La vue d’ensemble de ces travaux apporte différents éclairages sur les situations de crise qui ont pris au dépourvu les politiques, divisé les spécialistes et perturbé les activités quotidiennes des populations au niveau mondial. Au bout du compte, quelles leçons ont été tirées, quelles idées et/ou renouvellement théoriques des résultats de recherche ont été suggérés et/ou débattus? Quelles tendances ont émergé et quelles lacunes ont été identifiées dans la compréhension du coronavirus? Enfin, quelle évaluation critique et quelle argumentation contextualisée, permettent d’élargir la réflexion à de nouvelles recherches?
Présentation des ouvrages
Sonia SHAH, (2020). Pandémie. Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus, Paris : Écosociété, 328 p.
L’ouvrage de Sonia Shah Pandémie. Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus est paru en 2016 bien avant les premières manifestations de la Covid-19 1 en 2019. Cette observation atteste d’une remarquable clairvoyance dont a fait preuve l’Auteure qui, concluant sur « La détection de la prochaine épidémie » nous avisait déjà sur « la réinterprétation de notre place dans un monde microbien » (p. 261). La réédition en 2020 est complétée d’une « préface tenant compte de cette nouvelle situation ».
La démarche entreprise pour cerner le sujet des maladies pandémiques et épidémiques, se rattache à un travail combinant recherche et reportages durant six années d’enquête à travers les continents, dans les pays atteints principalement par le choléra. Pour autant, quelques témoignages sur des séquences vécues dont la première se rapporte à la contamination d’un passager qui se préparait à voyager dans un même vol. La narration des faits apparemment anecdotiques, accrédite le champ des aléas qui préludent à la compréhension des agents pathogènes et des pandémies.
L’introduction intitulée « Le choléra et sa suite », relate les premières réactions de l’OMS et les sentiments d’incrédulité généralisés alors que l’épidémie s’épanchait à grande vitesse dans le monde.
À ce titre, le livre structuré en 10 chapitres, explique d’une part, comment s’effectue le passage des virus d’une espèce à l’autre à travers les « transports », les « déjections » et « l’entassement » ; d’autre part, « l’argent et la politique » autrement décrits à partir des « conflits entre intérêts privés et santé publique ». L’histoire nous apprend qu’à New York en 1832, on soudoyait des agents sanitaires afin de contourner la quarantaine obligatoire pour ne pas perturber le commerce (p. 142).
Puis, vient le temps de « la recherche de coupables » et « des remèdes » que l’Auteure nous restitue en rapportant des événements factuels liés au choléra à Port-au-Prince, lieu réputé pour ses explosions de violence. Le déroulement des faits, met en ligne de compte le rôle de l’ONU et la diffusion du choléra introduit par les soldats népalais. Néanmoins, il ne s’agit là que d’un aspect de la crise haïtienne qui « découle de problèmes plus vastes et plus profondément enracinés … comme la pauvreté, le manque d’eau potable et la dévastation causée par le récent tremblement de terre (2010)» (p. 164). Quant aux traitements thérapeutiques ils sont liés au « changement de paradigme » passant de « l’approche réductionniste » de la médecine moderne à la « biomédecine » et à ses limites ». Les lacunes identifiées se résument en somme, au manque de collaboration entre les experts médicaux et les spécialistes des sciences sociales dont le rôle est pourtant reconnu comme étant nécessaire au progrès de la prise en charge médicale. C’est ainsi que de pandémie en pandémie, « le paradigme du choléra » après une longue période de couvaison entre en scène avec les risques liés au changement climatique et son rôle « dans la dynamique d’autres maladies infectieuses encore inconnues » (p. 225).
Sur ces entrefaites mettant en confrontation les moyens modernes et les microbes, la connaissance des « épidémies passées » nous est suggérée pour approcher et mieux comprendre « la logique des pandémies ». Quelques recommandations préconisent de les détecter et les prévenir en renforçant le système de surveillance des maladies. Dans la préface de l’édition 2020, elle ajoute en fine connaisseuse, que « l’aspect le plus frappant de cette pandémie (Covid-19) est la sensation d’étrange familiarité qu’elle procure ». Faut-il s’en rassurer ou au contraire s’en inquiéter ? L’histoire des pandémies racontée par Sonia Shah, nous renseigne enfin que « leur avenir, tout comme leur passé, est mêlé au notre ».
Michel INNOCENT PEYA, (2020). Le désastre écologique et sanitaire de la Covid-19. L’humanité à l’épreuve des crises multidimensionnelles , Paris : L’Harmattan, 266 p.
L’entrée en matière du livre de Michel Innocent Peya, énonce un « épigraphe » incitatif : « Si l’Afrique est le continent le moins touché en termes de taux de létalité, elle est par contre le continent le plus frappé en termes de conséquences économiques et sociopolitiques. Michel Innocent Peya » (p. 5). Mais en avançant dans la lecture, le rapport avec l’Afrique est imperceptible voire inexistant puisque son évocation ne figure guère plus dans la structuration de l’ouvrage. Etrangement, l’élogieux « avant-propos » à l’égard de l’Auteur, n’est pas signé ! De plus, on retrouve quasiment les mêmes termes de ce panégyriste inconnu, que l’Auteur reprend en conclusion pour s’auto-congratuler : « Il fallait faire preuve de sursaut scientifique, de passion et de courage pour aborder un thème qui fait écho à l’actualité, car mettant en relief deux fléaux contemporains : la crise écologique et la Covid-19,… » (p. 257).
Néanmoins, bien que le travail effectué témoigne d’une mise en forme ordonnée et méthodologique des données collectées, il ne peut être qualifié de scientifique (absence de bibliographie et de références, ni annonce de la méthodologie et des objectifs, citations référencées à des politiques en soutien aux affirmations avancées,…). Tout au plus, l’approche personnelle de l’Auteur adhère et souscrit à des opinions autour de certains problèmes actuels de l’impact des activités humaines dans le monde (changement climatique, pollution atmosphérique, érosion de la biodiversité, évolution démographique, urbanisation, accidents industriels, crises sanitaires, sommets internationaux…). Il y manque cependant le cadre général du concept de la nouvelle ère géologique qui fait débat : l’Anthropocène et les enjeux mis en question.
Guy BURGEL (Dir.), (2021). Ville et Covid. Un mariage de raisons, Préface BURGEL Guy, Karthala, Aix en Provence, MMSH, 247 p.
L’ouvrage sous la direction de Guy Burgel est structuré en trois parties suivant une progression thématique commençant par « Images de France », suivie de « Points de vue du monde » pourterminer en « Perspectives ».Cette dernière partie« dépasse les simples propositions urbanistiques ou architecturales nées de la réflexion sur les conséquences à plus long terme de l’épidémie sur les formes urbaines : perte d’influence des métropoles, regain d’intérêt pour les villes moyennes ou même le péri-urbain » (p. 10). Ainsi, l’approche adoptée tout en élargissant son angle de vue, s’amorce par un ton résolument critique de la gestion de la crise du coronavirus en France.
Régis Darque et Julie Trottier sur la base de « spatialisation de la propagation de l’épidémie », posent le problème de la centralisation de son traitement et de ses conséquences sur la relation entre l’international, le national et le local. Mais à ce niveau d’analyse, les données manquent de sorte que « le lien avec le lieu de contamination,… restant inconnu », ils concluent : « L’illusion cartographique et statistique continue de rassurer, mais l’outil est en soi inadapté à la maîtrise spatiale du développement épidémique » (p. 36). Jean-Pierre Orfeuil, aborde le concept de la mobilité du quotidien en période de crise sanitaire et de la confiance des citoyens à l’égard des équipes dirigeantes. Dans « la certitude que l’avenir réservera encore des surprises » (p. 47), il suggère « de nouveaux regards, et un paradigme nouveau », « pour développer des trajectoires moins dépendantes de l’automobile » (p. 50). Claude Lacour a saisi l’opportunité d’observer les effets du port obligatoire du masque, déclenchant un mouvement des couturières, certes « éphémère », mais en tout cas efficace et rémunérateur. Sur le sujet du confinement du point de vue des concepts de distance et de distanciation, Yankel Fijalkow nous propose « un plaidoyer pour un observatoire des distances sociospatiales » (p. 65). Ses enquêtes de terrain combinant « situation résidentielle /taille de la commune / type d’échanges journaliers », l’ont mené à convenir « que certains ménages de la fraction des couches moyennes supérieures se sont rapidement éloignés des grands centres métropolitains pour rejoindre des espaces de moindre densité comme les petites villes » (p. 75).
Au chapitre de la première partie, Guy Burgel, Raymond Ghirardi, Maxime Schirrer et Pierre-Régis Burgel mettent en relation la « démographie » et la « société » positionnant au Grand Paris, leurs enquêtes et analyses du coronavirus. Trop tôt pour conclure, ils aboutissent néanmoins à la formulation d’un épilogue « qui pourrait tenir en quatre mots : confirmation des fortes liaisons entre sévérité du Covid et misère sociale ; déception face au manque de réaction de la part du gouvernement ; inquiétudeau regard des décisions prisesconcernant la vaccination ; certitude que les conséquences les plus dramatiques, la mortalité, sont moins territoriales que sociales » (p. 90).
La deuxième partie de l’ouvrage rapporte quelques « points de vue du monde » à partir de la Tunisie, l’Iran, Singapour et le Mexique.
S’agissant de la Tunisie, Najem Dhaher traite la problématique de la place de la santé en lien avec la ville en se questionnant si « des leçons sont à tirer de la pandémie ? ». En ce sens, il signale quelques observations dans le monde en guise de piste à étudier privilégiant la gestion décentralisée et démocratique de la santé en général. Du côté de l’Iran, Mohammadreza Abbasi Naderpoor, Rezvan Khalvandi, Marzieh Abassi Naderpoor, Razieh Abassi Naderpoor, nous livrent leurs « images architecturales et urbaines au défi du Covid-19 ». Au cœur des préoccupations iraniennes, c’est d’abord la ville sainte de Qom qui semble embarrasser les autorités alors accaparées par « l’élection législative ». Pour autant, des difficultés à se soumettre aux restrictions établies en plus de l’embargo économique imposé par les Etats-Unis, la réaction de la société civile se distingue par « un élan de solidarité à travers le pays » (p. 111). Outre les conséquences en nombres de décès quotidiens, les impacts du Covid-19 sur l’usage de l’espace public, se mesurent en termes de « rectifications sur les valeurs et les normes » qui animent la société iranienne.
Le cas asiatique illustré par Singapour sous le regard avisé d’Alexandre Grondeau, est questionné en termes de « ville de demain ou dystopie d’aujourd’hui ? », et en tant que « première place au classement annuel et mondial des smart cities les plus performantes » (p. 119). Elle est en effet un « paradis fiscal pour ses partenaires économiques et politiques » (p. 127) et une puissance technologique pour se protéger du terrorisme. Enfin, quelques lignes sur la pandémie, signalent que le contexte a davantage subi les contrecoups financiers par le ralentissement du tourisme. Pour autant, sa population semble avoir mieux « résisté » aux effets de la contamination si ce n’est « la très grande majorité des travailleurs étrangers vivant en dortoirs » (p. 126). Au Mexique, Mauricio Velasco Avalo, aborde le thème des « inégalités » à travers l’espace public en ces moments inédits de la menace Covid 19. Comment interagir avec une population qui habite la rue alors que la ville est contrainte au confinement obligatoire? Le vécu des « sans-abris » autrement qualifiés de « citadins de la rue », est l’expression de « la pauvreté et l’exclusion » d’une « minorité grandissante », sans droit ni voix.
La dernière partie de l’ouvrage, dont l’objectif est de « dessiner des perspectives possibles » (Guy Burgel, p. 10) ouvre en première ligne, la question captivante de Philippe Boudon : « Qui de la science, ou du politique est le plus légitime aux commandes ? » (p. 145). Tout au long de la réflexion qu’il développe autour de la « conception entre analyse et décision », il revient sur les notions que nous lui connaissons : Conception, Espace, Echelle(s) replacées dans le contexte de « la situation épidémique actuelle » (p. 153). Dans ce même ordre de posture, Thierry Paquot réaffirme le constat que « Primo, nos sociétés sûres de leurs appareillages techniques sont finalement fragiles ; secundo, les mégalopoles connaissent une diffusion rapide de la pandémie et tertio, celle-ci est dorénavant planétaire » (p. 155). Il pose ainsi les bases prospectives de sa démarche visant à redéfinir les notions d’« échelle humaine » et de « l’hygiénisme » à travers les périodes du choléra et de la tuberculose. L’investigation de la relation entre « urbanisme, santé et écologie », mène à conclure sur « une nouvelle configuration territoriale » qu’il nomme « la biorégion urbaine » dans une perspective de réconciliation des villes et des campagnes.
Jean-François Serre oriente son analyse en ciblant le milieu complexe des grands ensembles en France pour montrer « le décalage problématique entre l’"urbain" et le "social" ». En guise de conjecture à poursuivre, il se réfère aux travaux de Augustin Berque et Philippe Boudon afin de les articuler « à la lumière de la « mésologie » et de l’ « architecturologie » (p. 177). De même, face à l’incapacité des élus à régler le problème de « la défiance à l’égard des responsables publics » liée à l’exclusion et ses avatars, Jean-Yves Chapuis pose la question de « Comment créer une communauté politique en 2021 ? ». Il entreprend d’investiguer la notion d’habiter appelant à remettre en cause les modes et les cadres de vie actuels en s’interrogeant toutefois sur nos capacités d’engagement « pour habiter la terre autrement ».
Bertrand Lemoine s’intéresse à l’« après pandémie » et découvre la « surprenante résilience » dont a fait preuve « l’organisation spatiale, économique et sociale » en général. Ses préconisations portent sur les actions à mener plutôt sur les motivations de la mobilité et les espaces de télétravail à créer comme des « lieux de convivialité ». Yves Dauge et Jean-Michel Galley entendent tirer une « leçon de la crise » en optant « pour un nouvel aménagement des villes et des territoires », autrement dit « prévoir, anticiper, planifier, agir au plus proche » (p. 201). Appelant à réinventer de nouvelles méthodes de gouvernance, ils s’interrogent sur les modalités à mettre en œuvre et sur les capacités à « faire cette révolution ». « Oui, il va falloir changer » renchérit Corinne Vezzoni qui se demande s’il faut « construire ou ne pas construire ? Pour Cristiana Mazzoni, Valérie Lebois et Flavia Magliacani, il faut « repenser la densité urbaine au prisme d’une nouvelle intensité relationnelle ». Dans cette perspective, il s’agit de « trouver des solutions capables de garantir une mixité programmatique et spatiale adaptée aux nouveaux besoins… » (p. 223).
Xavier Leroux observe le vécu de la pandémie pour interroger l’enseignement de la ville « au vu de ce qui s’est passé et de ce qui pourrait à nouveau survenir ? » (p. 225). Limitée au niveau du primaire, son enquête fait ressortir « qu’il faudra toucher les enseignants pour leur faire prendre conscience de l’intérêt de ces problématiques en lien avec ce que les élèves pourraient produire » (p. 229). Le point de vue de Suzanne Paré clôt la dernière partie de l’ouvrage, en examinant la « pratique expérimentale du projet d’architecture ». Appliquée en région parisienne, elle questionne « le sens et les modalités d’exercice que pourrait avoir la pratique opérationnelle dans le contexte de la crise sanitaire qui sévit actuellement » (p. 236).
SorayaMOULOUDJIet DjilaliEL MESTARI(Dir.), (2022).Société(s) et Pandémie,Oran :Ed. CRASC, 408 p.
Il s’agit en l’occurrence, des actes du Colloque international « Société(s) et Pandémie », tenu les 3 et 4 juin 2020, en collaboration avec le Centre de recherche en anthropologie, sciences sociale et humaines, Faailoune, Batna.
Regroupant vingt-huit contributions, l’ouvrage réalisé dans le feu de l’action, fait preuve de la mobilisation des chercheur-e-s algérien-ne-s face à la situation inédite et déroutante de la pandémie Covid-19. L’objectif commun à toutes les disciplines impliquées, est évidemment de comprendre et expliquer les faits, voire les discuter pour tirer des leçons ou avancer d’éventuelles recommandations. Globalement, l’approche de la perception de la pandémie et de son vécu par la société, vise à saisir les effets directs ou collatéraux ainsi que les dispositions prises par les autorités compétentes.
À ce titre les « Brèves observations limitées au domaine du droit et aux relations internationales» exposées par Ahmed Mahiou, relèvent à juste titre qu’ « il va de soi qu’une telle pandémie oblige tout le monde à s’interroger sur les leçons à titrer dans tous les domaines, car il semble que cette triste expérience est malheureusement appelée à se répéter dans l’avenir, dans la mesure où on ne sait pas encore pourquoi et comment ce virus est apparu » (p. 22). Du côté des sociologues et/ou anthropologues en communion avec les spécialistes de la santé, Mohamed Mebtoul aborde la relation entre la société et la pandémie en pointant certaines insuffisances du discours dominant instituant une crise de confiance qu’il associe à l’absence de pédagogie avec pour « effet pervers de fabriquer de la peur chez beaucoup de personnes » (p. 34). Le cas de la société espagnole développé par Seif El Islam Benabdennour, rappelle que ce pays européen figure parmi les plus touchés par la pandémie avec la France et l’Italie, malgré leur niveau de progrès avancé. Leila Houti et Yamina Rahou montrent « comment la crise sanitaire accentue les inégalités sociales de santé » en relation avec la « précarité », « la situation des femmes et les groupes les plus vulnérables ». Elles en retiennent que « les réponses les plus pertinentes se tissent à un niveau central mais surtout à un niveau local… » (p. 45). La prise de décision à l’échelle locale est une observation qui revient effectivement en écho dans plusieurs approches mettant en relation l’Etat et les différentes institutions impliquées dans les procédures de résolution de la crise. Abdelaziz Kouadja la conçoit en terme de « traditionnel » qu’il oppose au « mondial », en suggérant de requestionner le sens des sciences sociales aujourd’hui. À propos du concept de mondialisation, Abdelghani Moundib l’aborde en rapport à l'incertitude pour mettre en exergue les « dysfonctionnements du système et du sens » (p. 29) et se demande comment évoluera l’étape post-pandémique ? L’étude de Samir Abderrahmane Al Shamiri décrit les difficultés sanitaires de la société yéménite aggravées par une situation de guerre. Il propose quelques recommandations appelant les pouvoirs locaux à normaliser le cadre de vie des citoyens.
Sur le plan des études du comportement, l’analyse de Fatima-Zohra Delladj-Sebaa propose un « plaidoyer pour une société résiliente » afin de la préparer à « comment affronter à l’avenir, des situations similaires » (p. 54). Axant sur le même concept de la résilience Naïma Guendouz-Benammar, ajoute celui de la « responsabilité citoyenne» au niveau pédagogique et éducationnel. Badra Moutassem-Mimouni et Dounia Mimouni-Meslem ont investi le terrain de l’université afin d’« observer les difficultés rencontrées pour gérer le nouveau mode d’apprentissage à distance » (p. 67). Dans ce même cadre de « l’activité éducative dans l’espace virtuel, Mustapha Medjahdi propose quelques « éléments de débats » pour lever les défis de la transition numérique au regard du retard enregistré tant au niveau pédagogique que technologique. Khedidja Mokeddem rapporte quelques résultats d’enquêtes montrant l’apparition de sentiments tels que « la peur, la panique, le choc » suggérant la question des « stratégies à mettre en place pour dépasser cette vulnérabilité ? » (p. 91). L’élan de solidarité étudié par Maryz Younes, qu’elle situe entre efficience et vulnérabilité, se rattache également à la peur ressentie au sein de la société libanaise. Elle relève que sa fluctuation est relative au tempérament de l’État selon qu’il soit en position de force ou de faiblesse.
Sous l’angle de l’économie, l’impact de la crise sanitaire provoquée par le coronavirus, est questionné dans son rapport au confinement. L’approche suivie par Nabil Belouti rejoint un ensemble d’orientations « à la lumière des projections et autres études qui s’accordent sur trois grands axes d’intervention : la santé, la bonne gouvernance et le développement local » (p. 104). Le terrain d’étude de Noureddin Mihoubi s’intéresse au bénévolat dans le cadre de l’économie sociale et solidaire en terme de « ressource…dans l’accompagnement des efforts consentis par les pouvoirs publics en faveur des franges sociales vulnérables, particulièrement s’ils s’adossent à des valeurs enracinées dans la société algérienne comme touiza, l’entraide et la solidarité » (p. 115).
S’agissant des approches spatiales à l’échelle urbaine, Hamza Bachiri et Nassima Triki nous livrent leurs premières réflexions sur la base d’une enquête mettant en question « le choix du citoyen entre la quarantaine et les problèmes de la ville ». Le contexte d’imprévisibilité qui a caractérisé cette période de crise, les résultats obtenus montrent la nature des dommages matériels, sanitaires
et moraux, poussant les habitants à développer des stratégies de contournement des difficultés rencontrées. Ammara Bekkouche a abordé la question du « déséquilibre environnemental au prisme de l’urbanisme écologique en relation aux notions de risque et d’incertitude ». Dans le cas des pandémies, « il semble pertinent d’établir une base de données encyclopédiques impliquant des plans d’action sanitaire, la lutte contre les maladies, ….à inscrire dans le cadre de la recherche innovante. » (p. 126). L’enquête de Madani Safar Zitoun révèle des « réponses habitantes contrastées à la crise des mobilités ». À cet égard, il soutient la pertinence d’« une entrée d’analyse par la problématique de la mobilité spatiale, dans ses divers aspects, étant donné que le confinement est par définition une action forte de gel de toute mobilité… » (p. 139).
Pour une approche géographique de la pandémie du coronavirus en Algérie, Mohamed Hadeid a établi « une cartographie scientifique et utile » en réponse à une requête ministérielle orientant ainsi la réflexion sur les effets subis par la population. Aussi, sur la base de données du ministère de la santé, plusieurs cartes ont été élaborées suivant différentes échelles territoriales et des graphiques donnant les taux de létalité et de guérison. Au registre du transport collectif et sa « mission de service public », Sid-Ahmed Souiah, Rachid Nourine et Nejwa Bakhti (qui focalise son analyse sur la catégorie féminine), émettent le souhait d’attirer l’attention des « Pouvoirs Publics » sur les risques alors encourus à cause des effets de la pandémie ». Mais avec le recul de l’instant présent, qu’en est-il finalement de « l’application des gestes barrières ?
En marge des craintes et des inquiétudes dominantes, des conjonctures apaisantes nous sont servies par le biais de la culture au croisement de la littérature populaire, le patrimoine ancien, l’anthropologie linguistique, la philosophie,… Elles révèlent enfin des singularités concrètes qu’il faut considérer comme des circonstances pour l’enrichissement intellectuel et spirituel. Les effets du confinement et son alter ego « l’isolement » sont perçus par Soraya Mouloudji comme des opportunités à saisir pour écrire. « L'imagination et l'écriture deviennent inévitablement l'état de vie ultime, tandis que... « Ne pas écrire » est l’état ultime de la mort. »
(p. 27). Mohamed Hirreche-Baghdad enchaîne sur la « réalité des arts plastiques » montrant comment la période post-pandémique peut être un terrain fertile pour cultiver l’optimisme. Le survol historique de Hamdadou Benamar autour des « littératures des épidémies et des pathologies dans la culture populaire maghrébine » montre ses multiples interprétations et les facteurs de leur émergence. L’analyse du « poème de Mohamed Lousra sur le coronavirus » par Lamya Fardeheb, illustre l’immédiateté réactive à l’événement. Dans le terrain de la linguistiqueAbdelhamid Belhadj Hacenobserve les effets générés par Covid-19 « entre basculement paradigmatique et bouleversement syntagmatique ». Ils rapportent ainsi « des nouveaux mots et expressions qui ont émergé durant cette crise et qui dénotent une inventivité langagière particulière » (p. 198). Le domaine du religieux investi par Djilali El Mestari, qui occupe une place culminante dans la société algérienne, a accepté la fermeture des mosquées en période de confinement suite aux recommandations sans conteste du secteur médical.
Points de convergence et idées communes aux ouvrages
S’il est un premier point commun aux cinquante-deux auteurs qui ont analysé la situation de la pandémie Covid-19, c’est bien évidemment sa corrélation avec le concept de crise. Qualifiée de mondiale et sanitaire elle est en somme humanitaire et multidimensionnelle aux impacts sociaux, économiques, écologiques. Controversée pour sa gestion aléatoire, elle se caractérise par l’aggravation de la pauvreté et la prolifération de la peur évoluant ainsi en crise de confiance à l’égard des équipes dirigeantes.
En outre, d’aucuns préconisent de tirer des leçons de la crise et de changer de vision pour engager la recherche innovante tant au niveau théorique qu’opérationnel (observatoire des distances socio-spatiales, base de données encyclopédiques, biomédecine, réinventer de nouvelles méthodes de gouvernance …). Les autres thèmes récurrents évoquent les conditions de la bonne gouvernance :
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Le changement de paradigmes vis-à-vis de la nature et de l’environnement à adapter aux nouveaux besoins de l’humanité.
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Décentraliser les axes d’intervention et accorder l’importance au localpour une meilleure représentation des données à traiter.
Enfin une alternative commune dans les domaines des arts et de la culture, se distingue par son optimiste pour faire face au désœuvrement du confinement. Entre autres bienfaits de la solidarité collective, apparaissent aussi des instants de plaisirs potentiellement créatifs et facteur de résilience.
Points de divergence : différences d'approches ou d'opinions
Les deux premiers ouvrages d’auteur traitant le thème de la pandémie se distinguent par leur approche respective :
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Celle de Sonia Shah se présente comme un retour d’expérience à la fois professionnelle pour avoir enquêté sur plusieurs épidémies dans le monde (Choléra, Ébola, SRAS,…), et personnelle pour avoir elle-même vécu des circonstances particulières liées à la maladie et sa médication. Elle se situe en partie prenante dans la démonstration des faits sans concéder aux règles de la rigueur scientifique.
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Celle de Michel Innocent Peya, plutôt proche de la vulgarisation, ne se conforme pas à une méthodologie scientifique stricte.
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Quant aux deux ouvrages collectifs, ils se différencient par leur structuration :
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Sous la direction de Guy Burgel, articulant trois parties thématiques réservant à la dernière partie, des perspectives possibles
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Sous la co-direction de Soraya Mouloudji, et Djilali El Mestari, séparant les articles en langues arabe et française, classés selon les thèmes de la citoyenneté, les institutions (sanitaires, cultuelles, scolaires et universitaires), l’espace urbain et géographique, la mobilité et le transport, l’action culturelle.
Synthèse et conclusion
La lecture croisée des quatre ouvrages qui se sont intéressés à la pandémie de la Covid-19 durant la période de son expansion, nous offre une vue d’ensemble qui permet d’appréhender quelques aspects de sa portée et ses impacts. La synthèse des différentes approches du problème traité, se décline en points de convergence s’agissant des retombées rapportées à l’écologie, et de divergence quant à la méthode épistémologique de chacun.
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L’approche historique de Sonia Shah, explore l’origine des épidémies, des coronavirus au choléra. Son approche met en lumière les impacts de l’équilibre écologique perturbé par le développement industriel d’une part ; des épidémies sur la société, la santé publique et les systèmes de soins de santé, d’autre part. Elle relie les maladies infectieuses aux conditions de vie des populations, à la biodiversité ainsi qu’à la prévention et la lutte contre ces maladies. L’hypothèse de la globalisation et propagation du virus, est examinée pour montrer comment l’interconnexion mondiale, les voyages internationaux et les échanges commerciaux ont contribué à la propagation rapide des épidémies.
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Michel Innocent Peya examine les liens entre la crise sanitaire de la Covid-19 et les problèmes écologiques mondiaux. Sous le rapport de l’écologie et la santé, il met en évidence les conséquences de la pandémie sur la santé humaine et l’environnement. A travers les vulnérabilités systémiques de notre société, il met en évidence les crises multidimensionnelles déclenchées par la pandémie, notamment en matière de santé, d’économie et d’environnement.
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L’ouvrage collectif sous la direction de Guy Burgel étudie l’impact de la pandémie sur les villes en abordant les sujets des infrastructures, leur organisation sociale et leur dynamique économique. Dans la conjecture de l’adaptation des villes pour faire face à la pandémie, les auteurs analysent les mesures prises telles que le confinement, les restrictions de déplacement et les changements dans l’utilisation de l’espace urbain. La dernière partie consacrée aux perspectives possibles vise à repenser la ville dans un contexte de pandémie. Elles offrent des pistes de réflexion pour façonner des villes plus résilientes, inclusives et durables à l’ère post-pandémique. Elles signalent en substance les problématiques du lien entre les connaissances scientifiques et la planification urbaine ; les processus du renouvellement urbain ; les enjeux de la résilience, la cohésion sociale et de la gouvernance urbaine ; les changements nécessaires pour façonner l’avenir des villes ; les dilemmes entre densité et construction tenant compte de l’équilibre entre développement et préservation de la qualité de vie.
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L’ouvrage collectif co-dirigé par Soraya Mouloudji et Djilali El Mestari, explore divers aspects de la pandémie offrant une réflexion approfondie sur ses multiples impacts en Algérie et au-delà. Les articles rédigés en français et en arabe, reflètent ainsi la diversité linguistique et culturelle des approches multidisciplinaires allant des sciences sociales à la santé mentale, en passant par l’économie, l’urbanisme et la littérature. Couvrant un large éventail de sujets, les thèmes abordés s’intéressent aux conséquences de la pandémie sur la société, la santé, l’économie et l’environnement. Au titre des répercussions sociales, il est montré comment la pandémie a affecté les sociétés, les relations interpersonnelles, les inégalités et les dynamiques communautaires ainsi que les réponses collectives des communautés, des gouvernements et des organisations face à la crise sanitaire.
Des sujets tels que la solidarité, l’urbanisme écologique, les inégalités sociales, la résilience et les stratégies d’adaptation sont examinés par des chercheurs, des universitaires et des experts de divers domaines, offrant une perspective holistique sur la crise sanitaire. En somme, l’ouvrage « Société(s) et pandémie », aide à comprendre les enjeux complexes liés à la pandémie pour envisager des solutions durables dans un contexte en constante évolution.
En tout état de cause, les questions cruciales et multidimensionnelles qui ont été abordées, reflètent la complexité de la pandémie et la variété autant que la complémentarité des recommandations mises en perspectives. La connaissance produite ouvre ainsi des pistes de réflexion sur les menaces auxquels le monde est et sera confronté. En ce sens et entre autres défis humanitaires, il s’agit notamment de la santé mondiale en relation avec la justice sociale, le réchauffement climatique, la pollution et la dégradation de la biodiversité, l’aménagement urbain à l’interface de toutes les disciplines de l’urbanisme.
Aveclerecul, et sachant que certains pays comme la Suède, le Belarus et la Tanzanie n’avaient pas suivi les recommandations strictes de l’OMS, on pourrait souhaiter que des études à venir puissent développer des cas africains, d’autant plus que selon Michel Innocent Peya c’est « le continent le moins touché en termes de taux de létalité » (p. 5). L’hypothèse est prometteuse.
Ammara BEKKOUCHE
1. Covid-19 est utilisé aussi bien au féminin qu’au masculin ; nous conservons la forme employée par l’auteur.