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Mobilité et insertion des immigrés à Téboulba, ville moyenne du Sahel tunisien

Insaniyat N°42| 2008 | Territoires urbains au Maghreb | p. 41-64 | Texte intégral


Mobility and immigrant insertion at Teboulba, a middle sized Tunisian Sahel town

 Abstract: By their economic dynamism, small and middle sized Tunisian Sahel towns attract more and more immigrants. This is the case for Teboulba whose space for recruiting labour tends to widen and diversify.  To the simple migratory itineraries (direct migration, from nearby countryside to towns) prevailing in former periods and no longer predominant ,other fluxes have been added coming from zones further away. Teboulba is a town whose economic dynamism is astonishing (building trade, agricultural irrigation, fishing, and industry). However in spite of recent economic progress, the housing crisis is still acute, and immigrants meet serious difficulties to settle down in the community. This article tries to decipher these new inhabitants’ residential practices, by paying attention to individual behaviour in the search for accommodation, and in changing residence. The whys and wherefores of the diversity of those practices reveals the problems met by these immigrants to insert themselves spatially and in the local community. It also shows the diversity of resources particularly in the social network which make individuals mobile and / or groups of individuals to reach their goal.   

Keywords: Itinerary - immigrant - insertion- housing - mobility - residential strategies - Teboulba - Tunisian Sahel.


Nizar BEN TEKAYA : Géographe, Université de Sousse (Tunisie).


Contrairement à une idée longtemps admise, qui voudrait que les petites et moyennes villes des pays en développement – et, donc, de la Tunisie – ne soient pour les migrants qu’une simple étape et un lieu d’apprentissage de la vie urbaine avant leur installation dans la grande ville, les recherches que nous avons entreprises dans le Sahel tunisien, en particulier à Téboulba[1], nous permettent de formuler l’hypothèse qu’elles constituent, du moins depuis environ deux décennies, un terminus d’itinéraires migratoires. Elles seraient ainsi devenues, pour une part croissante des migrants d’origine rurale ou urbaine, un lieu de résidence stable et permanent. Se pose alors la question de l’insertion résidentielle de ces nouveaux venus dans des villes qui ne paraissent pas toujours « prêtes » à les recevoir tant socialement que spatialement. Quelles sont les modalités selon lesquelles ces populations d’immigrés s’inscrivent dans la ville d’accueil, en privilégiant l’entrée par le logement (la résidence).

Nous avons choisi Téboulba comme site d’observation. Dans cette ville du Sahel central, peuplée de 31.154 habitants en 2004, les immigrants occupent une place importante dans la vie économique et sociale. Nous nous intéressons, exclusivement, aux immigrés qui sont arrivés sans grande qualification professionnelle. Sont donc exclus de notre champ de recherche les cadres moyens ou supérieurs de la fonction publique, mutés à Téboulba, de même que les membres des professions libérales qui y sont venus pour y exercer leur activité. Les populations que nous avons ciblées appartiennent très majoritairement aux couches sociales « populaires »; elles occupent des emplois souvent pénibles et généralement précaires.

La plupart des résultats que nous présentons ont été obtenus dans le cadre d’entretiens semi-directifs ou libres, destinés à appréhender les logiques des habitants, à déterminer la complexité de leurs itinéraires migratoires et à identifier les modalités de leur insertion dans l’espace d’accueil. Une centaine d’entretiens ont ainsi été réalisés avec des immigrés des deux sexes[2]. Il faut leur ajouter une trentaine d’interviews menées auprès des Téboulbiens « de souche », parmi lesquels ont été privilégiés les propriétaires de logements loués à des immigrés, ainsi que les voisins de ces derniers.

À travers cet article, nous avons tenté de décrypter le processus d’insertion résidentielle des immigrés. Pour ce faire, nous avons étudié d’abord les principales caractéristiques de ces derniers. Nous présentons les différentes modalités de leur installation avant de nous intéresser à leur mobilité résidentielle au sein de la ville d’accueil. Nous estimons, en effet, que le changement de résidence qu’opère – quand il en opère un – un immigré après sa première installation en ville est susceptible d’exprimer les nouveaux rapports qu’il établit avec la société urbaine locale – et/ou les nouvelles représentations que cette société se fait de lui. Toutefois, avant de nous engager dans ces analyses, il nous est apparu nécessaire de commencer par effectuer une rapide présentation de Téboulba et de mettre en évidence les principaux facteurs susceptibles de rendre compte de son attractivité démographique.

I. Téboulba ou “ l’Italie du Sahel ”[3]: de quelques facteurs d’attractivité de la ville

1. Téboulba : une ville d’un Sahel de vieille tradition urbaine et villageoise

Téboulba, située à 180 km au sud de Tunis (voir figure n° 1), a été érigée au rang de commune en 1957[4], alors qu’elle était peuplée d’environ 5000 habitants. Aujourd’hui, elle dépend administrativement du gouvernorat de Monastir et est le chef-lieu de l’une de ses délégations. Son territoire est partagé entre cinq imada[5] : Homt-Essouk, Ayaïcha, Fadhline, Soukrine et Boudriss.

Figure n° 1 : Flux et origine géographique, selon le gouvernorat, des immigrés à Téboulba

 

Cette ville appartient à une entité socio-spatiale : le Sahel, qui constitue l’élément le plus peuplé et, économiquement, le plus actif et diversifié de la région du Centre-Est. C’est la « zone qui longe la côte et s’étend de l’Enfida à Ksour Essaf et El Jem » (Lasta Z., 2000, p. 93). Selon J. Despois, « le Sahel n’est pas à proprement parler une région naturelle [...]. Il apparaît avant tout comme une région humaine qui doit son [...] originalité à son économie traditionnelle de culture arbustive [...], à son habitat de villages et de bourgs fortement agglomérés, à l’appropriation individuelle ou familiale et au morcellement du sol, face à une steppe nue [...] qui n’a longtemps connu que la tente [...] ». (Despois J., 1955, p. 286, 128 et 115).

Au lendemain de l’indépendance du pays, en 1956, le Sahel était une région répulsive ; mais « le renversement et la consolidation de son bilan migratoire sont les principales modifications survenues dans les migrations internes régionales depuis les années 60 » (Lamine R. et Boubakri H., 1995, p. 83). Téboulba participe tout à fait, du fait de son dynamisme économique et démographique, à cette évolution. En effet, la population de la ville a d’abord doublé au cours de la décennie 1966-1976 ; puis son taux de croissance s’est maintenu à un niveau élevé (5,76%) entre 1976 et 1986, avant de faiblir durant les dernières décennies pour tomber à 2,08 % entre les deux derniers recensements (1994 et 2004), soit à un taux qui représente à peine le double du taux d’accroissement naturel de la Tunisie en 2004 (1,08 %). L’histogramme de l’évolution de la population téboulbienne entre 1860 et 2004 illustre cette évolution.

 

Source : - Institut National de la Statistique.

               - Largueche-Bouzgarrou D., 1986, p. 53.

Le grand nombre d’immigrés à Téboulba est une certitude, même si l’on ne dispose pas de données statistiques fiables. Quoiqu’il en soit, les immigrés servent à combler une partie de l’offre d’emploi, principalement dans des secteurs d’activité aussi variés que l’agriculture et la pêche, l’industrie et le bâtiment[6].

2. De quelques manifestations du dynamisme économique de Téboulba[7]

Le dynamisme de la branche du bâtiment qui se manifeste par de multiples chantiers de construction d’habitations, d’unités industrielles, d’établissements commerciaux, d’infrastructures et équipements divers, fournit une première clé d’explication pour rendre compte de l’ampleur de l’appel à une main-d’œuvre en provenance de différentes régions tunisiennes. Et ce, d’autant que de nombreux Téboulbiens refusent de travailler – en tant que salariés non qualifiés – dans le bâtiment qui leur paraît être une activité trop fatigante et trop salissante, pour ne pas dire humiliante, tant elle est, dans les représentations des citadins, assimilée à l’image de l’immigré crotté.

Du fait du manque de main-d’œuvre et, sans doute, de la concurrence des autres secteurs d’activité, la paye versée, à Téboulba,  dans le bâtiment, dépasse de loin celle qui prévaut dans les régions intérieures de Tunisie[8]. Si l’on en croit certains immigrés, elle serait également supérieure à celle versée, pour la même branche, dans la plupart des grandes villes du pays : son montant se situe (en 2005) aux alentours de 8 à 9 dinars[9] par jour travaillé, ce qui équivaut approximativement à la valeur du SMIG[10] ou du SMAG[11] tunisien. Or, à Téboulba, les travailleurs du bâtiment peuvent espérer recevoir jusqu’à 10 DT, à quoi s’ajoute la mouna (panier-repas). Si l’employeur opte pour une rémunération sans mouna, la règle veut qu’il ajoute 1 DT à la paye journalière.

Dans l’agriculture, activité qui, elle aussi, n’exige généralement aucun savoir-faire particulier, la journée de travail est payée à Téboulba, en 2004, 10 DT contre moins de 7 dinars pour le SMAG. Le montage, le démontage et la couverture des serres sont payés 15 DT/jour en 2005, un montant qui vaut aussi pour la taille des oliviers. La cueillette des olives est rémunérée 13 ou 14 DT/ jour ; la récolte des pommes de terre : 13 DT. Dans tous ces cas, l’absence de mouna conduit également l’employeur à rajouter 1 DT, comme dans le bâtiment[12]. De tels niveaux de rémunération ne manquent pas d’étonner les immigrés, qui sont ainsi conduits à établir la comparaison entre Téboulba et l’Italie ou la Libye, principales destinations de l’émigration internationale au départ de la Tunisie intérieure. Ainsi un travailleur originaire de Sbikha, dans le Kairouannais, nous a déclaré : « Comment le fellah (propriétaire) peut-il être gagnant quand il paye 10 dinars, voire plus, la journée de travail, alors que chez nous il ne verse, pour un travail de même nature, que 4 à 5 dinars ; et que, malgré cela, il se proclame perdant ? Franchement, comme on le dit souvent, Téboulba est bien l’Italie du Sahel ».

Certes, la plupart des agriculteurs de Téboulba qui exploitant en faire-valoir direct, en période de pointe ou pour certains travaux nécessitant une aide, sont obligés de faire appel à une main-d’œuvre de journaliers. Les fellahs qui recrutent des immigrés pour toute l’année soit comme salariés soit comme associés sont de plus en plus nombreux ; car l’agriculture demeure, à Téboulba, une activité de première importance offrant de grandes opportunités d’emploi. Comptant 1 200 fellahs, elle est l’une des premières productrices de primeurs à l’échelle du pays avec un nombre de serres qui dépasse les 2000 unités (2060 en 2005). En effet, la production des primeurs connaît un essor sans précédent, rendu possible, depuis le début des années 1970, grâce à l’apport de l’eau du barrage sur l’oued Nebhana (au nord du Kairouannais) (Pinglot C., 1999, p. 14). Simultanément, la diffusion de l’usage des nouvelles méthodes et techniques de production agricole (comme la technique du « goutte-à-goutte » et l’emploi intensif des engrais chimiques distribués par les canaux d’irrigation) a largement contribué à améliorer la production et la productivité. L’État n’est pas étranger à ces progrès, car il subventionne jusqu’à 60% des coûts d’équipement nécessités par ces nouvelles techniques. En définitive, l’intensification de l’agriculture a atteint un degré tel que le travail ne manque pas ; et comme les enfants des agriculteurs locaux préfèrent exercer des activités « moins pénibles », même si elles ne sont pas nécessairement mieux rémunérées, force est donc de recourir à une main-d’œuvre extérieure.

Aux côtés du bâtiment et de l’agriculture, la pêche représente le troisième principal secteur d’embauche pour les immigrés. Le port de Téboulba, aménagé en 1970, se compose aujourd’hui de deux bassins d’une superficie totale de 8,5 ha, de 11 ateliers de construction et de réparation navales, de 10 unités de production de glace de conservation, auxquels s’ajoutent deux complexes frigorifiques, deux stations d’approvisionnement en carburant, un marché de gros, ainsi qu’un centre de formation[13]. Le taux d’occupation des bassins du port atteint les 160% en 2004 car la flottille a si fortement progressé ces dernières années qu’une nouvelle extension du port serait bienvenue pour l’accueillir dans de bonnes conditions[14]. La production a elle aussi enregistré une progression remarquable, passant de 3720 tonnes en 1993 (soit 48,4% du total du gouvernorat de Monastir) à 11.800 tonnes en 2004 (89%), pour un chiffre d’affaires avoisinant les 18 millions de dinars[15]. Selon les sources officielles, la pêche sous toutes ces formes offrirait, en 2001, du travail (permanent ou saisonnier) à près de 3000 personnes, dont un grand nombre d’immigrés[16].

Mais, dans l’économie générale de Téboulba, la pêche ne vient qu’au second rang dans l’offre d’emplois, après l’industrie (5080 salariés en 2004). Une industrie dont le dynamisme est, par ailleurs, particulièrement fort, puisque, en 1994, elle ne faisait travailler que 2649 personnes. Le tissu industriel est constitué d’une majorité d’entreprises de confection fortes consommatrices de main-d’œuvre (2/3 du total[17]), que complètent des établissements liés à la pêche (construction navale, fabriques de filets, et des entreprises produisant des matériaux de construction (céramique, briqueterie, etc.).

Une économie dynamique grâce à plusieurs secteurs d’activités qui ont des besoins grandissants en main-d’œuvre peu qualifiée, des rémunérations relativement élevées par rapport à la moyenne tunisienne, une population qui croît régulièrement et une urbanisation qui s’étale, tels sont, pour l’essentiel, les raisons qui font de Téboulba une ville qui attire les migrants. Il convient maintenant de s’appliquer à présenter les principales caractéristiques de ces derniers.

II. Origines et itinéraires migratoires des immigrés à Téboulba

1. Des origines géographiques de plus en plus diversifiées

Rappelons tout d’abord que le groupe d’immigrés à Téboulba que nous avons enquêté ne constitue en aucune manière un échantillon représentatif, puisque, pour en construire un à partir d’une population-mère, il nous aurait fallu disposer d’un recensement exhaustif des résidents non originaires de la ville. En conséquence, les données chiffrées que nous présentons dans ce paragraphe ne peuvent être tenues pour autre chose que des ordres de grandeur.

Le plus gros contingent d’immigrés provient de la région de Kasserine. En son sein, les femmes occupent une place importante, beaucoup d’entre elles étant venues pour travailler dans les entreprises de confection et d’habillement. Les flux en provenance de cette région se sont intensifiés à partir du milieu de la décennie 1990. Il n’est pas excessif d’affirmer que l’ancien délégué de Téboulba, lui-même originaire de cette région, a joué un grand rôle dans ce processus, en diffusant auprès de ses compatriotes les informations relatives à l’existence d’offres d’emploi, nombreuses dans la ville où il exerçait ses fonctions. Ces informations ont rencontré un écho d’autant plus favorable que le gouvernorat de Kasserine est affecté par un taux de chômage très élevé (25,4% en 1994 selon l’INS), lequel n’a enregistré qu’une légère baisse au cours de la dernière décennie (20,9% en 2004). Dans le cas de Kasserine, on peut donc suivre (Lamine, R., 2001, p. 396), quand il rappelle que la proximité n’est pas le seul facteur explicatif de l’exode rural vers le Sahel, et qu’il faut également tenir compte des difficiles conditions de vie dans les régions de départ, ainsi que « des traditions migratoires développées par les réseaux familiaux et communautaires ».

Les immigrés originaires des arrière-pays de Mahdia et de Kairouan sont également nombreux à Téboulba, mais la plupart d’entre eux y sont installés depuis plus longtemps que les précédents. En valeur absolue, ceux provenant du gouvernorat de Mahdia – qui constituent le second contingent par les effectifs - l’emportent sur les originaires du gouvernorat de Sidi Bouzid, eux-mêmes en nombre supérieur à ceux qui arrivent du Kairouannais. Ces trois ensembles spatiaux sont demeurés très ruraux ; les seules villes qu’ils localisent sont de taille modeste et leur niveau de développement est faible. Selon (Lamine, R., 2001, p. 396), « proximité spatiale, dégradation des conditions de vie dans des campagnes densément peuplées, traditions et ancienneté de l’émigration vers le Sahel, se sont conjuguées avec la dynamique attractive des villes sahéliennes pour mobiliser autant de populations migrantes ». On ne s’étonnera donc pas de constater que les Téboulbiens ont tendance à réserver le qualificatif de barrani [étranger] aux originaires de Souassi (gouvernorat de Mahdia) et du Kairouannais.

Au total, la communauté des immigrés à Téboulba est relativement diversifiée et la présence parmi eux de jeunes filles et de jeunes femmes venues seules exprime un changement très sensible dans les comportements migratoires des populations. La figure n°1 donne à voir les origines et les flux des immigrés vers Téboulba.

2. Des itinéraires migratoires variés

La plupart des immigrés que nous avons enquêtés sont arrivés directement de leur milieu d’origine. Seuls 20% d’entre eux ont effectué une ou plusieurs étapes au cours de leur itinéraire migratoire. La migration directe concerne principalement les originaires des gouvernorats de Mahdia (Sahel méridional) – en particulier les natifs de la délégation de Souassi – de Kairouan et de Kasserine (Centre-Ouest). Ce résultat est logique, dans la mesure où ces gouvernorats sont les plus proches du Sahel central où se situe Téboulba, et ce sont eux aussi qui dirigent traditionnellement vers cette ville les plus grands flux.

Une partie réduite (15%) de la communauté immigrée à Téboulba est constituée de personnes dont la dernière résidence était urbaine. La plupart d’entre elles proviennent des centres urbains du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de la Tunisie, principalement des villes de Béja et Gafsa. Par ailleurs, certains originaires des campagnes ou des petites villes ont souvent transité par le chef-lieu de leur gouvernorat de naissance. Cela concerne principalement des migrants des régions de Kairouan et de Kasserine ; même si ce phénomène est statistiquement minoritaire, il n’en témoigne pas moins d’une modification en profondeur de la composition des flux migratoires en Tunisie, puisque, jusque dans les années 1970-1980, la composante urbaine de la migration interne concernait presque exclusivement les flux qui se dirigeaient vers Tunis et les grandes villes du pays (Signoles P., 1985). Parmi ce type de migrants, ceux qui provenaient du Sahel avaient majoritairement transité par les villes principales, à savoir Sousse et Monastir. Relativement rares, par contre, sont les immigrés à Téboulba qui arrivent de Tunis, soit qu’ils y soient nés, soit qu’ils y aient travaillé ou effectué leurs études[18]. Néanmoins, pour ceux qui ont effectué un tel parcours, ce sont généralement la cherté des loyers et les difficultés d’adaptation au mode de vie de la capitale qui les ont incités à entreprendre cette migration « descendante ».

Ces migrants d’origine urbaine ou ayant transité par les villes ont généralement des niveaux de qualification supérieurs à ceux qui ont effectué un déplacement direct. Ils occupent ainsi, à Téboulba, des emplois relativement stables. Ils sont mécaniciens ou électriciens pour l’automobile, artisans menuisiers ou salariés dans le commerce et l’industrie[19].

Une fois parvenus à Téboulba, et quel que soit l’itinéraire adopté, les nouveaux arrivés sont confrontés aux problèmes de leur installation en ville, en premier lieu desquels figure la question du logement.

III. Se loger dans la ville d’accueil : une tâche compliquée pour les immigrés à Téboulba

1. Les réseaux de connaissances : un visa pour le logement à Téboulba

A propos de Fès, A. Fejjal écrit (1995, p. 213) : « L’accès à un logement, quel qu’en soit le statut d’occupation, constitue une étape décisive dans le processus d’insertion des migrants en milieu urbain ». C’est aussi le cas, bien sûr, à Téboulba, étant entendu que l’inscription du nouvel arrivant dans un réseau de connaissances ou de relations facilite grandement l’accès tant à l’emploi qu’au logement dans la ville d’accueil.

De fait, la majorité des immigrés à Téboulba y possèdent, dès avant leur venue, des parents ou des connaissances, qui les incitent ou les encouragent à venir s’installer auprès d’eux. Il n’est ainsi pas rare qu’un immigré, inséré depuis quelques années dans cette ville, joue le rôle d’un « bureau d’emploi » pour sa parentèle. De ce fait, même si à une échelle modeste, le choix de Téboulba comme aboutissement de la migration s’effectue selon des modalités classiques, telles celles signalées par exemple pour Fès par (Fejjal, A., 1995, p. 208), lequel constate que le déplacement « ne se fait qu’exceptionnellement au hasard ; les connaissances et les liens de parenté y contribuent avec plus ou moins de force, et ce quel que soit le niveau de solidarité qui régit les rapports au sein des groupes régionaux »[20].

Souvent, les immigrés déjà installés prennent connaissance des offres de location dans leur entourage. En fait, après l’installation à Téboulba, les réseaux des immigrés se bâtissent à partir d’un ensemble de contacts noués avec, en premier lieu, les membres de la famille élargie (pour 71% des enquêtés), en second lieu les membres de la communauté d’origine (pour 19%), en troisième lieu les voisins et les collègues de travail (pour 8%). Dans quelques cas, très minoritaires cependant (2%), ces contacts sont établis à l’occasion de circonstances fortuites, dans les cafés par exemple. Par conséquent, même si l’on doit admettre l’importance de la famille pour l’accès au logement des nouveaux arrivants, « il faut aussi reconnaître celle des simples relations[21] » (Reginensi, C., 2002, p. 304). Le choix de Téboulba comme ville d’accueil pour les populations migrantes n’est donc pas effectué au hasard.

Les relations de connaissances permettent également de négocier les montants ainsi que les augmentations des loyers[22]. Par exemple, dans le cas d’une location, ces relations facilitent les ententes avec les propriétaires en se portant garantes de la solvabilité des nouveaux locataires. C’est ce que confirme Abdelkader, qui loue un logement à un immigré du Kairouannais : « J’ai demandé 90 dinars pour le loyer mais mon ouvrier m’a “ supplié ” de baisser le montant car son cousin [le futur locataire, parent de l’ouvrier] vient de se marier. [...] En fin de compte, on s’est mis d’accord pour 70. L’essentiel est qu’il paye régulièrement et qu’il prenne soin de ma maison ».

Une situation particulière, mais finalement assez fréquente - 35% des cas étudiés -, résulte de la mobilité des immigrés au sein même de la ville de Téboulba. Quand un immigré déjà installé depuis plus ou moins longtemps déménage, il cède très fréquemment son logement en location à un nouveau venu, généralement choisi parmi ses connaissances.  Processus qui rejoint celui décrit pour la Guyane française par C. Reginensi, selon laquelle « tout individu, par le fait d’avoir un réseau, possède des ressources qu’il lui faut transformer en capital mobilisable pour toute forme d’action » (2002, p. 291). Cependant, il peut arriver que certains immigrés, certes en petit nombre, soient contraints de faire le tour de la ville en se renseignant auprès des habitants sur les possibilités de location. C’est la raison pour laquelle plusieurs Téboulbiens ont eu l’idée d’investir dans le marché locatif, généralement, en aménageant certaines maisons qui leur appartenaient et qu’ils ont délaissées pour des constructions plus modernes.

2. Les immigrés sont souvent des locataires de logements insalubres

Il s’avère que, parmi les immigrés que nous avons enquêtés, la proportion des locataires est très élevée (95%). Mais, dans la plupart des cas, ceux-ci doivent se résoudre à occuper des logements en piètre état, pour ne pas dire insalubres. La raison principale réside dans la situation du marché du logement à Téboulba, lequel est très tendu, malgré une sensible amélioration au cours de ces dernières années. En 1994, on ne comptait pour toute la ville que 4 936 logements, pour 4 993 familles ; en 2004, les chiffres étaient de 7 498 logements pour 6 536 familles. Malgré ces progrès, qui témoignent du dynamisme effectif du marché de la construction, la quasi-totalité des immigrés exprime ses difficultés à trouver une location.

Le déficit – du moins pour le segment du marché qui propose des loyers acceptables par les immigrés – pousse à l’incorporation dans l’offre locative de maisons en ruines et de taudis, voire de simples pièces désignées localement par le terme de hanoute[23], ou encore des garages totalement inadaptés à la fonction résidentielle. Certains immigrés sont même contraints de s’installer dans des gourbis construits avec des matériaux de fortune ; ils les établissent à proximité des petites fermes qui se situent dans la périphérie de Téboulba, ou bien, à l’ouest de la ville, près de la principale concentration d’entreprises industrielles, ou encore aux marges des terroirs irrigués de Boudriss et de Soukrine[24]. Le loyer payé dans ces cas aux propriétaires des terrains est généralement infime ; et il n’est pas rare que l’occupation soit faite à titre gratuit, pour peu que les occupants acceptent de surveiller les biens du propriétaire. En ce cas, les intérêts des propriétaires et des immigrés convergent : les premiers bénéficient d’un service de gardiennage et les seconds jouissent d’un hébergement gratuit à proximité de leur lieu de travail (industrie ou agriculture). Il advient également, et le cas n’est pas rare, que les travailleurs téboulbiens à l’étranger confient leurs logements – ou une partie de ceux-ci : cave ou garage le plus souvent - à des immigrés en contrepartie du gardiennage.

Par ailleurs, il semble que chez les immigrés locataires, l’investissement pour l’amélioration du logement soit peu fréquent, faute de moyens et aussi parce que, selon les personnes enquêtées, « investir dans ce qu’on ne possède pas est un comportement absurde ». Ainsi, quand bien même les abris des immigrés sont dépourvus d’un accès direct à l’eau potable ou ne sont pas branchés au réseau d’électricité, les locataires n’entreprennent généralement pas la moindre démarche auprès des organismes gestionnaires pour améliorer la situation ; ils préfèrent attendre que les propriétaires fassent eux-mêmes la démarche …

En résumé, les immigrés sont pour une bonne part mal logés à Téboulba. Pour plus de 20 % des enquêtés, le logement est composé d’une pièce unique très peu confortable, habituellement sans eau courante et sans électricité, voire parfois sans sanitaire. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que des « marchands de sommeil » soient parvenus à occuper la place pour « faciliter » l’accès au logement des immigrés. Ils privilégient pour ce faire les habitations anciennes, qu’ils remettent dans le circuit sans véritable amélioration de leur état.

3. Les oukalas[25] boulila : une « solution » « indigne » pour l’hébergement des immigrés à Téboulba

Une oukala boulila est un lieu d’hébergement (oukala) en principe pour une seule nuit (boulila), réservé aux hommes seuls moyennant 1 dinar par nuit. La location s’y effectue non à la pièce, mais par « lit ». Le « lit » en question est un vulgaire matelas, généralement usé, posé à même le sol. À Téboulba, nous avons repéré deux oukala boulila.

La première est située à proximité de la mosquée Echarki [de l’Est]. Elle se présente sous la forme d’un bloc de petites maisons jumelées, pratiquement à l’état de ruines et dépourvues des moindres commodités, qui ont été découpées en pièces dont la superficie varie entre 12 et 16 m².  Les pièces de 12 m² contiennent 6 matelas et celles de 16 m² en comportent 8. Ces matelas sont posés les uns à côté des autres. S’exprimant sur ce sujet, un immigré affirme que « la pièce est comme une prison. Les gens sont entassés presque l’un sur l’autre. Les tensions entre colocataires sont fréquentes et si quelqu’un ronfle, c’est l’enfer pour tous ».

Les clients bénéficient de la proximité de la mosquée pour faire leur toilette et prendre une douche dans la salle réservée aux ablutions. Lorsque, à partir d’une certaine heure, la mosquée est fermée, ils n’ont d’autres recours que les cafés proches pour se rendre aux toilettes. Pour préparer leurs repas, certains immigrés disposent d’un petit réchaud à gaz, puisque l’utilisation de l’électricité pour cuisiner est strictement prohibée par le propriétaire. Il convient en effet que la facture d’électricité soit la plus faible possible ; force est donc faite aux locataires de se contenter pour l’éclairage de la pièce d’une unique ampoule et de se limiter à l’écoute d’un seul petit poste de radio, la télévision étant interdite[26]. De ce fait, il n’est pas étonnant de constater que la plupart des locataires, plutôt que de s’engager dans la préparation d’un repas chaud, se contentent de « bricoler » quelque chose à partir de boîtes de conserve ou des restes, qu’ils rapportent, de leur repas de midi pris sur les lieux de travail. Le souci de faire des économies peut expliquer en grande partie le recours à ce mode d’alimentation, mais il est vrai aussi que, la forte rotation des locataires ne favorisant pas l’établissement de liens solides entre les clients de l’oukala, l'entraide en cuisine (partage des frais et des tâches) ne peut être qu’exceptionnelle. D’ailleurs, le contexte de méfiance est tel que les locataires dorment avec leurs vêtements de jour, pour être assurés que l’on ne volera pas pendant leur sommeil l’argent qu’ils gardent dans leurs poches. 

Les clients de cette oukala doivent se présenter tôt le soir[27] au « bureau » du propriétaire[28], lequel est aménagé dans une pièce, pour réserver et payer la nuit. Il arrive souvent que le propriétaire fasse des rondes tard dans la nuit afin de dénicher d’éventuels resquilleurs, bien que l’oukala soit toujours si bondée que nous ne voyons pas très bien comment un « clandestin » pourrait s’y introduire. Il n’en reste pas moins que les locataires ont fait état, auprès de nous, de la gêne que ces rondes leur occasionnent, qui vient s’ajouter aux humiliations qu’ils subissent de la part des habitants du quartier. Ceux-ci, en effet, les soupçonnent d’être responsables des vols de motos commis devant la mosquée Echarqui[29].

La clientèle de cette première oukala provient principalement de trois régions : Mahdia, Kairouan et Kasserine. Chaque pièce de l’oukala montre un regroupement de nature communautaire. On trouve une pièce de Krawa [originaires du Kairouannais], une autre de Gsarnia [originaires de la région de Kasserine], etc. Par ailleurs, la localisation de l’oukala dans le quartier des pêcheurs a facilité la conversion de ces immigrés en marins-pêcheurs saisonniers, qui trouvent à s’employer plus particulièrement sur les sardiniers. Bien que ces emplois soient limités à la période estivale, leur relativement bonne rémunération permet à ces saisonniers de survivre le reste de l’année sans travail régulier. 

La seconde oukala boulila se situe à proximité de la mosquée de Boudriss. Elle présente de grandes similitudes avec la précédente, en particulier pour ce qui concerne l’usage des commodités de la mosquée. Toutefois, cette oukala a été aménagée dans un ancien garage. Ses clients sont, pour la plupart, originaires de l’arrière-pays de Mahdia. Ce sont des fellahs propriétaires dans leur région, mais les exploitations agricoles, mises en valeur de façon extensive, souffrent de la sècheresse. Bien informés sur les opportunités d’emploi et les niveaux de rémunération à Téboulba, ils viennent y travailler pour un temps plus ou moins long et y réaliser quelques économies, qui viendront compléter les médiocres revenus de leur exploitation. Pour se loger à bas prix, ils n’ont pas trouvé mieux que l’oukala boulila de Boudriss, qui leur permet de résider à proximité de leurs lieux de travail tout en n’ayant pas à engager un loyer mensuel. En effet, leur séjour se limite généralement aux périodes agricoles nécessitant beaucoup de main-d’œuvre : taille des oliviers, cueillette et ramassage des récoltes[30]. Cette oukala est souvent archicomble, à tel point que son propriétaire nous a confié qu’il a pu la surélever d’un étage grâce aux bénéfices tirés de sa location. Ce propriétaire possède en outre une épicerie qui jouxte l’oukala et dont les principaux clients sont, bien évidemment, ses locataires.

Pour parvenir à un taux maximal d’occupation, chacun des propriétaires des deux oukalas utilise la technique du parrainage, qui consiste à offrir la gratuité de l’hébergement pour toute personne qui arrive à ramener 10 autres clients.

Outre les oukalas, nous avons repéré, à Téboulba, quelques propriétaires qui divisent des habitations en studios ou en petits logements offerts à la location, ce qui leur permet de maximiser la rente locative. Ainsi, on peut dire que les immigrés trouvent à s’héberger tant bien que mal – mais souvent plus mal que bien – à Téboulba. Il convient maintenant de s’attacher aux mobilités des immigrés, une fois ceux-ci installés en ville, au sein de l’espace urbain.

VI. Une mobilité résidentielle intense, mais souvent contrainte et improvisée

L’analyse des itinéraires résidentiels apporte la preuve que la quasi-totalité des immigrés a changé au moins une fois de logement depuis leur arrivée. Ce fait exprime, entre autres, que leur processus d’insertion à Téboulba passe par plusieurs étapes.

En simplifiant les réalités observées, nous pouvons estimer que les mobilités résidentielles participent de deux schémas. D’un côté, certains immigrés choisissent, après avoir expérimenté pendant un temps variable le marché locatif, d’accéder à la propriété. D’un autre côté, d’autres –constituant la majorité des cas – changent de résidence pour trouver de meilleures conditions de logement, fuir l’ennui ou contourner les désagréments multiples que leur occasionne leur habitat actuel et son environnement (tensions dues au voisinage, promiscuité insupportable, défaut de paiement des loyers, etc..).

1. Mobilité résidentielle et accès à la propriété 

Généralement, les immigrés sont arrivés à Téboulba avec, en tête, un projet de retour au milieu d’origine. Cependant, et bien que nous ne puissions en apporter de preuve statistique, il nous semble qu’un nombre de plus en plus grand d’immigrés envisage dès leur départ une installation définitive à Téboulba. Quelques-uns même nous ont affirmé avoir élaboré ce projet avant leur départ et, en ce cas, ils arrivent en ville avec femmes et enfants – s’ils sont mariés- avant de partir, bien évidemment. Un certain nombre d’entre eux changent d’avis durant leur séjour, après un laps de temps plus ou moins long : il s’agit principalement de ceux qui ont réalisé une certaine ascension sociale et qui, dès lors, transforment leur projet de retour en projet d’installation en ville. Quelques autres, enfin, moins nombreux, jugent plus rentable d’avoir un chez soi que de payer perpétuellement un loyer. Toujours est-il que, comme A. Fejjal l’a noté à Fès (1995, p. 424), l’accès « à la propriété du logement est une obsession du citadin, qu’il soit citadin de souche ou néo-citadin ». De fait, 20% de nos enquêtés sont désormais propriétaires à Téboulba[31]. Souvent, ils ont changé deux à trois fois de résidence avant de s’établir en tant que tels. La modification du statut d’occupation s’est effectuée par plusieurs canaux impliquant diverses stratégies : le recours à la construction, à l’achat, au don ou au squat.

Dans un premier temps, les immigrés donnent la priorité au fait même de devenir propriétaires, quelle que soit la localisation ou l’accessibilité du bien immobilier acheté. Il en résulte que l’installation s’effectue majoritairement en périphérie de la ville de Téboulba, là où la réalisation des projets immobiliers est la plus aisée économiquement et socialement.

Ceux, parmi les immigrés, qui s’engagent dans la construction portent un projet résidentiel familial, pour lequel ils mobilisent les ressources de tous les membres. Dans ce but, il peut arriver que les femmes recherchent du travail. La construction du logement s’effectue généralement par étapes, au fur et à mesure des disponibilités financières. D’ailleurs, dans le but d’accélérer la construction, certaines familles ont recours à la vente de leurs biens dans leur milieu d’origine. Ceci est un cas très fréquent pour les originaires des régions de Kasserine et de Sidi Bouzid, car ce sont les plus déterminés à s’installer définitivement et rapidement à Téboulba. Ils ont le moins de regrets à rompre avec leur milieu de naissance, lequel « ne présente aucun atout », selon leurs dires.

Par contre, la participation familiale aux travaux concerne plutôt les immigrés originaires du Kairouannais et de l’arrière-pays de Mahdia, d’autant que c’est parmi eux qu’il y a le plus de recrues dans le bâtiment. L’expérience ainsi acquise leur permet de mener à terme leur projet sans grand appel aux spécialistes. Sinon, s’ils doivent y recourir, cela sera pour des travaux de gros œuvre (fondations, dalles, etc.). Généralement le maître-maçon est rémunéré s’il n’appartient pas à la parentèle. En ce cas, le commanditaire des travaux fait appel à un maître-maçon choisi au sein de la même communauté que lui, parmi les travailleurs immigrés, et il lui verse entre 13 à 15 dinars/journée (en 2005). Si c’est un parent, soit il n’est pas payé du tout, soit il reçoit une gratification minime. A titre de comparaison, le salaire journalier d’un maçon téboulbien est sensiblement plus élevé (entre 25 et 35 DT), mais les intéressés préfèrent le plus souvent être rémunérés à la tâche (au m²)[32].

Par ailleurs, confrontées à la cherté des coûts de construction, certaines familles ont recours au prêt bancaire auprès de la Banque de l’Habitat (B.H.). Mais les cas de ce type sont peu nombreux (4 familles), car les conditions d’attribution de ces crédits sont très sélectives. En fait, c’est en cotisant suffisamment longtemps à un plan d’épargne-logement auprès de la B.H.[33] que quelques immigrés ont réussi à accéder à des logements sociaux, entre autres ceux proposés dans le cadre d’un projet récent réalisé par la SNIT[34] dans l’imada de Fadhline[35]. Ce sont uniquement les immigrés qui ont un emploi stable suffisamment rémunéré et régulier, leur permettant des versements mensuels, qui ont pu bénéficier de cette modalité de financement. Selon les cas rencontrés, ce sont souvent des personnes travaillant dans l’industrie, ou ce sont les enfants – inscrits dans une certaine mobilité sociale – qui sollicitent les crédits au bénéfice du projet familial. Toutefois, l’apport financier des parents, quand bien même ceux-ci travailleraient dans l’informel, constitue une ressource non négligeable, d’autant que l’insertion professionnelle des enfants est souvent récente. Ils ne sont donc généralement pas en mesure de réunir tout seuls les sommes les autorisant à accéder à un crédit[36].

Enfin, quelques cas, également très rares, correspondent à un accès à la propriété grâce à des dons. Certains Téboulbiens, en effet, ont offert gracieusement des lopins de terre à des familles d’immigrés – qui vivaient auparavant dans de misérables gourbis – qui figurent parmi leurs ouvriers ou leurs voisins, dans un geste de charité. Il peut également s’agir d’une sorte de prêt à très long terme : « Quand tu auras de l’argent, tu me rembourseras ». De tels comportements ont concerné surtout des originaires du gouvernorat de Mahdia, installés à Téboulba depuis au moins une vingtaine d’années. En faire état de nos jours devient anecdotique, dans la mesure où les niveaux atteints par les prix du foncier dissuadent les propriétaires de faire don d’un quelconque lopin.

Toutefois, compte tenu des difficultés d’accès à la propriété, il ne faut pas s’étonner si certains immigrés se laissent convaincre de l’idée que le meilleur moyen d’obtenir un logement est le squat. Les opérations de ce type sont peu nombreuses, et elles sont risquées, car les forces de l’ordre n’hésitent pas à pratiquer l’expulsion, manu militari si nécessaire.         En conséquence, des familles préfèrent rechercher une solution en s’adressant directement aux autorités locales. C’est par exemple le cas de la famille de K.H. Après avoir été expulsée d’un terrain municipal proche du centre-ville, sur lequel elle s’était installée illégalement, elle a eu l’idée de déposer ses affaires devant le siège de la Délégation afin de bien faire entendre sa voix. En fin de compte, elle a pu bénéficier d’un autre terrain municipal, mais éloigné et de superficie modeste. Mais ultérieurement, par suite de l’agrandissement de la famille, elle a squatté des surfaces tout autour de son nouveau logement.

Nous pouvons donc constater que les stratégies d’accès des immigrés à la propriété sont diverses, même si elles présentent entre elles au moins deux points communs. D’une part, cet accès n’est possible qu’en périphérie de la ville, là où le foncier est le moins cher. D’autre part, quand le ménage s’installe en pleine propriété, son itinéraire résidentiel peut être considéré comme bouclé, du moins pour le chef de ménage et son conjoint.

2. Mobilité résidentielle et problèmes de quotidienneté[37]

Notre échantillon révèle que 46 ménages ont déménagé à cause de l’étroitesse des logements qu’ils occupaient. En effet, avec l’élargissement du foyer au fur et à mesure des naissances et l’afflux des proches, le nombre de pièces devient vite insuffisant, l’espace habitable « rétrécit » et rend la cohabitation étouffante. Ainsi, les cas ne sont pas rares où l’on compte une dizaine de personnes vivant dans une seule pièce ou deux, un nombre qui peut doubler en période estivale, obligeant certaines d’entre elles à occuper les terrasses pour dormir. Or, de tout temps, si l’hospitalité exercée au titre de l’entraide familiale a été la règle, sa perpétuation dans un milieu urbain crée des difficultés difficilement supportables et peut même générer des tensions. Les besoins financiers des ménages sont en outre tels que certains immigrés ont reconnu, gênés, qu’il ne pouvait plus « être question de loger à titre gratuit des proches qui, même s’ils parviennent à gagner de l’argent une fois arrivés, ne songent plus à chercher un logement, ne font que rarement les courses et préfèrent utiliser leurs économies pour envoyer de l’argent à leur famille ». 

La mauvaise qualité de voisinage peut également influencer les décisions concernant un changement de résidence. Ainsi 15 familles parmi celles que nous avons enquêtées ont choisi de déménager parce qu’elles n’étaient pas satisfaites de leur environnement social. En fait, la proximité résidentielle avec les autochtones est souvent mal vécue. Le conflit du baldi-arbî est nettement perceptible à Téboulba, où le terme arbî désigne souvent l’immigré, le barrani. Certains enquêtés déclarent avoir souffert du comportement de leurs voisines qui jettent les saletés devant leurs portes, ou de celui des enfants des voisins qui scandent : « Voleurs ! Voleurs ! » et « El barrani wil far bab eddar ! »[38]… En effet, beaucoup de Téboulbiens reprochent aux immigrés la dégradation sociale et civique de la ville : vols, prostitution, etc[39]. Un fait mal perçu dans une ville « à peine sortie de sa ruralité » (Lamine R., 2001, p. 377). Certains refusent de louer leurs logements à des filles célibataires ; d’autres ont expulsé des locataires de ce genre sous la pression de leurs voisins. Ainsi, l’accès à un toit pour des filles seules s’avère être une entreprise ardue à Téboulba. A tel point même que certains industriels ont dû intervenir en personne auprès de propriétaires proposant des logements en location afin qu’ils acceptent leurs ouvrières. S’exprimant sur ce point, M.C., cadre dans une entreprise industrielle, affirme qu’il a fallu déployer beaucoup de conviction pour rassurer les propriétaires et leur promettre qu’à la moindre incartade, l’ouvrière soupçonnée serait expulsée de l’usine et du logement[40]. Pour leur part, certaines filles immigrées nous ont confié qu’elles avaient été contraintes de déménager car elles ne pouvaient plus supporter le harcèlement des voisins. Ceux-ci n’arrivent pas à admettre la cohabitation de ces filles avec leurs cousins célibataires, alors que cela est jugé comme très banal par celles-ci qui rappellent que, chez elles, les cousins sont considérés au même degré que les frères.

D’un autre côté, certains immigrés souhaitent vivre à l’écart afin d’éviter toute querelle. C’est ce que soutient une enquêtée : « On préfère garder nos portes fermées. Personne ne se mêle de personne et, même avec cette solution, on ne peut pas éviter les conflits. Les autres se mêlent toujours de nos affaires. Si un proche nous rend visite, les voisins disent que c’est un de mes amants. En plus, nous sommes toujours soupçonnées de voler leurs affaires. On ne va pas rester ici, c’est abominable ».

Il est encore possible de distinguer un autre mobile de mobilité résidentielle, à savoir le non-payement du loyer[41] : 5% de nos enquêtés ont changé de résidence car ils étaient de mauvais payeurs. L’absence de contrat de location rend parfois les circonstances de ces mobilités forcées frustrantes. Certains immigrés ont ainsi été obligés de ramasser leurs affaires dans la rue, où elles avaient été jetées par le propriétaire. Il n’est pas rare non plus que certains propriétaires expulsent leurs locataires pour une autre location plus rémunératrice[42].

Certains itinéraires résidentiels d’immigrés témoignent d’une expérience souvent répétitive d’hébergement dans les oukala boulila. En effet, l’instabilité professionnelle provoque souvent un basculement dans l’instabilité résidentielle qui se traduit, quant à elle, par des périodes d’hébergement dans les oukala boulila. Ceci est particulièrement vrai pour ceux qui ne peuvent compter, pour une raison ou pour une autre, sur la solidarité familiale, par exemple parce qu’ils constatent que la cohabitation familiale intergénérationnelle est de plus en plus mal vécue par ceux qui sont obligés d’offrir l’hébergement. Quelques-unes des personnes enquêtées déclarent ainsi avoir choisi de se loger dans une oukala parce qu’elles ne veulent pas être embarrassées par la présence d’un père ou d’un oncle quand elles veulent fumer une cigarette, ou boire une bière ou, plus encore, regarder un film « osé » à la télé. Pour préserver leur indépendance en matière de mode de vie ou de comportement, l’oukala leur paraît être encore la meilleure solution.

En résumé, le changement de résidence semble être une attitude commune chez les immigrés. Certains, parce qu’ils ont réussi à s’inscrire dans une trajectoire sociale ascendante, ont fait le choix d’une installation définitive à Téboulba et ont privilégié, dans ce but, l’accession à la propriété. D’autres, par contre, privilégient le(s) changement(s) de résidence en espérant ainsi contourner les difficultés de la vie quotidienne, en particulier les tensions suscitées par l’opposition barrani/Téboulbien. Quelles que soient, cependant, les différences dans les logiques qui sous-tendent les pratiques de mobilité résidentielle, nous pouvons considérer que, comme l’écrit Ali Fejjal (1995, p. 460), celle-ci vise, « la plupart du temps [...], à acquérir la stabilité résidentielle ».

Conclusion

Téboulba est une ville sahélienne extrêmement dynamique, grâce à plusieurs secteurs d’activité (agriculture irriguée, pêche, bâtiment, industrie) qui recrutent et payent relativement bien leurs salariés. Elle exerce donc une forte attraction sur les populations rurales de son environnement proche, mais aussi sur celles des gouvernorats de Mahdia, de Kairouan et de Kasserine, pour ne citer que les principaux. L’élargissement de l’aire d’attraction de la main-d’œuvre qui vient s’employer à Téboulba génère, ainsi, une diversification accrue des origines géographiques de sa population résidente. Les itinéraires migratoires s’allongent et se complexifient. Les parcours les plus simples et les plus classiques, tels ceux qui portaient les habitants des campagnes proches directement à la ville, ne sont plus majoritaires. Les plus gros effectifs d’immigrés proviennent désormais des Hautes Steppes (région de Kasserine) et, parmi eux, les femmes comptent pour une part élevée. Celles-ci, souvent jeunes filles célibataires, sont embauchées dans les ateliers de confection et d’habillement. Leur mobilité témoigne d’un certain changement, du moins à l’échelle régionale, des comportements des populations rurales. 

Cette diversification des origines et des itinéraires des migrants transforme les modes d’accès au logement à Téboulba. L’importance de la famille, en tant qu’élément décisif dans l’établissement des réseaux de connaissance qui favorisent l’insertion en ville, est nettement confirmée par nos enquêtes. Toutefois, la pénurie de logements a rendu le processus d’insertion résidentielle complexe. La location reste le principal mode d’occupation du logement, mais l’accès à la propriété n’est plus aujourd’hui, loin s’en faut, un processus marginal. D’un autre côté, les caractéristiques du marché immobilier urbain expliquent la réintégration des maisons en ruine dans le marché du logement, ainsi que l’apparition d’un mode d’hébergement inédit à Téboulba, à savoir celui des oukala. Celles-ci occupent une place notable dans les stratégies résidentielles des immigrés célibataires ou venus seuls, principalement du fait que le prix de la nuitée y est modeste.

Nonobstant la diversité des milieux d’origine des immigrés, leur insertion spatiale et sociale semble être pour la majorité d’entre eux encore inachevée. Leur mobilité résidentielle témoigne surtout, de leur part, de la recherche d’un mieux-être, quelque relatif qu’il puisse être, tant à travers le type de logement recherché qu’à travers l’environnement immédiat de ce dernier (voisinage). Il s’avère toutefois que la forte territorialité d’un côté, la pérennité des liens de solidarité et des identités d’un autre côté – deux traits qui caractérisent encore aujourd’hui les Téboulbiens « de souche » –, n’ont guère aidé les immigrés – pour ne pas dire qu’elles ont été un obstacle – à s’intégrer dans la société d’accueil.

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Notes

[1] Recherches entreprises, entre autres, pour l’obtention de notre DEA. Ben Tekaya, N., Enjeux et stratégies des acteurs de l’aménagement urbain à Téboulba (Sahel tunisien). Géographie, Université de Tours, 2001, 173 p.

[2] La plupart de ces entretiens ont été effectués entre octobre et décembre 2005. Ils sont venus compléter ceux, en plus petit nombre et partiellement exploités, que nous avions réalisés en 2001 dans le cadre de notre DEA.

[3] L’expression qui compare Téboulba à l’Italie est reprise des qualificatifs que les immigrés attribuent à leur ville d’accueil, et qui en vantent la prospérité et le dynamisme économique.

[4] Elle a accédé dès lors au statut de commune urbaine, puisque, en Tunisie, la population communale constitue, par définition, la population urbaine, indépendamment de la taille des agglomérations. En Tunisie, “ le fait urbain est avant tout communal et procède d'un acte politique ” (Belhedi A., 1993).

[5] L’imada [le secteur], dont le chef est l’omda, représente le premier niveau de l’administration territoriale en Tunisie. En 2004, la population des imada de Téboulba se répartit comme suit : 6650 habitants à Homt-Essouk, 7124 à Ayaïcha, 2757 à Fadhline, 8628 à Soukrine et 5995 à Boudris.

[6] La présence à Téboulba d’une bourgeoisie urbaine assez étoffée et celle d’un groupe d’entrepreneurs fort actifs est susceptible d’expliquer l’essor économique de la ville et ses besoins en matière d’emplois.

[7] Nous ne développons ici que les principaux éléments susceptibles d’expliquer l’afflux des immigrés auxquels nous nous intéressons. Ainsi, certains secteurs de la vie économique, bien que dynamiques, n’ont pas été traités, d’autant que les populations immigrées qui s’y inscrivent sont en nombre infime.

[8] Par exemple, certains enquêtés originaires des arrière-pays de Kasserine et de Siliana affirment que, dans ces régions, le montant qui est versé pour une journée de travail, en 2005, serait de l’ordre de 5 à 6 dinars.

[9] 1 DT = 0,63 € en mai 2005.

[10] En 2004, le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de 1,124 DT/heure pour un régime de 40 heures/semaine et de 1,073 DT/heure pour un régime de 48 heures/semaine (INS, 2004).

[11] En 2004, le SMAG (salaire minimum agricole garanti) est de 6,709 DT/jour. La valeur du SMAG augmente chaque année de presque 200 millimes/an (1 DT=1000 millimes) (INS, 2004).

[12] Certes, le déficit de main-d’œuvre suffit à rendre compte de ces relativement hautes rémunérations. Mais nous pensons que joue également un autre facteur, bien qu’il soit sans doute moins déterminant que le précédent ; en effet, il semblerait que le montant horaire versé par un employeur constitue pour lui une manifestation de sa richesse, qu’il soit devenu, en quelque sorte, une forme ostentatoire de réussite. Et lorsqu’un de ces employeurs a payé son ouvrier à tel tarif, les autres tendent à l’imiter et à s’aligner sur lui.

[13] Les travaux d’aménagement et d’agrandissement du port se sont poursuivis jusqu’en 2003, nécessitant au total 9 millions de dinars.

[14] En 2004, la flottille enregistrée à Téboulba compte 496 unités, dont 464 embarcations pour la pêche côtière, 28 sardiniers et 4 chalutiers-thoniers. Pourtant, il convient de noter qu’un assez grand nombre de pêcheurs téboulbiens sont enregistrés dans d’autres ports où ils exercent leur activité, que ce soit à proximité des grandes zones et des grands ports de pêche, comme Gabès, ou bien à proximité des principaux marchés de consommation, comme Sousse ou Sfax, ou encore dans les ports du Nord du pays, où leur activité bénéficie des encouragements d’un Etat qui veut réduire la pression exercée sur les eaux du golfe de Gabès pour en protéger les réserves.

[15] Ce montant ne tient pas compte de la valeur des prises des pêcheurs téboulbiens non enregistrées dans ce port (Source : Municipalité de Téboulba, 2001).

[16] Ce sont les sardiniers qui emploient le plus de main-d’œuvre. En 2002, ils ont débarqué 4 617 tonnes, soit 68% du total pêché.

[17] En 2001, on comptait à Téboulba 63 entreprises, dont 42 dans le secteur de la confection (N. Ben Tekaya, 2001, p. 36).

[18] Mais ce constat est logique dans la mesure où, comme nous l’avons signalé, nous ne nous intéressons pas, dans cet article, aux immigrés qui exercent à Téboulba des emplois de cadres, de fonctionnaires ou de professions libérales.

[19] Certains de ces derniers sont des couturiers reconvertis dans le travail en usine.

[20] Sur un plan plus général, R. Morin et A. Demers (2002, p. 324) ont remarqué que « généralement dépourvus de moyens, [les immigrés] disposent principalement du réseau des relations qu’on leur confie en partant, qu’ils peuvent faire fructifier par une prospection attentive de certains lieux publics (marchés, mosquées, gares, divers centres d’activité) et par le développement des rapports de sociabilité […] ».

[21] À ce sujet, L. Jennan (1995, p. 77) confirme, à propos des villes du Moyen-Atlas marocain, que « la première insertion s’opère en grande partie grâce à l’aide d’un membre de la famille ou d’une connaissance de celle-ci ». Affirmation que nuance H. Ladouceur (2002, p. 344), quand elle écrit que si « ces liens sont souvent de sang, ils peuvent [aussi] être basés sur la provenance géographique et finalement sur des affinités amicales ». 

[22] Surtout que, à Téboulba, les simsâr [les courtiers] sont peu présents sur le marché locatif.

[23] Le terme signifie, littéralement, « épicerie ». Son usage veut mettre l’accent sur la très faible superficie de ces espaces proposés à la location.

[24] Ceci confirme l’avis de M-C. Blanc-Chaléard selon lequel « les nouveaux venus, démunis le plus souvent et portés par un projet de séjour provisoire, s’installent là où la ville est la moins chère, dans des lieux de relégation » (1998, p. 29).

[25] Selon T. Bouchrara-Zannad (1987, p. 71), « l’oukalisation désigne le fait d’occuper l’espace domestique, prévu pour une seule famille, le dâr, loué à la pièce à des familles d’origine rurale ».

[26] Le propriétaire effectue des rondes régulières pour vérifier que ses interdits concernant la consommation électrique sont bien respectés par ses locataires.

[27] C’est-à-dire entre la prière de mighrib [coucher du soleil] et celle de icha [la nuit].

[28] Il est à signaler que ce propriétaire a carrément nié le fait qu’il tenait une oukala. C’est seulement par l’intermédiaire de quelques clients que nous avons pu y pénétrer en cachette.

[29] À ce propos, un habitué de cette oukala nous assure que, « les gens, ici, nous traitent très mal. On est toujours accusé chaque fois qu’il se passe quelque chose. On est toujours coupable ! C’est humiliant ».

[30] À l’échelle de la Tunisie, ces migrations saisonnières « sont symptomatiques d'un double processus. D'abord la crise générale que connaît le pays notamment en matière d'emploi fait qu'à la migration classique, définitive, mais en baisse, s'est ajoutée la migration saisonnière dans le cadre d'une stratégie familiale de fixation et de pluri-activité. Ensuite, ces courants migratoires concernent le Nord-Ouest et le Centre-Ouest et sont en direction du Nord-Est et du Centre-Est et faiblement vers le Sud » (Belhedi A., 2000).

[31] L’ampleur des investissements immobiliers effectués par les immigrés ne passe pas inaperçue. Elle fait beaucoup parler les Téboulbiens, à en croire les propos les plus répétés, du genre : « Les barrania nous ont colonisés »; « c’est affreux, ils ont construit des maisons et ont acheté des terrains partout », « Je ne veux pas vendre à un barrani et je veux que mes voisins fassent pareil ; car je n’aime pas avoir des barrania dans les parages », etc.

[32] Fortement sollicités à Téboulba même, mais aussi dans la région, car ils sont réputés pour leur savoir-faire et leur expérience, les maçons téboulbiens, majoritairement diplômés (contrairement aux maçons immigrés), ont des exigences salariales élevées.

[33] L’épargne-logement se résume à un contrat passé entre la B.H. et la personne physique qui désire construire, acquérir ou agrandir un logement.

[34] La Société Nationale Immobilière de Tunisie, créée en 1957, joue le rôle de promoteur immobilier public de logements.

[35] Où la SNIT a construit 77 logements sociaux en 2000-2001 pour un prix unitaire de 23 000 DT à 30 000 DT. Pour en bénéficier, les candidats doivent gagner moins de 2 fois le SMIG et avoir été sélectionnés pour bénéficier des prêts du Fonds pour la réalisation des logements des salariés (FOPROLOS).

[36] Toutefois, les logements sociaux disponibles étant de petite taille – ils sont composés d’une chambre ou de deux avec un salon, une cuisine et une salle d’eau –, posent des problèmes de promiscuité pour des familles qui sont généralement nombreuses et qui, en outre, doivent souvent héberger de la parentèle.

[37] Nous développons uniquement ceux repérés au sein de notre échantillon.

[38] Expression que l’on peut traduire par : « L’étranger et le rat, à la porte ! ».

[39] Dans un contexte de discrétion et d’affaiblissement du contrôle familial, les filles venues seules sont soupçonnées d’être responsables des atteintes aux bonnes mœurs dans la ville.

[40] Certains chefs d’entreprise vont même jusqu’à organiser des rondes nocturnes pour contrôler les allers et venues de leurs salariées, afin d’éviter que celles-ci ne rentrent trop tard le soir ou découchent.

[41] Il arrive souvent que le montant du loyer ne soit pas déterminé uniquement par les caractéristiques du logement, mais aussi par la capacité financière des locataires. Le loyer peut augmenter du seul gré du propriétaire : il suffit pour cela qu’il découvre un locataire prêt à payer un loyer supérieur à celui qu’acquittait le précédent occupant.

[42] D’ailleurs, certains propriétaires, sous le prétexte de travaux d’entretien, font déloger leurs locataires. Ils leur offrent même un petit local pour entreposer leurs affaires. Mais, après coup, les délogés découvrent que d’autres locataires occupent le logement pour un loyer plus élevé.

 

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