Sélectionnez votre langue

Le roman, cet archiviste de l’histoire

Insaniyat N°21 | 2003 | L'Imaginaire Littérature - Anthropologie | p.19-35 | Texte intégral


The novel, This archivist of History

Abstract: The author of this essay suggests some tracks for reading, which would allow a glance at how literature and the writer in the Maghreb can be invested with a function, which they don’t have initially, because every thing rotates around the management of memory, and starts from history. Thus the Algerian intellectual during colonization was either forced into silence or into a set discourse, but even the access to independence changed nothing to this state of fact.
Yesterday – as today – policy weighs like a destiny on Maghrebin Literature. All writing is continually brought towards reality, towards the social field. If the writer considers history, or looks for it, especially to him, certain domains of history are forbidden.
Thus several historical sources like Kahina, Youcef Ibn Tachfin, nationalist militants etc forgotten by official History, are taken up by maghrebin novelists. This work of bringing to light that which was hidden operates like a mechanism deblocking memory. The article equally mentions texts written in the urgency to denounce the slaughter of Algerian intellectuals in the 1990’s.

Key words : Novel – History – Memory – Discourse – Kalima – Writing – Assassination – Aissa Khekkadi.


Zineb ALI-BENALI : Université Paris 8, France.


Celui qui voudrait s’intéresser à l’histoire littéraire et culturelle du Maghreb devrait immanquablement se poser une question qui n’est paradoxale qu’au premier abord : dans des sociétés où tant de problèmes, matériels et autres, pèsent si lourd, où le taux d’alphabétisation est si fort, etc., pourquoi s’en prend-on à l’ami du qalam, à celui qui écrit ? Lorsqu’on pose ainsi la question, l’assassinat de l’écrivain, la poursuite  et la condamnation du journaliste semblent inexplicables.

Et si on posait autrement la question ? Et si la littérature, et précisément la fiction, la poésie ou le texte de réflexion, étaient les lieux d’un débat évacué du champ politique ? Non qu’il manque des études riches et complexes – il suffit pour cela de regarder par exemple les registres des thèses inscrites et soutenues en histoire, linguistique ou sociologie – mais ces études ont du mal à franchir le cercle qui les enferme, celui des études universitaires. C’est alors l’œuvre littéraire, notamment le roman, qui va devenir le lieu où peut être évoquée la part non visible de l’histoire. On pourra alors dire que la fiction est une sorte « d’archivoir » pour une histoire non encore, ou insuffisamment, déverrouillée.

C’est autour de cette question de la relation de l’histoire à la littérature, et précisément au roman, genre qui se pose dans une relation au réel différée et lointaine, que je voudrais ouvrir quelques pistes de lecture, qui permettraient d’entrevoir en quoi la littérature et l’écrivain peuvent être investis d’une fonction qui n’était peut-être pas la leur initialement, qui n’est pas la leur dans les régions du monde où les grandes questions de l’être au monde et de l’identité ne se posent plus avec la même acuité, ni en termes de vie et de mort.

Tout tourne autour de la gestion de la mémoire et, partant, de l’histoire. Dans cette perspective que je retiens, dire que, dans les sociétés modernes du Maghreb, l’histoire travaille comme un refoulé c’est dire une banalité et être en dessous de la réalité car toute une part d’histoire est occultée, voilée, transformée en fonction d’un discours préétabli. En effet, il ne s’agit pas tant de la part oubliée, celle-ci étant pour le moment en un lieu noir où elle peut attendre que l’on vienne la réveiller, que de la part d’histoire, maintenue comme mémoire devenue signe et composante d’une identité contestée, mémoire mythifiée, et non comme fait établi  et interprété. Les faits historiques et les personnages sont, dans une pratique de l’histoire (qui est très loin de la discipline du même nom) qui fonctionne comme mythologie, dressés comme totems de reconnaissance, signifiants surtout par ce qui est dans leur ombre. Ainsi, la figure de l’Emir Abdelkader, dressée en figure totémique de la résistance nationaliste, laisse deviner dans son ombre d’autres figures, comme celles de Jugurtha[1].

C’est dans cette proximité, et non confusion, de la littérature et de l’histoire que je voudrais lire des textes de la littérature maghrébine de langue française. Il s'agira de donner un aperçu de ce qui travaille un peu comme un refoulé.

L’écrivain est toujours sommé de parler sous la dictée

Nous voilà contraints d’observer un silence prudent ou de vivre avec un masque sur le visage[2].

Ferhat Abbas écrivait ces mots en 1930 à propos de la situation de l’intellectuel algérien en colonisation. Celui-ci était pris entre deux pôles : celui du silence et celui du discours obligé, discours de la réitération, de la récitation. Il était alors dans l’obligation de parler, et d’écrire entre ces deux positions imposées et impossibles. La pulsion des écrivains sera de faire entendre les voix du silence : parler de ce qui est refusé, parler de ce qui est rendu inaudible. Les critiques littéraires ont souvent défini les premiers écrits comme des cahiers de doléances. Il faudrait aussi souligner le fait qu’ils faisaient entendre ce qui était jusque-là silence… Au Maghreb, celui qui pratique l’Autre langue est arrivé sur la scène de l’écriture par effraction. Personne ne l’attendait : ni les maîtres de la colonisation ni sa communauté. Pour les premiers, il ne pouvait parler que pour réciter sa leçon. Mais, qui lui permettait de prendre la parole, lui le muet ? Pour les seconds, il ne pouvait au mieux que défendre les siens ; mais n’avait-il pas déjà trahi lui qui parlait l’Autre langue et avait adopté certaines de leurs étranges manières ? Il dérange alors tout le monde : les premiers parce que sa voix, si timide soit-elle, aura des accents revendicatifs, les seconds parce que son verbe solitaire échappe à la voix collective.

Après 1962, le statut de l’écrivain change. Il est enfin citoyen dans son pays. Mais il reste soumis à des injonctions qui visent à contrôler son écriture. Le point extrême a été formulé par le poète Djaout, quelques jours avant son assassinat en juin 1992[3].

La figure de l’écrivain émerge dans une solitude absolue[4]. Driss Chraïbi ou Kateb Yacine firent scandale chacun à sa façon. Le premier osa attaquer la figure centrale de l’édifice patriarcal. Le second était illisible car il bouleversait les catégories esthétiques et génériques habituelles…

Hier comme aujourd’hui, la politique (le politique) pèse comme un destin sur la littérature maghrébine. Tout écrit est continuellement ramené vers le réel, vers le champ social. La fiction est déchiffrée comme histoire vraie. L’écrivain n’échappe pas au paradoxe de sa position. D’un côté, on le considère comme un raconteur d’histoires, sans prise sur le réel. De l’autre, il est sommé de dire la vérité, et de parler pour tout le monde. La lecture de son œuvre – réduite au déchiffrement de sa position dans la société, de ce qu’il fait – opère continuellement un va-et-vient entre fiction et histoire vraie. Son histoire personnelle (et que peut-il faire d’autre que raconter son histoire, ou l’Histoire de son point de vue ?) est lue comme histoire « exemplaire », illustrant celle de tout le monde. S’il traite de l’Histoire collective, on cherchera à lui dicter ce qu’il faut dire  et on cherchera, surtout, à lui interdire certains territoires de cette Histoire[5].

L’écrivain est ainsi pris dans une situation quasi intenable. La fiction ne peut être détachée de l’histoire ; elle est lestée de son poids et elle l’éclaire comme une sorte de métaphore, qui la double et la transforme pour en faire apparaître les failles et les incohérences. Assia Djebar écrit à ce propos :

Ma fiction est cette autobiographie qui s’esquisse, alourdie par cet héritage qui m’encombre[6].

Il est difficile d’échapper à ces poids qui lestent et freinent le mouvement. Mais n’est-ce pas cela qui donne sens à l’écriture ?

Deux aspects, parmi tant d’autres, peuvent être retenus : l’exploration du passé, avec une figure historique centrale, celle de la Kahina ; et le récit historique dans la littérature actuelle. Cela nous permet d’avoir un aperçu de ce qui travaille comme un refoulé :

- une histoire contenue, qui remonte par bribes (notamment celle de la Kahina[7], personnage qui s'enracine dans une oralité première). L'oubli volontaire de ce personnage semble répondre à des objectifs non pas tant d'ordre religieux que relevant d’une problématique de l’identité. L’Ecrit, celui du texte religieux, du Texte suprême, fixe et définitif, refoule la parole vagabonde. L’élaboration identitaire élague et rejette tout ce qui brouille la généalogie mythique.

- Une histoire – il s’agit de celle qui est donnée à lire comme visibilité d’un pays, qui est notamment avancée dans le cinéma, souvent conçu comme galerie de héros – faite de plages blanches, de pages à l’écriture forcée. C'est alors dans le roman que se fait le retour de la complexité.

Au commencement de la mémoire, l’oubli 

On sait que l’histoire trie et organise ; elle retient et refoule dans l’oubli. Au commencement de la mémoire, un trou noir (ou une plage blanche) : Kahina la berbère. Une femme qui a osé mener la résistance contre le verbe d’Allah. Son nom, Dihya, ou Damya, fut masqué sous le substantif, généralisant et neutralisant, de Kahina qui signifia la devineresse, bientôt compris comme la sorcière. Notre mémoire repose sur un oubli, celui de son nom. Notre identité commence par une amputation, celle de sa présence. La béance est là, qui est répercutée par d’autres, celle du corps et de la parole des femmes, celle de la présence de la différence, que l’on appelle folie ou trahison…

Dans l’écriture poétique et romanesque, la béance est désignée. C’est dans la fiction que les figurent de l’ombre reviennent. Le narrateur de Khair-Eddine[8] la voit apparaître dans le théâtre d’Agadir dévastée par le séisme. Il a été envoyé dans la ville pour redresser une situation particulièrement précaire…. (Il) ne cherche pas la vérité (…). Ce qui compte : Aboutir à des conclusions qui se tiennent[9]

La tête jetée dans l’eau fait remonter le verbe bloqué depuis ce temps. La ville renoue avec une toponymie dont le sens s’est figé et perdu puisque Agadir signifie puits. Un autre réseau court, semblable à l’eau souterraine, à l’eau immémoriale. La représentation qui va se dérouler dans la chambre du narrateur reprend là où les significations avaient été bloquées, il y a si longtemps. Le verbe coranique a masqué tous les autres, qui vont être réactivés sur cet étrange théâtre (qui rappelle celui du refoulé). Au fonctionnaire de l’Etat, qui déclare qu’il n’a pas d’histoire[10] et qui s’enferme dans l’ignorance, l’étranger, cet émissaire de Kahina, raconte l’histoire de la création. Il déroule ce qui ressemble à une légende d’avant le verbe monothéique :

Je vais te conter l’histoire de l’homme.

Au commencement était la ténèbre (…)[11]

Le récit légendaire renoue avec les récits berbères, mais aussi avec les récits de l’Afrique par delà le Sahara. Il lance des ponts vers la mémoire première, d’avant les cavaliers arabes, mais aussi avec cet ailleurs dont nous sommes oublieux et qui enracine notre africanité[12]. Mais le retour vers ce passé oublié ne se fait pas sur le mode révérencieux. Le mélange des tons et le télescopage des langages décentrent le lieu du débat. Il n’est pas question de remplacer un récit par un autre, plus authentique. De la confrontation des récits naît une liberté. Il est possible alors de transformer le monde. L’étranger dit :

haranguant une foule invisible (…). Sortez de vos tombes. Ruinez le tertre. Bousculez la pierre. Oh Sortez ![13]

La harangue appelle un autre texte, la sourate 99, intitulée Le Séisme :

Quand la terre tremblera d’un violent tremblement, et que la terre fera sortir ses morts[14].

Le séisme verra revenir les morts. Kahina, puis Youcef[15]. Les deux personnages historiques sont porteurs un réquisitoire contre les gouvernants…

Ainsi, le retour sur le passé n’est pas retour passéiste. Il permet une critique du présent et une propulsion vers l’avenir.

Le même retour sur le passé se retrouve dans le roman de Tahar Djaout[16]. A la différence du personnage de Khair-Eddine, le narrateur veut  récupérer les miettes d’une mémoire qui se seraient éparpillées avec les cendres d’une reine coupée en morceaux et jetée dans l’unique puits de la région pour que les paysans meurent de soif[17].

Mais Kahéna : première patrie[18] n’est à l’abri ni des insultes ni des crachats. Pourquoi un tel comportement contradictoire du narrateur ? Il revendique son ascendance, mais est loin d’avoir l’attitude de respect habituel :

Kahéna-ma-mère par intérim

L’impératrice-pute

La reine immobilier

L’héroïne indésirable et abhorrée[19].

(…)

Si je vous racontai mes braves amis

Comme mon ancêtre Kahéna

Etait bonne baiseuse[20].

Libération du corps des femmes. Echappée de la contrainte tribale qui lui interdit tout mouvement en dehors de ce qui est permis. La violence de la langue accompagne le déverrouillage de l’histoire. Mais en même temps, le narrateur reste un homme de sa société et parle sa langue : il rejette, lui aussi, comme toute sa société, celle qui dispose de son corps. La langue de sa société parle par sa voix. Son lexique – et ses valeurs- le portent et « le parlent ».

Le changement de registre qui fait échapper au mythique ramène le débat historique dans l’actualité. Ce n’est pas un jeu gratuit.

C’est une démarche comparable que l’on voit chez Nabile Farès[21]. Kahina sera jugée et personne ne la défendra. Sa condamnation est en écho de son élimination dans la mémoire. Par contre, Kateb Yacine, n’a pas le même rapport à la Kahina :

Ils m’appellent Kahina, ils vous appellent berbères,

Comme les Romains appelaient barbares

Nos grands ancêtres Africains.

Barbares, berbères, c’est le même mot à peine déformé.

Comme tous les envahisseurs, ils appellent barbares

Les peuples qu’ils oppriment, tout en prétendant les civiliser.

Ils nous appellent barbares, pendant qu’ils pillent notre pays[22].

Kateb rejette dans le même camp tous les envahisseurs. Ce qui importe, c’est de renouer avec la mémoire première, celle de Kahina, qui permet de comprendre la déformation de l’histoire. A partir de là peut commencer une autre mémoire, une autre histoire.

Barrage sur l’histoire

Retour sur l’histoire. Renouer avec ce qui est enfoui et le ramener au jour, comme une langue oubliée, comme des vestiges d’un monde tenu au seuil de celui qui est visible. Mais ce qui est dans l’ombre n’est pas pour autant oublié. L’écrivain est ainsi un explorateur des territoires perdus. Il est également un arpenteur de cette part de l’histoire actuelle que l’on ne veut pas voir. On peut dire qu’aujourd’hui, ce sont les romanciers qui écrivent l’histoire. Des épisodes oubliés par l’histoire officielle sont pris dans la fiction. Tahar Ouettar traite d’un épisode de la guerre de libération, celui des communistes algériens et de leur élimination[23]. Il écrit dans l’Avant-propos de l’auteur :

Je ne suis pas historien et je n’ai nullement visé à faire de ce livre une œuvre étroitement liée à l’histoire, bien que certains événements retracés se soient effectivement déroulés ou présentent une similitude avec les faits réels. Je suis romancier. J’ai choisi un point de vue pour jeter un regard – à ma manière particulière – sur une période de notre révolution[24].

Entre l’historien qu’il n’est pas et le romancier qu’il déclare être, des événements réels mais traités comme une fiction et des événements similaires aux réels. Tout est dans ce décalage, comme tout est dans la liberté qu’il prend de traiter un point particulier de l’histoire.

Ce retour sur l’histoire se retrouve chez Boudjedra[25]. Il relit l’histoire de la guerre pour en retrouver la complexité. Il parcourt l’histoire qui fonde l’identité « arabe » pour en monter les failles et les fractures[26]. Le texte est à la limite de la lisibilité : il articule deux ensembles textuels : Les 1001 nuits, qui font la matière d’un film et la quête de Mohamed SNP qui tente de retrouver la maison d’Ibn Khaldoun, mais aussi le nom volé à l’ancêtre par le colonisateur. Le travail d’exhumation de ce qui était refoulé opère comme déblocage des mécanismes de la mémoire. Le récit de Nour, réintroduit l’oral, redonne vie au texte devenu passif et donc inefficace…

Assia Djebar fait aussi retour sur le passé. Elle revisite deux moments charnières, où des changements s’opèrent dans des traumatismes qui nous marquent aujourd’hui encore. Elle relit les textes qui ont accompagné la Conquête de l’Algérie, pour leur faire restituer des éléments de Son histoire :

Pelissier « le barbare », lui, le chef guerrier tant décrié ensuite, me devient premier écrivain de la première guerre d’Algérie (…) Pélissier, bourreau-greffier, porte dans les mains le flambeau de mort et en éclaire ces martyrs[27].

La même démarche se retrouve dans les romans sur la violence de ces dernières années. Rachid Mimouni[28] met en scène les transformations qui se produisent. On voit ainsi le personnage de Msili passer du rôle de militant du FLN à celui d’islamiste. L’homme suit et subit les métamorphoses du discours dominant, des signes vestimentaires qui font passer du bleu de Chine au kamis dit islamiste. Il découvre le pouvoir et la violence. On voit ainsi comment les valeurs, celles qui ont été déclarées valeurs immuables de la Révolution, qui semblaient pouvoir résister à tout, se délitent, et mènent au fratricide.

Les écrivains se sont ainsi fait les scribes de l’histoire immédiate. Dans un présent d’une extrême violence contre tous ceux qui écrivent, les textes se multiplient. La fiction garde tout ce qui doit être, selon les dictats de certains, exclu du vivant : l’amour et le rêve. Les romans de Maïssa Bey et de Ghania Hammadou[29] racontent la vie au quotidien. Ils sont construits comme des nouvelles et saisissent la transformation à partir d’un moment où tout bascule. Les individus, et les femmes particulièrement, tentent d’échapper à la gangue d’un monde qui se recroqueville et refuse tout changement.

Dans le roman de Leïla Marouane[30], on voit la mise en pratique littérale d’une loi de l’Islam. L'homme peut user comme il l'entend de son droit de répudiation. Mais au bout de trois fois, s'il veut encore reprendre sa femme, il faut qu'elle épouse un autre homme qui la répudiera... Ce qui était évoqué dans les prêches religieux comme cas de figure, comme possibilité envisagée mais jamais vraiment vécue, devient facteur de bouleversements sans fin dans la famille de Aziz Zeitoun. Le père, maître tout puissant, se voit confisquer son pouvoir par son fils et l'imam. La puissance que lui conférait l'argent n'est plus rien. Seule compte la loi de Dieu. Il ira de déchéance en déchéance : après la perte de sa femme et son autorité familiale, il perd sa fortune, puis son pouvoir sexuel, la raison et enfin la vie. C'est la Ruine cocasse d'un polichinelle[31].

C'est l'aînée des filles qui prend en charge la narration. Elle souffre d'amnésie et a donc une appréhension biaisée des événements. Ses jeunes sœurs comprennent aussi à leur façon les événements. Vision déformée, comme à travers un prisme : les faits et événements, les réactions et agissements des personnes subissent un décalage et apparaissent ainsi légèrement déformés... Tout est là, dans ce décalage. C'est là que réside ce dialogisme analysé par Bakhtine et qui caractérise l'écriture romanesque.

Face à sa femme qui un jour quitte son statut d'éternelle mineure, le père a un comportement de bête : il transforme la maison en porcherie ; il a une silhouette d'hippopotame (…) Son œil gauche clignait sans répit, ses mandibules claquaient doucement[32].

Il va cavalant comme un forcené, appelant ma mère à tue-tête (...). Quand il eut brisé tout ce qui lui tombait sous la main, même les précieux verres lexdura importés (...), quand il eut déchiré les robes de ma mère, les nôtres si elles se trouvaient là, il cessa ses gueulantes et sa course (...). Le visage suintant le souffle haché, il s'assit. Il se saisit de la bouteille de vin, laissa tomber le bouchon et but au goulot (...) Il laissa échapper la fumée de ses naseaux[33].

Fin du monde? interroge l'une des filles. Sûrement, mais sur le mode carnavalesque. Le père n'est plus qu'un bouffon, aux allures grotesques de gros animal. La mère a transgressé la loi du père, la loi sociale: elle quitte la maison sans autorisation. Elle la quitte seule (sans harim, sans gardien) et part dans un taxi, avec un étranger, ce Youcef Allouchi[34]. Elle s'enferme dans un espace clos, avec un étranger.

La conséquence est dans la suite logique de la faute la mère : la répudiation ce qui était habituellement n'était que rhétorique sera prise à la lettre de la lettre. Le père est piégé. Il perd pied. Le burlesque est partout : dans l'attitude du père qui guette les bruits de la maison voisine. Il est dans les préparatifs de la mariée qui refuse d'être habillée  et maquillée. Le père cède de plus en plus. Il régresse au stade animal  et s'enferme dans l'alcool. La narratrice gère comme elle peut. Elle fait don aux ouvriers, au nom de son père, des bateaux. Mais cette tentative de remplacer le père de plus en plus diminué ne peut marcher. Aziz Zeitoun sort de son ivresse et constate qu'il est ruiné. Violence contre l'aînée qu'il scalpe. Elle sera recousue à l'hôpital mais en gardera un air étonné, peu de cheveux et un parler chuintant à cause des dents cassées :

A cause des points de suture sur mon crâne, commis à la hâte, avec du fil et une aiguille grossiers, mon nez était maintenant retroussé ; mes yeux bridés; mes sourcils et les commissures de ma bouche relevés. Ainsi, j'avais l'air médusé, comme si je vivais dans un perpétuel étonnement, traversé par un imperceptible ricanement[35].

Finalement la folie de la narratrice, comme la mort du père, semble la seule issue dans un monde devenu fou.

Le dernier texte de ce panorama est un récit sur la peur[36]. Il participe de cette écriture de l’urgence dont on parle à propos de l’Algérie et de la guerre civile qui s’y déroule depuis sept ans. Ecrire pour devancer le tueur, pour tromper le juge, écrire et déranger, et déplaire… La situation est connue. Elle est terrifiante, mais n’est insupportable que parce que nous sommes confrontés à notre incompréhension et à notre impuissance. Chacun peut trouver dans un passé plus ou moins lointain ou dans le présent des exemples semblables[37]. Dans une situation semblable, celui qui est porté par l’écriture n’a pas le choix. Le silence, pour tentant qu’il soit, n’est pas possible, ou alors il n’existerait pas. Aïssa Khelladi était journaliste et essayiste. Le journal dans lequel il publiait des articles a perdu plusieurs journalistes et a été dévasté par l’explosion d’une bombe[38]. Mais aussi poser une écriture et être autre chose qu’un écrivant. Itinéraire de la solitude, naissance du sujet à l’écriture…

Le récit relate une période où les assassinats et les attentats furent très nombreux. La répression des islamistes qui occupaient les places publiques, l’assassinat de Saïd Mekbel, d’enterrement de Tahar Djaout,  et même l’arrestation et l’emprisonnement des journalistes, autant d’indices qui permettent de dater le récit.

Le narrateur doit obéir à plusieurs injonctions. Il doit se taire : son nom inscrit dans une liste affichée dans une mosquée signifie sa condamnation. Il doit écrire ce qu’il faut, lui disent le juge et l’homme mystérieux qui l’interroge. Il doit taire certaines choses lui dit le policier qui l’interroge dans le cimetière. Alors il écrit, pris dans ces multiples injonctions. Ecrire et louvoyer, et jouer avec la mort et le danger… Ecrire dans la peur, écrire la peur, dire la fuite et les lâchetés, et cet élan de vie qui fait presque scandale...

Les postures d’écriture sont autant de masques que le journaliste adopte, volontairement ou pour fuir d’une part le tueur et d’autre part le juge et le policier. Comment faire émerger un verbe qui vous soit propre à un moment où tout le monde vous dicte ce qu’il faut dire ? Comment advenir en tant que sujet de son écriture ? Le roman d’Aïssa Khelladi, alors même qu’il fixe un moment d’une histoire confuse et désordonnée, pose cette question : qui écrit ?

Cette question de l’émergence du sujet de l’écriture est vécue dans la fuite : le journaliste tente continuellement d’échapper aux rôles dans lesquels on voudrait l’enfermer.

Le mensonge (l’autre lieu d’où parle le roman) est une démarche pour ne pas être figé sur le pôle de la Vérité. Sur le pôle du discours univoque qui condamne et prend parti. Quelles sont les caractéristiques de cette écriture qui cherche à être, quels sont les masques et rôles que le journaliste adopte 

Amine Touati et Aïssa Khelladi, le pseudonyme et le nom d’auteur, occupent successivement les deux positions d’écrivain et de personnage du récit. On sait que le pseudonyme est pris pour masquer (voiler, cacher) le nom réel, celui de l’état civil. C’est le nom qu’on se donne soi-même, celui qui fait advenir le sujet de l’écriture. Ainsi, Amine Touati est le pseudonyme, c’est le nom d’écriture. Mais le nom du personnage est l’anagramme du nom réel. Le nom tribal, le nom attribué par le père est à la fois masqué et exhibé. Les deux noms font bouger les deux pôles conventionnels de la personne réelle et du personnage fictionnel. Cette permutation estompe les frontières entre réel et fictionnel.

La permutation de la nomination est à l’œuvre dans le corps du texte. Lorsque le journaliste dit son prénom à un autre détenu, il s’entend répondre (est-ce vrai ou a-t-il eu une sorte d’hallucination auditive ?) menteur[39]. Lorsqu’il assiste à l’enterrement de Tahar Djaout, il affirme : Je m’appelle Tahar, enfin c’est une façon de parler[40]. Cette identification (cet emprunt d’identité) lui permet de d’élaborer le scénario de sa mort, de construire un élément ce qu’il appelle sa fiction :

Je n’ignore pas que trois meurtriers viendront me donner la mort. J’aurai mes lunettes sur moi, elles glisseront et se briseront contre le sol. L’un d’eux sera peut-être tôlier ou marchand de légumes. Il paraît[41].

Cet énoncé révèle deux positions différentes du narrateur : d’abord le projet d’identification qui lui fait prendre le masque (notamment les lunettes) du mort. Masque du mort : figement, fixation de ce moment où le mort prend un autre aspect, celui qu’il a juste avant la mise en terre et qui est censé être définitif. Mais la dernière phrase introduit le doute. Incertitude parce que l’information ne peut être vérifiée ? Doute de la véracité des faits, sur l’identité des tueurs ? Les deux sont possibles…

Le jeu d’identification se prolonge dans le projet d’écriture :

Quoi qu’il en soi, j’ai décidé qu’ils ne m’auront pas. Je continuerai à écrire des articles et à préparer mon deuxième essai sur les islamistes (…). A l’occasion, je commettrai un peu de poésie[42].

L’autre nom qu’adopte le journaliste est celui de Saïd:

Ne m’appelle plus Amine. On pourrait t’entendre et croire que c’est vrai. Je suis Saïd[43].

Saïd, c’est ce journaliste qui a mis plusieurs portes métalliques entre lui et le tueur, non pour l’empêcher de l’atteindre, mais pour le ralentir dans sa progression et avoir le temps, peut-être, de prendre la fuite. Mettre entre le danger et soi des filtres, des barrages et des masques. Amine tentera de reprendre, en le corrigeant et en l’adaptant à l’appartement de sa sœur Ouardia. Il s’enferme dans la pièce du fond, mais en est continuellement débusqué (déjà démasqué), par sa sœur, par ses neveux…

Permutations d’identités, emprunts des façons de gérer la peur : autant de masques, autant de barrages entre le monde (la mort et la prison) et soi. Cela n’est pas sans danger, comme s’il était périlleux de quitter le nom du père, de rompre avec la tribu :

C’est vrai que je deviens un peu fou à vouloir changer le nom comme ça .

Le fou, c’est celui qui agit contrairement à la raison, de façon insensée, en dehors de la norme admise par tous. C’est aussi l’amuseur du roi et des puissants. Il joue la folie pour tenir le discours normalement intenable. Le masque du fou permet de dire une autre vérité, celle du rire et de la parodie. C’est que le fou, les fous, les bouffons sont les baladins de la vie. Ils sont « étrangers » dans ce monde, ils ne sont solidaires d’aucune situation existant ici-bas (…) Ils peuvent utiliser n’importe quelle situation comme un masque (…). « Le bouffon et le sot ne sont pas de ce monde », et donc, disposent de droits et de privilèges spéciaux[44].

Le fou (le bouffon) ne s’aligne pas sur les mêmes positions que tout le monde. Il n’a pas les mêmes intérêts. Mais ce fou pose des questions que personne ne veut entendre, il va dans des territoires que tous lui interdisent. Le jeu devient alors sanglant et le masque est l’image grimaçante de la violence infligée par un père Ubu (le polichinelle, le commandant, le gouverneur, etc. ). Cette situation est souvent mise en scène dans les littératures des pays du Sud. Elle implique l’intellectuel, le journaliste, et tous ceux qui questionnent

Ecrire tue[45]. Si écrire permet d’échapper au père et à la tribu, elle met en mouvement la horde des tueurs et attire l’attention du juge. C’est qui se met comme un masque, ou un révélateur, sur toute chose :

Je veux que l’on me considère comme mort (…). J’entends jouir de tous les privilèges d’un mort : faire et dire ce que je veux[46].

Il déclare à celui qui l’interroge :

Peut-être que j’aurais changé d’avis car, moi aussi, je n’ai que les idées de mes intérêts.

Réponse ambiguë, comme c’est souvent le cas. Le journaliste ferait ainsi l’aveu, un peu provocateur, de ce qui lui est implicitement reproché ? En même temps, il refuse d’être au-dessus de la mêlée : il est comme tout le monde. Mais l’incise moi aussi ouvre sur d’autres implicites, d’autres discours possibles : comme vous… L’ironie possible viendrait nier la concession faite ? L’officier ne s’y trompe pas : On va faire en sorte que vous changiez d’avis[47]. Qui est ce on ? Ce sont au moins tous ceux qui vont se charger du journaliste : l’homme mystérieux, le juge, l’avocate, les autres flics, etc. Toute l’institution (police, justice, c’est-à-dire tout l’appareil répressif d’Etat) le prendra en charge pour lui faire produire un autre discours. Son article discours est jugé sans intérêt. Pourquoi lui faire réécrire l’Article qui viendrait contrebalancer la centaine d’articles qu’il a déjà publiés ? Quel est ce discours de la réalité qu’il faut tenir ? Quel est ce bon article[48] que son avocate lui conseille d’écrire ? Selon le journaliste, c’est l’article bien documenté, qui rend compte de la réalité, celle des islamistes comme celle du pouvoir ; c’est l’article – vérité. C’est pour cela qu’il va dans les mosquées pour observer, qu’il se rend sur les places occupées par les Islamistes pour constater de visu ce qui se passe. L’article de commande serait sur le pôle du mentir-vrai que son mystérieux interlocuteur se plaît à évoquer… Le journaliste accepte d’écrire : toute une nuit pour user trois stylos et remplir un cahier. Il aurait dit la vérité ? Il est soulagé d’avoir écrit, d’avoir parlé, mais la vérité, c’est autre chose : Je ne révèlerai jamais rien tant que je ne sais pas exactement le fin mot de mon histoire[49]. Y avait-il une vérité à taire ou à révéler ? N’est-ce pas une sorte d’instinct de résistance : ne pas tenir le discours demandé, ne pas parler par la voix du Guide ? Avec le juge comme avec l’homme mystérieux ou le capitaine, le journaliste a affaire à des hommes qui respectent les règles de l’échange, qui essaient de le convaincre, qui lui disent qu’il ment mais en restant polis, qui menacent sans en avoir l’air. Il en est autrement avec les policiers : en prison l’un d’eux à un regard fou et c’est un certain Mohamed qui le calme, alors que le fusil était pointé sur Amine[50]… Au cimetière lors de l’enterrement d’un policier abattu par un terroriste, il est témoin d’exactions contre des personnes venues pour un autre enterrement, celui d’un prétendu islamiste. Un policier l’interroge à propos de son journal : Quelle tendance ? – je dis « aucune » - Ah, je vois, vous n’êtes pas contre les terroristes[51]. L’interprétation est simple : pas contre eux, donc pas avec nous et pour eux. Prendre parti, se positionner, c’est ce qu’on lui demande. L’homme armé a un discours beaucoup plus explicite que les officiers ou le juge : Si tu écris dans ton journal quoi que ce soit de ce que je viens de te dire, tu auras affaire à mes couilles (ibid.). Pourtant, il raconte les exactions, les vengeances. Il donne des précisions, sans crainte. Tant que ce n’est pas écrit…. Comme si les faits devenaient réels à partir du moment où ils passaient par l’écriture. L’écriture serait une sorte de naissance à la réalité[52].

Le roman affiche dès le titre le lieu d'où il parle. La fuite du journaliste dans une société qui accepte son élimination pose la question de la place de celui qui écrit et rend public ce qu'il écrit. Journaliste, celui qui écrit au jour le jour, et cela devient rapidement presque synonyme de vivre au jour le jour. Car le journaliste écrit quand il peut, comme il peut. Mais il écrit, c'est une sorte d'obligation, ou de nécessité. Il devrait se taire, mais il écrit. On le menace, mais il écrit... Il feint d’écrire comme le lui demande le juge, mais masque son discours, le tronque. Il sait que le verdict ne dépend pas de ce qu’il écrit. Dans sa situation, écrire l’expose à la violence. Mourir ou être emprisonné ? C’est autre chose qui arrive : l’exil. C’est le troisième pôle, qui semblait absent de la fiction du journaliste (qui élabore continuellement des scénarios qui le projetteraient dans l’avenir). Il est mis hors jeu. Mais ne l’est-il pas déjà par l’écriture ? Ne s’est-il pas déjà par l’écriture tracé un territoire ?

Il avait refusé d’écrire sous la dictée. Il refuse de reprendre ce qu’on dit. Il veut sa vérité, celle des faits qu’il aura vus… Bientôt sa vie se confond avec l’acte d’écrire. Elle en a les marques et les masques. Il louvoie, il ment, il fait semblant d’obéir pour mieux échapper… Il ne produit pas le texte attendu. D’où écrit-il alors ? Il refuse d’écrire aux ordres. Pourtant, il écrit sur commande : celle du directeur de son journal, ou d’un autre journal. Pourtant une voix est là qui dit : Raconte[53], puis Ecris[54]. Qui énonce cet ordre (ou cette prière) ? Qui peut être cet autre qui demande l’écriture ? L’injonction est réitérée une autre fois : Ecris au nom de Dieu[55]. Un autre énoncé est alors convoqué : c’est l’énoncé inaugural du texte coranique :

Lis au nom de ton seigneur[56].

Tous les autres textes sont effacés, voilés, par le Texte unique. Le journaliste serait dans cette relation, de simple répétition ? Ou serait-il tenté d’imiter le Texte ? Son attitude est double. Il admire le Coran, son premier livre :

Sa lecture me fascine et me projette tout entier dans la magie du verbe arabe[57].

Ce n’est plus le livre de la Loi, du vrai et du faux, ce n’est plus le Kitab, celui qui répond à toutes les questions. C’est un beau texte, ce n’est plus un livre de vie, celui qui répond aux questions. Les questions, c’est le journaliste qui les pose lui-même :

Les questions, c’est peut-être ce qui te définit le mieux[58].

Le questionnement instaure un autre type de relations aux vérités enseignées. Il n’est plus question de croire ou de ne pas croire. Il n’est plus question d’assertions. C’est le temps du comment. Comprendre, connaître… Et voilà que le jugement et la condamnation s’éloignent, deviennent secondaires. Son discours devient une vaste scène où toutes les voix cohabitent, même celles qui le condamnent. Espace ouvert à la polyphonie (Bakhtine). Il cite le discours des islamistes. Pas de guillemets, mais une citation très libre (discours indirect libre) ; une accumulation de termes qui produit une impression de saturation, d’où naît l’ironie. Sa voix serait ainsi faite de toutes les voix citées ? Il n’aurait pas de discours propre ? Son attitude de méfiance, et de prudence intellectuelle, lui rend  des discours dogmatiques insupportables. Ce qu’il ressent, ou comprend, ou voit, c’est-à-dire ce qui passe par sa perception est seul tangible, réel, etc. Mais il affirme aussi que le journaliste est un homme comme les autres. En se méfiant de toutes les attitudes claires, il apparaît dans la position qu’il a voulue : celle d’un individu. Cette attitude fait du journaliste l’exclu. Il n’a de place nulle part. La peur qui l’habite est la métaphore de cet exil qui annonce celui vers lequel on le mènera. En fait, en refusant d’être dans un groupe, il est déjà dans l’exil…

Kateb écrivait, en hommage au peintre M’hamed Issiakhem.

Mourir ainsi c’est vivre

Guerre et cancer de sang

Lente ou violente chacun sa mort

Et c’est toujours la même

Pour ceux qui ont appris

A lire dans les ténèbres,

Et qui les yeux fermés

N’ont pas cessé d’écrire

Mourir ainsi c’est vivre. 

Ecrire c’est aller en quête sur des territoires inconnus. C’est une démarche périlleuse. C’est celle des écrivains Algériens. La société ne peut tout à fait les admettre, mais ne peut les rejeter. Ils n’ont de place nulle part, et doivent être partout, sur tous les fronts. Ils revendiquent une liberté et ne veulent aucune mission. Mais ils sont dans leur société, étrange présence. Verbe obscur, le seul vrai…Position insupportable ? N’est-ce pas celle des écrivains présents à leur société ?

Zineb ALI-BENALI

 

Corpus des textes étudiés

Bey, Maïssa : Au commencement était la mer, Algérie Littérature / Action, N° 5, 1996.- p.p. 5 - 74.

Boudjedra, Rachid : Les 1001 années de la nostalgie.- Paris, Denoël, 1979.

 - Le Vainqueur de coupe.- Ibid.- 1981

 - Le Démantèlement.- Ibid.- 1982

 - La vie à l'endroit.- Paris, Grasset, 1997

Tahar Djaout : L’Exproprié.- Alger, SNED, 1981.- 150 p.

 L’Invention du désert.- Paris, Le Seuil, 1987.- 200 p.

Djebar, Assia : Oran, langue morte.- Arles, Actes Sud, 1997.- 382p.

- Le Blanc de l'Algérie.- Paris, Récit, Albin Michel, 1996

- Vaste est la prison.- Paris, Albin Michel, 1995. 

- Loin de Médine.- Paris, Albin Michel, rééd., 1991.

Hammadou, Ghania : Le premier jour d'éternité.- Paris, Algérie Littérature / Action, N° 12 - 13, 1997.- p.p. 5 – 123.

Khelladi, Aïssa : Peurs et mensonges.- Paris, Seuil, 1997.- 236 p.

Khelifi, Ghania : Kateb Yacine. Eclats de poèmes.- Alger, Enag / Editions, 1990.- 136 p.

Marouane, Leïla : Ravisseur.- Paris, Julliard, 1998.- 190 p.

Mimouni, Rachid (1993) : La Malédiction.- Paris, Stock, rééd. "Pocket", 1995.- 217 p.

Saadi, Nourredine : Dieu-le-fit.- Paris, Albin Michel, 1996.- 268 p.

Tahar, Ouettar : L’As.- Paris, Messidor / Temps actuels, traduit de l’arabe par Bouzid Kouza, 1983.- 214 p.


Notes

[1]- Jugurtha et Abdelkader ont été, après les manifestations du 8 mai 1945, et pendant cette période de veillée d’armes qui devait s’achever le 1er novembre 1954, les deux figures emblématiques de la résistance, qui vont être dressées dans les essais d’écrivains comme Kateb, Abdelkader et l’indépendance algérienne, Alger, Ed. An-Nahdha, 1947 et Mohamed-Chérif Sahli, Le Message de Yougourtha, Alger, Imprimerie générale, 1947, rééd. par L’Algérien en Europe, S.d. (1968), et  Abd-el-Kader, le chevalier de la foi, Alger, Editions An-Nahdha, 1953.

[2]- In Le jeune Algérien (1930).- rééd. Paris, Garnier, 1981.- p. 108.

[3]- Cf. « Si tu dis tu meurs. Si tu te tais tu meurs. Alors dis et meurs »…

[4]- Les premiers intellectuels algériens n’étaient ni des romanciers, ni des poètes, mais des hommes pris entre les deux communautés et qui essayaient de porter quelques revendications… Cf. Ali-Benali,  Zineb: Le discours de l’essai de langue française en Algérie. Mise en crise et possibles devenirs (1833-1962).- Aix-en-Provence, Thèse de doctorat, janvier 1998.

[5]- Sans entrer dans un débat qui porterait sur l’évolution des sociétés maghrébines, on peut dire que le paradoxe de cette situation vient de la crise de ces sociétés. Depuis la fin du XIXè siècle (et peut-être avant), le Maghreb est pris entre deux mondes : le monde traditionnel dans lequel l’individu reste dans le groupe et un autre monde qui verrait l’émergence de cet individu, à la voix solitaire, au destin à faire… Cf. par exemple les études de Medhar, Slimane : Tradition contre développement.- Alger, ENAP, 1992.- 294 p.

[6]- Djebar, Assia : L’Amour, la fantasia.- Paris, Lattès, 1985.- p. 244.

[7]- La Kahina, reine berbère qui, à partir des monts de l’Aurès, à l’Est de l’Algérie, mena au VIIè siècle la résistance contre les Arabes. Dans l’histoire de l’Algérie indépendante, on considérait qu’on ne pouvait retenir l’idée de résistance d’un peuple qui refuse la parole d’Allah, même lorsque l’opération se fait à l’ombre de l’épée. L’histoire enseignée dans les écoles de l’Algérie indépendante commençait au VIIè siècle. Avant, trou noir, rien… Kahina triomphera, puis finira par être vaincue. Sa tête coupée sera jetée dans un puits, qui s’appelle depuis Bir al-Kahina, puits de la Kahina…

L’histoire peut prendre sa revanche sur l’oubli. Le vocable Kahina est devenu le prénom d’innombrables fillettes, qui les lient symboliquement à leur aînée.

[8]- Cf. Agadir.- Paris, Seuil, 1967.

[9]- Khair-Eddine : Op. cité.- p.p. 48 – 49.

[10]- Op. cité.- p. 54.

[11]- Op. cité.- p. 55.

[12]- Yamina Méchakra écrit que « l’Afrique ne nous est pas tombée des yeux ». Cf. La Grotte éclatée.- Alger, Sned, 1979.

[13]- Khair-Eddine : Op. cité.- p. 57.

[14]- Coran, sourate 99

[15]- Il s’agit de Youcef Ibn Tachfin. Djaout écrit à propos de ce personnage : (…) « après la mort, en 1106, de Youcef ibn Tachfin le fondateur, le souverain à la bure élimée, la dynastie n’enfanta plus aucun homme digne de mémoire »., L’Invention du désert.- Paris, Seuil, 1987.- p.16.

[16]- Djaout, Tahar : L’Exproprié.- Alger, SNED, 1981.- 150 p.

[17]- Op. cité.- p. 20.

[18]- Ibid.

[19]- Op. cité.- p. 65.

[20]- Op. cité.- p. 66.

[21]- Nabile, Farès : Le Champ des oliviers.- Paris, Seuil, 1972.

[22]- Kateb, Yacine : La guerre de deux mille ans, extrait dans Kateb Yacine. Eclats de poèmes, par Ghania Khelifi.- Alger, Enag / Editions, 1990.- p. 74.

[23]- Ouettar, Tahar : L’As.- Paris, Messidor / Temps actuels, 1983.- Traduit de l’arabe par Bouzid Kouza.

[24]- Ouettar, Tahar : Op. cité.- p. 7.

[25]- Cf. Le Vainqueur de coupe.- Paris, Denoël, 1981 et Le Démantèlement : Ibid..- 1982.

[26]- Boudjedra, Rachid : Les 1001 année de la nostalgie.- Ibid.- 1979.

[27]- Djebar, Assia : Op. cité.- p. 92.

[28]- Mimouni : La Malédiction.- Paris, Stock, 1993.- Rééd. « Pocket », 1995.

[29]- Bey, Maïssa : Au commencement était la mer in Algérie Littérature / action N° 5, et Ghania Hammadou, Le premier jour d’éternité, ibid., N° 12-13

[30]- Marouane, Leïla : Ravisseur.- Paris, Julliard, 1990.

[31]- Cf. Le roman de Mongo Beti, La Ruine presque cocasse d’un polichinelle.- Paris, 1979

[32]- Ibid.- p. 45.

[33]- Ibid.- p. 45.

[34]- Cf. les sèmes attachés au nom Allouchi : le maître du allouch, celui qui possède un allouche, c'est-à-dire, selon les régions, soit un mouton, soit un pénis... Le personnage n'est pas marié alors qu'il est un homme fait, qu'il a une maison... Comme son refus de prendre femme est incompréhensible, il passe pour un impuissant, ou un homme marié à une jennia, une fée jalouse de toute autre femme...

[35]- Marouane, Leïla : Op. cité.- p. 125.

[36]- Khelladi, Aïssa : Peurs et mensonges.- Paris, Seuil, 1997.

[37]- Que l’on se rappelle Diderot à la Bastille, Zola, les plasticages de l’appartement de Sartre, les écrivains et journalistes dans le reste de l’Afrique, du Monde Arabe, en Amérique du Sud…

[38]- Il s’agit de l’Hebdo libéré, devenu Le Nouvel hebdo.

[39]- Khelladi, Aïssa : Op. cité.- p. 221.

[40]- Ibid.- p. 30.

[41]- Ibid.- p. 31.

[42]- Ibid.- p. 31.

[43]- Ibid.- p. 58.

[44]- Bakhtine, M. (1978) : Esthétique et théorie du roman.- Paris, Gallimard, rééd. « Tell Gallimard, 1997.- p. 306.

[45]- Pour pasticher une expression courante, et le titre d’un récit, « vivre tue ».

[46]- Khelladi : Op. cité.- p. 63.

[47]- Ibid.- p. 180.

[48]- Ibid.- p. 202.

[49]- Ibid.- p. 235.

[50]- Cf. Ibid.-p.p. 125-126.

[51]- Ibid.- p. 119.

[52]- Dans une société d’oralité, l’écrit a une grande importance. C’est écrit, c’est donc réel, vrai. Dans le traitement des affaires, on a besoin de la parole donnée, mais tant que ce n’est pas écrit, il est toujours possible de se défiler. Est-ce par référence à l’Ecrit suprême, le Coran, qui rend nuls tous les autres écrits, mais en même temps, ceux-ci peuvent le concurrencer, le voiler… ? Cette peur de la trace tangible se retrouve dans le rapport à la photo : beaucoup de femmes, mais aussi d’hommes, répugnent à être photographiés…

Un proverbe dit que ce qui est écrit entre les yeux, les mains ne peuvent l’effacer.

[53]- Khelladi : Op. cité.- p. 21

[54]- Ibid.- p. 63.- deux occurrences.

[55]- Ibid.- p. 64.

[56]- Coran, sourate 96 Al ‘Alaq ( l’adhérence). Cet énoncé ouvre d’autres sourates : 109, 112, 113, 114…

[57]- Khelladi : Op. cité.- p. 59.

[58]- Op. cité.- p. 60.

 

 

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche