N°46 | 2009 | Idiomes et pratiques discursives | p. 63-65 | Texte intégral
Safaa MONQID
Le travail de thèse que j’ai achevé s’intitule « Les femmes marocaines et la modernité urbaine. Le cas de la ville de Rabat », a eu pour objectif l’étude des évolutions sociales dans une société en mutation, la société marocaine, qui vit un mouvement de modernisation sans précédent et une série de mutations sociologiques de première importance, particulièrement concernant la définition de la place des femmes dans la société (comme le montre le changement en 2004 du Code du Statut Personnel qui remet en cause l’ordre symbolique…). Je me suis focalisée sur l’analyse de l’appropriation des espaces privés/publics par les femmes du fait qu’elles occupent une place centrale dans les projets résidentiels et familiaux. J’ai étudié l’impact de ces mutations sur ces appropriations dans une ville importante du Monde arabe, Rabat, ville des pouvoirs, ville moderne ouverte sur l’Occident, tournée vers le progrès et en constante mutation (urbanisme moderne, services sociaux et culturels, équipements de pointe : lycées, universités, hôpitaux, centres commerciaux, hôtellerie, lieux de loisirs, d’expression, de communication, d’information, etc.). Rabat est, avec Casablanca, le lieu où s’élaborent et se diffusent les nouveaux modèles culturels de la modernisation ; elle est le lieu des changements sociaux. C’est aussi le lieu où se discute l’avenir des femmes (Parlement, espaces associatifs, universités, sièges des partis politiques…). Rabat a aussi porté l’instruction et le salariat des femmes. La ville contribue ainsi à l’émergence d’une nouvelle catégorie de femmes, instruites, actives, relativement autonomes qui sont devenues à leur tour un vecteur important du mouvement vers la modernité.
Si, auparavant, on assistait à de fortes dichotomies spatiales intérieur/extérieur, privé/public et si les femmes étaient identifiées au dedans et confinées dans l’espace privé « domestique », pour des raisons religieuses et sociales (le patriarcat, l’endogamie, le voile, le code de l’honneur qui structurait les rapports au sein du groupe et qui justifiait la claustration des femmes…), de nos jours, il en va tout autrement. La répartition sexuelle traditionnelle connaît une nouvelle dynamique et l’exclusion des femmes est de plus en plus contestée. Les femmes ont accédé massivement à l’espace public, espace traditionnellement masculin, et elles se le sont approprié. Les femmes influencent cet espace et y modifient les pratiques et les comportements. On assiste à une plus grande mixité dans les espaces urbains et les règles qui régissent l’accès des femmes au dehors se sont assouplies et les interdits ont été en grande partie levés. Le territoire des femmes s’est progressivement élargi et elles sont de plus en plus présentes, seules ou accompagnées, dans différents endroits de la ville (lieu de travail, d’instruction, d’achat, de loisirs, …). Nous assistons à une grande visibilité des femmes « individues » dans la ville. La ville « bastion de la masculinité » est ainsi devenue plus permissive et « perméable » aux femmes qui l’empruntent et qui tissent avec elle de nouveaux rapports.
J’ai fait le choix de questionner essentiellement des femmes afin de faire ressortir la spécificité féminine et mettre en exergue une population souvent négligée dans les études portant sur le fait urbain, l’objectif étant de montrer les rôles directs ou indirects que jouent les femmes dans la ville. Dans mon échantillon, j’ai tenté de prendre en compte les diverses catégories sociales, ce qui m’a permis d’avoir une vision assez large des différentes positions sociales. Le choix s’est effectué selon leur âge, leur milieu social ou d’origine (rurale ou citadine), la profession, le niveau d’instruction, leur situation matrimoniale, leur quartier de résidence et le type d’habitat (villa, appartement, maison d’habitat économique, maison traditionnelle en médina, bidonville) ou encore selon leur ancienneté de résidence dans la ville. J’ai interrogé des femmes d’âges différents (de 19 à 70 ans), instruites et salariées, des femmes au foyer, qu’elles soient d’origine rurale ou urbaine, des femmes ayant profité du « recasement » au temps d’Écochard, d’autres ayant quitté la médina pour les quartiers résidentiels comme le quartier Souissi au départ des Français..., de varier ainsi le plus possible les profils afin de pouvoir faire des comparaisons et dégager les similitudes et les divergences entre elles et d’avoir une vue aussi large que possible sur la question.
Ce travail a montré que les femmes ne constituent pas un groupe homogène. Les modes d’appropriation des espaces publics et privés sont relativement hétérogènes et complexes et des disparités d’usage des espaces urbains, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, existent, conséquences de la diversité des situations individuelles. Mon principal résultat réside dans la typologie que l’analyse des données m’a permis de dégager et à travers laquelle on voit se dessiner toute l’évolution sociale du Maroc. Une typologie qui rend compte de la variété des comportements et des attitudes et qui montre bien comment les femmes vivent et perçoivent différemment la modernité. J’ai distingué essentiellement trois types de femmes, se caractérisant chacun par des pratiques communes : les traditionalistes qui comme leur nom l’indique défendent les valeurs traditionnelles et qui sont repliées sur des attitudes conformistes ; les femmes du modèle en transition qui sont favorables à un compromis et les modernistes qui ont quant à elles des attitudes plus ouvertes. La recherche de terrain a ainsi montré comment les différentes catégories de femmes s’inscrivent dans la modernité et dans la tradition selon qu’elles évoluent dans l’espace public et/ou domestique.
Note
* Thèse de Doctorat en Sociologie sous la direction de S. Denèfle, soutenue le 16 octobre 2006 à Tours, Université François-Rabelais de Tours, Laboratoire CITERES (UMR 6173).