Nizar BEN TEKAYA: Université de Tours, EMAM (Équipe Monde Arabe et Méditerranée), UMR 7324 CITERES, MSH Val de Loire BP 60449, 37204, Tours, France.
Le 2 mars 2020, la Tunisie détecte officiellement son premier cas de Covid-19 chez un émigré revenu d’Italie. Les premières mesures de protection sont établies, dont un confinement total commencé le 22 mars et desserré le 4 mai 2020. Ces mesures vont fluctuer pendant les mois qui suivent en fonction de l’évolution de l’intensité de l’épidémie. Pour faire face à la crise sanitaire à l’échelle locale, la municipalité de Téboulba 1 a constitué une cellule de crise en partenariat avec la société civile, la délégation, la circonscription sanitaire locale et les forces de Sûreté2. Par le biais de cette cellule, la municipalité a élaboré une batterie de mesures : imposition de protocoles sanitaires stricts, désinfection des lieux les plus fréquentés, etc., tandis que l'opération la plus spectaculaire a concerné l’hôpital de Téboulba. En effet, le 14 mars 2020, lors d’une réunion de la cellule de crise, il a été convenu de la nécessité d’entreprendre la construction, puis l’équipement d’une unité de soins d’urgence, dite unité Covid-19, et de ne pas attendre les initiatives venant « d’en haut ». Cette décision était justifiée à la fois par la situation catastrophique des finances publiques du pays, qui perdurait depuis longtemps, et par la pandémie elle-même, qui a considérablement accru les besoins dans l'ensemble de la Tunisie.
Le système complexe d’acteurs constitué autour de la mise en service de cette unité de soins gagne ainsi à être décrit et analysé en « situation » ; autrement dit dans l’action, plutôt qu’à partir d’un organigramme qui ne peut en rendre qu’une image statique. L’objectif de cet article 3 est de saisir les logiques d'action - dont nous postulerons qu’elles sontnouvelles - qui apparaissent dans un territoire en crise, la crise sanitaire se rajoutant à une profonde et déjà ancienne crise politico-économique. Nous tenterons de savoir comment la société civile 4 téboulbienne a pu s’imposer comme un acteur décisif quand la crise du Covid a mis à nu les limites de l’action de l’État.
La construction d’une unité de soins Covid-19 : une initiative locale
Le déterminant de l’initiative locale : un système de santé peu performant
En constatant l’effondrement du système de santé italien et le désarroi qui s’ensuivit à cause de la pandémie, un conseiller municipal proactif, proposa à sa municipalité de construire une unité de soins pour les malades du Covid-19. Ce conseiller est une figure sociale bien connue des Téboulbiens qui appréciaient ses compétences professionnelles, ainsi que son militantisme au sein de la société civile5. Sa profession de chirurgien et professeur au CHU de Monastir lui a permis de toucher de près les limites des capacités d’accueil du milieu hospitalier. Il nous a précisé, à l’occasion d’un entretien qu’il nous a accordé en juillet 2021, que les unités de soins intensifs et les services spécialisés dans les maladies respiratoires étaient dans l’incapacité de disposer, au plan national, d’un nombre de lits de réanimation suffisant pour faire face à une pandémie d’une telle ampleur.
En effet, pour une population de 12 millions d’habitants en 2020 (INS), la Tunisie ne disposait que de 240 lits de réanimation dans le secteur public « [soit]un nombre qui affiche une insuffisance prononcée et des moyens assez maigres notamment en cas d’une éventuelle dégradation de la situation » (Ministère de la Santé, 2020, p. 26). Quant aux cliniques privées, on ne dispose d’aucune statistique fiable à leur sujet, mais la presse tunisienne avance un nombre d’environ 500 lits de réanimation - avec des tarifs d’hospitalisation exorbitants6. Le régime d’assurance maladie, quant à lui, en déficit financier structurel, ne peut en aucune mesure remédier à cette cherté des soins. En effet, « les ressources en cotisations sociales sont réduites par le niveau élevé du chômage et la part importante de la population active insérée dans le secteur informel » (Ben Sedrine, Amami, 2016, p. 26).
Selon plusieurs spécialistes7, ces insuffisances au niveau des équipements de soins résultent de politiques publiques défaillantes de très longue date, aboutissant à un sous-équipement des villes, principalement petites et moyennes, dès lors que les responsables politiques se sont avérés incapables de « penser la ville comme un artefact matériel et technique participant à la construction sociale et à la protection de la santé publique » (Dhaher, 2020, p. 280). Or, le développement du secteur de la santé publique était, au même titre que l’éducation, « un des objectifs prioritaires de la politique de développement adoptée par la Tunisie immédiatement après son accès à l’indépendance » (Ben Sedrine, Amami, 2016, p. 15)8.
En matière de ressources humaines, le déficit du secteur de la santé est également très touché, alors qu’il est convenu que ces ressources sont essentielles pour l’efficacité du système de santé (Ministère de la Santé, 2021, p. 97). Cette efficacité dépend étroitement du nombre des effectifs et de leurs compétences. Ce déficit varie selon les spécialités, car si toutes sont concernées, certaines le sont nettement plus que d’autres, comme c’est le cas des anesthésistes-réanimateurs dont le recours s’impose pour la prise en charge des cas graves. Ainsi, au niveau national, le secteur public ne dispose que de 360 médecins anesthésistes-réanimateurs, auxquels s’ajoutent environ 150 exerçant dans le secteur privé, principalement regroupés à Tunis, ce qui correspond à un taux extrêmement faible de 3 spécialistes pour 100. 000 habitants (Ministère de la Santé, 2020, p. 26).
En 2000, le gouvernorat de Monastir, dispose de 12 hôpitaux, dont 1 CHU localisé au chef-lieu, 2 hôpitaux régionaux et 9 hôpitaux de circonscription - dont celui de Téboulba. Ils n’offrent que 14 lits d’anesthésie et de réanimation, alors que la population du gouvernorat est de l’ordre de 600 000 personnes et que, il convient de ne pas l’oublier, nombre de malades proviennent des gouvernorats voisins. Situés à l’intérieur du pays, le sous-équipement et le sous-encadrement du secteur hospitalier sont encore plus prononcés que sur le littoral (Ministère de la Santé, 2021).
Cette situation a conduit à l'initiative mentionnée en introduction de cet article, portée par un conseiller municipal de Téboulba. Bien conscient de l’incapacité de l’hôpital de Téboulba (à peine 3 médecins généralistes, 2 chirurgiens-dentistes et 1 pharmacien) à supporter le choc de la pandémie, il milita pour la constitution d’une unité de soins Covid-19. Localisée dans l’enceinte même de l’hôpital local, celle-ci est destinée à la prise en charge des patients développant une forme modérée de la maladie.
Ce projet, présenté comme exemplaire et inédit9, a été accueilli localement avec un vif enthousiasme. Cela s’est manifesté par l’engagement d’un promoteur industriel téboulbien, propriétaire d’une entreprise de métallurgie et de constructions métalliques, à prendre en charge une bonne partie des coûts du projet, sous la forme de fournitures en matériaux de construction.
Un rôle décisif des composantes de la société civile dans la concrétisation du projet
La municipalité n’ayant pas, en tant que collectivité territoriale, le droit d’effectuer des collectes de fonds auprès des citoyens, une association, dénommée « Association des Tuteurs », a pris en charge cette mission. Cette association était déjà « le partenaire stratégique de la circonscription locale de Santé et plus généralement du ministère de la Santé dans la ville », selon les dires de certains de ses leaders. Comme beaucoup d’autres associations en Tunisie, l’association des Tuteurs a été créée après la Révolution de 2011, en 2013 précisément, mais ce n’est qu’en 2014 qu’elle a été reconnue officiellement. Elle participe donc de cette« effervescence associative 10 qui témoigne de l’engouement citoyen pour participer à la vie publique » (Tainturier, 2017), qu’a connue la Tunisie après 2011. Ces associations, dont le nombre a connu une croissance considérable représente un nouveau type d’organisation. En effet, les organisations créées avant 2011 et qui continuent d’exister sont essentiellement constituées de bénévoles et assurent différents services sociaux ou environnementaux. En revanche, les nouvelles organisations incarnent, au moins à Téboulba, un nouveau paradigme de travail associatif : les associations de projets. Celles-ci cherchent à jouer un rôle plus conséquent dans le développement des territoires, conformément aux objectifs énoncés dans la Constitution de 2014.
Cette association a été fondée majoritairement par des enseignants, en retraite pour certains, pour œuvrer dans leur champ de compétences : l’éducation. Par la suite, elle a fait étendre ses activités vers le secteur de la santé. Son projet phare, en collaboration avec le Ministère de la Santé, était la construction et la rénovation d’un service des urgences, d’une radiologie et d’une pharmacie au sein de l’hôpital de Téboulba. L’association des Tuteurs a finalisé sa phase du projet en 2017, tandis que celle du ministère a été achevée deux ans après. Mener à terme un nouveau projet dans la santé après avoir agi dans l’enseignement a valu à cette association une grande légitimité aux yeux des Téboulbiens.
La collecte des fonds pour l’unité Covid-19 a débuté le 5 avril 2020 par l’organisation d’un téléthon. Les médias locaux, à travers les réseaux sociaux, ont assuré l’annonce, l’animation et la diffusion de l’opération. Pour l’association des Tuteurs et le comité de crise, il s’agissait de promouvoir une action ambitieuse (le projet devait incarner le « rêve téboulbien ») et collective, susceptible de donner l’image d’une société civile soudée – loin des tiraillements politiques. Le téléthon a permis de réunir 6 000 DT auprès des citoyens ordinaires, auxquels se sont ajoutés 80 000 DT provenant des hommes d’affaires. Ces derniers ont été encouragés à faire preuve de générosité par l’un des membres fondateurs de l’association des Tuteurs et par le président régional de l’UTICA (Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat), qui est originaire de Téboulba. D’autres financements sont parvenus en provenance de Téboulbiens résidant en dehors de la ville ou à l’étranger. Au total, les efforts de collecte ont abouti à plus de 660 000 DT11, dont 418 000 consacrés à la construction de l’unité, le solde étant réservé à son équipement.
Compte tenu de l'urgence de la situation, avec le premier cas de contamination à Téboulba le 25 mars 2020, les travaux ont rapidement commencé (dès le 7 avril 2020), avec l’objectif de les achever deux semaines après, et de mettre en service l’unité sanitaire. La municipalité s’est engagée de tout son poids, en fournissant des engins et des personnels. Elle a également entrepris de préparer le terrain, qui était sablonneux et inégal, en l’aplanissant et l’asphaltant. Les travaux ont cependant accusé un grand retard, principalement en raison des désaccords sur le choix de l’emplacement et des matériaux de construction.
Souhaitant préserver un foncier très convoité, car situé en plein centre-ville et susceptible de servir à la localisation d’autres projets de santé dans le futur, l’association des Tuteurs a proposé que l’unité de soins soit construite en continuité avec le bâti existant. Cela offrait des avantages, notamment celui de faciliter le transfert des patients entre les différents services de l’hôpital, sans risquer, par exemple, de les exposer aux intempéries. À l’opposé, le comité de crise voulait éloigner la nouvelle bâtisse de l’hôpital, afin de minimiser le risque de propagation du virus. D’autres acteurs associatifs ont même voulu abandonner l’idée d’une construction nouvelle et utiliser comme alternative l’une des mosquées de la ville ou la salle de sport comme hôpital temporaire. Cette dernière proposition a été rapidement rejetée, car, selon divers témoignages, elle a été formulée par des personnes appartenant à une fraction proche de l’opposition municipale.
Quant à la question des matériaux de construction, certains conseillers municipaux et militants associatifs préconisaient une construction en dur pour garantir la pérennité de l’unité de soins, ce qui allait d’ailleurs dans le sens de certains riches donateurs, qui se disaient prêts à en supporter le coût. Toutefois, en raison de considérations financières et de délais, il fut décidé de s’en tenir à une construction en structure légère. Afin d’apaiser les critiques, on a argué que les matériaux de construction qui devaient être utilisés avaient une durée de vie de 20 ans, voire plus, et que, une fois passée la pandémie, l’unité pourrait malgré tout servir comme unité d’hospitalisation.
Plusieurs améliorations ont été apportées sur le plan architectural au fur et à mesure de l’avancement des travaux. La durée de ces travaux s’est étalée sur 42 jours, soit bien plus qu’à Sousse où, en avril 2020, une unité de soins comparable a pu être livrée en 15 jours seulement. Il est possible que ce retard soit dû au fait que l’association des Tuteurs ait été pratiquementmise à l’écart lors de la réalisation du chantier, alors qu’elle avait l’expérience d’un précédent projet dans le secteur de la santé. De fait, certains responsables de l’association s’en sont offusqués, regrettant que son rôle ait principalement servi à assurer la réussite de la collecte des fonds. Pour notre part, il nous a été difficile d’identifier les raisons de cette « marginalisation ». Pour certains de nos interlocuteurs, elle découlerait de la rivalité entre des membres de la société civile, en particulier parmi les notables, qui aspireraient à renforcer leur légitimité ou à établir leur leadership.
Certains d'entre eux redoutaient que l'implémentation du projet d'unité de soins ne confère un avantage décisif aux ambitions de son initiateur ou à celles des leaders de l'association des Tuteurs.
L'émergence de la pandémie, accompagnée des risques considérables qu'elle a engendrés pour la population, a suscité une mobilisation sans précédent des différents acteurs de la société téboulbienne. Cela a mis en lumière leur capacité à prendre rapidement des initiatives et à concrétiser des projets. Il va sans dire que le projet de l’unité de soins Covid-19 de Téboulba n'a pas été exempt d'ambitions concurrentes visant à accéder au leadership, ainsi que d'instrumentations ou de marginalisations, sans oublier les tentatives de récupération qui se sont esquissées.
Pour l’association des Tuteurs, l’expérience acquise avec le projet des urgences, sa capacité à mobiliser les hommes d’affaires de la ville, en ont fait un partenaire privilégié. Ainsi, le rôle de cette association, plus ou moins éclipsée durant les travaux, s’est imposé lors de la mise en service de l’unité des soins Covid-19. En effet, le recrutement du personnel médical s’est révélé plus difficile que prévu au départ, au point de devenir la question la plus problématique du projet.
La mise en œuvre de solutions inédites pour pallier les « difficultés » de démarrage de l’unité Covid-19
À la fin des travaux, l’euphorie avait gagné pratiquement tous les habitants de la ville, y compris ceux qui s’y étaient opposés. Cependant, une grande déception a rapidement régné. Les engagements du Ministère de la Santé quant à la mobilisation des médecins nécessaires ne sont pas concrétisés. Responsabilité exclusive des différents ministères, le recrutement des fonctionnaires, est soumis à des règles administratives lourdes, et lentes que le fonctionnement très bureaucratique de l’Administration ne contribue guère à accélérer.
Il est vrai que Téboulba ne figurait pas parmi les zones prioritaires pour le recrutement de médecins à la différence des régions de l’intérieur du pays qui souffraient plus que d’autres du manque de cadres médicaux. En outre, le recrutement du personnel nécessaire au fonctionnement d’un service de soins a un coût financier qui est, en règle générale, déterminé par la loi de Finances de l’année où ce recrutement est prévu. En l’absence de dérogations à cette loi qu’aurait pu justifier l’imprévisibilité de la pandémie, le Ministère de la Santé s’est avéré incapable de tenir ses promesses pour ce qui concerne le recrutement des médecins12. Ainsi, les 8 infirmiers contractuels 13 ont occupé une unité de soins Covid-19, construite et équipée dans l’urgence, mais incapable de fonctionner faute de médecins.
Les tergiversations des autorités sanitaires expliquent en partie cette situation paradoxale, mais ne peuvent suffire à justifier que le statu-quo se prolonge. La crise sanitaire vient, en effet, rajouter ses effets à la crise politique qui affecte les plus hauts sommets de l’État, et provoque une valse rapide des ministres en charge du secteur. À Téboulba, la situation engendre des critiques qui revêtent une forme de plus en plus virulente au fur et à mesure que monte l’incompréhension, et donc l’exaspération de la population. De fait, la deuxième vague de la pandémie atteint la ville en octobre-novembre 2020, période où sont enregistrés les premiers décès.
À la suite de ces évènements, les inquiétudes grandissent et la pression s’intensifie sur les responsables locaux pour qu’ils débloquent la situation et surmontent l’inaction du ministère de la Santé. D’ailleurs, des responsables associatifs, principalement ceux de l’association des Tuteurs, décident d’agir en essayant de contourner les autorités sanitaires. Ils arrivent ainsi à convaincre quatre médecins, fraîchement diplômés, en attente d’un recrutement officiel, de signer un contrat de trois mois. Une première en Tunisie. En contrepartie, l’association leur octroie un salaire et leur garantit l’hébergement, la nourriture (assurée en fait par les habitants et les commerçants de la ville), en même temps qu’elle souscrit en leur nom une assurance-vie. Il s’agit donc d’une prise en charge inédite, tant sur le plan financier que matériel, d’agents d’un service public par les habitants eux-mêmes. En optant pour cette stratégie du « fait accompli », ils espèrent obtenir du Ministère de la Santé, nolens volens , le déblocage d’une situation devenue intenable.
En conséquence, la mise en service de l’unité de soins n’a eu lieu que le 3 novembre 2020. Depuis son ouverture jusqu'à la fin du mois de janvier 2022, l'unité Covid-19 de Téboulba, 400 patients ont été pris en charge dans dont plusieurs présentaient des symptômes sévères. L’unité a dépassé sa capacité d’occupation maximale au mois de janvier 2021, avec 14 patients14. L’utilité de l’unité de Téboulba est ainsi bien prouvée, ce qui n’empêche pas que son personnel travailler avec des statuts précaires. La question est restée posée jusqu’à ce que le Ministère de la Santé procède à un recrutement formel et approprié de personnel médical.
La crise du recrutement du personnel médical : source de tensions entre l'État et les populations locales
Dans ce contexte, les leaders associatifs et les habitants de la ville expriment leur indignation à travers les médias locaux. Le statu quo est perçu comme incompréhensible par la population, ce qui a suscité son mécontentement. L'association des Tuteurs exhorte la municipalité à se substituer au Ministère de la Santé pour prendre en charge les salaires des médecins. Elle justifie sa demande en invoquant les prérogatives des lois votées après la Révolution, prônant la décentralisation et l’autonomie de gestion des collectivités territoriales. Selon l'association, bien que ces lois n’aient été que des principes jusqu'au déclenchement de la pandémie, la gravité de la crise sanitaire a nécessite leur mise en œuvre. C'est dans ce cadre qu'elle exerce des pressions sur la municipalité de Téboulba.
Pour les habitants, les retards du Ministère de la Santé, en matière de recrutement du personnel médical, s'ajoutent à une longue liste de promesses non tenues. Ils expriment ainsi leur désenchantement, voire leur ressentiment, non seulement envers le gouvernement central, mais également envers les responsables locaux, notamment le président de la municipalité et le délégué.
Ces derniers font l’objet de nombreuses critiques de la part des de responsables associatifs, car, à leurs yeux, ils n’exercent pas suffisamment de pressions pour régulariser la situation du personnel médical. Or, le président du conseil municipal, à l’occasion de ses interventionssur les radios de proximité, ne cesse de rappeler qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire valoir son autorité - du moins là où les textes lui permettent de l’exercer15. Il s’indigne du fait que ses administrés le rendent coupable d’inaction, alors même qu’il s’agit de domaines ne relevant pas de ses compétences. Rappelons, à ce propos, que la gestion de la santé publique en Tunisie est du domaine exclusif du Gouvernement, par le biais du Ministère de la Santé. Pour autant, nos interlocuteurs n’ont pas cessé de rappeler fermement qu’en l’absence d’un bon suivi du dossier de l’unité Covid-19 et d’une forte implication, guidée par un esprit combatif, les responsables locaux ne parviendront pas à contraindre l’État à répondre aux demandes des habitants.
D’une manière générale, les Téboulbiens expriment un sentiment d’injustice concernant la redistribution de l’argent public, notamment en matière d’investissements pour de nouveaux projets. Car bon nombre d’équipements ont été réalisés par les habitants eux-mêmes, comme les mosquées, les dispensaires, l’hôpital de la ville (à hauteur de 70% selon leurs dires), etc.
Le cas de l’unité de soins Covid-19 de Téboulba illustre parfaitement les raisons pour lesquelles le fossé s’est élargi, après les espérances ayant accompagné la Révolution, entre les gouvernants et la population, comme cela a pu être observé dans plusieurs autres plusieurs villes tunisiennes. Les évènements brefs, mais violents qui ont secoué Téboulba le 17 janvier 2021, en sont une illustration parfaite16. La population téboulbienne, y compris sa jeunesse, a la réputation d’être plutôt disciplinée, respectueuse de l’autorité ou, à tout le moins, évite les comportements excessifs17. Aussi, les observateurs, extérieurs et locaux, ont été surpris 18 de constater que les violences du 17 janvier 2021 n’étaient pas le fait de jeunes venus de nulle part, mais bel et bien de jeunes Téboulbiens.
Dix ans après la Révolution, il semble que l’action de l’État ait conduit, à une sorte de repli communautaire. La population locale, désespérée de l’absence de l’attention du pouvoir central, ne compte que sur ses propres forces - même si celles-ci sont limitées - pour gérer la crise, survivre et, dans certains cas, se développer. De ce fait, bon nombre de Téboulbiens, insatisfaits et déçus, refusaient que des patients amenés des villes voisines soient accueillis dans l’unité de soins, une fois celle-ci mise en service, arguant qu’il s’agit d’un projet exclusivement téboulbien, et qu’il revient à l’État, qui a tourné le dos à Téboulba, de s’occuper des autres ». De tels propos, et d’autres similaires, sont largement relayés par les médias locaux et sur les réseaux sociaux. Cependant, une fois les esprits calmés, l’unité de soins, considérée comme un équipement public, a accueilli des malades des villes voisines.
Assurer la continuité du fonctionnement de l’unité : une mobilisation des réseaux divers
Malgré les reproches qui leur ont été adressés, les autorités locales considèrent qu’elles n’ont pas ménagé leurs efforts pour permettre le démarrage de l’unité Covid-19, puis garantir la continuité de son fonctionnement. Pour ce qui concerne le président de la municipalité, il estime qu’il a accompli sa mission, en faisant usage de son carnet d’adresses pour transmettre les revendications de sa commune vers les plus hauts niveaux de l’Administration. En tant qu’élu sur une liste d’Ennahdha, il a, en effet, pu utiliser ses connaissances partisanes pour atteindre le ministre de la Santé, dont le titulaire étaitmembre du même parti. C’est ainsi qu’il a réussi à avoir un engagement de sa part pour inaugurer l’unité Covid-19. Le président de la municipalité espérait également qu’à cette occasion, il pourrait présenter au ministre la concrétisation des engagements déjà pris, en termes de personnel, pour assurer la pérennité de cette unité19. À l’échelle du gouvernorat, le président de la municipalité fait principalement allusion aux relations établies avec le gouverneur et la Direction régionale de la santé à Monastir. À l’échelle locale, son interlocuteur régulier est le délégué, c’est-à-dire le représentant de l’Administration, à l’échelon immédiatement inférieur à celui du gouvernorat.
En parallèle, quelques responsables associatifs, et particulièrement ceux de l’association des Tuteurs, se sont mobilisés pour essayer de faire avancer les choses. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit de réactiver les réseaux existants avant la Révolution. Cela concerne surtout les anciens militants politiques, surtout les membres du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), qui savaient parfaitement user des canaux partisans pour faire remonter les revendications jusqu’aux ministres concernés, voire jusqu’au plus haut sommet de l’État. Bien que ces canaux ne soient plus en principe actifs, depuis la dissolution du RCD le 9 mars 2011, les réseaux de connaissances quand ce n’est pas d’amitiés, ou les dettes pour services rendus dans le passé, ne continuent pas moins à exister.
Par ailleurs, l’arrivée au pouvoir du parti Ennahdha a favorisé la promotion de certains de ses membres ou sympathisants à des postes-clés. En conséquence, dans l’objectif de garantir l’efficacité de ses démarches, l’association des Tuteurs s’est toujours efforcée d’identifier, au préalable, les sympathies politiques des hauts fonctionnaires à l’échelle régionale et nationale avant de leur envoyer ses représentants choisis, de telle sorte qu’ils appartiennent à la même mouvance. C’est ce que nous explique un membre de cette association :
« dans notre association,on fait un sacré mélange, qui est très bénéfique d’ailleurs. Pour un responsable rcdiste20, on lui envoie un rcdiste. Pour un autre khwanji [islamiste], on lui envoie un khwanji, et ainsi de suite. On s’en fout [sic] de ce qui se trame politiquement, on veut juste être utiles à notre bled » (extrait d’entretien, janvier 2021).
Dans ce contexte, il ne s’agit pas tant - du moins le pensons-nous - de la Constitution (pour les islamistes) ou de la reconstitution (pour les Rcdistes) de réseaux clientélistes, mais plutôt de l’utilisation stratégique des accointances et de l’écoute préférentielle, que certains administrateurs peuvent avoir envers des militants partageant leur affiliation politique. Il apparait clairement que, mutatis mutandis , les observations de Massicard (2004) concernant la Turquie, en parlant de la « personnalisation » des relations de service dans le cadre des interactions politiques, s’applique bien en Tunisie, du moins dans les circonstances comparables à celles où se situe notre étude de cas. Lorsque les positions hiérarchiques des principaux interlocuteurs potentiels, ainsi que leurs affiliations à des réseaux et partis sont établies, ceux qui recherchent un service ou une assistance peuvent en tirer parti.
Par ailleurs, dans la culture politique populaire, le député incarne la force de revendication du local auprès du national. C’est pourquoi les habitants s’attendaient à avoir des retombées positives grâce à leurs élus. Certains enquêtés déplorent ainsi le fait qu’aucun député à l’Assemblée des représentants du peuple ne soit originaire ou résident de Téboulba, comme ce fut le cas auparavant durant les législatures précédentes. En l’absence donc d’un député téboulbien21, l’association des Tuteurs a sollicité les députés du gouvernorat (originaires des villes voisines) afin d’avoir un accès plus aisé au ministère. Ainsi, une femme députée a vigoureusement soutenu la proposition de l’association des Tuteurs – celle qui demandait de maintenir les médecins sous contrat pendant leur service civil (communément appelé année civile ; un mode d’accomplissement du service national en Tunisie) – en faisant pression auprès du Ministère de la Santé, ainsi qu’auprès du Ministère de la Défense.
À Tunis, des responsables de haut niveau, originaires de Téboulba, ont également soutenu le projet de l’unité Covid-19 auprès des plus hautes sphères politiques et administratives, auxquelles ils ont pu accéder du fait de leur statut et de leur parcours professionnel. Le recours au registre de l’appartenance géographique, wild bled [fils du bled], impose, en effet, à celui qui est sollicité une sorte d’« obligation morale » (Massicard, 2004) à rendre le service. Ce type de relations est souvent marqué par une dimension affective, s’appuyant sur des réseaux de parenté et d’amitié. Cependant, nous observons dans cette situation le schéma habituel des relations de clientèle en Tunisie (Legros, 2003).
Les médias, que tous les acteurs reconnaissent comme un moyen particulièrement efficace pour faire entendre leurs revendications, sont également utilisés. Notre enquête a mis en lumière le rôle décisif des médias locaux, en particulier les médias électroniques ou les médias de proximité, diffusés sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Ces médias jouent un rôle crucial dans la canalisation et la diffusion des doléances, contribuant ainsi de manière significative à la formation d’une opinion publique locale. Cette importance est indéniable pour les animateurs « vedettes » des radios web locales. Pour eux, ces médias sont essentiels dans le maintien de la paix sociale dans la ville, en favorisant une gestion pacifique des différents problèmes. Néanmoins, il n’est pas rare qu’ils haussent le ton, allant jusqu’à inciter les habitants à agir, arguant que les responsables ne prendront des initiatives que sous la pression. Plusieurs de ces animateurs estiment que, en agissant de la sorte, leurs radios favorisent la résolution, ou au moins l’atténuation, de beaucoup de problèmes dans la ville.
L’usage intensif des réseaux sociaux est justifié par leur popularité, la société tunisienne y ayant recours d’une manière presque frénétique. Le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux en Tunisie était de 8 millions en 2020, ce qui signifie que 70% des Tunisiens utilisent activement des sites Internet22. Il n’est donc pas surprenant que tous les ministères, ainsi que les services du chef du Gouvernement et la Présidence de la République, disposent des pages officielles sur les réseaux sociaux. Tirant parti de cette opportunité, un membre de l’association des Tuteurs a publié une lettre ouverte adressée au chef du Gouvernement pour lui demander de prendre une décision favorable concernant l’unité de soins Covid de Téboulba. De même, d’autres militants de la société civile, ont publié des lettres semblables sur des pages Facebook proches du président de la République.
D’autres encore ont réussi à être interviewés par la première chaîne de la Télévision nationale à l’occasion de la cérémonie organisée pour célébrer la fin des travaux de l’unité Covid-19.
À cette occasion, ils ont tenté d’alerter les décideurs quant à la spécificité de la situation à Téboulba23. L’intervention du président de la municipalité sur les ondes d’une radio régionale, Ribat FM, sise à Monastir, le 2 octobre 2020, participait, elle aussi, à ces tentatives tous azimuts de sensibilisation des décideurs sur la nécessité de soutenir l’initiative téboulbienne24.
Il est indéniable que le répertoire d’actions mobilisées par la société civile est d’une grande diversité, même s’il est difficile d’évaluer les formes et l’impact du lobbying. Néanmoins, citons à titre d’illustration le cas des quatre médecins pour lesquels la municipalité et les associations avaient plaidé et qui ont pu effectuer leur service civil dans l'unité de soins Covid-19 de Téboulba.
Conclusion
On peut conclure que la société civile, particulièrement à travers son tissu associatif, constitue non seulement un acteur incontournable dans la production de l'espace urbain, mais aussi un acteur à part entière dans la mise en œuvre d’un service réputé être public par excellence. Nous émettons l’idée que le contexte de la crise sanitaire (se surajoutant à une crise socioéconomique) a favorisé l’élargissement des compétences et des répertoires d'action de protagonistes qui sont, pendant longtemps, restés à la marge. Face à cette situation, certaines associations, comme l’association des Tuteurs, ont su faire preuve d’innovation, passant ainsi du stade de la coopération avec d’autres acteurs locaux, en particulier institutionnels, à un stade supérieur, où elles ont, d’une certaine manière, dû se substituer aux institutions étatiques pour compenser leurs lacunes.
Cet exemple montre que certaines associations peuvent exercer un pouvoir décisionnel pour la réalisation de certains projets, même si ceux-ci relèvent des prérogatives de l’État. Ce constat n’est pas entièrement inédit, puisque Legros exprimait déjà, il y a plusieurs années, une opinion semblable en considérant que « les acteurs locaux disposent d’incontestables marges de manœuvre : non seulement ils élaborent des stratégies originales, mais ils cherchent aussi à instaurer des relations de pouvoir selon leurs propres règles » (Legros, 2003, p. 259).
La construction et la mise en marche d’une unité de soins à Téboulba montrent aussi comment le pouvoir local doit négocier avec les pouvoirs régionaux et centraux, selon des canaux complexes, ayant trait au formel, comme à l’informel. Aussi, l’idée centrale qui se dégage de notre étude du terrain téboulbien est que les modes de revendication et de mobilisation que nous avons observés privilégient les principes de négociation et de pression pacifique, même si le contexte national peut facilement les faire basculer dans la violence.
Les associations semblent, de ce fait, offrir un canal efficace pour faire entendre les revendications des populations, notamment celles qui concernent leurs besoins vitaux. Elles sont, de surcroît, capables de se transformer en lobbies avec lesquels les différentes autorités doivent composer. Cependant, ainsi que l’explique Boukhaima (2002, p. 92) en évoquant le contexte syrien des années 2000 : « il est […] douteux que l'action associative suffise à pallier les insuffisances d'un système public de santé miné par la bureaucratie et l'inadéquation des moyens matériels aux besoins sanitaires du pays ».
La crise sanitaire, a mis en lumières certaines lacunes des politiques publiques en Tunisie, offrant ainsi une opportunité pour reconsidérer les fondements des modèles de gouvernement et de développement.
Face à l’immobilisme d’une classe politique, affectée par les querelles politiques aux dépens de la satisfaction des revendications et des besoins essentiels de la majorité de la population, la crise sanitaire a constitué un tournant décisif : elle a changé les rapports entre la société civile et le pouvoir local.
Bibliographie
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Notes
1 Avec autour de 42 000 habitants (INS, 2020), la ville de Téboulba dépend administrativement du gouvernorat de Monastir dans le Sahel tunisien (au Centre-Est de la Tunisie).
2 Cette cellule a créée six comités spécialisés dans les secteurs de la santé, de la communication, du commerce (antitrust), de l’hygiène et de la propreté (stérilisation), des affaires sociales, de la logistique et du contrôle (pour le suivi de l’application des mesures).
3 L’article utilise, en partie, les résultats d’une série d’enquêtes réalisées entre 2020 et 2021 dans le cadre de notre travail de thèse de géographie. Une trentaine d’entretiens semi-directifs auprès des différents acteurs sociaux et institutionnels ont été réalisés, à chaque fois qu’il nous a été possible de nous rendre sur le terrain ou via des canaux de communication virtuels. Pour pallier les restrictions que les divers confinements ont eus sur notre mobilité, nous avons porté une attention particulière aux pages personnelles des leaders associatifs et aux médias locaux (communément connus en Tunisie comme des médias associatifs ou de proximité) qui fournissent d’utiles informations pour comprendre le contexte local. L’importance de ces réseaux sociaux dans la vie des Tunisiens n’est plus à démontrer (Lecomte, 2011, Faris, 2012). D’ailleurs, plusieurs experts et journalistes vont jusqu’à présenter les TIC et notamment les réseaux sociaux comme le moteur de la révolution tunisienne [de 2011] (Touati, 2012 ; Faris, 2012).
4 Selon Raymond (2009), « les définitions les plus stabilisées de la "société civile "s’articulent autour de deux approches », qui insistent sur « l’indépendance affirmée entre la "société civile" et l’État ». La première désigne l’ensemble des citoyens concernés par un territoire donné (une commune, un pays, une région…). La seconde renvoie aux organisations qui représentent ces individus citoyens. À l’instar de cet auteur, nous retiendrons l’une et l’autre de ces approches.
5 Il est le président du Comité local de l’Union tunisienne de solidarité sociale, membre du bureau et directeur d’une association d’aide aux orphelins.
6 Soit plus de 20 000 DT /(7000) € pour deux semaines d’hospitalisation en moyenne, alors que le SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) tourne autour de 350 DT/ (115) € en 2020.
7 Voir par exemple, Kahloun (2021) ; Dhaher, (2020).
8 Ceci correspond notamment à la politique d’investissement du président Habib Bourguiba dans le capital humain ou dans la « matière grise » des Tunisiens (Ben Achour, 1987).
9 La nouveauté de cette initiative est sujette à débat. En effet, durant la même période, la Tunisie a enregistré plusieurs réalisations d’unités destinées aux malades du Covid-19 (dans les gouvernorats de Sousse, Bizerte, Zaghouan, etc.), souvent à l’initiative des acteurs de la société civile.
10 À Téboulba, le tissu associatif comportait, en 2022, une soixantaine d’associations.
11 Pour leur plus grande part, les fonds collectés ont une origine locale. En général, la plupart des associations à Téboulba ne bénéficient pas de ressources d’origine étrangère, soit par crainte d’être accusées d’être manipulées, soit par ignorance et manque de maîtrise des techniques de montage des dossiers de financement auprès des bailleurs de fonds internationaux.
12 L’instabilité politique qui a fait suite à la Révolution (10 gouvernements successifs en seulement 10 ans) n’a pas permis au Ministère de la Santé de revoir son mode de fonctionnement et de définir une programmation quelque peu ambitieuse pour les investissements à effectuer et le recrutement des personnels. Ce ministère, qui allait devenir stratégique avec la pandémie, n’était absolument pas en mesure de répondre aux exigences qui l’attendaient.
13 Le paradoxe dans cette solution, fut que ces contractuels n’avaient aucune tâche à effectuer, puisque l’unité Covid-19 n’était toujours pas en fonctionnement.
14 L’unité Covid-19 était initialement prévue pour accueillir10 malades. En sus, 4 lits équipés en matériel d’oxygénation sur les 8 dont dispose le service des urgences furent aménagés à des patients Covid-19.
15 Le président de la municipalité s’exaspère surtout de la lenteur du gouvernement à respecter leurs engagements pour la mise en œuvre du processus de décentralisation. Il s’élève, entre autres, contre les délais excessifs que nécessite la publication des décrets gouvernementaux censés accélérer ce processus, et de ceux qui doivent accroître le pouvoir décisionnel et les compétences des conseils municipaux et de leurs présidents.
16 Des manifestations nocturnes, défiant le couvre-feu, se sont propagées rapidement dans plusieurs villes tunisiennes et ont connu beaucoup de dérapages. À Téboulba, les « manifestants », comme veulent les nommer les partis de l’opposition, ou les « pilleurs », selon les dires des partis de la coalition au pouvoir, ont attaqué et saccagé le parc municipal (de véhicules et engins), avec des pertes estimées à 100 000 DT .
17 En effet, pendant la période « révolutionnaire », entre la fin de l’année 2010 et le début de 2011, Téboulba n’a connu que des incidents relativement mineurs, en comparaison avec d’autres villes.
18 Selon un mécanisme classique de protection de leur communauté d’appartenance, nombre de Téboulbiens ont cherché à attribuer les violences et les pillages à des barranya,c’est-à-dire des étrangers à la ville. Une manière habituelle de disculper ses propres enfants.
19Les engagements pris par le ministre à cette occasion n’ont pas été tenus, le remaniement ministériel du 15 juillet 2020 l’ayant emporté avec lui.
20 Rcdiste : membre du RCD, le parti unique du temps du Président Ben Ali.
21 Ennahdha a choisi de constituer la liste aux élections législatives qu’il a présentée pour le gouvernorat de Monastir avec des candidats originaires de différentes villes de ce gouvernorat, mais aucun de Téboulba. Par ailleurs, certains courants politiques actifs dans la ville ont bien placé sur leur liste des Téboulbiens, mais ils n’ont pas recueilli un nombre de voix suffisant pour que ceux-ci soient élus.
22 https://urlz.fr/njEM
23 Rediffusion accessible au : https://urlz.fr/njVB
24 https://urlz.fr/njVI