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Shigehisa KURIYAMA, Ota DE LEONARDIS, Carlos SONNENSCHEIN, et Ibrahima THIOUB (2021). Covid-19. Tour du monde. Paris : Éditions Manucius 284 p.


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L’objectif de cet ouvrage est de conjuguer les connaissances et les savoirs autour d’un objet scientifique inédit, qui s’est imposé à la communauté scientifique, et par lequel, ont émergé des réflexions diverses aux contours disciplinaires et culturels différents 1

Le « collège mondial » des chercheurs ou fellows de l’Institut d’Études Avancées de Nantes a mobilisé ses anciens résidents du monde afin de croiser leurs regards sur cette urgence sanitaire et à éclairer les effets de cette globalisation exacerbée justement par cette pandémie. Ce qui fait l’originalité et la spécificité de l’ouvrage, c’est qu’il est conçu tel un kaléidoscope de ce qu’a été l’expérience du Covid pour reprendre les termes d’Alain Supiot1, fondateur et premier directeur de l’Institut d’Études Avancées de Nantes.

Au Nord comme au Sud, ces différents fragments d’écriture plurielle interrogent plusieurs soubassements de la vie, de cette réalité sociale et posent d’emblée les jalons d’une réflexion sur le devenir possible de ce monde fragmenté. Les thématiques qui nourrissent ce livre sont autant universelles que locales et donnent à voir, l’ampleur de la crise sanitaire à l’échelle individuelle, sociale et dans ses rapports au vivant.

Cet ouvrage a été dirigé par quatre éminents chercheurs, professeurs et anciens fellowsde l’institut : Shigehisa Kuriyama, professeur d’histoire des sciences et de la médecine à l’Université d’Harvard, Ota de Leonardis, ancienne professeur de sociologie à l’Université Milano en Italie, Carlos Sonnenschein, Professeur de biologie à l’Université Tufts à Boston et Ibrahima Thioub, Professeur d’histoire et recteur de l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar.

Covid-19 : une crise multidimensionnelle

Le virus a non seulement pénétré les corps humains, il a également imprégné les sociétés, les pays et le monde (p. 47). Il a agi comme un amplificateur de la réalité sociale en mettant à nu les dysfonctionnements et les vulnérabilités de notre monde. Les premiers concernés sont les travailleurs, ouvriers pauvres et migrants du secteur informel, qui se sont retrouvés du jour au lendemain, privés de travail, obligés de rentrer chez eux. En Inde, malgré une gestion maîtrisée de la Covid-19, au début de l’épidémie et une réponse positive aux mesures de confinement particulièrement drastiques prises par le gouvernement du Rajasthan dans le district de Bhilwara (p. 49), la propagation du virus a été réduite considérablement pendant un certain temps jusqu’à ce que des travailleurs migrants aient pris le chemin du retour à pied pour rentrer chez eux. Ils étaient par la suite conduits dans des trains spéciaux (p. 50). Plusieurs districts ont été touchés par plusieurs cas de Covid et nombre de ces migrants se sont retrouvés privés d’aide sociale et de protection de base. Si cette situation en Inde a atteint un tel paroxysme, elle ne fait que révéler le poids des inégalités socio-économiques et professionnelles, « les effets de vérité de la Covid-19 ont mis à jour la déraison du monde dit néolibéral qui, malgré tout ne cesse de pousser pour reprendre sa course folle » (p.140). On ne peut imaginer le vécu du confinement pour tous ces travailleurs migrants, dans les chantiers ou les usines, contraints de rester dans leurs minuscules taudis, à y dormir souvent par roulement, un groupe le jour et un autre la nuit et manquant aussi de produits de première nécessité (p. 168). Le retour « chez soi », est devenu leur seul altérnative (p. 168) alors qu’ils n’avaient plus de travail, ni de logement. Cette crise a clairement montré l’apathie du gouvernement envers les pauvres et les marginalisés, sur qui repose le secteur informel indien (p. 237).

Considérée comme une crise mondiale, la Covid-19 s’est avérée également une crise des institutions, une remise en cause de l’ordre mondial économique et des politiques néolibérales. Pour certains pays (Liban, Chili, Palestine, Afrique de l’Ouest, etc.), l’épidémie du coronavirus est venue se surajouter à un contexte de crise socio-politique, avec parfois de fortes contestations sociales contre les différents gouvernements. Deux dynamiques totalement opposées ont fragilisé l’architecture normative des sociétés. D’un côté, la pandémie a révélé le rôle primordial d’une autorité publique qui est censée apporter les réponses collectives et institutionnelles nécessaires à la gestion de la crise, d’un autre côté, l’état d’urgence sanitaire qualifié d’exceptionnel a mis entre parenthèses, l’État de droit et les libertés des sociétés, déjà fragilisées depuis bien longtemps (p. 11). La crise du Covid-19 est non seulement un fait social total, elle est également une crise du « politique », à l’échelle mondiale.

La Covid-19 : ce sont aussi des expériences vécues

Le confinement, le rapport au temps, la mise à distance des corps, l’enfermement de la ville et les espaces extérieurs ont laissé des traces et des vécus très spécifiques. Pendant ce temps, et en des circonstances différentes, la Covid-19 a fait l’objet de comptes rendus réalisés par des auteurs de plusieurs continents. Des expériences vécues soit de l’intérieur ou de l’extérieur, ont permis d’engager un travail de réflexion sur le devenir du « monde d’après » (p. 11) et la nécessité ou l’urgence de repenser un nouveau paradigme économique mondial qui « ouvrirait la voie d’une mondialisation à visage humain » (p. 239). Des expériences aussi diverses racontant la vie urbaine en période de pandémie (p. 254) où les individus se sont trouvés soudainement cloisonnés dans un espace fermé, entre distanciation et proximité des lieux et des habitations exigües, « du jour au lendemain, nous sommes devenus un nouveau type d’humain. Masqués par décret, aseptisés par ordonnance… » (p. 190). L’expérience de la frontière fut également questionnée à l’ombre du confinement imposé aussi bien extérieures qu’intérieures au sein du même territoire (p. 240). La société est devenue brusquement une société masquée après un long moment d’hésitation et d’ambiguïté sur l’utilité ou non du masque pour l’ensemble de la population. Elle a révélé, entre autres, le savoir-faire et le savoir-être de tous ces acteurs : infirmières, couturières, travailleurs du textile qui se sont mis à fabriquer des masques, afin de tenter de contenir la pandémie et de la gérer du mieux possible (p. 260).

L’urgence environnementale

L’émergence de la Covid-19 en tant que crise planétaire a fait transparaître la question de son étiologie et les conditions de son développement. Elle est non seulement de nature biologique, naturelle, « une zoonose facilitée par la pression anthropique sur les écosystèmes », mais a aussi une dimension sociale déterminée par nos modalités de vie, de production et de consommation (p. 19). Les rapports entre l’homme et la nature ont été longtemps dysfonctionnels du fait de l’intervention humaine dans l’écosystème planétaire. La déforestation, l’élevage extensif, l’agriculture industrielle et l’extraction de minerais et d’énergies fossiles ont fait en sorte de fragiliser et de dégrader les milieux naturels par un rapprochement des espèces sauvages à l’homme. C’est ce que constate Philippe Descola 2 dans un entretien publié dans Le Monde du 20 mai 2020 (p. 118). Cette forte proximité entre humains et animaux est connue depuis longtemps comme étant responsable de risques sanitaires « plus de 70 % des maladies infectieuses émergentes sont issues des animaux, suite à des nouvelles interfaces avec l’environnement » (p. 144).

Plus que jamais, la pandémie de la Covid-19, comme les anciennes épidémies qui l’ont précédé (virus Ebola, le virus de la grippe aviaire - H5N1, le syndrome respiratoire aigu sévère -SRAS,…), a mis en évidence la nécessité de construire de nouveaux rapports avec un environnement plus respectueux de la nature. Pourtant, d’une urgence à une autre, nos différents gouvernements ne semblent pas avoir appris la leçon et continuent plus que jamais à donner la priorité à la chose économique, au profit, en ignorant même que la crise actuelle est aussi le produit de notre système économique et politique (p. 242), du moins, espérant qu’elle agira comme un accélérateur à une profonde remise en question.

L’exception Africaine

Le continent africain reste le continent le moins touché par la pandémie de Covid-19, même si cela peut être nuancé par rapport au nombre de tests effectués dans les différents pays. Tous les pays du monde n’ont pas systématiquement réalisé des tests de dépistage du Covid-19 de façon stricte et généralisée. En plus, les connaissances que l’on dispose actuellement sur le virus, de sa longévité, de sa résilience et de ses possibles mutations, elles restent trop partielles3.Pourtant, un scénario des plus catastrophiques pour le continent africain a fait l’objet d’une note réalisée par le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, le 9 avril 2020 sous le titre « l’effet Pangolin : la tempête qui vient d’Afrique ? ». Ce document dresse un bilan pessimiste sur l’incapacité de certains régimes africains, déjà fragilisés à faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales du Covid-19 et à protéger les populations du fait aussi de la saturation des systèmes de santé nationaux qui sont à bout de souffle (p. 218). Face à ce constat pour le moins assez réducteur, les États africains ont tenté de développer des plans de riposte pour affronter la pandémie en instaurant des mesures et des restrictions assez rapidement, telles que la fermeture des écoles et des universités, des restaurants, fermeture des frontières et des aéroports, limitation de la circulation dans les transports publics, instauration de couvre-feux et interdiction des rassemblements et cela en dépit de l’insuffisance des moyens financiers et matériels.

Dans un autre ordre d’idées, la Covid-19 s’est révélée comme un formidable élément mobilisateur pour certains pays africains, tels que les pays du Sahel (p. 77) malgré la fragilité de leurs économies et en particulier la mise au ralenti de l’initiative SWEDD, développée en 2015 dans six pays de la région Sahélienne 4 en faveur des jeunes femmes en situation de vulnérabilité. Les femmes ont été touchées particulièrement par cette pandémie, en raison de leurs activités dans le secteur informel (85% de la population vit pratiquement de cette économie informelle). Plusieurs actions d’innovation ont été menées pour maîtriser la propagation du virus et assurer la continuité des services, tels que la confection des masques, l’utilisation des radios et des télévisions pour informer la population des mesures préventives, etc.

En Afrique de l’Ouest, la crise du Covid-19 a mis en évidence les dangers du modèle économique néolibéral, qui a opéré dès les années 1980 dans le cadre des politiques d’ajustement structurel. L’agriculture s’est inscrite alors dans le modèle de l’économie de marché par le biais de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’objectif de celle-ci était bien de « soumettre l’aliment aux lois du marché et encourager la dépendance alimentaire des États membres, en particulier les pays pauvres » (p. 65). De ce fait, la crise du Covid-19 a mis à nu le dysfonctionnement du modèle de la mondialisation économique et exigé la nécessité de réfléchir à un changement de paradigme dans les stratégies de sécurité alimentaire, notamment en Afrique de l’Ouest.

Enfin, cette crise du Covid-19 a été l’occasion d’interroger les modalités d’élaboration du sens de cette pandémie, à travers les divers systèmes symboliques. Comment les différentes religions ont fait face à cette crise mondiale après la mise en place des mesures sanitaires par les gouvernements ? Par ailleurs ce qui a caractérisé le monde et les sociétés en cette période du Covid-19, c’est la capacité d’inventer, d’innover, de recourir à d’anciens ou nouveaux savoirs traditionnels par la force de l’ingéniosité des populations locales. La crise du Covid-19 est une crise qui a secoué les fondements de notre ère moderne. Une crise environnementale dévoilant la persistance et l’amplification des inégalités sociales entre les individus, les États et les continents, en accentuant fortement les vulnérabilités des populations précaires et défavorisées.

Lamya TENNCI

1 Cet ouvrage se présente sous la forme d’un recueil de réflexion sur la Covid-19, constitué de 127 textes courts et représentatifs de la diversité géographique de leurs contributeurs (Asie, Afrique, Amérique Latine et du Nord, Europe…).  La variété disciplinaire des auteurs est caractéristique de ce recueil, de même que l’originalité de certains textes enrichis de témoignages, de poèmes, d’images et même de moments artistiques.

2 Un débat/un livre « Covid-19, tour du monde » avec Pascale Vielle et Alain Supiot au Passage Sainte Croix à Nantes, 19 octobre 2021 : https://urlz.fr/pMmm

3 Philippe Descola, « Nous sommes devenus des virus pour la planète », entretien réalisé par Nicolas Truong, le Monde 20 mai 2020.

4 Gérard Gérold & Mathieu Mérino, « Le Covid-19 et l’Afrique : premières réflexions », Notes n° 28/20, 24 avril 2020, Fondation pour la Recherche Stratégique.

5 L’initiative « Autonomisation des femmes et Dividende Démographique au Sahel (SWEDD) a été développée en 2015 dans six pays, qui sont le Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad.

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