de soldats français en armes. C’est ainsi qu’après 130 ans, la fin de la présence française à Oran venait d’être scellée.
Le lendemain, 3 juillet, René Thomas, ne représentait plus l’autorité de son gouvernement, il se contente, suivant son expression d’« assurer la gestion administrative dans le cadre des accords d’Évian ».
Alors que la rumeur courait dans les milieux européens que le nouveau préfet serait probablement un Européen originaire d'Algérie ; L’EMG de la wilaya V fort désemparé de cette situation de vacance de pouvoir, qui pouvait à tout instant basculer dans l’inconnu, fait décider le colonel Othman, à passer outre les « atermoiements » de l’Exécutif Provisoire. En accord avec le capitaine Bakhti, il (le colonel Othman) désigne le 4 juillet, Houari Souïah, nouveau préfet d’Oran, avec prise de fonction officielle le 6 juillet, et Iyad Bouabdelli, capitaine de l’ALN, délégué dans les fonctions de préfet de police d'Oran75.
Attou victime « propitiatoire » des règlements de compte ?
L’hallucinante « affaire Attou » a servi de fixation maladive à toute une littérature « nostalgérique » destinée à discréditer l’action du capitaine Bakhti, en matière de protection des populations, et en premier lieu, celle des Européens. Force est d’admettre que la mission assignée au capitaine Bakhti ne le destinait nullement à se préoccuper de la sécurité des uns et des autres ; c’était le rôle du préfet de police et du général Katz. Du coup, dans cette affaire, Attou se trouvait projeté dans un tourbillon de circonstances dont il n’avait ni l’envergure politique ni les capacités intellectuelles pour les gérer.
En tout état de cause, aussi bien pour l’OAS que pour la Zone autonome d’Oran, Attou, par ses agissements, présentait un grave danger pour l’ordre public. Son action était d’autant plus néfaste pour le capitaine Bakhti qu’elle risquait de contrarier la feuille de route établie par Oujda. Tant qu’il n’était pas solidement appuyé par les forces de l’ALN extérieure, Bakhti ne pouvait attaquer frontalement Attou et ses « bandes incontrôlées ». Une fois appuyé par les katibas venues du Maroc, le capitaine Bakhti déclenche, dans la nuit de dimanche 8 juillet au lundi 9 juillet, à 02 h 30 du matin, une vaste opération d’arrestations dans laquelle tomba Attou76.
Le 10 juillet en fin d’après-midi, le chef de la ZAO présente, devant les représentants de la presse locale et étrangère, une centaine de personnes à leur tête Attou. Son arrestation ainsi que sa bande, trois jours avant l’entrée triomphale de Benbella à Oran (12 juillet), était un objectif militaire et politique pour la wilaya V et le capitaine Bakhti.
Conclusion
La période transitoire (mars-septembre 1962), séquence unique de la guerre d’indépendance, avait pour mission historique d’assurer le transfert de souveraineté entre un État colonial des plus puissants du monde et un nouvel État sur le point de naître et encore porté en gestation par l’Histoire. Force est de reconnaitre que cette période charnière mériterait, à bien des égards, qu’elle fasse l’objet, sur bien des points, de recherches approfondies loin des jugements hâtifs et des raccourcis faciles77. Parmi ces points, celui du rôle joué par les Zones autonomes d’Alger et d’Oran dans la course au pouvoir engagée entre « frères d’armes », avant même que l’indépendance ne soit officiellement proclamée.
La création des Zones autonomes d’Alger et d’Oran, bien qu’elles diffèrent par les conditions de leur création, ne semblent pas se différencier d’autres situations vécues par d’autres pays à un moment crucial de leur histoire.
De ce point de vue, la crise à l'intérieur du FLN durant l'été 1962 qui déchire les dirigeants algériens (l’EMG/l’ALN, le GPRA et l’Exécutif provisoire) apparait, cependant, aux yeux du juriste et politologue, Maurice Duverger, rompu aux observations et à l’analyse des convulsions de l’histoire, comme étant chose normale et même attendue :
« Dans tous les pays qui parviennent à l'indépendance, dans tous ceux qui font une révolution -situations analogues- la lutte est inévitable entre les ultras et les modérés. Romantiques contre réalistes, violents contre politiques, Hébert contre Robespierre, « gauchistes » contre partisans de la NEP, yousséfistes contre bourguibistes : ces tendances opposées se retrouvent partout. Partout elles tendent naturellement à diviser les équipes au pouvoir, à rompre l'unité qui a permis d'y accéder »78.
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Entretiens réalisés par l’auteur
AKBI Abdelghani, alias Ammar.
ADNANI Norredine
BENCHIHA Benamar.
BOUAMAMA Nourredine, alias Kacem.
BOUGHRASSA Mokhtar.
CHADLY-BENGUESMIA Djilali, alias Abdelhamid.
CHADLY-BENGUESMIA Mohamed, dit « Hadj Hamito ».
FREHA Mohamed.
GUEZZANE Djilali, dit Affane.
MOUEDDENE Benoumeur, alias Si Omar.
SOUÏAH Sid Ahmed, fils de Souiah Houari.
ZAOUI Mohamed (ancien officier de l’ALN).
Figure 1 : 4 juillet 1962, première cérémonie officielle depuis la proclamation de l’indépendance devant le palais des Sport Oran, le capitaine Bakhti salue la levée des couleurs
Source : Photo L’Écho d’Oran, 6 juillet 1962.
Figure 2 : Les troupes de l’Armée de libération nationale paradent devant le Palais des sports à Oran, le 3 juillet 1962 (AFP)
Source : Photo L’Écho d’Oran, 6 juillet 1962.
Figure 3 : Photo « Précédés de motocyclistes de la police, le drapeau algérien et sa garde d’honneur, ouvrent le défilé des katibas de l’ALN
Source : Photo L’Écho d’Oran, 6 juillet 1962.
Notes
1 Le Monde, 3 juillet 1962.
2 En principalement : Georges Fleury, Jean-Jacques Jordi, Guillaume Zeller, Guy Pujante, Jean-François Paya, Jean Monneret, etc.
3 Pour désigner les circonscriptions de l’ALN, nous avons adopté la méthode prescrite par Gilbert Meynier qui codifie les circonscriptions en général par les numéros des wilaya(s), des mintaqa(s), des nahiyya(s). Pour le cas d’Oran : la 541 signifie : wilaya 5 /mintaqa (zone) 4/ nahiyya 1 et ; 544 : wilaya 5 /mintaqa (zone) 4/nahiyya (région) 4.
4 L’Organisation Politico-militaire du FLN constitue la branche militaire du « Nidham » (Organisation) dont le champ d’action est la ville d’Oran. C’est à elle qu’incombait les opérations de liquidations physiques, de mutilations des Algériens qui contreviennent aux ordres du FLN, d’enlèvements, et de tout ce qui pourrait jeter le désarroi chez l’adversaire par la pratique de la violence politique. L’Organisation Politico-militaire du FLN prit une part importante, dans la lutte contre l’OAS, sur la base d’une coordination avec la Zone Autonome d’Oran et les troupes françaises commandées par le général Joseph Katz.
5 Senouci Boukenouda, tué au cours d’une opération, le 3 mars 1961, rue Détrie en face de la caserne de la Légion étrangère. Source : Registre des réquisitions de la Régie des pompes funèbres d’Oran, 1961. État-civil, acte de décès n° 712 : Senouci Boukenouda, décédé le 9 mars 1961 à 11h, rue Détrie, déclaration de décès établie par Charles Darmon, sous-brigadier de police, 5ème arrondissement d’Oran.
6 Il fut tué le 15 août 1961.
7 La nahiyya 4 (région) englobait les territoires de Mostaganem-Relizane, le PC de la mintaqa (zone) 4 était situé à Perrégaux (actuellement Mohammadia).
8 S’agissait-il de cette opération connue par tous les militants d’Oran sous le nom d’« Affaire de Saint-Eugène », où pour la première fois, semble-t-il, des éléments de l’ALN ont réussi à faire une incursion à Oran ? Témoignage d’un ancien militant de l’OPA /FLN Chadly-Benguesmia Mohamed (Hadj Hamito) : Association des Résistants et des Ayant-droits de la wilaya d’Oran, (AREDWO), Table-ronde organisée le 4 juillet 2002 à l’initiative de Hadj Chadly-Benguesmia.
9 En 2022, malade, vit retiré à Mohammadia.
10 Sur l’organisation OPA/FLN du quartier Derb, voir Mohamed Benaboura (2006).
11Sur l’organisation FLN de Gambetta-Carteaux, voir, Mohamed Chikh (avec la collaboration de Miloud Touadjine) (2011).
12 Deuxième grande tuerie, après celle des voitures piégées du 28 février. Cette expédition punitive fit plus de 20 morts dont une femme et deux enfants. Les victimes sont inhumées dans un cimetière improvisé, dit cimetière de « Chouhada », situé sur un monticule du terrain Ardil au lieu-dit « Douar Cheklaoua », surplombant le cimetière militaire français.
13 Attou Mouedden, né le 17 Août 1921 à Thiersville (Mascara). En 1961, il est sous les ordres de Djilali Chadly-Benguesmia, responsable politico-militaire du FLN de la 5/4/1 (wilaya 5, zone 4, région 1), à la suite de l’arrestation de Abdelhamid, le 27 juin 1961, c’est son adjoint, Benoumeur Mouedden, le neveu de Attou qui le remplace à la tête de la 5/4/1.
14 Touhami Derkaoui rapporte, dans son ouvrage, Un moudjahid raconte : de la terre… à la guerre ou la vie d’un soldat « inconnu (2006), que Mohamed Rachid le nomma conseiller auprès de lui pour « gérer » la ville d’Oran. Nous contestons cette version de l’histoire.
15 La Force locale compte, à sa création, un effectif de 40 000 hommes, et comporte notamment 114 unités de soldats. Le nom officiel de ces unités est Unité de Force de l'ordre (UFO) mais elles sont plus communément appelées Unité de Force locale (UFL). Les UFO sont des formations mixtes, composées majoritairement d’Algériens (90 %) et commandées par des officiers français (10 % des effectifs). À Oran, les nouvelles recrues furent entraînées au Palais des Sports, qui fut tout au long de cette période de stage, constamment la cible de salves de roquettes tirées par l’OAS.
16 Ces Groupements Militaires de Supplétifs, ne sont autres que des unités de harkis.
17 Jean-Pierre Chevènement, officier appelé, était le chef de poste à Ain-Cheurfa où eut lieu le massacre.
18 Le manque de casernement à l’intérieur de la ville était tel, que les troupes étaient contraintes d’être installées aux abords de la ville, sur la corniche oranaise et dans la forêt de Canastel.
19 Chef du Haut Commandement militaire français en Algérie, il succède au général Ailleret.
20 En l’absence de Abdelhamid en prison, son adjoint Benoumeur Moueddene prit sa succession.
21 La zone Sud-Est d’Oran est constituée des faubourgs suivants : Cité Petit-Lac, Victor Hugo, Sanchidrian, cité des Quatre-Chemins, douar des Oliviers (Zitoun) et les bidonvilles du terrain Ardil (Douar Cheklaoua).
22 Saïtara سيطرة: mot apparu à Oran durant la période transitoire (mars-juillet 1962). Régime de terreur et d’exaction exercé sur les populations dans les secteurs urbains tenus par des « éléments incontrôlables », ceux notamment dirigés par Attou.
23 Ce staff était composé de : Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Medeghri, Chérif Belkacem
et Ahmed Kaïd. Ceux-ci forment le noyau dur du « clan d’Oujda ».
A ce moment, Boumediene, chef de l’état-major de l’ALN se trouvait à Ghardimaou, en Tunisie ; c’est le colonel Othman qui le remplace à la tête de la Wilaya V à Oujda.
24 Créée le 3 avril 1962, la seconde Zone Autonome d’Alger, dont le but déclaré de sa création était « d’assurer la sécurité physique et sanitaire ainsi que l’approvisionnement des populations pendant la période de transition entre le cessez-le-feu et l’indépendance ».
25 Mohamed Benahmed (Moussa), né en 1920 à Oran (décédé en 2004), bachelier, instituteur. Commerçant notoirement à Oran. Militant au sein de l’UDMA, puis pendant quelque temps dans le MTLD. En 1956, il rejoint sous le nom de guerre Mourad les rangs de l’ALN dans les maquis du Sud Oranais (région d’El Bayadh-Aïn Sefra), devenue la zone 8 de la wilaya V ; rappelé à Oujda, il devient membre de l’EMG, il est nommé en 1960, par Boumediene, commandant des frontières. C’est à partir de ce moment que commencent ses déboires avec les membres de l’EMG, particulièrement avec Ahmed Kaïd.
26 La Gleichschaltung, mot allemand signifiant en français « mise au pas ». Processus politico-idéologique mis en œuvre à partir de 1933 par le parti nazi pour imposer son pouvoir totalitaire sur la société et l’armée.
27 Déjà, lors du putsch de généraux d’avril 1961, les principales autorités civiles et militaires d’Oran s’étaient repliées à Tlemcen.
28 Selon son témoignage, il devait être hébergé durant quelques jours, rue Mac-Mahon (quartier Saint-Antoine) dans la maison de la moudjahida Setti Ould Cadi. Djilali Guezzane, entretien du 14 janvier 2015.
29 Khaldi Hasnaoui et Djamal-Eddine Guenacha étaient déjà à l’époque des éléments de la Sécurité militaire de l’ALN. Mohamed Freha, entretien du 29 juillet 2001.
30 Mohamed Freha, entretien du 9 février 2000.
31 Témoignages de Benamar Benchiha (1924-2012), fils de Setti Ould Cadi.
Certains témoins affirment que le colonel Othman lui-même, alors chef de la wilaya V, pendant ses nombreuses visites à Oran afin de s’enquérir auprès du capitaine Bakhti de la situation qui prévalait dans la ville, sous pression du rouleau compresseur de l’OAS, descendait pour plus de sécurité dans la maison de Setti Ould Cadi.
32 En 1948, Djelloul Nemiche, agent des Postes, membre de l’OS, transmet à son responsable, Benbella, des informations se rapportant au mouvement des fonds qui sont opérés chaque mois au niveau de la Poste Centrale d’Oran. Ces informations serviront à l’élaboration du plan qui a permis l’attaque à main armée de la grande poste d’Oran, le 5 avril 1949.
33 En 1975, sur sa demande, il ajouta à son prénom initial Djelloul, celui de « Bakhti », nom de guerre sous lequel il était connu dans l’ALN. Acte rectifié suivant jugement du Tribunal de Grande Instance d’Oran en date du 29 janvier 1975, n° 216, le prénom de l’intéressé sera dit Djelloul Bakhti, Oran, le 7 février 1975.
34 Cette attitude persiste, jusqu’à nos jours, envers de ce qui est qualifié de « Clan d’Oujda ».
35 Nourredine Kacem (Bouamama), entretien du 11 octobre 2012.
36 Mohamed Bakhlouf (H’mida), originaire de la région de Mostaganem, fils de Bakhlouf Moulay Chérif, militant connu du PPA à Mostaganem. H’mida Bakhlouf ancien scout, militant du PPA/MTLD, était marié à la sœur aînée de Houari Souïah. Au lendemain de la nomination de ce dernier comme préfet d’Oran par l’Exécutif provisoire (juillet 1962), Bakhlouf le rejoint comme officier de sécurité. (Information aimablement fournie par Sid Ahmed Souïah (5 août 2007).
37 Le lycée Ardaillon où était cantonnée une compagnie de CRS fut à plusieurs reprises harcelé par l’OAS. Les salles de sport du sous-sol servaient de lieux de détention et d’interrogatoires contre les activistes OAS capturés. Le 12 avril 1962, un accrochage a mis aux prises cinq heures durant la compagnie de CRS et des commandos de l’OAS, l’accrochage se solda par la mort de trois CRS, dont un officier et huit autres blessés.
38 Secteur Autonome d'Oran (SAOR), appelé également Groupement Autonome d’Oran (GAOR), que prend en main, le 19 février 1962, le général Katz.
39 Khaled Belarbi, un ancien du réseau OPA/FLN d’Oran, apporte ce témoignage à propos du commandant Humbert : « Démobilisé sans être vraiment démobilisé à cette époque trouble de la première année d’indépendance, où tout était provisoire, j’eus pour mission de rouvrir l’hôpital d’Oran. Bien sûr. Je n’étais pas seul pour assurer cette tâche. Aidé par le commandant Humbert de la gendarmerie française qui était chargé de nous protéger contre d’éventuels ultras de l’OAS, qui se serait trouvée encore là pour faire des victimes algériennes », (Khaled, 2018, p.106-107).
40 Avec l’appel fait à ces figures de l’islah oranais, se constitue, dès cette époque, la mouvance protéiforme de l’islamo-conservatisme, alliée tactique du futur parti unique et de l’aile ultra-nationaliste et autoritariste du FLN.
41 Tayeb Benkoula (1926-2005), agent de la perception des impôts, issu d’une lignée de notables oranais. Voir notre article, « Il y a une année, disparaissaient deux grandes figures oranaises : les frères Nourine et Taïeb Benkoula », Le Quotidien d’Oran, 31 janvier 2006.
42 Dans les jours qui suivirent le terrible séisme, qui a durement frappé la région d’Orléans ville, en septembre 1954, le MTLD installe rapidement à Medraçat el Falah, le Comité d’Aide aux Sinistrés d’Orléans ville (CASO), dont la coordination pour la ville d’Oran, fut confiée à l’étudiant du MTLD, Kacem Zeddour-Brahim.
43 Cité par Malika Rahal, (2018).
44 L’Écho d’Oran, 26 mai 1962, voir également, Michel Legris, Le Monde, 28 mai 1962, « Isolés dans le " village nègre ", des hôpitaux de fortune ne disposent pas du matériel nécessaire pour soigner les blessés ».
45 L’Écho d’Oran, 16 juin 1962.
46 Les services sociaux et de santé du GPRA à Tunis ne se sont guère souciés de la situation socio-sanitaire d’Oran. Nul envoi de médecins, comme cela a été fait pour la ZAA, qui bénéficia du renfort du Dr. Jeanine Belkhodja, envoyée pour soigner les blessés victimes de l’OAS.
47 D’après des indications fournies à la gendarmerie française, le docteur Nouvian, âgé de 50 ans, son nom fut souvent cité dans les procès-verbaux de la gendarmerie d’Oran en avril-mai 1962, à propos des prétendues transfusions sanguines clandestines faites sur les Européens enlevés par les bandes incontrôlées du FLN dans le secteur du Petit-Lac.
48 Les départs étaient souvent décidés sur conseil de leurs voisins européens qui n’acceptaient pas de les voir lynchés ou abattus devant leurs yeux par les tueurs de l’OAS, en toute impuissance, comme cela a été très souvent le cas.
49 Hadj Abdelatif Benchehida, interprète judiciaire en 1961, me racontait que, lorsque sa villa à Gambetta a été plastiquée, il s’est réfugié avec sa famille dans un haouch collectif au quartier Lamur (El Hamri).
50 Ces envolées « misérabilistes » sur le manque de nourriture et la faim dans les quartiers algériens semblent être empruntées par Katz à quelques textes de Zola (L’assommoir) ou de Jack London (Le peuple de l’abîme). J’étais adolescent à cet époque et je me souviens que Mdina-Jdida n’a jamais manqué ni de pain, ni de viande ni de fruits et légumes. C’étaient plutôt les quartiers européens qui ont atrocement souffert des pénuries.
51 Situé un peu plus haut de la place Sébastopol.
52 Les correspondants de France-Soir qui couvraient les événements d’Oran à cette époque étaient : Michel Croce-Spinelli, Simone Creyon et Jacques Chapus.
53 C’était la première fois que les Oranais voient les colis et les bidons d’huile de l’USAID américaine, avec l’inscription « Don du peuple américain ».
54 Les anciennes minoteries étaient situées entre les rues Turgot et Mohamed El Kébir, ce terrain servit après l’indépendance à l’extension du marché Sidi Okba.
55 Ancien siège des Amitiés Africaines, organisation des anciens combattants musulmans. Beau monument de style néo-mauresque situé, av. Alexandre de Yougoslavie fut complètement rasé en 1968.
56 Mohamed Allahoum, La Commission centrale de cessez-le- feu algérienne, sd, multgr., 24 feuillets aimablement remis par l’intermédiaire de notre ami commun Hamza Djebbar.
57 C’était le QG de l’OPA/FLN.
58 La désignation par le GPRA du capitaine Mohamed Allahoum à la tête de la délégation algérienne à la commission mixte de cessez-le-feu, avec promotion pour la circonstance au grade de commandant, suscite un vif mécontentement de l’EMG qui accuse le GPRA d’« avoir fait fi des règles d’avancement des officiers et remet en cause les pouvoirs respectifs du gouvernement et de l’état-major en matière de nomination puisque celui-ci devait être consulté. », Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise du pouvoir 1945-1962, Paris : Éd. Jeune-Afrique, 1980; Alger, Naqd-Enal, 1993, p. 293.
59 Né à Oujda, étudiant universitaire, en 1956 lorsqu’il rejoint l’ALN où, il fut très vite intégré au SRL de la wilaya V que dirige Boussouf. Il accompagne, en tant que secrétaire, le colonel Boumediene durant sa tournée de contrôle des zones de l'intérieur de la wilaya V, de janvier 1957 à fin août 1957.
60 Né en 1923 à Constantine, d’une famille originaire de Sidi Okba (Biskra), membre du MALG. Saddek Guellal est le frère aîné de Chérif Guellal (1932-2009), premier ambassadeur d’Algérie aux États-Unis, de 1963 à 1967.
61 En septembre 1961, Rédha Rahal, responsable du Service d’Exploitation Nationale (SEN) au sein du MALG, fut désigné par Abdelhafid Boussouf en qualité d’expert auprès de la délégation auprès du GPRA chargée des questions énergétiques.
62 L’ordre de mission des quatre officiers de l’ALN est signé à Tunis le 4 avril 1962, par le président du GPRA, Benyoucef Benkhedda.
63 De son vrai nom, Mokhtar Bouizem, ancien capitaine de la zone 7 (Tiaret-Sougueur), commandant de l’ALN basée à Oujda, membre du Conseil de la Wilaya V. En 1961, il fut parmi les quatre officiers supérieurs de l’ALN avec Boumediene, Kaïd Ahmed et Ali Mendjeli à avoir rejeté l’avant-projet d’accord entre la délégation française et les représentants du GPRA, finalisé le 20 février 1962 et adopté par les membres du CNRA.
64 Akbi Abdelghani (1933-2021), officier de l’ALN, ancien préfet d’Oran.
65 Général Jacques Navelet (1911-1967), prend en 1961 le commandement d’un secteur opérationnel en Algérie, puis devient adjoint au général commandant le corps d’armée d’Alger. En 1962, à 51 ans, il accède au grade de général de brigade. Durant la même année, tout juste après la signature des Accords d’Évian, le général Navelet est appelé à présider, du côté français, la Commission mixte de cessez-le-feu. Il sera, ainsi, le vis-à-vis du commandant Mohamed Allahoum (Antar). Durant la période transitoire, de mars à juillet 1962, les deux hommes auront à résoudre les problèmes inhérents à l’application, sur le terrain, des conditions de cessez-le- feu sur le territoire algérien. Le 14 juin 1962, El Hassar rend compte d'une visite de la Commission centrale de cessez-le-feu à Sidi Bel Abbés, où la Légion se livrait à des provocations. Le général Navelet et le commandant Allahoum se mettent d'accord pour faire évacuer les légionnaires et leurs familles.
66 Le capitaine Bakhti désigne son frère aîné, Nemiche Boumediene, surveillant général du Lycée Ardaillon (actuel lycée Ibn Badis). Membre de ce comité au sein duquel il mène aux côtés de Bertrand Lacaste, évêque d’Oran, plusieurs meetings dans les quartiers d’Oran.
67 Coignard Roger Albert Édouard, né à Oran le 21 septembre 1921, tenait, avec son frère, Raoul, un cabinet d’assurances. Roger Coignard, premier adjoint au maire, assure avec un grand courage, depuis le départ en France du maire, Henri Fouques-Duparc, les fonctions de maire de la ville.
68 L’Écho d’Oran, 29 juin 1962.
69 À peine quelques semaines auparavant (29 mars 1962), l’évêque d’Oran célébrait une messe à la mémoire des morts d’Alger et d’Oran avec lesquels il partageait au plus près ses convictions « Algérie française » et, à peine un mois (31 mai), tandis que l’OAS plongeait Oran dans un abime d’horreur, et que les populations européennes du bled, cherchaient à rejoindre Oran le plus tôt possible, pour échapper aux velléités de revanche de la part de certains éléments algériens, l’évêque partait en tournée épiscopale dans la région de Mascara. Le 30 juin, il fit « miraculeusement » réapparition, et par un extraordinaire « retournement de soutane », il se projette au premier rang des partisans de la réconciliation entre les communautés.
70 Cheikh Tayeb El Mehadji, chef spirituel de la population musulmane, Mgr Lacaste, pour l’église catholique, le pasteur Boeziger, représentant l’église protestante et le grand rabbin Samuel Cohen, pour la communauté israélite.
71 « Le maintien de l’ordre, hélas m’avait été retiré depuis le 1er juillet, la surveillance des rues ne nous incombait plus, nos unités étaient consignées dans leurs casernements ». (Katz, 1993, p. 25).
72 Article de Jacques-François Simon, Le Monde, 5 juillet 1962.
73 Lors de sa première séance du 12 mai 1962, l’Exécutif provisoire, présidée par Christian Fouchet, entre autres points de l’ordre du jour de sa réunion, décide la dissolution du Conseil municipal d'Oran et le remplace, comme à la mairie d’Alger, par un seul administrateur temporaire.
74 Selon Mohamed Benaboura, cette commission était supervisée par Mohamed Hirèche et Houari Chékaïka-Chaïla. Information à prendre toutefois, avec circonspection. (Benaboura, 2004, p. 167).
75 Le Monde, 7 juillet 1962, « Un nouveau préfet, désigné par l'ALN et non par le GPRA ou l'Exécutif provisoire, M. Souyaha Lahouari (sic.) s’est installé à la nouvelle préfecture… ». Il s’agit bien sûr de Houari Souïah.
Les nominations de Houari Souïah et de Iyad Bouabdelli ne seront entérinées que bien plus tard, le 21 août 1962 par A. Farès, président de l’Exécutif provisoire, avec délégation de signature donnée à Abderazzak Chentouf, délégué aux Affaires administratives.
76 Encerclé avec hommes, dans une villa de la cité Gai-Logis, leur servant de PC, Attou n’hésita pas à tirer sur les soldats de l’ALN.
77 Un de ces points est à l’évidence la crise à l'intérieur du FLN durant l'été 1962. Travail qui a été partiellement comblé par la thèse d’Amar Mohand-Amer (2023).
78 Duverger, M. (6 juillet 1962). Le Monde.