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Carolina TETELBOIN HENRION, DaisyITURRIETA HENRÍQUEZet Clara SCHOR-LANDMAN (Coords.), (2021). América Latina. Sociedad, política y salud en tiempos de pandemia. Buenos Aires: Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLACSO), 382 p.


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En Amérique latine, la pandémie de Covid-19 a provoqué un boom de projets de recherche scientifique et de publication d’articles et de livres sur le sujet. En 2021, le groupe de travail « Études sociales pour la santé », du Conseil Latino-américain des Sciences Sociales (CLACSO), a publié un ouvrage collectif intitulé América Latina. Sociedad, política y salud en tiempos de pandemia(Amérique latine. Société, politique et santé en temps de pandémie). L’ouvrage intègre dix-sept travaux de quarante-et-un auteurs, provenant de huit pays. À l’approche biomédicale, le groupe pluridisciplinaire, constitué de chercheurs engagés dans les mouvements sociaux et l’action publique, oppose une démarche sociale construite autour du droit à la santé, de la démocratisation de la sphère publique et de la recherche de pratiques et de politiques alternatives. L’ouvrage se divise en deux parties : regards régionaux et comparatifs ; expériences nationales et thématiques particulières. Il combine des approches régionales et nationales, ainsi que de courte, moyenne et longue durée. En premier lieu, il s’intéresse aux déterminations et aux économiques, sociaux, politiques, culturels et environnementaux de la pandémie dans une perspective globale qui articule les dimensions spatiale et historique.

Par ailleurs, l’ouvrage analyse les stratégies employées par les gouvernements de différentes sensibilités politiques pour affronter la crise et assister les groupes sociaux divers dans des contextes fortement inégalitaires. Une place est aussi faite à la communication, aux perceptions et à la contestation dans l’ère technologique actuelle. Finalement, la crise est abordée sous l’angle des mutations sociopolitiques et de la transformation des systèmes de santé durant les dernières décennies, dominées par les ajustements structurels néolibéraux.

Dès le prologue, la pandémie de covid-19 apparaît comme étant une question éminemment politique, dont la gestion gouvernementale de tous bords a suscité des critiques politiques justifiées ou injustifiées et produit une narration officielle. Asa Cristina Laurell avertit que trois processus globaux y ont convergé : le néolibéralisme, la crise écologique et le réchauffement global qui bouleverse les écosystèmes. En Amérique latine, la précarisation des systèmes de santé, les maladies chroniques et la malnutrition, soit autant d’autres pandémies silencieuses, ont contribué à engendrer des taux de mortalité importants. Les dégâts socioéconomiques ont été encore plus dévastateurs, tandis que les secteurs médico-industriel et technologique-informatique s’enrichissaient. Il y a donc eu des perdants et des gagnants. La gouvernabilité s’en est trouvée affectée, étant confrontée à des protestations légitimes ou insensées qui posent le problème de la surveillance de la narration des gouvernements, mais aussi celui de la construction de la confiance entre gouvernants et citoyens.

L’essai intitulé « coronavirus : santé mentale collective, crise de civilisation et bien vivre » de José León Uzcátegui, ainsi que celui de quatre chercheurs qui, depuis le Brésil, situent l’humanité au carrefour de la barbarie ou de l’aspiration socialiste, opposent deux paradigmes : le paradigme capitaliste de la globalisation néolibérale fondé sur la marchandisation intégrale, les intérêts particuliers, le productivisme et la destruction de la nature, également en œuvre dans le développementisme et le socialisme bureaucratique, et le « bien vivre » qui rompt avec le fondements de la modernité/colonialité du pouvoir et l’eurocentrisme, en remettant le bien commun et la relation harmonique avec la nature au centre des projets collectifs. La perspective critique historico-territoriale développée par une équipe de sept chercheurs qui rend compte des asymétries globales et nationales de l’impact de la crise pandémique, à partir des cas du Chili, de la Colombie et du Mexique, établit que l’action des gouvernements a été conditionnée par leur insertion dans des dynamiques économiques et géopolitiques complexes, en même temps que par les corrélations de forces du processus de territorialisation nationale, en mettant l’accent sur les réformes de santé d’inspiration néolibérale qui ont succédé au modèle de substitution d’importations et aux États sociaux, ainsi que sur leurs adéquations actuelles selon les processus politiques en cours. Dans une optique similaire, Pasqualina Curcio Curcio se penche sur la course pour le vaccin contre le Covid-19 et la contradiction fondamentale entre les intérêts de l’industrie pharmaceutique et l’impératif de la distribution sociale qui pose la question de la flexibilisation des droits de la propriété intellectuelle.

Parmi les études de cas, on trouve un chapitre sur la Bolivie, le Venezuela et le Brésil, deux sur l’Argentine et trois sur le Chili et le Mexique. Les deux travaux argentins constituent un ensemble intéressant. D’une part, il pose le problème de la nécessaire et difficile émergence d’un champ communicationnel contre-hégémonique autour des signifiants politico-idéologiques des processus de santé-maladie-soins dominés par les inégalités et les discriminations socioéconomiques et ethniques. D’autre part, aux marges du retrait néolibéral de l’État ou de l’interventionnisme étatique dans les systèmes de santé, il analyse les conséquences subjectives inégalitaires de l’isolement et de la rupture des modes de vie, reliées au passé hygiéniste et à un possible futur qui, contre la démagogie du marché prompt à minimiser la gravité de la pandémie et le contrôle étatique vertical, saurait mieux prendre en charge les populations les plus vulnérables et donnerait davantage de place à la participation citoyenne.

Ces études montrent également les contrastes entre les situations et les stratégies gouvernementales. On passe ainsi du Brésil et de la Bolivie, où les politiques de santé instaurées par les gouvernements de gauche ont été remises en cause par le gouvernement ultraconservateur de Bolsonaro et la réaction postérieure au coup d’État bolivien, tandis que le chapitre sur le Venezuela rend compte du difficile contexte de l’agression étatsunienne, au cas mexicain, dont le gouvernement tente de remédier à quarante ans de politiques néolibérales. Le Chili qui a été le laboratoire mondial du virage néolibéral, sous la dictature militaire de Pinochet, a maintenu la ligne qui a mené à l’explosion sociale. Apparemment aux antipodes, puisqu’engagé dans une politique d’universalisation de la santé publique, le gouvernement mexicain a répondu à la crise par une politique d’articulation avec le secteur privé, favorable à ce dernier, qui ne rompt pas avec les tendances vers la privatisation du système de santé mexicain, ainsi que le montre le chapitre de Silvia Tamez González.

Pour finir, deux travaux thématiques, l’un sur les campagnes de désinformation menées au Mexique et l’autre sur les réponses institutionnelles à la pandémie en milieu carcéral, au Chili, closent l’ouvrage. Par les perspectives comparatives, pluridisciplinaires
et critiques qu’il ouvre, ce dernier est pour le moment l’un des ouvrages de référence sur le sujet qui a été suivi par un autre, moins complet, en 2022, et en appelle d’autres. Toutefois, eu égard au nombre importants de projets scientifiques en cours, l’essentiel de la production latino-américaine à ce propos reste à venir. Il est certain que les problématiques abordées et les contextes, où elles se posent, font écho aux propres préoccupations algériennes.

Malik TAHAR-CHAOUCH

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