Nouria BENGHABRIT-REMAOUN: Directrice de recherche à la recherche (CRASC).
La politique scolaire durant l’occupation coloniale en Algérie a, d’abord, été une politique d’exclusion de l’écrasante majorité des enfants « indigènes ». Après 132 ans de colonisation, l’investissement important dans la scolarisation depuis l’indépendance 1962, a répondu aux défis de démocratisation, d’algérianisation et d’orientation scientifique et technique. Considérant que l’éducation est un droit humain fondamental de tout individu (Unesco, Mascate 2014), lui en assurer l’accès, la participation et l’achèvement du primaire, un des objectifs définis dans la déclaration du Millénaire pour le développement des Nations Unies en 2000, a été largement réalisé pour l’Algérie. Les défis tracés pour les objectifs du développement durable (au nombre de 17) et particulièrement, l’ODD quatre et cinq des 10 cibles sont centrées sur les résultats d’apprentissage des enfants, des jeunes et des adultes. Atteindre ces résultats signifie une préparation à l’école, avec le développement du préscolaire, l’acquisition des compétences académiques de base aux niveaux primaire et secondaire, avec des compétences fonctionnelles, telles que la lecture, l’écriture, le calcul, mais aussi celles de permettre l’acquisition de compétences utiles pour le travail.
Cependant, la pandémie, ayant touché le monde en 2020, va fortement influer sur le rythme de réalisation de ces objectifs. À mesure que la Covid-19 se propageait, plus de 190 pays ont dû arrêter le processus de scolarisation1. Bien que des solutions d’enseignement à distance soient mises en place dans quatre pays sur cinq afin de remédier à la fermeture des écoles, un tiers des enfants et de jeunes n’ont pas eu accès à ces options. La pandémie n’a fait qu’aggraver la crise de l’éducation et creuser les inégalités existantes en matière d’éducation. La fermeture des écoles dans le monde peut anéantir des années de progrès dans l’accès à l’éducation, comme le soulignent plusieurs rapports d’organismes internationaux. Selon des estimations, plus de 72% des élèves, soit près d’un tiers de milliard d’enfants, sont déscolarisés en raison des fermetures d’écoles décidées dans 177 pays2.
Face à cette situation, un sommet sur la transformation de l’éducation a été organisé par les Nations Unies en septembre 2022… « en réponse à une crise mondiale de l’éducation portant sur des facteurs tels que l’équité, l’inclusion, la qualité et la pertinence. Souvent lente et invisible, cette crise a un impact dévastateur sur l’avenir des enfants et des jeunes de la planète »3.
Par ailleurs, dans le cadre de l’agenda 2030 pour le développement, l’enquête par grappes à indicateurs multiples (6 ème édition), développée par l’Unicef depuis 1995, fournit des informations actualisées et comparatives au niveau international sur la situation des enfants et des femmes. C’est ainsi que pour l’Algérie, sur une population estimée à 43 millions d’habitants, les moins de 15 ans, en progression, représentent 30% en 20194. Compte-tenu du nombre d’élèves ayant accumulé du retard dans leur scolarité, MICS6 5 livre les chiffres des enfants hors de l’école et qui devaient être dans un cycle donné. Pour le primaire 1,9%, pour le moyen 4,1%, pour le secondaire 22,7%.
Le décrochage scolaire peut être compris au sens où les élèves quittent l’école précocement les « Early School Leavers » (Bruno, al., 2017, 246) ou en tant que « processus de désaffiliation scolaire qui renvoie au fonctionnement des institutions scolaires, aux traitements différenciés des élèves et à l’interaction des contextes scolaires, familiaux et locaux qui modulent les parcours et expériences propres à chaque adolescent » (Meyer, 2008, p. 60-81). Il constitue un indicateur de pilotage des actions des politiques publiques, y compris au niveau des établissements scolaires. La notion de décrochage a, d’abord,émergé dans les années 60 aux États Unis, décliné puis réapparu dans les années 80 avec la mise en place d’un système de collecte de données dans les années 90 (Moulin et al., 2014). Cette réémergence du concept, et surtout de sa diffusion internationale,est liée aux « migrations conceptuelles » et au « travail de construction de l’action publique ».
Trois représentations associées au décrochage scolaire sont identifiées, celle de l’échec scolaire, conséquente des difficultés d’apprentissages qui s’est substituée à la question du retard scolaire, celle de la déscolarisation, liée à la délinquance juvénile comme forme d’interruption de la scolarité notamment obligatoire, et enfin, celle de l’abandon précoce. Cependant, il n’y a pas d’étanchéité entre tous ces concepts. Dans tous les cas, cette question est devenue un enjeu social au moment où la norme scolaire devient celle de l’enseignement obligatoire, et qui a eu tendance à se rallonger dans la plupart des pays. Reconnu comme phénomène complexe, où une multitude de facteurs de risque de décrochage intervient, nous nous sommes fixé comme objectif entre autres, à travers une enquête nationale, d’identifier les populations à risque potentiel de décrochage, voire d’échec aggravé dans le contexte de la pandémie.
Alors même que cette question, devenue récurrente et banale, préoccupe régulièrement les responsables chargés de l’éducation, l’abandon, la déscolarisation, le décrochage sont souvent perçus comme forme d’échec avéré de l’apprenant. La récurrence de ce phénomène et sa médiatisation sont fondamentalement dus au fait de la non-absorption des sortants par le marché du travail. Des explications diverses ont été avancées depuis les années 1970 (Bruno, et al., 2017, p. 246) : marginalité socioéconomique, privation socioculturelle, carence de régulation et de socialisation, carence de motivations et de compétences. La diversification des filières, les dispositifs de lutte contre l’échec scolaire, les modules d’activités temporaires alternatifs à la scolarité (MATAS), ainsi que les dispositifs d’insertion constituent des réponses possibles mises en œuvre dans la plupart des pays (Perron et Veillette, 2012, p. 169-189). Le décrochage scolaire est identifié comme « une maladie nosocomiale de l’école » (Tieche-Christinat, 2015).
Pour nous, le décrochage scolaire est entendu comme abandon ou comme non achèvement d’un cursus d’étude, particulièrement celui de l’enseignement obligatoire. Connaître les causes du décrochage permet de mettre en place des actions de ciblage sur des catégories particulières. Cette problématique,mise en lumière dans les années 60 aux États-Unis, a refait surface dans les années 80 avec la « mise en place » d’un système de collectes de données sur le phénomène dans les années 90 »6.
Si les faibles résultats scolaires sont considérés comme étant « le facteur de risque le plus prédictif », les préconisations des politiques sont multiples. Elles sont classées selon leur caractère répressif ou incitatif ou le type de mesure (Brunot ; Saujat & Felix, 2015) :
- Générales (augmentation de la durée de la scolarité obligatoire, le développement de l’éducation préscolaire, élévation du niveau de formation des enseignants, aide aux enfants défavorisés ;
- Compensatrice avec soutien scolaire, modules de réorientation, individualisation des parcours ;
- Complémentaires à l’instruction avec le développement de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Bien que le chemin parcouru par le système scolaire algérien soit exceptionnel au regard de ce dont il a hérité l’indépendance, ainsi que les défis posés par les réformes globalement atteints, il n’en demeure pas moins qu’il existe des difficultés, des dérives et des échecs, qui ont été ciblés par différents rapports d’experts. La norme d’achèvement de la scolarité est fixée par voie réglementaire au cycle de la scolarité obligatoire à 16 ans, correspondant au niveau primaire (5 ans) et moyen (4 ans). Les facteurs de risques du décrochage incluent les faibles résultats scolaires, le redoublement, le niveau social et culturel, le climat familial et le genre. Il s’agira pour nous, primo, d’établir une typologie d’élèves décrocheurs dans le contexte Covid à partir d’une enquête de terrain, où l’essentiel des prémisses se révèlent dès le primaire, secundo, de restituer le vécu personnel et familial durant cette période.
Précisions sur la démarche d’enquête
L’objectif de l’enquête7 consiste à fournir des estimations relatives aux données quantitatives, précises et pertinentes, afin de cerner l’attitude des ménages sur le confinement et la gestion du temps quotidien dans quatre wilayas du pays, (Oran, Blida, Ghardaia et Constantine). Compte tenu du temps imparti et des moyens limités mis à notre disposition, il a été décidé que la dimension minimale de l’échantillon qui permettrait d’atteindre cet objectif est de 1200 ménages répartis équitablement entre 4 wilayas (300 ménages/wilaya). Un échantillon de cette taille, distribué de manière appropriée, fournirait des données minimales fiables pour les 08 communes8, avec des échantillons retenus appartenant aux 4 wilayas. Pour chacune d’entre elles, a été pris en compte les différents secteurs géographiques « urbain » net « rural », ainsi que la dimension sociale.
La conception de l’échantillon destiné à l’enquête sur le confinement et la gestion du temps quotidien s’est faite sur la base d’un sondage aléatoire à deux étapes, de zones choisies au cours de la première étape, celle du district, et en seconde étape, le tirage des ménages. Dans chaque wilaya, les districts sont catégorisés comme urbain ou rural pour quatre wilayas, réparties selon les différentes régions aux caractéristiques socio-économiques diversifiées du pays : l’Ouest (Oran), l’Est (Constantine), le Centre (Blida) et le Sud centre (Ghardaia). Le choix des communes par wilaya a été établi de la manière suivante : la première commune a été choisie comme chef-lieu de wilaya, du fait de son statut administratif et la seconde commune pour son caractère rural (désignée comme zone d’ombre9 par les pouvoirs publics).
La distinction entre la catégorie socio-professionnelle et la catégorie sociale qui est un des buts recherchés dans cette étude sera établie à partir de cinq variables : la profession, le revenu, le savoir, la propriété et la sécurité de l’emploi.
En complément du questionnaire des 1200 ménages au sein desquels 5852 informateurs ont été interrogés, chef de ménage conjoint, et autres personnes vivant sous le même toit, nous nous sommes intéressé aux catégories adolescentes et jeunes (1128) et auxquelles nous avons passé un questionnaire adapté. Dans cette population, les collégiens représentent 43,4%, les lycéens 34,4% et les étudiants 22,2%.
Crise sanitaire versus crise scolaire
À l’instar de pratiquement tous les pays du monde, l’Algérie a pris des décisions visant à adapter le fonctionnement du système d’éducation et de formation à la situation de crise. Il est ainsi noté dans le rapport national10 les mesures prises :
- La mise en place d’un protocole sanitaire permettant la reprise des enseignements durant la pandémie Covid-19 ;
- La mise en place d’un protocole pédagogique exceptionnel (flexibilités des modes d’enseignement...) durant la pandémie Covid-19, etc. ;
- La création de deux Chaines TV nationales ( El Maarefa et Chababia), dédiées au soutien en matière d’enseignement scolaire et la mise à contribution des radios locales pour la diffusion des cours durant la pandémie Covid-19 ;
- L’exploitation optimale des outils numériques de communication disponibles en ligne, tels que les plateformes collaboratives dédiées à l’enseignement dans le système éducatif (You tube) ;
- Le recours aux plateformes éducatives (E-learning) notamment lors de la pandémie Covid-19; Zoom, Team View, Google class, etc. ;
- La participation des établissements d’enseignement à la production d’équipements de protection contre la Covid-19.
La suspension de la scolarité désorganise la famille
À la question relative aux mesures préventives prises par les pouvoirs publics dont la fermeture de certains espaces publics, 86% des répondants se déclarent être favorables à la fermeture des établissements scolaires et universitaires.
Pour 61% des ménages interrogés, les 2/3 ont des enfants de moins de 12 ans scolarisés, soit au primaire ou au collège. Près de 84% des ménages interrogés ressentent un sentiment de perturbation à la suite de l’arrêt de la scolarité des enfants, en mars 2020. En ajoutant ceux qui déclarent avoir été plutôt perturbés (11,5%), le taux serait de 95% des familles à avoir reconnu vivre un bouleversement inédit.
Une des conséquences de l’arrêt des cours en mars 2020 pour les élèves est la perturbation de la gestion quotidienne du temps, et c’est près de 92% des familles qui ont eu « maille à partir » avec la gestion et la régulation du temps quotidien des enfants.
Concernant cette perturbation, la question de la discipline se révèle problématique pour les familles dont les enfants ne vont plus à l’école pour cause de leur fermeture durant la flambée épidémique. Plus de 85% des ménages interrogés soulignent le désordre causé par l’absence d’école sur les horaires de sommeil et de réveil.
La réalité de l’apprentissage : état du système (comparaison avant et durant Covid) dans la réalisation du programme scolaire officiel
Partant de la référence d’une année scolaire ordinaire au primaire, au moyen, et au lycée, de 34 semaines, nous avons comparé et analysé les temps réglementaires d’enseignement/apprentissage, allégé officiellement en période Covid-19, durant les 3 années scolaires.
Tableau 1 : Durée des enseignements et taux de réalisation des programmes au primaire
Année scolaire Année d’étude |
2019- 2020 Covid-19 Mars |
2020-2021 |
2021-2022 |
1 ère année |
10 semaines 30% du programme réalisés sans examen du 2 ème et 3 ème trimestres |
24 semaines en deux groupes Taux du programme réalisé : moins de 50% |
24 semaines en deux groupes |
2ème, 3ème, 4ème, 5 ème année |
10 semaines Composition du 1 er trimestre 30% du programme |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
Prenant appui sur l’itinéraire d’un scolarisé, il ressort qu’un élève qui est passé au CEM (1AM), l’année scolaire 2022/2023, a été inscrit en troisième année primaire durant l’année scolaire 2019-2020. De fait,les 3/5 des années de formation au primaire se sont déroulées en période Covid-19.
Tableau 2 : Durée des enseignements, taux de réalisation des programmes et organisation pédagogique au collège
Année scolaire Année d’étude |
2019- 2020 Covid-19 Mars |
2020-2021 |
2021-2022 |
1 ère année |
10 semaines 25% du programme seulement la composition du 1 er trimestre |
24 semaines en deux groupes Taux du programme : moins de 50% |
24 semaines en deux groupes |
2 ème année |
10 semaines Composition du 1 er trimestre 30% du programme |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
3 ème année |
10 semaines Composition du 1 er trimestre 30% du programme |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
4 ème année |
10 semaines 30% du programme du 2 ème et 3 ème trimestre |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
Un élève qui est passé au lycée (1 AS) cette année 2022-2023, a été inscrit en deuxième année moyenne durant l’année scolaire 2019-2020. De fait, les 3/4 du cycle de formation moyen ont été vécus en période Covid-19.
Tableau 3 : Durée des enseignements, taux de réalisation des programmes et organisation pédagogique s au lycée
Année scolaire Année |
2019- 2020 Covid-19 Mars |
2020-2021 |
2021-2022 |
1 ère année |
10 semaines 25% du programme seulement la composition du 1 er trimestre |
24 semaines en deux groupes Taux du programme : moins de 50% |
24 semaines en deux groupes |
2 ème année |
10 semaines Composition du 1 er trimestre 30% du programme |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
24 semaines en deux groupes 50% du programme |
3 ème année |
10 semaines 30% du programme Sans examen du 2 ème et 3 ème trimestre |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
22 semaines en deux groupes 50% du programme |
Un élève qui a eu son baccalauréat l’année 2022-2023, a été inscrit théoriquement en première année lycée durant l’année scolaire 2019-2020. Le constat est que la totalité des enseignements, soit 3/3 du cycle de formation secondaire, a été accomplie en période Covid-19.
Un programme tronqué
La suspension « brutale » de l’enseignement avec la fermeture des écoles, suivie des vacances vont interrompre,durant 8 mois, la scolarité des élèves. Aussi, la division des horaires par 2 en instituant des groupes de classe de 2011, a déstabilisé l’organisation des apprentissages. Bien que la constitution des groupes ait été fortement appréciée par les élèves et leurs parents, les enseignants ont émis des réserves quant à l’augmentation de leur charge de travail. Rentrées scolaires tardives, fins d’années précoces, diminution de moitié des horaires d’enseignement/apprentissage, ont amené les pouvoirs publics à prendre des décisions inédites au niveau des classes d’examen : suppression de l’examen de passage du primaire au moyen, abaissement de la moyenne de passage du moyen au secondaire, et du passage à l’enseignement supérieur pour l’acquisition du baccalauréat durant deux années scolaires suivies : 9/20. (24 mars 2020 J.O n° 16 n° 38), passage à 4,5/10 au niveau du primaire à la classe supérieure et de 9 sur 20 au niveau du collège.
Nous nous sommes appuyée sur l’hypothèse formulée par Ulrich Beck (Beck, 2002), à propos « d’une rupture à l’intérieur de la modernité » au travers notamment de promesses non tenues d’assurer l’équité entre tous les citoyens.
Les raisons invoquées des difficultés vécues durant le premier trimestre 2020-2021 mettent l’accent sur l’insuffisance des horaires d’enseignement entrainant des difficultés de compréhension aggravées par le port du masque des enseignants et la gêne occasionnée pour les élèves. L’indiscipline, les difficultés d’adaptation au nouveau cycle (moyen ou secondaire), sont doublées de difficultés de concentration. Les raisons essentielles peuvent être réparties en cinq catégories ; le retard cumulé dans certaines matières, l’alternance imposée des cours, le rapport entre le programme d’enseignement et le temps qui lui est consacré avec la nouvelle organisation pédagogique, le fait d’être en classe supérieure sans avoir assimilé les cours précédents, donc un programme inachevé, l’ambiance scolaire qui ne s’adapte pas à l’apprentissage. Habitués au repos et à une flexibilité en termes d’horaires, certains élèves reconnaissent qu’ils ont été confrontés à d’énormes difficultés à reprendre avec un programme accéléré et chargé, de plus, encadré avec des horaires insuffisants.
Parmi les changements invoqués, plus de la moitié des collégiens et des lycéens, affirment vivre l’année scolaire (2019-2020) différemment de l’année précédente avec une tendance plus forte pour les élèves du primaire. Pour cette catégorie, ce sont les parents ayant un niveau d’instruction élevé qui invoquent le changement. Globalement, c’est la déconcentration par rapport aux enseignements qui est le plus invoquée par les collégiens et les lycéens, représentant près de la moitié des réponses.
Le diplôme : un objectif prioritaire
L’apport le plus important pour les parents ayant leurs enfants à l’école, c’est la réussite et l’obtention d’un diplôme d’abord, ensuite le savoir. Mais l’on constate que ce sont les chefs de ménage sans instruction qui mettent le savoir au premier plan. Est-ce leur distance culturelle par rapport à l’école, qui leur fait respecter et valoriser les savoirs scolaires ? Ce sont également les enfants de catégories démunies qui mettent le savoir au premier plan. Plus le niveau d’instruction des épouses de chef de ménage est important, plus c’est l’aspect instrumental du diplôme qui est valorisé, allant dans le même sens que le niveau scolaire de l’élève du primaire ou du secondaire, pour qui l’aspect instrumental est priorisé. L’importance accordée à la certification et au diplôme augmente au fur et à mesure que l’élève avance dans le cursus ; s’il est affirmé par 49,5% des collégiens, de 57,5% des lycéens et 58,4% des étudiants, l’intérêt porté pour le savoir suit la même tendance, avec le savoir comme apport le plus important de l’école pour 33,1% des collégiens, 25,5% des lycéens et 21,6% des étudiants.
Reprise des classes : un soulagement
La désaffiliation avec l’institution scolaire bouleversera l’ordre temporel du quotidien non seulement des concernés (scolarisés), mais également de la famille toute entière.
Si globalement les inquiétudes12 semblent se dissiper depuis le retour des classes, elles le sont, d’abord, pour les enfants scolarisés au primaire (86%), au collège (73,6%) puis les lycéens (68,3%). Les doutes varient en fonction du niveau scolaire de l’élève. Il convient de souligner que sur la minorité des répondants qui affirment ne pas être soulagés de leurs inquiétudes et angoisses depuis la reprise, ce sont les collégiens (6,5%) et les lycéens (10,6%) qui sont les plus nombreux. Il est certain que les examens de fin d’année avec le brevet et celui du baccalauréat, impose une tension plus importante expliquant cette inquiétude. Elle l’est encore plus pour les parents d’élèves dont le capital scolaire est le plus faible. Cependant, ce sont les parents de catégories supérieures qui expriment le plus leur anxiété. À la rentrée scolaire 2020/2021, dans notre enquête et à l’issue du premier trimestre, les résultats des évaluations scolaires sont majoritairement plus faibles et concernent 53% des élèves au primaire, 56,3% pour le moyen et 58,2% pour le secondaire.
Les résultats faibles, obtenus par les élèves et répartis selon la catégorie sociale et le niveau d’instruction parental, nous donnent la configuration suivante :
Tableau 4 : Résultats scolaires et catégories
Catégorie démunie |
Catégorie populaire |
Catégorie moyenne |
Catégorie supérieure |
21,9 |
17,9 |
16,2 |
12% |
Source :Enquête sur le vécu quotidien durant la Covid-19.
Tableau 5 : Résultats scolaires et niveau social et scolaire parental
Sans instruction |
Primaire |
Moyen |
Secondaire |
Supérieur |
2,9 |
14,5 |
32,4 |
32,1 |
17,8 |
Source :Enquête sur le vécu quotidien durant la Covid-19.
Si les 2/3 des parents dont les enfants sont scolarisés au primaire affirment ne pas donner des cours de soutien scolaire à leurs enfants, un tiers le fait soit de manière régulière dans une matière (24%), soit de temps en temps (61%) soit dans toutes les matières (3,0%). Plus les élèves avancent dans leurs cursus, plus la norme de référence pour les parents est celle d’assurer des cours de soutien à leurs enfants.
Tableau 6 : Élèves scolarisés et prise de cours supplémentaires
Statut élèves |
Cours supplémentaires |
|
Non |
Oui |
|
Primaire |
67,0% |
33% |
Moyen |
53,2 |
46,8 |
Secondaire |
47,7 |
52,3 |
Source :Enquête sur le vécu quotidien durant la Covid-19.
Il est possible que cette situation soit attribuée à une maîtrise insuffisante des apprentissages, à l'anxiété liée aux examens, ou encore à la nécessité de rattraper les cours non dispensés durant la fermeture des établissements scolaires.
En revanche, ce dont il est sûr et attesté par l’enquête est que, plus le capital scolaire est élevé, plus les enfants prennent des cours supplémentaires ; ce qui peut paraître de but en blanc paradoxal au regard des potentialités intellectuelles favorables à une prise en charge des soucis de leurs enfants. Il est à noter que les possibilités matérielles jouent un rôle important et plus on monte dans la hiérarchie sociale et plus les enfants ont « droit » aux cours supplémentaires.
La rentrée scolaire 2020/2021 s’est effectuée avec quelques nouveautés, mais surtout une quasi-généralisation du système organisationnel déjà pratiquée au préalable avec la double, voire la triple vacation en raison de l’inadéquation entre le nombre d’élèves en croissance, la disponibilité de salles de classe et l’insuffisance de l’encadrement. Ce qui relevait jadis de l’exception s’est transformé en norme/solution pour la totalité des élèves, selon les critères définis par le Ministère de l’éducation nationale. Une classe est identifiée en surcharge lorsque le nombre d’élèves ne correspond pas au nombre de tables et places prévues à cet effet, soit 20 tables par classe pour 40 élèves. À partir de 41 élèves, la classe est dite surchargée. Près de 60% des répondants estiment avoir constaté des changements depuis la reprise des classes. Pour ceux ayant répondu positivement, c’est d’abord la déconcentration aussi bien pour les collégiens (48%) que pour les lycéens (37,2%), viennent, ensuite,selon un classement différent pour les deux : les collégiens : moins intéressés par les cours (22,2%), moins confiants (16,1%) et plus stressés (13,6). Les lycéens : plus stressés (26,6%), moins confiants (20,6%) et moins intéressés (15,6%).
À la question de savoir, si la nouvelle organisation pédagogique par groupe a facilité la relation avec les enseignants, près de 74% des collégiens et des lycéens ont répondu oui, et de même, a facilité une meilleure compréhension des cours pour 71% des répondants. Les difficultés rencontrées à la reprise, pour près de 40% des collégiens, ont d’abord trait aux emplois du temps,puis à la discipline étudié et inversement pour les lycéens.
L’expression de Habermas, « la crise des motivations » où des élèves se demandent pourquoi étudier, est beaucoup plus visible à l’université où l’étudiant ne passe plus ses examens, quitte, « bloque » l’année et/ou s’absente régulièrement.
L’enquête MICS 2017 révèle que les enfants âgés de 7 à 17 ans 13 fréquentant l’école et bénéficiant de cours de soutien constituent un peu plus du quart de la population scolarisée 23,7%), habitant plutôt en milieu urbain (29,5%) que rural (13%), dont la mère est plutôt de niveau scolaire secondaire/supérieur (64,6%) et occupée pour 35,1%.
Tableau 7 : Population scolaire et cours de soutien
Enfants scolarisés bénéficiant de cours de soutien |
7-9 ans |
10-14 |
15-17 |
15,1 |
26,8 |
31,3 |
Le vécu quotidien des élèves dans leurs établissements respectifs à la rentrée 2020/2021, doit être saisi, en tenant compte de la rupture avec ces espaces durant une période de 8 mois. C’est la sommation des 3 mois (dernier trimestre) non suivi avec une reprise des enseignements en mois d’octobre, que les vacances scolaires auront pris au total près de 4 mois (collégiens, lycéens, universitaires). Les élèves ont vécu de manière difficile cette période de déscolarisation programmée pour 69% des répondants. Les raisons évoquées sont multiples mais nous pouvons les regrouper sous 4 catégories :
- Raisons individuelles (problème de compréhension, concentration) ;
- Organisation (classes divisées en 2 ou 3 groupes, distanciel pour les étudiants) ;
- Programme (inachevé, difficile, non compris) ;
- Professionnel (absentéisme, climat inapproprié).
Prendre en ligne de compte le vécu aussi bien des parents d’élèves (pour les enfants du primaire) que des collégiens et lycéens permet aussi de saisir une autoévaluation des acquis d’apprentissage. Pour les parents d’élèves du cycle primaire, plus de 60% estiment que leur enfant a besoin, plus que d’habitude,d’être aidé pour faire ses devoirs, avec près de 40% parmi eux estiment ce besoin nécessaire pour tous les jours. Ce qui peut paraître surprenant dans une première lecture, c’est que ce sont les parents détenteurs d’un niveau d’instruction élevé qui considèrent que leurs enfants ont besoin d’être aidés/accompagnés tous les jours pour faire leurs devoirs. La conscience de la nécessité de surinvestir dans l’accompagnement de l’enfant, est en fait liée au projet de réussite et d’anticipation sur l’avenir. En somme, un désir parental. Le retour en classe pour les collégiens et les lycéens s’est accompagné d’un besoin, celui d’une aide ponctuelle afin qu’ils puissent se remobiliser pour l’école et les apprentissages.
Profils des futurs décrocheurs en situation post-Covid
La suspension des études durant près de 8 mois de la scolarisation des élèves, à cause de la crise sanitaire provoquée par la Covid-19, a augmenté les risques de décrochage scolaire. Identifier les profils des élèves,en prenant en compte un certain nombre de facteurs, permettra de contribuer à l’identification de la population à risque en vue de prendre en charge,de manière plus conséquente, les difficultés rencontrées.
Une étude menée par l’Unicef en 2013-2014, sur les enfants non scolarisés en Algérie, note « qu’environ un million d’enfants algériens , âgés de 5 à 14 ans, sont concernés par les différentes dimensions de la non scolarisation,soit environ 15% de la population de cette tranche d’âge. La moitié de ses enfants se trouve actuellement en dehors de l’école tandis que l’autre moitié est menacée de la quitter sans parvenir à la fin du cycle primaire et moyen ». Il est essentiel, toutefois, de nuancer/relativiser ces observations à cause, d’un biais méthodologique majeur. En effet, le préscolaire n’étant pas obligatoire en Algérie, mais en évolution constante, il n’y avait pas lieu d’insérer la catégorie des 5 ans en considérant comme non scolarisés les 1/3 d’entre eux14.
En nous aux statistiques produites par le Ministère de l’éducation nationale, nous pourrions apprécier l’évolution des taux d’abandon dans les paliers scolaires obligatoires (primaire et moyen) et post-obligatoire.
Tableau 8 : Évolution des taux d’abandons
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
|
Prim |
1,7 |
1,8 |
1,6 |
1,9 |
1,8 |
2,5 |
2,2 |
1,7 |
1,6 |
Moy |
5,7 |
5,0 |
5,7 |
9,7 |
9,3 |
9,3 |
6,9 |
10,6 |
9,0 |
Secon |
6,8 |
5,5 |
6,2 |
11,1 |
10,5 |
11,6 |
7,5 |
12,5 |
10,8 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
Prim |
0,6 |
2,0 |
0,8 |
0,8 |
0,9 |
2,3 |
1,4 |
1,0 |
4,9 |
1,0 |
Moy |
9,3 |
9,0 |
6,5 |
9,6 |
9,7 |
14,7 |
9,5 |
8,6 |
10,8 |
7,5 |
Secon |
7,5 |
8,5 |
8,6 |
10,2 |
10,2 |
15,5 |
10,6 |
14,0 |
10,5 |
13,3 |
Source : MEN 2018.
Le redoublement représente un facteur non négligeable de risque de déscolarisation, sujet constant de préoccupation des pouvoirs publics. Il est à noter que 68,5% des élèves redoublent au moins une fois durant leur scolarité (primaire, moyen, secondaire). Ils appartiennent à la catégorie défavorisée pour 80,2%15.
Tableau 9 : Taux de redoublement
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
|
Prim |
12,2 |
11,6 |
11,4 |
11,4 |
10,7 |
11,4 |
10,8 |
7,8 |
11,3 |
Moy |
23,5 |
21,3 |
23,5 |
24,5 |
21,3 |
23,0 |
8,2 |
23,3 |
17,6 |
Secon |
26,6 |
24,7 |
28,2 |
28,8 |
25,6 |
27,6 |
19,6 |
27,7 |
18,1 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
Prim |
7,9 |
7,5 |
6,9 |
7,1 |
7,1 |
7,2 |
6,6 |
6,2 |
5,7 |
5,8 |
Moy |
19,1 |
16,7 |
16,8 |
18,1 |
18,2 |
20,1 |
19,5 |
19,1 |
17,8 |
18,7 |
Secon |
25 |
17,1 |
19,3 |
18,3 |
18,3 |
20,7 |
17,6 |
20,6 |
17,7 |
15,7 |
Source : MEN 2018.
En tenant compte d’un certain nombre d’indicateurs à savoir: le niveau scolaire, le capital culturel et social familial, les rapports de l’élève avec la lecture, la qualité des relations avec les enseignants, les attentes vis-à-vis de l’école, l’atmosphère familiale, l’envie d’étudier, avec un climat de classe négatif contribuant à augmenter les risques, il sera possible de cibler des profils d’échec.
Aussi, la population scolarisée dans les paliers primaire, moyen et secondaire durant l’année scolaire 2020-2021, peut être répartie selon le niveau de risque évalué, à partir des indicateurs que nous avons scorés : redoublement en classe supérieur (oui 10, non 0), redoublement dans les cycles précédents (oui 20, non 0), la moyenne de passage de l’année (faible 30, moyenne 20, supérieure 5), le nombre d’absences (jamais 0, rarement 05, souvent 15). Un seuil de risque a été établi en considérant le score obtenu à partir de 75 comme un élève à très haut risque de déscolarisation et avec un score de 15, très faible risque.
Trois catégories furent construites :
-
Élèves à haut risque, score entre 50-75 ;
-
Élèves à risque moyen, score entre 30-50 ;
-
Élèves à risque faible, score entre 5-29.
Le tableau ci-dessous en résume les tendances.
Tableau 10 : Scolarisés et positionnement par rapport au risque de déscolarisation
Élèves à haut risque de déscolarisation (EHRD) |
79 9,1% |
Élèves à moyen risque de déscolarisation (EMRD) |
203 23,5% |
Élèves à faible risque de déscolarisation (EFRD) |
582 67,4% |
Total |
864 100% |
Source : EVQC 2021.
Le désaccord des élèves quant à la fermeture des établissements scolaires est plus le fait de la catégorie à haut risque fréquentant le secondaire (23%) et pour 19% de collégiens que de la catégorie à faible risque.
Tableau 11 : Opinions des lycéens vis-à-vis de la fermeture des établissements |
Tableau 12 Opinions des collégiens vis-à-vis de la fermeture des établissements |
||||||||
Lycée |
Collège |
||||||||
oui |
non |
total |
oui |
non |
Total |
||||
EHRD |
77% |
23% |
100% |
EHRD |
82% |
19% |
100% |
||
EMRD |
82% |
17,5% |
100% |
EMRD |
83% |
17% |
100% |
||
EFRD |
90,4% |
9,6% |
100% |
EFRD |
89% |
11% |
100% |
Source : EVQC 2021. Source : EVQC 2021.
Le croisement du profil des élèves selon les trois catégories, en accord ou non avec la fermeture des écoles comme mesure préventive engagée par les pouvoirs publics pour éviter la contamination, donne de légères différences d’opinion, avec cependant un désaccord plus prononcé concernant la fermeture des établissements scolaires pour les élèves à haut risque.
Tableau 13 : Positionnement des élèves à risque par rapport à la fermeture des classes
Oui |
Non |
||
EHDR |
81,8% |
18,2% |
100% |
EMRD |
82,9% |
17,1% |
100% |
EFDR |
89% |
11% |
100% |
Source : EVQC 2021.
En recherchant par les profils établis EHRD, EMRD et EFRD, les plus fragiles sont-ils de nouveaux entrants (novices) au collège ou au lycée ou des anciens (avertis) ayant une connaissance déjà établie de l’établissement identifié à partir de la 3 ème année pour le collège (4ans d’études) et de la 2 ème année de lycée (3 ans de scolarité) ? Selon les résultats de l’enquête, sur 864 élèves (481 collégiens et 383 lycéens), 38% peuvent-être considérés comme novices pour 62% d’avertis.
Les élèves à fort potentiel de risque de décrochage scolaire représentent moins de 10% au total de la population enquêtée pour plus de 67% ayant de faible risque. Pour les collégiens, ce sont plutôt les novices qui occupent 11% des HRDS alors-même que ces derniers (HRDS) le sont pour 10,9% pour les avertis.
Tableau 14 : Répartitions des scolarisés selon le niveau de familiarité avec l’institution
Novices |
Avertis |
% |
|
EHRD |
36,9% |
63,3% |
9,1 |
EMRD |
45,3% |
54,7% |
23,5 |
EFRD |
35,4% |
64,6% |
67,4 |
Total |
38% (327) |
62% (537) |
100% |
Source : EVQC 2021.
En recherchant les catégories sociales d’appartenance16 des élèves présentant de haut risque de déscolarisation, les collégiens occupent près de 82% des couches démunies et populaires et 74% des lycéens. parmi la catégorie des élèves présentant des hauts risques, pratiquement aucun des catégories supérieures ; nous retrouvons celles-ci parmi les faibles risques aussi bien pour les collégiens que pour les lycéens.
Les collégiens : plus l’élève relève de la catégorie des EHRD et moins il travaille seul depuis le retour en classe en octobre 2020 ; c’est plus à la demande parentale ou quand c’est obligatoire que les EHRD travaillent.
Les élèves EHRD expriment, pour près de la moitié d’entre eux, un besoin d’aide quotidien ou régulier après leur retour en classe
et pour moins du tiers pour les EFRD.
Ce qui a le plus manqué aux élèves (collégiens et lycéens) durant l’arrêt de la scolarisation, ce sont les copains d’abord pour les 3 catégories, avec un pourcentage majoritaire pour les EHRD. Ceux relevant de la catégorie EFRD postent en seconde position parmi les manques, la régularité de la scolarité.
Considérant qu’un climat favorable aux apprentissages dans la classe, est fortement influencé par le nombre d’élèves, les élèves à haut risque semblent moins convaincus de cette réalité, celle de la nouvelle organisation pédagogique adoptée dès la rentrée
2021-2022.
Quel que soit le profil de risque de l’élève, ils sont un peu plus de 50% à ne pas bénéficier de cours de soutien financés par les parents. Pour le reste, ce sont les EFRD qui sont accompagnés par des cours de soutien réguliers dans une matière particulière avec 39%, puis les EMRD pour 37,6%° et les EHRD avec 36,4%.
Lors de la rentrée scolaire 2020-2021, des difficultés rencontrées ont été citées par la moitié des EHRD pour 1/3 des EFRD. La majorité des élèves signalent que celles-ci ont été rencontrées avec les enseignants d’abord, puis avec le chef d’établissement et enfin avec les camarades de classe. L’emploi du temps et la matière enseignée ont été relevées pour les EHRD et les EFRD, les EMRD. Le premier trimestre a été vécu par la majorité des EHRD comme difficile et insuffisant, avec l’obtention des résultats plutôt faibles comparativement à l’année précédente.
En ce qui concerne les changements personnels observés par les élèves, la déconcentration a été mentionnée comme un problème majeur pour toutes les catégories à risque, avec une distinction pour les EHRD, qui ont mis en avant le manque d'intérêt pour les cours comme l'une des raisons les plus fréquemment citées.
La nouvelle organisation pédagogique par groupe a facilité la compréhension des cours selon les trois catégories (80%) avec un score plus bas pour les moins convaincus, les EHRD (61,4%).
Interrogés sur d'éventuels ajustements à apporter à la scolarité en réponse à la pandémie, les élèves des différentes catégories à risque ont exprimé leurs avis :
Tableau 15 : Population à risque et avis sur l’organisation pédagogique
Alternance des enseignements par groupe Matin/après-midi |
Alternance par jour |
Alternance par semaine |
Année blanche |
Maintien de l’organisation pédagogique |
|
EHRD |
1 |
4 |
5 |
3 |
2 |
EMRD |
1 |
2 |
5 |
4 |
3 |
EFRD |
1 |
2 |
4 |
5 |
3 |
Source : EVQC 2021.
Une conclusion immédiate peut être tirée, mettant l’accent sur la nécessité reconnue par les élèves d’un enseignement organisé dans la régularité et plus encore traduite dans la quotidienneté des apprentissages. De fait, c’est la modalité d’accrochage à préserver à l’école.
Si nous prenons en considération les deux facteurs liés au fait que : 1/ les mamans ayant des enfants au collège/lycée, sont âgées entre 30 et 40 ans, compte tenu du recul de l’âge au mariage (29 ans pour les femmes et 34-35 ans pour les hommes) ; 2/ la politique menée par les pouvoirs public à travers la scolarité obligatoire, a globalement honoré ses engagements politiques d’une scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, nous comprenons que la répartition des niveaux scolaires des épouses de chef de ménage, se concentre au niveau moyen, secondaire.
L’enquête a permis d’identifier, pour les profils des déscolarisés potentiels, les liens avec le capital scolaire de la mère. Quel que soit le niveau de l’enseignement acquis, l’échelle des risques est corrélée au niveau scolaire de la mère, du plus faible au plus haut risque, avec capital scolaire élevé à faible.
Des inégalités tenaces et des répliques à long terme
Les perturbations subies par le système éducatif durant la Covid-19 a remis les inégalités au cœur du processus d’apprentissage. Les durées variables de perturbations durant le cycle primaire, représentent les deux tiers du programme d’enseignement pour le moyen 80% et le secondaire 100%, pour ceux et celles qui ont accédé à ces cycles durant l’année scolaire 2019-2020. Dans ces conditions et malgré les efforts fournis au travers des dispositifs proposés, y compris de la baisse de la moyenne d’admission aux classes supérieures, les lacunes pédagogiques réelles entre les élèves n'ont pas pu être comblées. Les emplois du temps aménagés et allégés, les évaluations tronquées ou supprimées, ont été accompagnés de situations de flottement, d’incertitudes sur les dates de reprises de la scolarité, des examens, des évaluations…. La rupture totale des liens avec l’école a mis les familles en situation de détresse. La fermeture des écoles, sans assurer de continuité pédagogique, même pour les écoles dont le nombre d’élèves en classe répondait au souci de distanciation, ont été sommées de fermer.
L’évolution dans les analyses théoriques sur l’école reproductrice, comme « agence de socialisation » (Parson, 1959) intériorisant les valeurs dominantes, conduit à admettre que « la sélection scolaire et sociale, repose sur des critères rationnels de compétences ». Un second courant présenté comme « conflictualiste », où « l’ordre social ne repose pas sur un consensus fait de valeur partagée, mais sur le pouvoir de groupe dominant qui utilise l’école pour reproduire leur position de domination, conformément à leurs intérêts particuliers ». Bourdieu et Passeron intègreront l’idée avancée par Weber stipulant qu’un rapport de force, pour être durable, doit se doubler d’une justification symbolique rendant intelligible et acceptable leur situation. Ils développeront une perspective néowébérienne avec, entre autres, le concept d’habitus.
L’alternative pédagogique proposée d’un enseignement à distance en période Covid, pour une partie de son renforcement pour ceux rencontrant des difficultés se heurte à une réalité où seulement 24,7% des ménages possèdent un ordinateur et un accès à internet avec une compétence en TIC d’usage pour les femmes, par exemple, âgées de 15 à 24 ans de 28,8%17. « L’obstacle matériel le plus répandu dans les familles réside, dans leur faible équipement numérique » (Bonnéry et Douat, 2020, p. 42). La situation au niveau des écoles privées, en temps de pandémie représentant près de 1%, est exactement la même que pour les écoles publiques. Les décisions de fermeture, puis d’allégement du volume horaire ont été imposées à tous les établissements, malgré la situation de confort pour certains (le nombre d’élèves par classe, le nombre d’encadreurs). Et cela pour des raisons d’équité.
Se décentrer de soi, se doter des moyens de comparaison des résultats scolaires finaux, d’un cycle d’apprentissage obligatoire en comparaison avec d’autres pays, a été la décision majeure prise par les pouvoirs publics après celle de l’installation de la CNRSE18
en 2000.
Cette enquête internationale dont les résultats servent d’alerte pour les systèmes concernés, a mis en évidence les écarts entre différents système scolaires. Les difficultés en compréhension de l’écrit, en culture mathématique et scientifique, sont traduites par un positionnement des plus révélateurs. De plus, les évaluations internationales, au travers notamment de Pisa, classent l’Algérie à l’avant dernière place. Cela confirme ce que les parents d’élèves et la société dans son ensemble avaient déjà pointé du doigt comme déficiences d’apprentissage et d’acquisition des compétences élémentaires en compréhension de l’écrit. Ce sont ces dernières qui leur permettront de continuer à apprendre et de participer à la vie des sociétés fondées sur le savoir.
En math19, l’Algérie, sur 70 pays, a été classée 69 ème (Tunisie 67) avec 36 points, en sciences, 69 ème (Tunisie 65) avec 376 points et 68ème(Tunisie 65ème) avec 350 points en lecture. Le Maroc, pour 2018, s’est classé 75 ème sur 78 pays participants. Ayant plus une valeur d’alerte sur l’état de l’école, tout en le positionnant, ce classement confirme le sentiment diffus des parents, sur l’état de l’école. Les résultats du classement de l’enquête Pisa20 menée en 2015 et publiés en décembre 2016, n’ont pu malheureusement être comparés avec les résultats potentiels de 2019, l’Algérie s’étant retirée du processus en mai 2019, et qui aurait pu constituer une base de données précise sur l’état actualisé de l’école dans certaines disciplines au début du Covid. Sortir du « monopole de la définition du mérite » (Dubet, 2010, p. 131- 147) par l’école en développant des processus d’éducation et de formation non scolaire serait essentiel pour l’avenir, et la crise sanitaire a permis de replacer « sur le devant de la scène des organisations publiques » (Devreton, 2020, p. 139-149). Et c’est dans les moments de crise que les évolutions (positives ou négatives) s’imposent, que cela soit au niveau de l’organisation, de la gestion ou au niveau des contenus ou autres …
Les valeurs du service public doivent constituer, plus que jamais, des indicateurs de performances telles que l’équité et l’égalité de genre,etc. Pour l’exemple, une réorientation des fonctions et de restructuration, d’organisation comme l’Office national d’enseignement et de formation à distance (ONEFD)21 peut être envisagée comme alternative, comme une école de la seconde chance pour les élèves déscolarisés ou en situation d’abandon. Encore faudrait-il rester attentif aux retards cumulés et aux modes de régulation mis ou à mettre en place, pour juguler les difficultés d’apprentissage. Aujourd’hui, nous avons la responsabilité collective de réimaginer le monde de demain (Fore Henrietta, 2020).
La crise de la Covid-19 est une crise des droits de l’enfant. Il est impératif de prendre des mesures de riposte à court ainsi qu’à moyen et long termes, non seulement pour relever les défis posés par la pandémie et atténuer ses effets négatifs sur les enfants, mais aussi pour esquisser une vision claire de la marche à suivre pour bâtir un monde meilleur lorsque nous commencerons, enfin, à sortir de la crise. Pour cela, il est essentiel de mobiliser les idées, les ressources, la créativité et de la générosité de chacun.
Les travaux académiques, menés sur le phénomène du décrochage scolaire, ont basculé d’une perspective analytique plutôt individualiste, centrée sur l’élève et les actions à promouvoir pour le « réaccrocher » à l’école, vers une perspective plutôt institutionnelle ciblant les politiques publiques d’éducation.
Bibliographie
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Benamar, A. (coord.), (2012). École/famille : quels modèles éducatifs ? Les Cahiers du CRASC, (25), 238.
Benghabrit-Ramaoun, N. ; Benamar, A. et Keddar, Kh. (2012). Situation de l’éducation dans la Daïra de Charouine (wilaya d’Adrar). Les Cahiers du CRASC , (23), 135.
Benghabrit-Remaoun, N. (dirs.), (2005). Le préscolaire en Algérie. État des lieux et perspectives. Oran : Éditions CRASC, p. 243.
Bruno, F. ; Felix, C. et Saujat, F. (2017). L’évolution des approches du décrochage scolaire. Carrefours de l’éducation, 43(1), 246-271.
Benamar, A.(2017). Sur les réformes en Algérie. Insaniyat , (75-76), Oran : Edition CRASC.
Benghabrit-Remaoun, N, et Benamar, A. (2013). École : enjeux institutionnels et sociaux. Insaniyat, (60-61), Oran : Edition CRASC.
Bonnéry, S. et Douat, É. (dir.), (2020). L’éducation aux temps du coronavirus . Ed. La Dispute, p. 42.
Devreton, B. (2020). La crise sanitaire vue par les managers publics, une hybridation de la performance publique ? Revue française de gestion , 8(293), 139-149.
Dubet, F. (2010). Sortir de l’idée de crise. Entretien avec Florence Giust-Desprairies, in Nouvelle revue du psycho-sociologie, (9), 131-147.
Fore Henrietta, (Mai 2020). Alors que la Covid-19 en contexte des systèmes de santé déjà fragile, plus de 6000 enfants de moins 5ans pourraient mourir chaque jour en l’absence de mesures immédiates. Unicef.
Meyer, T. (2008). On ne prête qu’aux riches. L’inégalité des chances devant le système de formation en Suisse. Dans C. Suter et coll., Rapport social , 60-81.
MICS, (2019). Algérie Edition Ministère de la santé, de la population et de la réforme hospitalière. https://urlz.fr/sGxT
Ministère de l’Education nationale, (2016). Guide méthodologique d’élaboration des programmes, in Documents officiels, ONPS Alger.
Ministère de l’éducation nationale, (2017). L’école algérienne : Les défis de la qualité, Cadrage stratégique 2016-2030, in Politique éducative , Alger : ONPS.
Ministère de l’éducation nationale, (2017). Les programmes scolaires des cycles primaire et moyen Orientations principales, in Politiques éducatives , Alger : ONPS.
Ministère de l’éducation nationale, (décembre 2005). Mise en œuvre de la réforme du système éducatif, Alger : ONPS.
Ministère de l’éducation nationale, (mars 2009). Référentiel général des programmes, in Commission nationale des programmes, ONPS.
Moulin, S. ; Doray, P. ; Prévost, J-G. et Delavictoire, Q. (2014). La propagation, internationale d’une représentation. Le cas du décrochage scolaire. in Éducation, compter et décider, XXIX(1).
Moutassem-Mimouni, B. (dirs.), (2013). Famille, éducation et changement social. Les Cahiers du CRASC (27), 203, p.45-63.
Perron, M. et Veillette, S. (2012). Territorialité, mobilisation des communautés et persévérance scolaire : la diffusion d’une innovation sociale au Québec. Dans J.-L. Gilles et coll., Alliances éducatives et décrochage scolaire, Peter Lang, 169-189.
Rapport annuel 2022 de la Banque mondiale. https://urlz.fr/sGyj
Rapport de la commission européenne (2005). https://urlz.fr/sGyC
Rapport de suivi de la situation économique de l’Algérie, groupe de la Banque mondiale 2017 https://urlz.fr/sGyN
Rapport national de l’Algérie, Sommet sur la transformation de l’éducation, N.Y, 19 septembre 2022 . https://urlz.fr/sGuA
Résultats PISA 2015. L’excellence et l’équité dans l’éducation OCDE
Brunot, F. ; Saujat, F et Felix,C.(2015). Les programmes de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire et leur conséquence sur le travail enseignement.Note de synthèse, Revue Française de Pédagogie , (193), 89-104.
Éducation : compter et décider. (2014). Histoire & mesure, (1). https://shs.cairn.info/revue-histoire-et-mesure-2014-1?lang=fr
Tièche, C-C. (2015). Des alliances pour accrocher. Un défi lancé au sein d’un dispositif vaudois destiné à des élèves en situation de décrochage. Dans Les Cahiers Dynamiques, 1(63), 127-133.
Ulrich, B. (2002). La société du risque, sur la voie d’une autre modernité. note de lecture, Revue française des affaires sociales, (2),
207-217.
Unesco, Mascate, Oman mai 2014, Déclaration finale de la réunion mondiale sur l’EPT. https://urlz.fr/sGz6
Notes
1 Bien que le « monde connaisse une crise de l’apprentissage avant même que n’éclate la pandémie Covid-19 ou pauvreté des apprentissages, mesurant la proportion d’enfants âgés de 10 ans et qui ne peuvent pas lire et comprendre un texte simple » : Rapport annuel 2022 de la Banque mondiale : aider les pays à s’adapter dans un monde en mutation.
2 Idem, Rapport annuel de la Banque mondiale.
3 « À propos du Sommet sur la transformation de l'éducation 2022 ». https://urlz.fr/sGuA
4 MICS Algérie, Édition Ministère de la santé, de la population et de la réforme hospitalière 2019.
5 Les enfants entrent au primaire à 6 ans (avec cinq années d’étude), au collège à 11 ans (avec quatre années d’étude) et au lycée à 15 ans (avec trois années d’étude).
6 Éducation : compter et décider. (2014). Histoire & mesure, (1). https://urlz.fr/sNm8.
7 Pour plus de détails, voir dans ce numéro, l’article en arabe : « Vécu et représentation de la pandémie Covid-19 ».
8 Les 08 communes échantillons : Oran, Aïn Bya, Constantine, Beni Tamou, Blida, Ghardaïa, Messaoud, Boudjerrou, Daya Bendhoua.
9 Une zone d’ombre est une agglomération caractérisée préalablement comme une poche de pauvreté.
10 Rapport national de l’Algérie, Sommet sur la transformation de l’éducation, N.Y, 19 septembre 2022. http://transformingeducationsummit;sdg4
éducation 2030.
11 La norme définie 20 tables par classe au niveau du primaire, du moyen et du secondaire avec 40 élèves en temps ordinaire. Avec la pandémie, la distanciation a été assurée en ne mettant qu’un élève par table.
12 Q31 : Pensez-vous que le retour des enfants à l’école , en octobre 2020, a soulagé vos inquiétudes en rapport avec la continuité pédagogique ?
13 MICS Algérie, 2019.
14 Algérie : « Rapport national sur les enfants non scolarisés », Unicef 2014.
15 Rapport de suivi de la situation économique de l’Algérie, groupe de la Banque mondiale 2017.
16 La catégorie sociale a été construite en prenant en compte les variables suivantes : profession, revenu, type d’habitat, sécurité sociale en identifiant 4 catégories : démunie, populaire, moyenne, supérieure .
17 Op. cit, MICS, Algérie 2019.
18 Commission nationale de réforme du système éducatif, instituée en 1999-2000 composée de 158 personnalités issues du monde de l’enseignement et de la formation, culturel professionnel, syndical et politique.
19 Résultats PISA 2015. L’excellence et l’équité dans l’éducation OCDE.
20 Première enquête lancée en 2000, se déroulant tous les 3 ans financée par l’OCDE et conçue par des chercheurs Australiens, elle concerne 5000 jeunes scolarisés de 15 ans sur une épreuve de compétence dans 3 domaines, la compréhension de l’écrit, la culture mathématique, la culture scientifique.
21 Dépendant du Ministère de l’Education nationale.