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Agro-business et développement dans la région de l’Office du Niger (Mali)

Insaniyat N°51-52| 2011 | Le Sahara et ses marges | p.119-134 | Texte intégral


 The agro-business and development in the Region Niger Office (Mali)

Abstract: The world cereal market evolution and the hunger riot outbreaks make food product security more than ever a priority for agricultural polices in the countries of the South. In this context, Mali is considered as a powerful macro regional agricultural potential. Huge installation programs have been undertaken in the Niger Office irrigated land systems letting one foresee changes without precedent. The development model base on family agriculture thus seems to be questioned in favor of agro-business promotion within a real estate privatization context. This region is at the dawn of socio-spatial rearrangements and readjustments in so much as socio-economic as environmental that one is just starting to feel, however the agro-business vocation for safe food provisions for the Mali and its neighbors arouses a lot of reticence.

Keywords:  Niger Office - irrigation - family agriculture - agro-business - water management - land access.


Florence BRONDEAU :  Enseignante, Université Paris 4 Sorbonne. UMR 8185 ENeC


Alors que la sécurité alimentaire constitue une préoccupation majeure pour de nombreux pays du Sud, les potentialités de production de son delta intérieur font du Mali une puissance agricole potentielle à l’échelle régionale. Dans ce contexte le système irrigué de l’Office du Niger se trouve au cœur des enjeux économiques et politiques définis dans le cadre de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) et de la CEN-SAD (Communauté des Etats Sahélo-Sahariens). Des projets d’aménagement sans précédent, à la mesure des ambitions du Mali et de ses partenaires, sont programmés à court terme : la création d’un pôle de production macro-régional a pour objectif de sécuriser l’approvisionnement alimentaire des populations de la sous région. Alors que la « révolution verte » basée sur les exploitations familiales se révèle des plus fragiles, il semble qu’un nouveau modèle de politique de développement agricole se profile en faveur de l’agro-business. Cette région est à l’aube de mutations socio-économiques et environnementales rapides et profondes. Le processus de redistribution sinon de confiscation des terres qui est d’ores et déjà en cours remet fondamentalement en question les perspectives de développement envisageables pour les populations à l’échelle locale et régionale.

I. Un pôle de production potentiel à la recherche d’un modèle de développement

« L'Office du Niger : îlot de prospérité paysanne ou pôle de production agricole ?». La question posée par Jean Yves Marchal en 1974[1] semble plus que jamais d’actualité alors que les programmes d’aménagement en cours ou programmés à court terme s’orientent vers l’introduction de l’agro-business tandis que la fameuse « révolution verte » prématurément annoncée semble être « en panne ».

1. Une « révolution verte » en panne.

Le bilan actuel de la « révolution verte »  basée sur la modernisation des exploitations familiales et l’intensification de la production est finalement très mitigé, sinon inquiétant, même si les progrès significatifs ont certes été effectivement enregistrés. Les rendements rizicoles ont plus que doublé pour atteindre 4 tonnes à l’hectare en moyenne. La production rizicole annuelle est de l’ordre de 400 000 tonnes, ce qui représente la moitié de la production nationale, tandis que la diversification des cultures pratiquées a permis à cette région de devenir une des principales zones maraîchères du pays… Mais, ce tableau très schématique mérite d’être nuancé.

Les exploitations familiales se trouvent pour beaucoup d’entre elles dans une situation financière très précaire. Certains casiers obtiennent certes des rendements élevés (jusqu’à 8 t/ha dans la zone Rétail) mais les résultats sont très inégaux (2 t/ha dans bien des secteurs du Macina). Le prix très élevé des engrais empêche les exploitants d’utiliser des doses suffisantes et contribue à leur endettement. Or l’efficacité des semences hybrides, largement diffusées, est assujettie à l’utilisation d’intrants. Cet endettement engendre un processus de désinvestissement qui se matérialise par la vente du matériel agricole et des bœufs de labour et peut aller jusqu’à la cession partielle des parcelles (Coulibaly Y., Bélières J.F., Kone Y.[2], Défis Sud[3]). Il constitue donc un véritable frein à l’investissement, fragilise le processus d’intensification qui s’amorçait à peine et suscite de nombreuses évictions.

Il ne semble toutefois pas que l’on ait réellement donné les moyens à cette paysannerie locale d’entreprendre de réelles mutations. La taille excessivement réduite des exploitations et le manque d’encadrement technique et commercial constituent sans doute les principaux freins à la modernisation de l’agriculture familiale (Coulibaly, Bélières, Kone2). Ainsi 56% des exploitants disposent de moins de 3 ha cultivables, seuil de viabilité d’une exploitation dans la zone irriguée. L’accès au foncier constitue donc sans doute le principal frein aux perspectives de développement des exploitations familiales. Il est conditionné par la disponibilité en main d’œuvre mobilisable, et de plus en plus par les capacités d’investissement des paysans. Une partie des surfaces aménagées a toutefois d’ores et déjà été attribuée à des fonctionnaires, des commerçants... selon des critères très flous.

Cette « révolution  verte » n’a donc pas engendré le processus de développement escompté. Ainsi dans une région qualifiée de «grenier à riz» (Kuper, Tonneau[4]), la plus grande partie de la production est intégrée dans un système vivrier qui ne dégage que peu d’excédents commercialisables et permet tout juste aux 17 000 exploitants agricoles de survivre. En l’état, ce système ne peut en aucun cas initier la création d’un pôle de production capable d’approvisionner la sous région. Par ailleurs, financer l’extension des surfaces irriguées et assurer la durabilité des aménagements constituent dans le contexte actuel un enjeu majeur. Or, les réhabilitations et les extensions comme la maintenance du réseau constituent un véritable gouffre financier (3500 à 5000 euros par hectare aménagé). L’amortissement des aménagements n’a par ailleurs jamais été envisageable jusqu’à présent et la redevance de l’eau ne permet pas de financer l’entretien correct du réseau hydraulique qui doit consécutivement faire l’objet de réhabilitations régulières. Les bailleurs de fonds ne souhaitent plus entretenir un système qui semble condamné à vivre sous perfusion financière permanente. Quant à l’Etat malien déjà lourdement endetté, il est incapable de financer de front l’entretien des infrastructures hydrauliques, la poursuite des réhabilitations et les extensions projetées (BCEOM[5]).

En outre, ce réseau hydraulique gravitaire consomme des quantités d’eau colossales et ceci en dépit des économies qui ont pu être réalisées au fil des travaux de réhabilitation successifs. Les ponctions mensuelles moyennes réalisées au profit de l’Office du Niger sur le débit du fleuve varient de 3% en période de crue à 74% au mois de mars. En année décennale sèche, ces prélèvements mensuels représentent la quasi-totalité du débit mensuel moyen entre février et mai (Bélières J.F., Keita I., Sidibé S.[6]). Le risque de pénurie saisonnière a d’ailleurs été démontré à l’occasion de l’étiage. Le choix d’un système d’irrigation gravitaire est intrinsèquement source de gaspillage. Les pertes les plus importantes (22 à 28%) sont enregistrées dans le réseau des canaux principaux. Elles sont liées tant à l’évaporation q’aux nombreuses fuites par brèches qu’aux infiltrations. L’efficience du système est évaluée à 33%, ce qui est très en deçà du taux acceptable pour ce type de réseau d’irrigation (50 à 60%). Cette surconsommation est également imputable au maintien d’une tarification forfaitaire à l’hectare et aux nombreux branchements illicites qui sont tolérés sur les marges de la zone irriguée. Le choix de promouvoir une quasi monoculture rizicole y compris pendant la saison la plus chaude, constitue une aberration en terme de gestion de l’eau.

Les fragilités de cette « révolution verte » suscitent des doutes sur la capacité de l’agriculture familiale à impulser le processus de croissance agricole rapide, attendu par le gouvernement malien et par ses partenaires qui se tournent vers l’agro-business.

2. L’agro-business : un modèle de développement alternatif ?

Les projets d’aménagement envisagés sont donc à la mesure des ambitions formulées par L’UEMOA et la CEN-SAD : faire du Mali une puissance agricole régionale. Des projets de quelques milliers d’hectares ont d’ores et déjà été réalisés (carte 1), mais ces programmes d’extension connaissent une phase d’accélération sans précédent. Le Sexagon (principal syndicat des paysans de l’Office) évalue les surfaces concernées à 360 000 ha (Le Monde, 16-04-09).

L’UEMOA entreprend des aménagements de l’ordre de 25 000 ha pour la mise en œuvre d’une « Opération de Production de Riz », après l’ouverture prévue d’un nouveau bief sur le Fala de Molodo (carte 1), au niveau du point C. La première tranche compte 5 500 ha. Dans le cadre du Millenium Challenge Account (MCA), les Etats Unis ont entrepris un projet d’aménagement de 14 000 ha dans le Kouroumari à Alatona.

C’est toutefois le projet Malibya qui évolue le plus rapidement et qui se révèle le plus spectaculaire. Le décret No 04-329/P-RM formalise l’attribution de 100 000 hectares aux pays membres de la CEN-SAD, dont l’aménagement a fait l’objet d’une étude préliminaire de faisabilité par la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) à la demande du Secrétariat Général de la CEN-SAD. Dans ce cadre, la Libye et le Mali ont créé une société mixte, Malibya Agriculture, chargée de mettre en œuvre des aménagements colossaux sur la totalité de cette surface attribuée de fait à la Libye dans le système hydraulique du Macina (carte 1). Une première tranche de 25 000 ha doit être aménagée dans le secteur de Boky Wéré et au-delà vers Kolongotomo et Ké Macina. Ce projet associe le développement de la production rizicole, de la canne à sucre et du maïs avec la création d’un pôle d’élevage bovin intensif et d’usines de transformation des produits maraîchers (la tomate en particulier). La production rizicole devrait atteindre à terme 1,6 millions de tonnes de riz par an. Il est prévu d’obtenir 200 000 t de riz dès 2012 au terme de la première phase d’aménagement. Une intensification de la production de l’ordre de 20% est envisagée grâce à l’introduction de variétés hybrides mises au point par le Centre National Chinois du riz hybride dont les rendements dépassent 10t/ha. Le village de Boky Wéré doit accueillir une station de production de semences hybrides chinoise. Le Mali se place ainsi dans une situation de dépendance vis- à -vis de la technologie chinoise : ces semences ne sont pas reproductibles et elles devront être rachetées par les exploitants au début de chaque saison de culture. Leur efficacité étant par ailleurs assujettie à l’utilisation massive d’engrais et d’intrants divers, la majoration des coûts de production pénalise les petits exploitants et laisse craindre la pollution des eaux de drainage et de la nappe phréatique. En outre, cette évolution menace la diversité des productions de riz locales déjà mise à mal par le succès des variétés du Nerica (hybride mis au point par le Centre Africain du Riz). Enfin, au niveau gustatif, ces variétés hybrides ne sont pas appréciées par les populations qui préfèrent en effet, de loin les variétés locales. Ainsi, les riz importés de Thaïlande sont choisis avant tout pour leur prix et non pas pour leur goût. C’est ici le choix d’une production massive qui a été fait, destinée pour une large part à l’exportation.

Carte 1 : L’agro-business à l’assaut de l’Office du Niger : vers quelles recompositions géographiques ?

 

Dans ce nouveau contexte, d’aucuns craignent que la récente loi (votée en novembre 2008) sur la sécurité en biotechnologie n’ouvre la porte à des expérimentations de semences génétiquement modifiées. Ces inquiétudes sont aggravées par les programmes initiés par l’AGRA (Alliance pour une Révolution Verte en Afrique) en collaboration avec le MCA à Alatona. L’AGRA est un projet de recherche dans le domaine des semences améliorées conçu et financé par les fondations Bill Gates et Rockfeller. Des semences maraîchères résistantes aux maladies les plus courantes devraient être distribuées aux exploitants. La COPAGEN (Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain) s’inquiète de voir la zone de l’Office du Niger se transformer en « une forêt d’expérimentation sans aucune transparence sur les types de semences qui sont introduits » (Michel Y.[7]) et a manifesté avec les principales organisations paysannes à plusieurs reprises à Bamako contre l’introduction des OGM.

II. Dynamiques foncières et gestion de l’eau : enjeux et perspectives de développement 

1. Vers une redistribution ou une confiscation des terres ?

Les mutations en cours quant à l’accès au foncier et les recompositions socio-spatiales associées sont au cœur des enjeux de développement dans cette région. On assiste en effet dans la zone de l’Office du Niger à une redistribution du foncier sur la base d’une promotion de la propriété privée. Certains projets financés par la Banque Mondiale (Koumouna) ou par d’autres bailleurs de fonds, tentent de promouvoir une classe d’agro-entrepreneurs susceptibles de financer une partie des aménagements hydrauliques (réseaux tertiaires, voire secondaires) et capables de mettre en valeur des exploitations de taille moyenne 10 à 50 ha, dont les titres fonciers leur seraient attribués. L’objectif est de « mettre en place une nouvelle race de producteurs » comme le proclamait le gouverneur de la région de Ségou lors de l’inauguration de périmètre de Koumouna financé par la Banque mondiale (Défis Sud, décembre 2008). Ainsi, le projet financé par les Etats Unis dans le cadre du Millenium Challenge Account et implanté sur le site d’Alatona est construit selon ce modèle (carte 1). Les 14 000 ha aménagés seront répartis entre 1 785 exploitants et vendus par lots de 10, 30,90 voire 120 ha. 57% des exploitants disposeront de 20 à 50 ha. L’UEMOA a engagé des études pour l’aménagement de 11 000 ha dont 5500 à réaliser avant 2012. Des lots de 9, 21 ou 48 ha seront attribués à des ressortissants des 8 pays membres.

Les défenseurs de la privatisation du foncier insistent effectivement sur le fait que la sécurisation de l’accès à la terre est une condition nécessaire aux investissements sur le long terme. Mais, les paysans de l’Office du Niger revendiquent d’autres formes de sécurisation : les organisations paysannes et le Sexagon militent pour une généralisation des permis d’exploitation ou des baux emphytéotiques. Ces contrats déjà en vigueur, mais de façon marginale, leur permettraient de bénéficier d’un usufruit transmissible des parcelles sur de longues périodes. L’hypothèque de celles-ci pourrait alors servir de garantie à l’octroi d’un crédit destiné à développer l’exploitation. Des baux d’exploitation longue durée sont d’ailleurs attribués à de grosses sociétés agro-alimentaires de manière à attirer leurs investissements. Ainsi dans les sociétés chinoises et sud-africaine SUKALA et SOSUMAR se sont vues respectivement attribuer 15 000 et 18 000 ha, tandis qu les sociétés Malibya, et HUICOMA (société malienne de production d’oléagineux) disposent chacune de 100 000 ha pour une durée de 30 ans renouvelable. C’est une façon pour ces sociétés d’accéder au foncier gratuitement et sur de longues périodes. Corrélativement, des villages entiers sont «expropriés» et déplacés pour céder la place aux aménagements. On ne connaît d’ailleurs ni le nombre exact des personnes que l’on envisage de déplacer, ni les conditions précises de leur réinstallation. A Alatona, les 33 villages évacués ont été reconstruits en périphérie et 5 ha ont été attribués à chacune des familles déplacées.

Officiellement, ces réinstallations sont présentées comme une opportunité dans la mesure où les sites seront désenclavés par un accès routier ; ils bénéficieront d’une adduction électrique et d’accès à l’eau potable et disposeront par ailleurs d’infrastructures scolaires et sanitaires. On ne peut que saluer l’amélioration potentielle des conditions de vie des populations… Mais, il faut craindre des tensions dans les zones d‘accueil entre les populations bénéficiant de droits coutumiers antérieurs et les nouveaux arrivants. Par ailleurs, dans la mesure où les paysans déplacés devront rembourser 3 ha sur les 5 ha attribués pour devenir propriétaire du lot, il n’est pas sûr qu’elles aient les moyens financiers d’en conserver la jouissance.

On peut considérer ces attributions foncières comme de maigres lots de consolation : sur les 360 000 ha programmés, 9000 seulement reviennent aux populations locales (Le Monde 16-04-09). Ainsi sur les 5500 ha aménagés dans la zone UEMOA, 500 ha ont été distribués aux villageois déplacés. La société Malibya se dégageant de toute responsabilité quant au sort des populations susceptibles d’être déplacées dans le cadre de la réalisation du projet, les réinstallations et les litiges fonciers potentiels sont du ressort des collectivités locales concernées en charge de la gestion des ressources naturelles et du foncier. D’aucuns parlent d’ores et déjà de «poudrière» pour qualifier les tensions qui se développent dans le Macina (La Nouvelle République, 13 février 2009). 10 000 emplois devraient toutefois être créés dans le cadre des activités du projet Malibya. Leur nature n’est pas spécifiée et il est à craindre qu’ils restent saisonniers (repiquage du riz, coupe de la canne à sucre ou récolte des tomates) et mal rémunérés au regard de l’offre de main d’œuvre disponible. Il semble qu’on assiste bel et bien à un véritable «accaparement des terres» potentiellement irrigables par quelques sociétés agro-industrielles et par la Libye en particulier.

A une échelle plus régionale, la privatisation du foncier et l’attribution de surfaces de plusieurs dizaines de milliers d’hectares à des sociétés agro-industrielles vont engendrer des recompositions socio-spatiales majeures qui condamnent un système traditionnel de gestion des ressources reposant sur la pluri-fonctionnalité des ressources et de l’espace et répondant à une répartition saisonnière des usages (carte 1). Quoique voués à une production rizicole et maraîchère, les casiers irrigués de l’Office du Niger constituent en effet un espace pastoral majeur dans une région où l’élevage extensif et transhumant domine encore largement. La zone irriguée dispose en effet en saison sèche des rares ressources en eau disponibles. Les troupeaux convergent donc vers les canaux et les drains pour s’abreuver; les résidus de culture assurant leur alimentation (carte 1). Ces animaux viennent certes des zones sèches voisines, mais la plus grande partie d’entre eux appartient toutefois aux riziculteurs de l’Office qui, pour certains sont devenus des agro-éleveurs. Le cheptel de la zone a été évalué à 300 000 bêtes en 1998 pour un taux d’accroissement de l’ordre de 10%/an… (Kuper, Tonneau[8]). Des conflits d’usage éclatent d’ores et déjà régulièrement entre les bergers et les agriculteurs à l’occasion des dégâts commis sur les cultures (carte 1). Les divagations du bétail contribuent à dégrader le réseau de digues. Ce système pastoral est donc incompatible avec la fin de la vaine pâture et la privatisation du foncier : l’espace disponible pour ces troupeaux va se réduire considérablement et la tolérance vis-à-vis des dégâts éventuels sur les cultures sera probablement moindre. En soustrayant de vastes territoires pastoraux aux bergers de l’Office et aux pasteurs transhumants, la gestion des troupeaux va se trouver complètement désorganisée.

Des conventions de gestion des ressources ont été élaborées ces dernières années à l’échelle des communes (Kala Siguida, Molodo, et Kolongotomo en particulier) et du Cercle de Macina de manière régler ces conflits d’usage (carte 1). Ces conventions reposent sur l’élaboration ou la restauration de règles en adéquation avec les nouvelles données démographiques et socio-économiques qui ont modifié les formes d’occupation de l’espace et leurs variations saisonnières. Cette réglementation est établie de concert avec les différents acteurs, après de longues négociations la plupart du temps, de manière à concilier les intérêts de chacun… Dans les secteurs du Macina et de Molodo, où les projets les plus ambitieux sont programmés, ces conventions risquent bien de devenir caduques avant d’avoir été réellement expérimentées. Se pose par ailleurs, la question du devenir des territoires de pêche des Bozos, dont le maintien suscitait déjà des heurts avec les cultivateurs et surtout les bergers de la région. Le développement d’un pôle d’agriculture intensive semble difficilement conciliable avec le maintien d’activités extensives de pêche et d’élevage.

2. A la recherche d’une nécessaire gestion intégrée des ressources en eau…

L’amélioration de la gestion de l’eau qui constitue un impératif absolu dans la perspective des aménagements envisagés conditionne la faisabilité et la durabilité de ces projets. Des efforts ont d’ores et déjà été réalisés pour réduire la consommation d’eau ; l’utilisation du goutte à goutte et de petits asperseurs est expérimentée avec succès dans quelques projets encadrés par des ONG. Le pompage dans la nappe sub-affleurante est envisageable. Les sociétés agro-alimentaires ont les moyens financiers de développer ces techniques d’irrigation à grande échelle. Ainsi, des asperseurs de grande taille fonctionnent déjà depuis environ deux ans dans la région de Markala, dans le cadre du projet de production de canne à sucre de 15 000 ha exploité par la société sud-africaine SOSUMAR. Par ailleurs, il existe des systèmes très performants dans la basse vallée du Sénégal qui pourraient inspirer les gestionnaires du projet maraîcher de Malibya : la Société des Grands Domaines du Sénégal utilise un système de goutte à goutte et d’asperseurs, voire de brumisateurs régulé par ordinateur pour irriguer une production de tomates sous serre.

L’impact de ces progrès potentiels est toutefois à relativiser au regard des travaux hydrauliques et de l’extension des surfaces rizicoles planifiées. Le canal adducteur principal de l’Office du Niger verra sa capacité doubler, tandis que les canaux du Sahel et de Boky Wéré comme le Fala de Molodo seront approfondis et élargis. Les travaux prévus sur le canal de Boky Wéré s’étendent sur 40 km et sont assurés par la société chinoise China Geo-Engineering Corporation CGC omniprésente au Mali sur les contrats de génie civil; ce qui devrait faire de ce canal : « … le plus géant sur le territoire malien » (Abdalilah Youssef, directeur général de Malibya à l’Aube, le 10-11-2008). Le gouvernement malien a par ailleurs soumis à la Libye la réalisation de projets complémentaires: l’ouverture du 3ème bief du Fala de Molodo en vue d’aménager 200 000 ha dans le Méma Farimaké, celle du 2ème bief du fala de Boky Wéré de manière à assurer l’approvisionnement en eau des systèmes hydrauliques du Macina, du Karéri et du Kokéré et la construction d’un portefeuille d’études pour l’aménagement de 50 000 ha dans le système hydraulique du Méma et du Farimaké. Or, les pertes déjà énormes sur ce réseau primaire. Pour que les réaménagements permettent de résorber les pertes par évaporation et infiltration, il faudrait concevoir des canaux couverts ou un réseau de conduites souterraines et envisager l’imperméabilisation du réseau ; ce qui au regard du surcoût est probablement exclu.

L’augmentation des prélèvements sur le Niger consécutifs à ces aménagements hydrauliques n’a pas été évaluée, elle laisse craindre une aggravation des risques de pénurie saisonnière.  La direction de l’Office compte sur la construction du barrage de Fomi (Guinée) en amont pour améliorer la régulation du débit du fleuve et permettre une augmentation des prélèvements ; la surface de la retenue d’eau sera certes 2,9 fois supérieure à celle du barrage de Sélingué (Zwarts L.[9]). L’Office encourage toutefois la limitation sinon l’abandon des surfaces de riz irrigués entre février et mai (Traoré S.I.[10]). Dans ce sens, une tarification dissuasive de la redevance-eau a été appliquée pour la contre-saison 2009: son montant a été porté à 100% de la redevance de la saison principale contre 10% jusqu’alors. En remettant ainsi en question le processus d’intensification recherché, cette démarche est significative de la pénurie d’eau qui se profile dans le cadre d’un système qui privilégie obstinément la riziculture irriguée.  Le choix d’autres céréales semble pourtant logiquement s’imposer de manière à limiter la consommation d’eau tout en contribuant à la sécurisation alimentaire de la région. Les investisseurs ne semblent cependant ni entreprendre de réflexion à ce sujet, ni même suivre les directives de l’Office. Ainsi la société Malibya, désireuse d’atteindre ses objectifs de production rizicole négocie d’ores et déjà avec le gouvernement malien une clause de priorité dans le contrat qui la lie à l’Office du Niger quant à l’accès à l’eau de février à mai et tente d’obtenir l’exonération de la redevance-eau

Par ailleurs, l’augmentation des prélèvements en eau de l’Office sur le fleuve doit être considérée dans un contexte régional ; elle implique un impact inévitable pour les écosystèmes comme pour les populations situés en aval au Mali et au Niger. Pour des extensions de l’ordre 100 000 à 150 000 ha, initialement envisagées dans le Schéma Directeur de Développement Régional, une réduction significative des surfaces inondées dans le delta vif avait été évaluée à 200.000 ha. Mais les extensions programmées s’élèvent dorénavant à 360 000 ha… Dans le cadre de la programmation des trois barrages officiellement validée lors de la réunion de l’Autorité de Gestion du Bassin du Niger en novembre 2008 à Conakry (Fomi en Guinée, Taoussa au Mali et Kandadji au Niger), une cartographie de la réduction de la surface d’inondation dans le delta vif du Niger a été réalisée dans la perspective de la mise en eau du futur barrage de Fomi. Une baisse du niveau de crue de 45 cm a été envisagée réduisant de moitié la surface inondée. Depuis la capacité de stockage du barrage de Fomi a été revue à la baisse. Mais, les perturbations hydrologiques potentielles liées aux prélèvements suscités par les extensions engagées à l’Office du Niger ne semblent pas être intégrées dans ces projections.

Conclusion

Officiellement, l’ampleur des investissements engagés est justifiée par la nécessaire indépendance alimentaire de l’Afrique de l’Ouest. « La société Malibya pense que le développement du Mali et de l’Afrique dépend dans un premier temps de la promotion et du développement de l’agriculture au niveau interne. Il ne s’agit pas céréales importées ou exportées, mais celles que nous produisons nous-mêmes et que nous utilisons chez nous. …. Cela m’amène à vous citer un passage évoqué dans le Livre Vert : « Il n’y a pas de liberté pour une société qui mange au-delà de là de ses frontières. » (Abdalilah Y., directeur général de Malibya à l’Aube, le 10-11-2008). S’il est mené à bien, ce projet permettra sans doute effectivement un accroissement rapide de la production agricole du Mali. La sécurité alimentaire du pays en sera-t-elle pour autant renforcée ? Rien n’est moins sûr dans la mesure où la politique menée par la Libye en Afrique vise avant tout à s’émanciper de sa dépendance croissante vis-à-vis des marchés alimentaires mondiaux. Sa production nationale souffre de pénurie d’eau croissante dans les grandes zones désertiques aménagées à grands frais et ses importations s’accroissent (177 000 tonnes de riz en 2005 d’après la FAO). L’externalisation de sa production agricole, déjà engagée dans d’autres pays africains vise à assurer son propre approvisionnement en denrées alimentaires. L’essentiel de la production de Malibya- Agriculture est donc destiné à approvisionner les marchés libyens. La sécurisation alimentaire est donc utilisée par la Libye comme un prétexte à la confiscation des terres.

Par ailleurs, on peut craindre que l’engouement pour les agro-carburants vienne concurrencer les cultures à vocation alimentaire dans la zone de l’Office du Niger, alors qu’en dépit de bonnes récoltes et de l’Opération Initiative Riz, le Mali a été obligé d’importer des céréales en 2009. A Markala, le projet sud-africain SOSUMAR porté par la société « Transvaal Sugar Beperk » dispose de 14 000 ha dans l’Office destinés à promouvoir une production de canne à sucre transformée pour une part en bio-éthanol. Les sociétés chinoises qui contrôlent déjà 6000 ha de canne à sucre dans ce secteur et possèdent les trois usines Sukala, souhaitent tripler leurs capacités de production en étendant les superficies cultivées, dont une partie serait destinée à la fabrication de bio-carburants. En outre, la société Huicoma (entreprise malienne) projette d’aménager quelques 100 000 ha en oléagineux divers (tournesol, soja), tandis que l’huilerie Abou Woro Yacouba Traoré « HAWYT », expérimente la culture du tournesol (10 000 ha à Niono en 2007), dans le but de développer une production de bio-diésel. Une jeune société française Agroed (Agro Energie Développement) envisage de cultiver 30 000 ha de pourghère (Jatropha curcas) dans la zone irriguée. Des capitaux américains (MCA) ont été investis pour expérimenter la production de biocarburants de «seconde génération», c’est-à-dire produits à partir de résidus de culture. Il s’agit ici d’utiliser les résidus issus du décorticage du riz. Ce projet paraît surprenant alors que l’intensification de l’élevage dans le cadre des exploitations familiales commençait à peine à se développer à partir justement de ces résidus de culture. Cette expérimentation constitue un des multiples exemples traduisant la difficile conciliation entre l’agro-business et l’agriculture familiale.

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Zwarts, L. et al., Le Niger, un câble de sauvetage : résultats économiques et écologiques de la gestion efficace dans le bassin du haut Niger, Conférence FAO-Pays Bas, 2005.


Notes

[1] Marchal, J.Y., « L'Office du Niger : îlot de prospérité paysanne ou pôle de production agricole ? », Revue Canadienne des Etudes Africaines, 8 (1), 1974, pp. 73-90.

[2] Coulibaly, Y. ; Bélières, JF. et Koné, Y., « Les exploitations agricoles familiales du périmètre irrigué de l’Office du Niger au mali : évolutions et perspectives », Cahiers Agricultures, Vol 15, n°6, nov- déc 2006.

[3] Défis, Sud, Dossier Le Mali est-il une puissance agricole ?, n°86, 2008, p.31.

[4] Kuper, M. et Tonneau, J-Ph., L’Office du Niger, grenier à riz du Mali, Cirad/Karthala, 2002, p.251.

[5] BCEOM (Bureau Central d’Études pour le Développement d’Outre Mer), Schéma Directeur Développement Régional, Zone Office du Niger, Rapport de synthèse, Montpellier, 2001, p.22

[6] Bélières, J.F., Keita, I. et Sidibé, S., Gestion du système hydraulique de l’Office du Niger : évolutions et perspectives. Actes du colloque PCSI 22-23 janvier 2001, La gestion des périmètres irrigués collectifs à l’aube du 21ème siècle : enjeux, problèmes, démarches, Cemagref/Cirad/Ird Agropolis, Montpellier.

[7] Michel, Y., "L'accaparement des terres de rizières met en péril la souveraineté alimentaire de l'Afrique", Bulletin du collectif Grain. www.GRAIN.org / janvier 2009.

[8] Kuper, M. et Tonneau, J-Ph., L’Office du Niger, grenier à riz du Mali Cirad/Karthala, 2002, 251 p.

[9] Zwarts, L. et alii, Le Niger, un câble de sauvetage: résultats économiques et écologiques de la gestion efficace dans le bassin du haut niger. Conférence FAO-Pays Bas, L’eau pour l’alimentation et les écosystèmes. Pour une action concrète, Rome, 2005.

[10] Traoré, S.I., Disponibilité de l’eau à l’Office du Niger,  Rapport interne Office du Niger, 2008, p.8.

 

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