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L’Université pendant le Covid et l’alternative au présentiel : quelle continuité pédagogique ?


Zoubida RABAHI-SENOUCI: École Nationale Polytechnique Maurice Audin, (ENPO), 31 000, Oran, Algérie.


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Dans le monde de l’éducation, l’enseignement en présentiel est la forme scolaire traditionnelle la plus répandue. Ce mode d’enseignement est exclusif dans le système éducatif algérien, de l’école primaire à l’université, toutefois, ce mode a été bouleversé par la crise sanitaire du Covid-19 où le confinement a contraint au déplacement de l’école à la maison (Rayou & Ria, 2020), du jour au lendemain. À l’instar de nombreux pays, l’Algérie a mis à l’arrêt, en mars 2020, les établissements scolaires et les universités. Cependant, il a bien fallu assurer la continuité pédagogique, et les injonctions du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique ont imposé le recours à l’enseignement à distance pour éviter une rupture totale dans la scolarité. Le numérique a donc été présenté comme l’alternative au présentiel afin de terminer un semestre qui, en mars 2020, venait tout juste d’être entamé. Aussi, enseignants et étudiants ont été contraints de vivre une situation inédite dans l’urgence. Les enseignants ont été confrontés au défi de terminer le programme et d’évaluer les apprentissages de leurs étudiants en adoptant un mode d’enseignement/apprentissage nouveau pour la grande majorité d’entre eux et pour lequel ils n’étaient pas suffisamment préparés. Les étudiants ont également vécu cette situation de confinement dans des conditions non propices à recevoir un enseignement à distance auquel très peu d’entre eux étaient familiers.

La problématique soulevée dans cet article porte sur la manière dont chacun a vécu cette continuité pédagogique. Dans quelles conditions matérielles, psychologiques, cognitives et avec quelle préparation et quelles compétences allait être assurée cette continuité pédagogique par les enseignants et leurs étudiants ? Quelles en ont été les difficultés pour les uns et les autres? Quelles ont été leurs pratiques d’enseignement/apprentissage pendant et après le confinement ? Les manières d’apprendre et d’enseigner ont-elles été repensées ? Quel a été l’impact sur la qualité de la formation universitaire ?

Contexte et réponses aux injonctions institutionnelles

Bien que l'enseignement à distance ait été imposé de manière urgente en raison du confinement, il est raisonnable de supposer que cette continuité pédagogique numérique aurait des répercussions sur la qualité de la formation, qui avait déjà été largement critiquée. C’est pour cela qu’un rappel de la situation de l’université avant Covid-19 et de l’enseignement supérieur peut anticiper les possibles contraintes susceptibles de faire obstacle à une continuité pédagogique sinon de qualité du moins comparable à celle assurée jusque-là en présentiel. Depuis des décennies, l’enseignement supérieur connait de nombreux dysfonctionnements suite notamment à une massification galopante (Guerrid, 1998, 2014 ; Miliani, 2009 ; Miliani & Sebaa, 2021 ; Ghouati, 2015). Les effectifs pléthoriques sont ainsi exposés à un taux d’échec très important essentiellement en première année. La majorité des enseignants privilégiant le mode d’enseignement transmissif maintiennent l’étudiant dans la passivité et le manque d’autonomie. Dans ce modèle pédagogique qui reste dominant, l’usage du numérique est quasiment absent. La réforme LMD, mise en œuvre en Algérie en 2004, devait contribuer à une meilleure efficacité de l’université, de sa pédagogie et de la réussite de ses étudiants. La qualité des apprentissages y est possible grâce à une plus grande autonomie des étudiants où une part importante de travail personnel soutenu par un tutorat de la part d’enseignants formés. Selon Romainville et Rege Colet (2006), face aux mutations que vivent beaucoup d’universités confrontées aux problèmes de massification et d’hétérogénéité des publics, la formation des enseignants représente un enjeu majeur. La préoccupation pédagogique doit s’imposer pour relever le défi de la qualité de l’enseignement supérieur, sans pour autant secondariser la mission de la recherche. Et l’usage du numérique doit dorénavant faire partie des pratiques pédagogiques universitaires, (Massou & Lavielle-Gutnik, 2017 ; Amadieu & Tricot, 2020). La maitrise de la compétence en Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE) trouve sa place dans les référentiels de compétences qui balisent dorénavant les formations destinées à tout nouveau candidat à l’enseignement supérieur. Pour l’université algérienne , la nécessité de former les enseignants nouvellement recrutés, a été décidée et appliquée à partir de 2016. L’arrêté 932 du 28 juillet 2016, en fixe les modalités et dans son article 2, on peut lire :

« L’accompagnement pédagogique a pour objet, l’acquisition par l’enseignant chercheur nouvellement recruté, durant la période d’essai, de connaissances et de compétences aux métiers de l’enseignement universitaire ».

Cette formation déclinée en douze compétences1 se rapportant à cinq domaines : « TICE, Réglementation, LMD, Pédagogie, Didactique, Évaluation » accorde la première position à la compétence C1 « Utilisation des outils didactiques classiques et modernes (TICE)2. Cependant, on peut supposer que juste avant la pandémie, la formation aux TICE est embryonnaire puisqu’elle est récente et qu’elle ne concerne, dans chaque établissement universitaire , qu’un nombre réduit d’enseignants notamment ceux « nouvellement recrutés » et que l’établissement qui les recrute doit les prendre en charge en leur assurant une formation pédagogique, dont une partie est consacrée aux TICE. Dans le cadre de l’application de l’arrêté de juillet 2016, et la mise en œuvre de cette formation, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique a exhorté les chefs d’établissements à « procéder à la mise en place de plateformes d’apprentissage en ligne Moodle, en réservant l’espace, le réseau et le matériel utile ainsi que l’encadrement humain pouvant être mobilisés »3.

Dans le contexte actuel où l'université algérienne fait l'objet de critiques multiples, il est essentiel de souligner que la formation commence à peine à être perçue comme un levier potentiel pour améliorer la pédagogie universitaire. La pandémie a alors émergé, rendant l'enseignement à distance une alternative incontournable au mode présentiel. Aussi, l’hypothèse qui peut être émise serait la suivante : les injonctions du Ministère, lorsque le confinement s’est imposé avec la fermeture des établissements, ont répondu à une volonté de maîtriser la situation inédite, mais ignoraient la place réelle du numérique et de son usage dans les pratiques des enseignants et des étudiants. Cet usage du numérique « pédagogique », qui était quasiment absent dans les pratiques habituelles des acteurs de l’université algérienne, pouvait compromettre la qualité de la formation et des apprentissages. Assurer la continuité pédagogique, en mettant les cours en ligne afin d’éviter toute rupture de scolarité, dans l’ensemble respecté.

Quels bilans faits par les Conférences régionales universitaires ? (CRU)

Sur la base des bilans collectés en mai 2020 par les trois Conférences universitaires régionales, les données relatives à l’état d’avancement dans les programmes d’enseignement au cours de ce deuxième semestre 2020, donnent à penser que l’ensemble des établissements universitaires ont eu recours au numérique et ainsi répondu favorablement aux prescriptions du ministère.

Tableau 1 : Taux des cours mis en ligne

 

CRU Ouest

CRU Centre

CRU Est

National

Universités et Centres Universitaires

74,44

73,32

81,82

76,53

E. Supérieures

91,98

91,75

84,21

89,31

Écoles Normales Supérieures

63,71

83,36

74,69

73,92

Sciences. Médicales
et vétérinaires

84,25

92,55

81,49

86,10

Source :Cruo4.

Si les établissements ont répondu aux injonctions institutionnelles, la question est de savoir si toutes les activités pédagogiques ont fait l’objet de continuité pédagogique et selon quel mode. Le mode synchrone, en utilisant certains outils numériques maintient la relation pédagogique et des interactions à l’inverse du mode asynchrone (Jezegou, 2019). Cependant, qu’il s’agisse de cours, de travaux dirigés ou de travaux pratiques dispensés en mode asynchrone ou synchrone, la maitrise des outils numériques, est nécessaire. Or, malgré les statistiques recueillies qui semblent plaider pour une continuité pédagogique acceptable, voire sans problèmes dans un contexte de confinement total, la nécessité de se pencher sur les activités citées plus haut et qui détermine la qualité de la formation dans certains cursus s’impose.

Figure 1 : Bilan des différentes activités pédagogiques en mode asynchrone

Source : Cruo.

Le mode asynchrone consiste à mettre les activités pédagogiques en ligne sans qu’il y ait présence d’étudiants ; les interactions sont différées. La figure ci-dessus montre qu’à l’échelle nationale, la continuité pédagogique a été assurée en mode asynchrone ; il a été dominant au niveau de tous les établissements universitaires. Les enseignants y ont eu largement recours essentiellement pour les cours qui viennent en tête avec 85% et une supériorité dans les établissements du centre (91%).Quant aux travaux dirigés, ils ont été assurés en moyenne à plus de 70% puisqu’ils oscillent, selon les régions , entre 63% (CRUE), 81% (CRUC) et 72% (CRUO). Les travaux pratiques viennent en dernière position car ils n’ont été assurés qu’a 43% à l’échelle nationale.

Figure 2 : Bilan des activités pédagogiques  en mode synchrone

 

Source: Cruo.

La figure 2 montre que le mode synchrone n’a pas été très utilisé comparativement au mode asynchrone. Les cours et les travaux dirigés n’ont représenté que 22% à l’échelle nationale ; les travaux pratiques n’ont presque pas été assurés (11%).

Si les bilans établis par les conférences régionales pouvaient prouver que l’enseignement à distance contribuait largement à la continuité pédagogique, ils révèlent que seulement 70% des enseignants ont produit des supports pédagogiques et seuls 52% des étudiants y ont eu accès. 22% des enseignants ont été en mesure de réaliser des activités interactives en mode synchrone. Quant aux évaluations des apprentissages en ligne , elles n’ont été réalisées qu’à 20% fin de l’année universitaire. On peut en déduire que l’enseignement à distance en cette fin de semestre 2020 n’a pas permis beaucoup d’interactions entre les deux acteurs. La relation pédagogique enseignant/étudiants a donc été largement absente et les activités pédagogiques de ce semestre, à distance, devaient être prolongées pendant les mois d’août et septembre afin de procéder aux évaluations en présentiel en octobre, voire en novembre 2020.

À l’instar de tous les établissements universitaires, l’École nationale polytechnique d’Oran s’est trouvée contrainte de décaler toutes les activités pédagogiques et , de ce fait, entamer tardivement une nouvelle année universitaire selon un autre dispositif : le modèle hybride puisque le confinement n’était plus total.

Quel bilan du dispositif de l’enseignement hybride en 2020/2021 ?

L’enseignement hybride et « le système de vagues »5, au cours de l’année universitaire 2020 /2021, a été décidé par la tutelle dans le but d’assurer aux étudiants une continuité pédagogique moins contraignante qu’en période de confinement total. Les étudiants pouvaient rejoindre les salles de classe par petits groupes selon un calendrier fixé avec l’exigence de porter des masques pour limiter les risques de contamination. Ce dispositif est-t-il plus efficace ? L’objet de l’interrogation dans cet article devrait être l’efficacité de « cette manière d’enseigner et d’apprendre » et non pas l’analyse des résultats et des statistiques fournis. Comme nous venons de le voir plus haut, les bilans officiels enregistrés par les Conférences régionales universitaires6, pendant le confinement, ont pu donner une image d’un semestre « sauvé », dans la mesure où l’institution devait éviter la rupture pédagogique et ses conséquences qui auraient pu être désastreuses.

Cependant, l'enseignement à distance recommandé a-t-il véritablement porté ses fruits ? Les établissements signalent que 43% d'entre eux rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre de l'enseignement hybride, soulignant notamment les problèmes d'accès aux plateformes pour de nombreux étudiants, souvent en raison de l'insuffisance des ressources, ainsi que la qualité médiocre des connexions Internet.

Méthodologie

Pour répondre à notre questionnement, nous avons ciblé un établissement universitaire qui, sans être représentatif des Écoles supérieures, pouvait néanmoins nous éclairer sur une possible différence avec la situation des universités et ce, de par la spécificité de sa mission, et de la formation qu’il dispense : l’École nationale polytechnique d’Oran (ENPO)7. En optant pour une approche qualitative, nous avons tenté de décrire et de comprendre la réalité de la continuité pédagogique que L’ENPO a assuré à travers la pratique d’enseignement/apprentissage de ses acteurs. C’est donc une enquête exploratoire par entretiens que nous avons menée auprès d’enseignants et d’élèves ingénieurs de cet établissement.

Les enseignants

Onze enseignants des départements8 de génie électrique, génie mécanique, génie civil et de management industriel ont été approchés selon leur disponibilité. Ils ont été invités à s’exprimer sur la continuité pédagogique et ses modalités selon trois temporalités : l’avant Covid, pendant le confinement et l’après Covid jusqu’ à l’année universitaire 2021/2022, voire jusqu’à 2022/ 2023, date des entretiens qui ont été menés en décembre 2022 et janvier 2023. Le choix de cette année universitaire nous a paru pertinent pour saisir, à posteriori , la réalité de la continuité pédagogique en enseignant à distance. Nous leur avons demandé de porter un regard rétrospectif sur une situation de crise sanitaire et son impact sur les pratiques pédagogiques et sur la qualité des apprentissages de leurs élèves ingénieurs. Chaque entretien semi-directif d’une durée en moyenne d’une heure, a eu lieu dans leurs départements respectifs, souvent après leurs cours ou dans leurs laboratoires. Nous avons veillé à diversifier les profils de nos enquêtés en fonction de plusieurs caractéristiques, s’articulant autour du grade (4 professeurs, 5 maîtres de conférences, 2 maîtres assistants classe A), de l’ancienneté (de 5 à 10 ans, de 20 à 30 ans, plus de 30 ans), de la discipline enseignée, et du type d’enseignement assuré (fondamental, de découverte ou transversal). Il faut signaler que dans une école d’ingénieurs comme l’ENPO, la majorité des enseignants sont des « technologues ». Les enseignants en sciences humaines y sont minoritaires, compte tenu des programmes de formation des élèves ingénieurs qui n’accordent qu’une faible partie aux matières telles que les langues et les modules « éthique de la formation », « conduite de projet » , ou « initiation à la recherche ». Les entretiens ont concerné neuf enseignants et deux enseignantes : Le guide d’entretien s’est articulé autour des thèmes suivants :

- L’annonce du confinement et l’engagement dans la continuité pédagogique,

- Les difficultés rencontrées pour assurer la continuité pédagogique,

- L’utilisation dans leur enseignement des technologies numériques avant la crise,

- Le degré de maitrise des outils numériques et leur utilisation avant, pendant le confinement et pendant les années post Covid,

- La relation avec leurs étudiants et le regard porté sur la qualité des apprentissages.

Les étudiants

Tout comme avec les enseignants, c’est leur discours sur leur vécu et sur l’enseignement à distance comme alternative au présentiel que nous voulions recueillir et analyser pour appréhender. Nous nous sommes adressés aux élèves ingénieurs de 5 ème année (Master). Le choix de ces étudiants nous a été suggéré par le fait qu’ils étaient, en mars 2020, à la fermeture de l’École, en deuxième année préparatoire, année du concours pour entrer en spécialité d’ingéniorat. Entre décembre 2022, et janvier 2023, nous avons organisé des focus-group avec 62 élèves ingénieurs en Master dans différentes spécialités (électronique, électrotechnique, automatique, productique, génie civil, management industriel). Au total, cinq focus-group ont eu lieu : trois avec les étudiants d’électronique et systèmes embarqués, (04 étudiantes et 08 étudiants), automatique (05 et 07) et électrotechnique (06 et 09). Les deux autres ont regroupé des étudiants d’autres spécialités ; l’un regroupant 05 étudiantes et 06 étudiants, l’autre 08 étudiantes et 04 étudiants. Ces entretiens nous ont été facilités par l’intermédiaire des délégués d’étudiants9 ; ils ont été conduits au sein de l’école et principalement au département de génie électrique. Leur durée a varié entre une et deux heures. Le guide d’entretien a été construit autour des thèmes suivants :

- L’annonce du confinement et l’engagement dans la continuité pédagogique (Comment avez-vous vécu le confinement et la continuité pédagogique pour préparer le concours en 2019/ 2020 ?),

- Les difficultés rencontrées en enseignement à distance,

- L’aide apportée par vos enseignants et le degré de satisfaction concernant vos apprentissages,

- La reprise du système hybride au cours de l’année 2020/2021,

- L’expérience de l’enseignement à distance a-t-elle eu des conséquences sur vos apprentissages d’élèves ingénieurs de la promotion 2022/2023 ?

En complément, nous avons exploité les questions adressées aux étudiants dans le cadre d’une enquête nationale menée en 2021 par le Crasc10 et à laquelle nous avons collaboré. L’objectif principal de cette enquête était d’analyser le vécu des familles pendant la crise sanitaire; elle a concerné 1200 ménages.  Le questionnaire de cette enquête a comporté une partie s’intéressant à la scolarité des enfants de ces ménages, écoliers, collégiens lycéens et étudiants. Nous avons jugé pertinent de porter un regard sur d’autres étudiants et dans le cadre de cet article, d’exploiter les réponses aux questions qui ont ciblé la scolarité de ces 250 étudiants appartenant à ces familles. Ces questions portaient essentiellement sur l’enseignement à distance et les difficultés rencontrées.

Résultats

Les enseignants : compétence pédagogique ébranlée face à l’enseignement à distance

L’annonce du confinement

Comment les enseignants d’une école d’ingénieurs ont-ils assuré la continuité pédagogique ?

Le confinement et la fermeture de l’école ont été perçu comme une très mauvaise nouvelle, ils ne s’y attendaient pas vraiment, bien qu’ils suivaient l’évolution de la pandémie avec « angoisse et parfois panique ». Ils parlent des premiers jours de confinement de surprise, de peur, d’indécision. Et lorsque le Ministère impose l’enseignement à distance , ils estiment que « c’est tout à fait normal de terminer le semestre ». À ce stade et à l’instar de beaucoup d’enseignants d’autres pays et comme l’affirme Dubet, (2020, p. 109) : « le virus a révélé une capacité de mobilisation, une générosité et une inventivité de la plupart des enseignants qu’aucun ministre n’aurait obtenues. De la grande section de maternelle à l’université, les enseignants n’ont pas laissé tomber leurs élèves et leurs étudiants ».

Ainsi, les enseignants se sont sentis prêts à répondre aux injonctions du Ministère. Oui, mais comment ? Avec quels moyens ? L’expectative a dominé pour certains d’entre-eux attendant que l’administration les aide dans ce qui est apparu, pour certains d’entre-eux, comme « un défi énorme ». Puis, il a fallu agir « dans l’intérêt des étudiants ». « Moi je savais que mes étudiants allaient passer le concours qu’il fallait les aider à tout prix. Enfin, « même avec les moyens du bord », faisant allusion à ses faibles connaissances en pédagogie numérique. Pour Karsenty & Parent (2020), « enseigner à distance, c’est enseigner à des apprenants qui ne sont pas en face de soi ». La motivation à apprendre est différente. Les interactions aussi. La question de l’isolement prend une tout autre signification. Enseigner à distance, c’est apprendre à vaincre la distance. Une distance spatiale, technologique, temporelle, culturelle, sociale, affective, et surtout pédagogique (la plus difficile à vaincre).

Dès lors, comment entreprendre un enseignement à distance quand la compétence numérique fait défaut chez la plupart d’entre-eux et que les contraintes matérielles découragent plus d’un ?  À l’annonce du confinement, les enseignants ont été « choqués » par le recours au tout distanciel parce que ce mode d’enseignement ne faisait pas partie de leurs pratiques pédagogiques habituelles. La plupart évoque un « engagement et un sens des responsabilités ». Aussi, chacun a réagi selon ce qu’il estimait être « important pour les étudiants ».

Une implication différenciée

Les enseignants en charge d’unités d’enseignement fondamental se sont sentis plus impliqués dans la continuité pédagogique, surtout lorsque leurs modules constituent des pré-requis pour l’année suivante. À l’exemple de cet enseignant de 4 ème année qui estime son cours « indispensable pour pouvoir suivre la cinquième année ». De même,ceux qui enseignaient en année préparatoire se disent avoir été désemparés au début mais « il ne fallait pas laisser tomber la préparation au concours » de leurs étudiants. Ainsi, à des degrés différents, la responsabilité professionnelle est évoquée en même temps que le désarroi devant la non maitrise des outils numériques chez la majorité d’entre-eux. C’est ce qui les a rendus quelque peu « vulnérables » devant l’urgence de la tâche. La plupart n’a jamais utilisé une plateforme avant la pandémie parce qu’ils n’en éprouvaient pas l’utilité, puisque tous leurs cours étaient en présentiel. En mettant en avant leur compétence pédagogique traditionnelle dans le face à face avec leurs étudiants :

« pendant 30 ans, j’ai enseigné avec la craie et le tableau, avec le rétroprojecteur et les transparents, je me suis mis au vidéo projecteur, mais enseigner à distance du jour au lendemain... je ne l’avais pas imaginé ». (Pr. département de génie électrique).

Les plus anciens assument leur manque de compétence numérique et insistent sur leur pratique pédagogique et didactique en présentiel :

« j’ai toujours enseigné en veillant à ce que mes étudiants comprennent et participent… pour moi c’est l’essentiel… Ces dernières années, dans mon cours, j’utilise le vidéo projecteur, mes Power-Point sont complétés par des polycopiés que je leur distribue ». (Professeur au département de génie mécanique).

Ces propos sont tenus par de nombreux enseignants. Cependant , une fois que le recours au distanciel a été imposé, ils ont pris la mesure des difficultés et chacun a cherché la solution pour les surmonter. Dans l’urgence, ils ont fait appel à des proches, à des collègues plus compétents ou à toute autre personne susceptible de les aider. « J’ai appelé des collègues qui ont les mêmes étudiants que moi et on s’est entraidés » nous dit l’un-d’eux quand l’autre ajoute : « comment terminer un programme pour mes 4 ème année ou aider mes 5 ème année pour leur mémoire d’ingéniorat sans l’aide de mon fils ?». En général, cette première population d’enseignants dont l’ancienneté se situe au-delà de 25 ans déplore, que EAD (l’enseignement à distance) ait été « trop difficile »,    « trop laborieux », « épuisant », même à cause de la non maîtrise de l’outil numérique, du manque de soutien de la part de l’institution et surtout des difficultés d’Internet. Tous évoquent leur public d’étudiants tout aussi vulnérable qu’eux, en termes de communication Internet et, de ce fait , ils se sont contentés de mettre des cours en ligne « parfois comme des bouteilles à la mer ».

Nous avons rencontré une deuxième catégorie d’enseignants, ayant moins de 10 ans d’ancienneté, qui affirment n’avoir « pas paniqué » parce que plus familiers de la plateforme et des outils numériques. Ils déclarent qu’ils ont « essayé de maintenir le contact» avec leurs étudiants et « transmis le maximum du programme » en utilisant différentes ressources telles que « Zoom, Googleclassrom, Googlemeet, Youtube », et ce malgré « la connexion catastrophique ». Ils ont « tenté le mode synchrone » telle cette enseignante qui dit utiliser souvent la plateforme Moodle :

« en utilisant Zoom pendant le confinement, j’ai souffert … car toute les 40 minutes ça s’arrêtait, il fallait attendre, reprendre, entre temps les étudiants disparaissaient. Sur un groupe de 25, seuls 10 étudiants étaient là... parfois moins ».

En mode synchrone les absences se sont avérées nombreuses et la démobilisation s’installait au fur et à mesure que le confinement continuait. L’absence des étudiants et leur manque de réaction ont été signalés par ces enseignants qui ont voulu, dans un premier temps, recourir au mode synchrone et qui se sont découragés par la suite. « Parfois, je savais qu’il y avait quelqu’un derrière l’écran mais aucune réaction, aucune question », affirme cet enseignant qui donnait rendez-vous, par le biais du délégué, pour maintenir une communication en mode synchrone. Il dit y avoir renoncé et s’est « contenté de déposer des cours sur la plateforme ». La plupart y ont renoncé et le mode asynchrone a pris le dessus. Ces propos illustrent les difficultés qu’ont rencontrées la plupart des enseignants interrogés. Aux problèmes d’Internet se sont rajoutées d’autres contraintes comme celle rapportée par cet enseignant « très à l’aise » avec la « technologie numérique » et qui met l’accent sur l’exigüité de son logement :

« j’habite un petit appartement avec deux enfants en bas âge, dans la journée, il m’était difficile de m’isoler pour travailler, j’attendais tard dans la nuit pour enregistrer mon cours, faire des vidéos et essayer de l’envoyer au délégué d’étudiants, c’est lui qui se chargeait de l’envoyer à ses camarades… Évidemment lui comme moi, on était victime de la mauvaise connexion ».

Jusqu’à l’automne 2020, les enseignants, quels que soient leur ancienneté et le degré de maîtrise numérique, disent « avoir souffert » pour « terminer le programme dans ses grandes lignes » et tout cela « en bricolant pour sauver l’année ».

La relation pédagogique : des étudiants démobilisés et absents

L’enseignement à distance a-t-il maintenu la relation pédagogique ? Le mode synchrone qui permet des interactions en temps réel n’a été utilisé que par une minorité d’enseignants. Mais même en mode asynchrone, largement utilisé, les interactions en différé, orales ou par écrit, ont été rares selon les enseignants. Interrogés sur le comportement de leurs étudiants pendant le confinement, ils ont tenu à rappeler d’abord la situation avant Covid. Même en présentiel, le manque de motivation et d’autonomie des étudiants reste la norme ; ils ne sont pas habitués à participer, à poser des questions, à travailler en autonomie. Pourtant, la part de travail personnel, telle que prévue dans la réforme LMD est importante en volume horaire et en termes de construction de compétences (Karsenty, 2019, 2020). Ils s’accommodent beaucoup plus du format pédagogique transmissif les plaçant en situation de consommateurs. Les enseignants interrogés s’attendaient donc aux mêmes comportements. Ils savaient que le confinement allait participer à une plus grande démobilisation et les démotiver davantage, Cependant,ils font preuve de compréhension tout en déplorant les difficultés des plus vulnérables :

« avec le confinement, les problèmes matériels, psychologiques, on a des étudiants plus démotivés qu’avant Covid … Les premiers temps, les délégués ont été mobilisés, ils avaient le contact avec leurs camarades, … Mais après, même eux ont lâché », nous dit cet enseignant de physique.

Communication et demande d’aide de la part des étudiants : absentes

Les enseignants, tout en reconnaissant les difficultés que vivaient les étudiants, leur reprochent leur manque de réactivité, voire même leur absence. Pour ceux qui ont eu la possibilité d’assurer épisodiquement un enseignement en mode synchrone, ils déplorent des comportements de « non-participation ». « On attend qu’ils posent des questions, qu’ils demandent de l’aide mais ils sont très peu à le faire ».Pourtant, dans un contexte pareil, les étudiants auraient amélioré leurs apprentissages en sollicitant davantage leurs enseignants. Quand les enseignants encouragent cette demande d’aide chez leurs étudiants , ces derniers ne réagissaient pas. Les enseignants universitaires nous disent que « les étudiants, après avoir assisté à quelque séances sur la plateforme, disparaissent ».

Que disent-ils des apprentissages des étudiants ?

La rentrée 2020 /2021 a été retardée car les premières semaines ont été consacrées aux examens et au concours 11 qui n’ont pu se faire à distance et tout a été reporté pour l’automne 2020. Le Ministère a instauré, pour l’année 2020/2021, l’enseignement hybride alliant présentiel et distanciel et « le système par vagues », qui permettait un enseignement en présentiel par groupe, une semaine sur deux, en raison de la « distanciation sociale ». L’unité d’enseignement en présentiel a été également réduite à une heure au lieu de 1h 30.

Invités à s’exprimer sur les apprentissages de leurs étudiants, les enseignants reviennent sur l’enseignement à distance et ses multiples contraintes et, de ce fait, estiment que la formation des élèves ingénieurs a été fortement impactée et la somme de lacunes accumulées est importante. Ils mettent l’accent sur le bouleversement des activités pédagogiques pendant le confinement : entre ce qui n’a pas eu lieu et ce qui a été « bâclé », comme les travaux pratiques, les travaux dirigés, les stages en entreprises, l’encadrement des mémoires d’ingéniorat, de Master, les soutenances, qui sont des composantes jugées essentielles dans la formation des élèves ingénieurs. « On ne peut parler d’une formation de qualité, parce qu’il fallait bien faire des examens, on les a faits mais on sait très bien, au Ministère, que les programmes n’ont pas été réalisés correctement. Le Covid a été catastrophique sur les apprentissages des étudiants… Des ingénieurs qui ne peuvent pas faire des TP en distanciel… Moi, en tout cas, je ne sais pas faire ». M. B, enseignant, 25 ans d’ancienneté.

Un enseignant de mathématique déplore, chez ses étudiants de deuxième année préparatoire, le manque de bases : « en première année préparatoire, ce sont de nouveaux bacheliers qui n’ont en réalité fait qu’un semestre, ils ont été confinés pendant le S2… On peut dire qu’ils sont passés en deuxième année prépa avec rien comme connaissances ».

Il est important également de souligner que la filière de formation a pu jouer un rôle important dans le suivi des cours dispensés par leurs enseignants via le numérique. « Moi, j’enseigne en 4 ème et 5èmeannées un module en enseignement fondamental pour un futur ingénieur… Un module à coefficient 5 ; eh bien, je peux dire que les élèves ingénieurs de la promotion " Covid " ont eu beaucoup de lacunes et dans tous les modules clés ». F. A. Pr génie électrique, 30 ans d’ancienneté. « Il y a des chapitres très importants qui sont considérés comme des pré requis en 4 ème année d’ingénieur et qui n’ont pas été faits comme il se doit ». C’est ce que déclare un enseignant se référant aux étudiants de quatrième année qui « étaient en première année préparatoire lors du confinement de mars 2020 ». Ils sont nombreux à évoquer « les lacunes » qui ont affecté l’enseignement en ce deuxième trimestre 2020 et bien après la reprise se référant à l’étudiant, à son mode d’apprendre avec le numérique et surtout aux difficultés rencontrées. Invités à s’exprimer sur le déroulement de l’année 2020/2021, année de la fin du confinement et du retour à la normale avec un enseignement alternant présentiel/distanciel, les enseignants parlent d’un cursus tronqué et d’une formation au rabais lorsqu’ils évoquent les décisions prises par le Ministère dans l’arrêté 12 fixant les dispositions exceptionnelles concernant l’évaluation et la progression des étudiants. « Nous sommes en 2022, je note qu’en matière d’assiduité, de travail personnel, mes élèves ingénieurs ont gardé les habitudes prises pendant le Covid ». Cet enseignant pointe « les comportements indulgents et exceptionnels dont ils ont bénéficié pendant deux années ».

En somme, il apparaît que bien que la plupart des enseignants de l’ENPO aient essayé de s’adapter rapidement à des conditions de confinement, qu'elles soient totales ou partielles, ils expriment une perception défavorable des méthodes d’enseignement et d’apprentissage qu’ils ont été amenés à mettre en œuvre.

Ils se reprochent, en quelque sorte, de n’avoir pas eu les moyens de « booster un peu plus les élèves ingénieurs pour qu’ils travaillent un peu plus ».

Paroles d’étudiants : une continuité pédagogique controversée

L’annonce du confinement, l’enseignement à distance et la préparation du concours

Rappelons que les élèves ingénieurs interrogés en 2022/ 2023 étaient en 2 ème année préparatoire en mars 2020 et à l’annonce du confinement, ils préparaient le concours. Ils parlent du « choc » vécu à l’annonce de la fermeture de l’école en mettant en avant l’enjeu du concours. « Le concours c’était tout pour nous », nous dit un étudiant. Dès lors, comment se sont-ils organisés pour préparer ce concours ? Dans leur grande majorité, les élèves ingénieurs se disent outillés en ordinateurs et smartphones et sans les problèmes de connexion. Ils auraient ainsi « moins souffert ». L’entraide entre camarades a été rapportée par de nombreux étudiants qui, malgré le confinement, disent avoir « bravé » l’interdiction de sortir de chez eux quand ils habitaient la même ville ou le même quartier :

« on allait chez l’un, chez l’autre, on était trois. On se regroupait, à chaque fois chez un camarade et on travaillait ensemble, si on arrivait à avoir une connexion, chacun se dépêchait de télécharger… de consulter ce que les profs ont déposé sur la plateforme ».

Quelques-uns avaient établi des contacts avec des étudiants de l’École nationale polytechnique d’Alger 13 et ils ont échangé avec eux « sur les cours, sur l’aide des profs, sur le concours ». C’est un travail collaboratif et une solidarité qui sont évoqués par plusieurs élèves ingénieurs, trois ans après le confinement. Cela prouve que le concours était un défi et l’enjeu était de surmonter les difficultés imposées par le confinement.

L’expérience de l’enseignement à distance a-t-elle eu des conséquences sur les apprentissages d’élèves ingénieurs de master ?

Interrogés sur les outils numériques, leur utilisation avant la pandémie et sur les pratiques numériques de leurs enseignants, la plupart des élèves ingénieurs mettent en avant le manque d’expérience numérique pour s’approprier les connaissances, étant trop habitués au « bachotage » et aux polycopiés. Même si dans leur grande majorité, ils possèdent des ordinateurs et des smartphones, ils disent que leur utilisation dans le cadre d’un enseignement à distance leur a été très difficile, d’autant que leurs enseignants, eux non plus, n’étaient pas familiers de ce mode d’enseignement. Aussi, quand on a imposé l’enseignement à distance, certains ne savaient pas utiliser la plateforme de l’établissement.

Quelles ont été les interactions avec leurs enseignants ?

Cependant, beaucoup reconnaissent que leurs enseignants ont fait « de leur mieux » pour assurer la continuité pédagogique avec quelques rudiments en numérique. Certains, se permettant de critiquer la compétence numérique de leurs enseignants, mettent en avant la disponibilité, malgré leur manque de préparation à l’enseignement à distance. « Sans être des " as ", ils nous ont vraiment aidés, envoyé des vidéos, des cours qui nous ont aidés pour le concours. Ils bricolaient, mais ils nous ont vraiment aidés, on pouvait leur poser des questions par Skype ou pour certains "par mails ". Certains autres, c’était le silence total, disparus, mais ils déposaient des cours sur la plateforme ».

Une reprise révélatrice de difficultés dans l’enseignement /apprentissage

Les élèves ingénieurs ont passé le concours en octobre 2020 et nous les avons interrogés sur les conséquences du confinement, sur la continuité de l’enseignement apprentissage au cours des semestres des années 2020/2021 jusqu’à 2022. Un regard rétrospectif négatif semble dominer dans le discours des élèves ingénieurs. Tous ont suivi l’enseignement à distance, mais le mode asynchrone auquel ont eu recours les enseignants, dans leur grande majorité, a eu des conséquences négatives sur la suite des apprentissages. Les élèves ingénieurs, arrivés en master en 2022/2023, reconnaissent les lacunes qu’ils ont accumulées au cours des semestres post Covid.

Les difficultés matérielles, et notamment celles liées à la maîtrise des outils numériques qu’ont vécues la grande majorité des étudiants, leur font dire que le confinement les a privés d’apprentissages efficaces et de qualité. Bien au contraire, la continuité pédagogique n’a pas été assurée dans de bonnes conditions. Les problèmes que vivait la communauté universitaire ont été exacerbés. Ceux qui logeaient en cité universitaire, avant la pandémie, souffraient de mauvaises conditions alimentaires et d’études : « à la cité, si on a un pc et pas de connexion. On souffre ou alors, il faut avoir un bon budget pour manger, pour se connecter » .

Que disent les étudiants de la continuité pédagogique à l’échelle nationale?

Il convient de rappeler que 250 étudiants avaient participé à cette enquête nationale, dont l’objectif était l’identification des types de bouleversements dans la vie quotidienne des familles, durant les trois moments de confinement total (mars-juillet 2020), partiel (juillet-août 2020) et adaptatif (2021). Ces étudiants ont été interrogés sur leur vécu universitaire pendant les trois moments cités plus haut. Les résultats ont fait ressortir que 74% d’entre-eux ont suivi l’enseignement à distance pendant le deuxième trimestre 2020. Cependant, pour plus de 60% d’entre-eux, les difficultés qu’ils ont rencontrées concernent ce mode d’enseignement. La compréhension des cours est fréquemment évoquée par cette même proportion. Les raisons évoquées sont le manque de communication avec les enseignants, lorsqu’il s’agit d’être aidé pour la compréhension du cours. Ils disent qu’ils n’en sont pas satisfaits et placent, en première position, les difficultés de connexion. Ceux qui affirment n’avoir pas du tout été aidés par le distanciel représentent 45,6%. À la reprise des cours, à l’automne 2020, 8% des étudiants déclarent avoir rencontré des difficultés à suivre en année supérieure, et au cours de l’année 2020/2021, le mode hybride imposé par le Ministère ne les a guère aidés. Interrogés sur leurs apprentissages et leurs résultats, 80% les jugent insatisfaisants et ils attribuent cela au programme non terminé, à des contenus non assimilés et surtout au manque de communication avec leurs enseignants à cause des problèmes de connexion. Moins du tiers ont apprécié l’alternance présentiel /distanciel (28%). Interrogés sur leur degré de satisfaction de l’année universitaire, 30% se disent satisfaits et 37% pas satisfaits, et pas du tout satisfaits. Ce sont leurs résultats insuffisants pour 82,1%, qui sont à l’origine de cette insatisfaction. 91% des étudiants déclarent ne pas être satisfaits de leur formation pendant la pandémie. Parmi les causes signalées, vient en première position les programmes non achevés, pour 83,2% et les enseignants avec qui ils n’ont pas pu communiquer.

Les données concernant les étudiants montrent clairement que les vécus des élèves ingénieurs comme ceux des étudiants de l’enquête nationale partagent beaucoup de points communs, dont le plus important est l’insatisfaction à l’égard de la continuité pédagogique et son lot de difficultés.

Conclusion

Les résultats de l’enquête montrent clairement que le recours à l’enseignement à distance, tel qu’il a été imposé dès le deuxième semestre 2020 à tous les établissements universitaires du pays, ne pouvait constituer une alternative à la forme scolaire traditionnelle du présentiel, au vu des nombreux obstacles rencontrés aussi bien par les enseignants que par les étudiants. Les bilans collectés par les conférences régionales ont mis en avant un semestre « sauvé », parce que les établissements ont vite répondu aux attentes du Ministère. Cependant, lorsque des activités pédagogiques essentielles, comme les travaux pratiques et les stages n’ont pas pu être assurés, peut-on parler réellement d’une alternative au présentiel ? Les résultats de l’enquête menée à l’ENPO révèlent de fortes similitudes avec ce qui a été constaté à l’échelle nationale en termes de difficultés (Sakrane & Legros, 2021 ; Lassassi & al., 2020). Aucun établissement universitaire n’a échappé aux contraintes de l’enseignement à distance d’ « urgence », un EAD « obligé » (Audran & al., 2021) qui a induit les mêmes effets en termes de continuité pédagogique. On aurait pu supposer que L’ENPO, en tant que grande école, allait assurer la continuité pédagogique dans des conditions différentes de celles assurées dans n’importe quelles universités à l’échelle du pays. Or, il en a été autrement, car les enseignants interrogés en 2022/2023 déplorent le manque de préparation et de moyens qui auraient sans doute limité les « dégâts », en compromettant une formation censée être de qualité. Ils évoquent notamment les deux promotions sorties en 2019/2020 et 2020/2021. Ils précisent que la formation, dans les deux dernières années de spécialité, a été fortement impactées par la Covid 19. Ils confirment également que dans leur grande majorité ils n’avaient, jusqu’à l’annonce du confinement, qu’un usage limité des outils technologiques que certains n’utilisaient qu’à titre de complément à un enseignement en présentiel généralisé et pour lequel l’institution n’a jamais anticipé une quelconque alternative ne serait-ce qu’à titre expérimental. Ainsi, lorsqu’ils se sont trouvés, du jour au lendemain, confrontés au défi de l’enseignement à distance et passé le temps du désarroi, voire de la déstabilisation, chacun a tenté de faire face et surmonter les difficultés à ce manque de préparation. Et si l’usage du mode asynchrone a été dominant, c’est qu’ils y ont reproduit le modèle pédagogique qui leur était familier et qu’ils maitrisaient le mieux. Ils ont affirmé avoir « bricolé » avec l’outil numérique pour garantir un maximum de cours contenus dans le programme à leurs étudiants. Avant la crise sanitaire, les enseignants de l’ENPO mettaient en avant leurs compétences pédagogiques classiques et leur savoir scientifique et technologique, pour assurer une qualité des apprentissages à leurs étudiants, mais avec le confinement, la perception de leur efficacité a été quelque peu ébranlée. Et de ce fait, ils portent un regard négatif sur les apprentissages en distanciel. Cependant, interrogés sur un éventuel changement de pratique pédagogique, ils affirment ne pas être réfractaires à l’usage des outils technologiques, pour peu qu’ils soient formés à leur usage pédagogique.

Les entretiens réalisés avec les élèves ingénieurs ont révélé que les difficultés d’Internet, d’une manière générale, ont impacté leur cursus et leurs apprentissages pendant le confinement et l’année en hybride. En somme, les enseignants les étudiants, mettent en avant leur préférence pour l’enseignement en présentiel bien que, pour la majorité, ce mode d’enseignement n’est certes pas exempt de dysfonctionnements. Le recours au numérique de façon précipitée et sans préparation leur semble inefficace. Envisager un changement par des injonctions ne semble pas mobiliser l’adhésion des uns et des autres.

Les données recueillies dans cette étude soulèvent plusieurs questions. Une formation à l’usage du numérique, aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants, bien que indispensable, ne peut se décréter du jour au lendemain, sans susciter le projet d’une mutation des pratiques pédagogiques universitaires dans leur ensemble et l’adhésion objective des différents acteurs. Si les directives institutionnelles adressées à l’université pour l’usage du numérique sont souvent associées à l’innovation et à la modernité, les données montrent que les pratiques pédagogiques intégrant le numérique ou non, doivent d’abord répondre à des objectifs de qualité des apprentissages. Pour faire face aux problèmes que rencontre l’enseignement supérieur, une mutation dans les pratiques est sans doute incontournable, mais l’entreprendre dans l’urgence et en contexte d’une crise sanitaire sans précédent, n’a pas donné les résultats escomptés.

Il a été observé que les éléments garantissant la continuité pédagogique et offrant une alternative à la situation éducative pré-pandémique demeurent d'actualité. Cela inclut la formation, à des compétences spécifiques pour les enseignants-chercheurs, qui entraînerait inévitablement des transformations dans les méthodes d'appropriation des connaissances par les étudiants, favorisant ainsi leur autonomie. Cela est d'autant plus pertinent lorsque l'institution met en avant les « pôles d'excellence » que représentent les écoles supérieures. Cependant, dans le cadre de la crise sanitaire, la continuité pédagogique à distance a mieux répondu aux objectifs de progression des étudiants et à la gestion des flux.

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Notes :

1. C1 : Utilisation des outils didactiques classiques et modernes (TICE). C2 : L’enseignant chercheur assure un climat cognitif dans le processus d’enseignement : C3 : Prendre conscience du dialogue pédagogique : C4 : Mener une dynamique de développement des compétences de l’étudiant (motivation à l’autodidaxie) C5 : Utilisation des techniques d’animation de groupes en situation pédagogique (TP TD, Stages). C6 : Apprendre le travail collaboratif dans les comités pédagogiques et les équipes de formation. C7 : Initiation à la pratique du tutorat et de l’accompagnement des étudiants (en stage) C8 : Maîtrise de l’expression orale et écrite en situation d’enseignement et de recherche. C9 : Développer les initiatives et l’innovation sur le plan du savoir et du savoir-faire. C10 : Identifier les potentialités de l’action pédagogique. C11 : Évaluer collectivement et individuellement la progression dans l’acquisition du savoir, savoir-faire et savoir être C12 : Utilisation de la grille d’évaluation en rapport aux objectifs du plan de formation de l’établissement

2. À la fin de l’activité, l’enseignant en formation sera capable :

- D’utiliser les nouveaux supports numériques et développer de nouvelles méthodes pédagogiques (production et diffusion de documents, mise en œuvre d’une veille pédagogique) ;

- Accéder aux ressources numériques et comprendre les enjeux associés (recherche, exploitation, évaluation, et référencement en ligne) ;

- Maîtriser le travail collaboratif en réseau ;

- Protéger les données personnelles et être sensible aux différents droits et obligations en relation avec le numérique ;

- Maîtriser les règles du numérique et l’utiliser d’une manière autonome
et responsable ;

- Évaluer par la mise en place d’indicateurs de mesure.

3. Courrier MESRS du 20 septembre 2016 fixant la mise en place de la plateforme Moodle pour la formation pédagogique des enseignants chercheurs.

4. Universités et Centres universitaires, Écoles Supérieures, Écoles Normales Supérieures, Sciences médicales et Vétérinaires.

5. Le modèle d’intervention par vagues s’inscrit dans la problématique de l’éducation inclusive, et selon laquelle « l’enseignante fait appel des soutiens appropriés, matériels ou humains pour permettre aux élèves d’accéder aux apprentissages » in Apprentissage et enseignement inclusifs, The Open University https://www.open.education.book

6. Conférence régionale ouest (CRUO). Conférence régionale Centre (CRUC) et Conférence régionale Est (CRUE).

7. École nationale polytechnique d’Oran Maurice Audin créée par le décret exécutif n°12–376 du 29 Octobre 2012, avec mission d’assurer la formation supérieure, la recherche scientifique et le développement technologique à travers la formation d’ingénieurs dans différentes spécialités des sciences et techniques. L’ENPO a été créée dans le cadre du redéploiement de l’ENSET (École Normale Supérieure d’Enseignement Technologique) créée en 1971. Pour former des enseignants du secondaire technique (PEST) ; après la réforme de 2003, elle a formé des enseignants du primaire et du moyen (MEF et PEM). La majorité des enseignants de l’ENSET sont restés à l’ENPO, notamment les technologues.

8. L’ENPO abrite les départements suivants : Génie Électrique, Génie mécanique, Génie civil, Génie des procédés et matériaux, Management industriel, Génie des systèmes informatiques, département de la formation préparatoire (deux années préparatoires à l’issue desquelles les étudiants passent le concours de classement et passent en spécialité d’ingéniorat et master. Les travaux pratiques occupent un volume hebdomadaire représentant en moyenne le tiers des activités pédagogiques.

9. Étant enseignante-chercheure au département de génie électrique, les focus-group ont été facilités et la collaboration des délégués d’étudiants pour contacter leurs pairs des autres spécialités a été appréciable.

10. Sous la direction de Nouria Benghabrit-Remaoun et Fouad Nouar, cette enquête avait pour objectif « l’identification des types de bouleversements dans la vie quotidienne des familles durant les trois moments de confinement : total (mars-juillet 2020), partiel (juillet-aout 2020) et adaptatif (2021) ».

11. Le concours classant de l’ENPO a eu lieu en octobre 2020. Les résultats annoncés et les étudiants affectés dans les départements ou dans d’autres établissements n’ont commencé que très tardivement leur première année de spécialité (3 ème année d’ingénieur).

12. Arrêté 055 du premier janvier 2021 fixant les dispositions exceptionnelles autorisées en matière d’organisation et de gestion pédagogiques, de l’évaluation et de la progression des étudiants, durant la période Covid-19 au titre de l’année 2020/2021.

13. L’École polytechnique d’El Harrach (ENPA) , créée avant l’indépendance , constitue pour beaucoup d’étudiants de l’ENPO une référence. Pendant ces temps d’angoisse et de stress, engendrés par la pandémie, ils ont cherché à se rassurer auprès des élèves ingénieurs de l’ENPA.

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