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Le vieux Constantine, ambiguïté d'un patrimoine

Insaniyat N°5 | 1998 | Villes Algériennes | p. 23-37 | Texte intégral


Old Constantine, an ambiguous heritage

Abstract : The conflicts in defining the old Constantine patrimony are related to on identity problem, which is in actual context often confounded with arab and islamic culture. It’s therefore a question of trying to identify those factors which ca/i for a recognition of the Constantine heritage. Wa have chosen to answer, although on/y partial/y by a double analysis ; that of the ground /and holdings (P.O.S) in Souika and that related to attempts at restauration and development of main monument sites, from ottoman origin (the Bey’s palace, Medersa el Ketania) or French (the County Buildings [Wilaya], the Medersa [seat of lecrning]). To this analysis we combined research elements (on the field investigation and involving people in charge of local government).

Keywords : Constantine, heritage, duality, swiqa, spaces


Zoulikha BOUMAZA: Architecte - sociologue enseignante, université de Constantine.


Introduction

La question du patrimoine du Vieux Constantine est depuis le début des années 1980 une des préoccupations des autorités. Même si les débats sont souvent controversés. Ce qui explique apparemment les hésitations avec lesquelles les réflexions sont menées (études, recherches).

La complexité du site, juxtaposition de tissus et de monuments de plusieurs époques (hafside, Ottomane, française), et la dégradation avancée de certains quartiers (Chara'a, Souika) rendent ambiguë la  notion de patrimoine. Dans un contexte où l'identité arabo-islamique est mise en avant, le devenir du site et des monuments est dés lors problématique.

Autrement dit, quels sont les éléments qui appellent à une reconnaissance du patrimoine constantinois?

- Traces morphologiques et architecturales du passé dans le présent ? Un repère commémoratif d'événements (Salah et Ahmed beys, Malik Benabi et Abd al Hamid Ben Badis)?

Il en ressort donc un dilemme qui se pose au niveau du choix de sauvegarde: que faut - il sauvegarder?

* Le patrimoine constantinois en témoignage de l'histoire dans sa diversité (document, Demain l'Algérie, 1995)? ou bien le patrimoine  arabo - musulman?

* Le cadre bâti historique ? ou bien récupérer des terrains pour une urbanisation future?

Notre proposons pour étayer ces interrogations une réflexion sur le POS de Souika et sur quelques opérations de «restauration ». Cette analyse dévoile les conflits de gestion de la « médina» de Constantine.

1. Le rocher: enjeu de « conflits»

La vieille ville de Constantine[1] connaît diverses appropriations qui touchent à son espace et même à son histoire devenant dès lors un foyer d'enjeux. L'appropriation du site par les spéculateurs (trabendistes) aussi bien que le projet de préservation et de restauration (Urbaco 1985, Wilaya 1994) ne s'accordent pas avec le cadre bâti existant. Le terrain montre des transformations dues aux remodelages des espaces (façades) et des reconstructions ou des projets de reconstruction s'opposent au cadre bâti existant traditionnel. De même les projets officiels donnent l’impression d'ignorer complètement le dynamisme qui se développe à l'intérieur de Souika, qui est souvent considérée comme précaire et même périphérie.

Nous rappelons que la médina de Constantine est le centre d'une agglomération de plus de 800.000 habitants. Ce centre concentre environ 50% des services commerciaux et regroupe des équipements centraux et même régionaux (annexe de l'université, académie des universités de l'Est, théâtre, préfecture, cadastre...). Les enquêtes menées en 1983 par Fatiha Benidir et Badia Sahraoui[2] et actualisées par la commission de l'Assemblée Populaire Communale en 1988-l989 [3]et en décembre 1993 (POS) dévoilent des conditions de vie à la limite de la fiction. En effet la dégradation, la sur densification et le bas niveau de c6nfort ont entraîné des problèmes qui touchent à l'intérieur des maisons: humidité, manque d'hygiène, maladie, promiscuité, entassement et maux que cela entraîne d'une part, d'autre part les problèmes rencontrés à l'extérieur ne sont pas des moindres: drogue, alcool, prostitution, insécurité, même Si on essaye de les combattre.

Ces images dramatiques sont nourries par les aléas des conjonctures depuis la fin des années 1970: problèmes d'indivision, loyers trop bas[4] caractère de transit et relogement des sinistrés dans des IIILM (1978- 1986) et dans le "clos et couvert" depuis la fin des années 1980.

La médina ainsi décrite brièvement n'a cessé d'être depuis plus d'une décennie l'objet d'une dualité: un patrimoine à sauvegarder et un terrain à urbaniser. Le devenir du quartier historique pose donc un problème épineux pour les gestionnaires, notamment ceux de l'espace, puisque malgré la vétusté avancée du cadre bâti résidentiel, le Rocher est actif et devient la cible préférée des commerçants et des entrepreneurs privés.

La médina est en même temps un héritage, une identité, le reste d'une valeur socio - spatio - historique, niais aussi le reflet d'une quotidienneté. Le vécu, comme il a déjà été décrit, révèle un état critique dû particulièrement à la dégradation du cadre bâti, à la perte des activités de support et au délabrement de la silhouette et du paysage du site. Ceci suscite des interrogations

Quelle valeur doit-on donc attribuer à un passé qui entre dans le domaine des légendes et à un patrimoine urbain et architectural qui s'estompe ?

En effet lors des sinistres, les autorités se trouvent confrontées au problème de relogement des " sans abris", des habitants dont le logement s'est écroulé sous l'effet des pluies trop brutales (1983), des séismes (1985) ou des dégradations volontaires. Le patrimoine est dès lors perçu comme décombres entraînant des préoccupations socio - pratiques, c'est-à-dire sinistrés à reloger, maisons menaçant ruine à évacuer et à sceller d'urgence, bâtisses en ruine à remembrer, ainsi que d'autres commodités à prévoir.

L'attitude des gestionnaires et des habitants tient donc compte de la réalité technique de la cité (effondrement des bâtisses et difficulté à recaser les familles sinistrées). Autrement dit la médina de Constantine se présente comme un centre ville surchargé que la ruine et l'insalubrité envahissent de plus en plus. C'est notamment les cas de l'ancien quartier juif (Chara'a) et de la pointe sud du Rocher (basse Souika). C'est pour cela d'ailleurs que le Rocher est taxé de ville dépassée, ruralisée et n'a cessé de préoccuper les gestionnaires de la ville[5]. Ils sont tous conscients de la nécessité et de l'urgence d'une intervention à caractère social, ce qui les a amenés à insister sur les décombres et les conséquences qui en découlent notamment dans les "bas fonds" la basse Souika, quartier traditionnel par excellence, porte le chapeau de la crise. Il est taxé de taudis, d'insalubre et de foyer de maux sociaux.

Partant de ces considérants et face à la gestion des contraintes, les autorités cherchent des alibis pour exproprier la basse Souika en proposant un "cadre de vie meilleur"[6]. La proposition de la médina zone à rénover par le plan d'urbanisme directeur (1976) a amené les autorités, dans un premier temps, à bloquer les permis de construire, sachant qu'il n'existe pas de cahier des charges propre à la vieille ville. Pour les mêmes raisons en 1994, les autorités ont accueilli favorablement le plan d'occupation du sol [7]

2. Souika : enjeu spatial

Nous avons remarqué, dans l'analyse des propos des autorités locales, des contradictions entre le discours et son interprétation pratique. L'exemple de Souika illustre comment cet espace est disputé par plusieurs acteurs. La taudification de la partie basse du Rocher fait d'elle un espace de luttes quotidiennes luttes contre les dégradations et les conditions de vie très difficiles de la plupart des habitants, luttes contre les maux sociaux que cachent les décombres (alcool, drogue) et luttes contre la bidonvilisation, la précarité provoquée par la spéculation trabendiste.

Ces luttes apparentes et quotidiennes ont poussé indirectement les autorités à déclarer Souika quartier précaire et à l'inscrire dans le projet de Résorption de l'Habitat Précaire (RHP), sans toutefois tenir compte de la nature du site ni des textes législatifs relatifs aux sites et monuments historiques[8]. D'où l'ambiguïté quant au devenir de ce site qui change d'appellation selon les appréciations, les lieux et les circonstances ; de bas fond et de décombres, il passe à héritage et identité. En effet Souika, quartier le plus authentique de la cité, est déclassé par la vétusté volontaire et / ou involontaire, elle est disqualifiée, devenant par la force des choses un obstacle. A ce propos Madani Safar - Zitoun écrit dans sa thèse sur Alger[9] que "la dégradation du cadre bâti exprime une sorte de désobéissance civique qu'il serait faux d'attribuer aux seuls effets de variables anthropologiques (mode de vie) ou physiques (surpopulation) ». Faisant ainsi de ce site un enjeu spatial qui s'inscrit naturellement dans le projet RHP ou de réhabilitation selon les cas, le POS[10] montre l'intérêt que portent les autorités locales à ce site.

2.1. L e plan d'occupation des sols

Le POS est une reconduction indirecte du projet de rénovation initié par le Wali en l988[11] . C'est à dire la proposition d'un plan qui permet une intervention urgente de nettoyage du terrain, permettant l'urbanisation future. Le POS, document normatif qui doit tenir compte d'un plan d'urbanisme d'ensemble et de la législation en vigueur, dépasse son cadre et devient un moyen dont les autorités se servent pour l'expropriation de terrains. Autrement dit le POS, tel qu'il a été élaboré, risque d'être néfaste à la sauvegarde du Rocher. Les propositions ne tiennent pas compte de la réalité du site et ne s'inscrivent pas dans un plan d'ensemble d'aménagement tel que prévu par le PDAU (restructuration, réhabilitation) et ne respecte pas les dispositions de l'ordonnance 67-281.

En effet le programme ne tient compte ni de la vieille ville, ni de l'agglomération. Les transformations proposées du cadre architectural ignorent les "structures sociales nouvelles", la dynamique actuelle et la manière dont le site est en train de se faire (reconstruction, vitrine). Le POS prend en compte l'origine du site, c'est-à-dire préserver un cadre bâti et urbain hérité des ottomans, faisant abstraction des apports de la période coloniale et des initiatives actuelles[12].

Le POS doit être considéré comme un moyen d'aménagement social et non pas un plan d'occupation des sols qui ne tient pas compte des aspirations des habitants[13]. En effet le projet Souika veut en faire un quartier moderne qui concurrencerait le reste de la ville par la spéculation. "Que devient donc Constantine sans les ombres de sa Souika ? C’est l'histoire qu'on tue" se lamentent les vieux citadins et quelques usagers (lors des enquêtes).

La réhabilitation fait peur, elle ouvre les portes à toutes les compromissions, et à la spéculation, "c'est les hommes du trabendo qui t'ont bénéficier". En effet qui va habiter Souika après les travaux ? "sûrement pas les actuels habitants, même si le POS propose un plan de relogement".

Nous constatons qu'il n'y a aucun rapport entre les questions posées au début de l'analyse et les propositions. Pourtant le POS justifié le choix de la basse Souika par la nature de site, qu'il qualifie de «(le) plus représentatif des richesses cultuelles et historiques, et vu son emplacement stratégique uni que"[14]

L'analyse de cette étude fait ressortir des remarques importantes l'emplacement "stratégique que et unique" du Rocher et les "richesses culturelles et historiques". Ces deux atouts appellent donc à line intervention dans la basse Souika, dont un des objectifs principaux est justement de révéler le symbole de son (cité) passé et l'image du présent..." Ceci ne peut être possible que par le développement de l'artisanat qui selon les auteurs "peut engendrer une dynamique culturelle et touristique". Or présentement, le Rocher est vital par la quantité importante des commerces (boutiques et étals) et des services[15] et non par l'artisanat et encore moins par le tourisme. L'artisanat connu à Constantine est un artisanat de consommation et non à vocation touristique. C'est là que viennent s'approvisionner les nouvelles mariées. On y vient de tout l'Est du pays pour acheter du cuivre, des bijoux, des "gandoura constantinoises" (velours brodé avec du fil d'or).

On a tendance à lier, maladroitement le devenir du Vieux Constantine à l'artisanat et au tourisme. Ceci est vrai pour Tunis et Fès. Deux cités où l'artisanat tient une place de premier rang, d'ailleurs elles doivent leur pérennité en partie au tourisme. Cette proposition est une reprise du projet d'Alquier du XIX e S. qui voulait faire du Rocher "une cité artisanale". Or les commerces et l'artisanat proposés n'ont rien avoir avec la réalité actuelle.

La deuxième question posée par la POS concerne le devenir socio -spatial du site, « faut-il bouleverser et à la limite faire disparaître un tissu et une vie sociale ? 16[16] L'accroissement des terrains vagues et la bidonvilisation spontanée d'une part et le projet des pouvoirs locaux de confier les terrains libres à la promotion immobilière privée d'autre part orientent le devenir de ce quartier. Les questions posées font donc allusion d'abord à la rénovation du site et à la substitution du tissu et des habitants, et ensuite aux véritables enjeux. Nous remarquons que les questions posées en 1994 ont déjà fait l'objet de débats en 1988-89. Même les réponses étaient à l'ordre du jour. Dans le sens où il n'existe pas de relogement temporaire le transfert des habitants se fait de la même manière que pour les sinistrés au stade, dans les clos et couverts et dans les logements collectifs sociaux. Il n'y aura pas de réintégration des habitants dans la vieille ville. L'exemple d'Annaba est à ce propos très significatif[17].

A Constantine, à cette même époque (1980.90), on laissait la dégradation faire, c'est ce qui explique pourquoi 40% des maisons ont été détruites en l'espace de dix (10) ans (l984-94)[18]. Par ailleurs le constat établi dans le cadre du POS montre que 54% des maisons sont démolies ou scellées, dont 11% sont squattées et seulement 8% sont en bon état.

Le POS ou toute autre proposition rentre dans le budget RHP ce qui veut dire régler un problème de précarité qui pose des problèmes techniques et sociaux et non patrimoniaux. Or Souika, en plus de la précarité et des problèmes sociaux, est un quartier historique, puisqu'il s'agit de la partie la plus authentique du site, reconnue sans ambiguïté comme telle par tout le monde, c'est aussi le seul quartier qui ne montre pas d'opposition quant à son classement, puisque, "Souika est notre identité" répètent les enquêtés.

Le POS arrive au moment où Souika est partagée entre les trabendistes et où le manque de réserve foncière à l'intérieur du périmètre urbain se pose de façon aiguë. La partie la plus authentique de la médina est devenue ainsi territoire par excellence de l'informalité et de l'illicite, ce qui a entraîné la bidonvilisation, l'abandon des maisons par leurs propriétaires faute de pouvoir payer les impôts pour les uns et pour des raisons sécuritaires pour les autres. Ces aspects importants ne semblent tenir aucune place dans les propositions de POS[19] Or écrit Ph. Chombard de Lauwe[20] "un plan doit être avant tout populaire (...). Il n'y a pas de grande œuvre, ni de vie harmonieuse sans une foi qui les anime. Cette foi demande à s'exprimer dans des moments dont les formes et la situation dans la ville correspondent à leur fonction et à leur valeur symbolique. C'est autour d'eux que se répartissent les espaces sociaux, que Maurice Halbwachs a mis en valeur dans son étude sur la mémoire collective en espace juridique, espace économique, espace religieux".

2.2. « Détournement » de budget au profit de la Basse Souika

Le plan de nettoyage proposé par le POS, qui consiste à débarrasser Souika des décombres, entre dans le cadre du concours financier de la CEE[21]. Cette aide a pour objectif principal "l'amélioration des condition~ d'habitat d'un certain nombre d'ensembles bâtis se trouvant en marge de sites urbains", ceci concerne donc les groupements d'habitat périphériques (illicites et assistés). Il s'agit donc d'aider les "citoyens à bas revenus et qui ne disposent pas d'un revenu minimum de condition en matière de réseaux d'assainissement ou d'adduction d'eau potable, de voirie, électricité et équipements sociaux élémentaires"[22]. Parallèlement à ce concours, l'APC de Constantine a débloqué un budget pour le RHP. Le projet d'intervention dans la basse Souika s'inscrit justement dans ces deux budgets.

Conclusion

La médina à travers ses quartiers historiques n'est donc plus une référence, puisque son cadre bâti est rejeté, ce qui attire alors c'est le rôle traditionnel des rues où la sociabilité ne cesse de s'accroître. Il semble que l'identité n'est donc plus à rechercher dans le patrimoine bâti mais dans la fonction économique du site. C'est pour cela que les autorités parlent du rôle que peut jouer ce site Si on avantage le tourisme et l'artisanat. Ce qui explique par ailleurs les projets d'hôtels et de rués artisanales dans la basse Souika, quartier voué à la modernisation (POS). A ce propos M. Herzfeld[23] parle de l'ambivalence du tourisme dans le sens où malgré l'apport matériel (emploi, argent) il rend les habitants dépendants, comme c'est le cas de Fès et de Tunis. L'ambivalence touche même le devenir qui est assez controversé puisque c'est la disponibilité de réserves foncières qui est mise en avant. Le patrimoine architectural n'est qu'un prétexte pour légitimer l'intervention de reconstruction. J. Monnet écrit à ce propos "si l'on est persuadé des nécessités de la protection, c'est uniquement au profil des monuments particuliers et spectaculaires, dont on est prêt à détruire l'environnement, même ancien afin de le mettre en valeur"[24].

3. Restauration destructrice des monuments

Le début des années 1990 est marqué par un « sursaut» qui a amené les autorités à s’intéresser aux principaux monuments. Des projets de «restauration» et de proposition de classement de certains édifices ont été à l'ordre du jour de 1993 à 1995.

a. Institut Ben Badis.

Edifice appartenant autrefois à la famille du shaykh d’islam Lafgun. Il a été cédé est 1947 à jamai’at al uléma (la Fondation des Uléma). En hommage à Abd el-Hamid ben Badis fondateur de l’association, il porte désormais le nom de l'1nstitut Ben Badis.

Après avoir, pendant plusieurs décennies fêté le 16 avril, anniversaire de la mort de Ben Badis (16.4.1940), les autorités locales, sous l'impulsion des associations locales et de l'Agence nationale d’archéologie, ont reconnu l'édifice monument historique[25] et ont débloqué un budget de 200.000 DA, pour évacuer les décombres et faire les travaux préliminaires à la restauration. En 1993 fut donc retenue l'idée de proposer cet édifice au classement et sans attendre la décision ministérielle, les autorités ont décidé la réfection - restauration. Toutefois le rôle à donner suite aux travaux n'a pas été encore envisagé.

Les services de la culture ont fait appel à une équipe de l'UNESCO pour le «nettoyage» afin de faciliter la réfection et ne pas abîmer la faïence et le marbre comme c'est le cas pour la madrasa el Kétania. La faïence et les carreaux de marbre ont été enlevés et soigneusement classés et rangés. Or, une fois le nettoyage terminé et les cartons ficelés, l'Institut Ben Badis fit saccagé, détruit et dépouillé. Selon l'Agence Nationale d'Archéologie, VAPC est responsable dé ce vandalisme, elle n'a pas assuré la sécurité de l'édifice tel que prévu par l'art. 1 du décret 81.382 du 26.12.1981. Il est écrit dans cet article que "dans le cadre de la législation en vigueur et sur leur territoire respectif la commune et la Wilaya sont habilitées à entreprendre toute action de nature à préserver le patrimoine culturel et historique et à en assurer le développement".

b. Madarsa el Kétania

Madarsa el Kétania, situé à proximité de Dar Salah Bey entre la mahkama et la mosquée, a joué un rôle important à partir de 1945. Kouliat (faculté) el Kétania[26] a été choisie par les chefs de confréries pour servir de base socioculturelle par la mise en œuvre d'un programme d'enseignement et de formation rénovée.

En octobre 1993, suite à une visite de Madarsa el Kétania[27], par les services techniques de la Wilaya et de l'A. P.C., il a été retenu le projet de réfection du monument et le barreaudage pour séparer les tombeaux de la famille Sa/ah Bey sans toutefois avertir l'ANA pourtant il s'agit d'un monument classé et que l'art 40 de l'ordonnance 67 stipule que «l'autorisation préalable du ministère de la culture est obligatoire». Il semble en effet que l'APC n'a pas informé la circonscription archéologique des travaux envisagés.

Les travaux de réfection ont été confiés à titre onéreux à une entreprise de construction (Cosider). Faute de suivi et par manque d'expérience, le résultat est «un désastre», les dégâts touchent à la peinture et aux mélanges de la faïence, notamment celles des tombeaux de la famille Salah Bey ; les carreaux de faïence ne sont pas remis à leur place.

Cette malheureuse initiative est le résultat du «travail dispersé et à la sauvette» dit une architecte de l'Agence d'archéologie. Une autre responsable de la Direction de l'Urbanisme insiste quant à elle sur la mésentente entre personnes, qui nuit ; "pour un objectif commun, les efforts sont dispersés" disait-elle. Il s'agit donc d'une restauration à la sauvette, la Wilaya n'a pas jugé utile, selon une responsable de l'ANA, d'avertir les services de la culture concernés, prétextant son autorité locale, de représentante des différents ministères. Ceci reflète bien l'ignorance des textes (décret 81-382 du 26-12-1981). La médersa est un monument classé depuis 1913, ce qui la met sous la responsabilité notamment technique de l'ANA comme le stipule l'art 5 du décret 81-382: "La Wilaya est chargée" de la conservation et de la sauvegarde en concertation avec les services concernés des monuments historiques et sites culturel ou naturel".

c. La mosquée Lakhdar

La mosquée Lakhdar (verte)[28], construite par Bouhanek Bey au XVIIIe S., était Madarsa au temps de Salah Bey et a renfermé le réformisme constantinois de Ben Badis. Ce monument classé en 1903, est le seul monument qui a échappé aux transformations pendant la période coloniale. En revanche il a été déformé par les travaux d'entretien actuel : peinture (même les colonnes et les chapiteaux en marbre ont été peints) la faïence défectueuse a été remplacée par une autre qui dépend des disponibilités du marché. Elle est restée donc authentique jusqu'aux années 1990, date des travaux d'entretien qui l'ont défigurée. Elle a donc perdu son aspect originel.

De la même manière que pour la madarsa el Kétania, les autorités (le service des Affaires religieuses et l'APC) n'ont pas jugé utile d'informer l'ANA. Le "relâchement scandaleux"[29]de l'autorité l'a fait tomber dans l'informalité qui fait désormais partie des pratiques locales, car même les autorités ne semblent pas dans ces cas respecter pas la législation en vigueur[30]

Conclusion

Dans tous ces cas de "restauration", les services concernés se sont confrontés, comme l'a souligné F. Choay à "un vandalisme, destructeur restaurateur". En effet dit-elle " vouloir et savoir classer des monuments est une chose. Savoir ensuite les conserver physiquement et les restaurer est une autre affaire qui repose sur d'autres connaissances"[31] . Ces propos sont une parfaite illustration des trois cas présentés.

D'autre part ces projets de restauration (Institut Ben Badis, El Kétania et jama'a Laldidar), et les conséquences qui en ont découlé montrent en effet les véritables luttes qui se cachent derrière l'inflation démagogique patrimoniale. Dévoilant ainsi les conflits qui existent entre différents acteurs et qui portent atteinte à la vieille ville d'une part, d'autre part, ils dévoilent le caractère informel des autorités (APC, Wilaya) par l'exclusion de l'Agence Nationale d'Archéologie[32]dont les principaux rôles sont justement "le suivi des opérations de restauration des monuments classés et veiller à la bonne conservation et à la protection des sites et des monuments dont elle à la charge "[33]

4. La culture : un enjeu

a. Madarsa

Cet édifice, construit au début du XX°s selon le "style Jonnart" (arabisance), du protecteur l'appelle - t - on, doit son nom arabe à sa fonction de collège franco - musulman. L'Algérie indépendante y a reconduit l'enseignement. Jusqu'en 1970 l'enseignement supérieur était confiné dans cette bâtisse. Depuis la construction de l'université Ain El Bey, elle devient une annexe, et regroupe dès - lors l'institut de bibliothéconomie et des bureaux de groupes de recherche en sciences sociales. Après avoir été centre d'enjeux qui ont en fait un espace disputé par les deux universités[34]d'abord, et ensuite par les universitaires et les services de la culture, en septembre 1995, la médersa est devenue siège de l'Académie des universités de l'Est en remplacement de la conférence qui était itinérante.

Madarsa se prête depuis à l'imaginaire le plus fou, avec ses multiples symboles   la France et l'Occident dans un cadre architectural mauresque. Elle est depuis son édification un centre d'instruction, la première université de Constantine est devenue un centre de recherche où les sciences sociales type occidental ont élu domicile, dominant les bas fonds (l'habitat illicite de l'avenue de Roumanie, Chatt et la pointe sud de la basse Souika). Le Ministre de la culture, lors de sa visite à Constantine en août 1994, a proposé aux autorités locales, la réaffectation de Madarsa aux services de la culture pour en faire une maison de la culture. En effet cette entité urbaine, hormis les lieux de culte ne renferme pas d'espaces culturels.

Les successifs projets de réaffectation prouvent l'intérêt de cet équipement et dévoilent l'intérêt pour les monuments de l'époque coloniale. Ceci nous renvoie à l'ordonnance 67 - 281 et au document Demain l'Algérie (1995).

Comment expliquer ce sursaut culturel ? Sinon pour redisputer la culture à la mosquée, sachant que le projet islamiste essaye d'effacer les éléments symboliques qui représentent l'occident. Le projet du Ministre semble vouloir doter la médersa d'un sens nouveau[35].

b. Le Palais de Hadj Ahmed.

Ce réveil culturel est renforcé par la restauration du Palais du Bey[36] qui sera aménagé en un musée d'ethnographie. Cet emblème du pouvoir beylical est devenu résidence du Général Gouverneur de la province de Constantine et de son état major en 1837. Depuis l'indépendance, ce symbole de l'identité musulmane s'est affirmé encore plus puisque l'histoire ottomane est évoquée principalement par le Palais.

En s'appropriant le Palais, les Français ont procédé à certaines transformations, qui ont un intérêt du point de vue de l'art et de l'histoire (ord.67-28 I). Cependant le choix de l'Agence Nationale d'Archéologie s'est fixé sur la reconstitution du moment dans sa forme originelle, dans le sens de vouloir reconstituer la vie d'Ahmed à travers ses espaces", même s'il va être réaffecté à un autre rôle, celui de musée d'ethnologie et non en musée représentant les appartements du Bey, avec ses meubles et son ambiance.

Ce projet de restauration fut accueilli par l'ensemble des acteurs sans polémique. Les circonstances de son édification ne se posent pas, pourtant il a été construit pour satisfaire aux propres besoins et aux exigences d'Ahmed Bey. Pour résumer ces attitudes nous citons A. Riegl "('e n 'est (donc) pas leur destinée originelle qui colère à ces œuvres (palais) la signification de monuments, c'est nous, sujets modernes, qui la leur attribuons"[37]. Autrement dit, raconter l'histoire de la période qui a précédé la colonisation par la restauration du palais, qui dans notre cas prend un autre sens. Le récit historique par la pierre prend un sens nouveau, car ce n'est pas Ahmed qu'on veut commémorer, mais le Palais en tant qu'espace et architecture d'une époque. Le choix de l'ANA est donc porteur de messages nouveaux.

C. La wilaya

En 1849-54 la mai son du khalifa et la mosquée Ben Maldilouf furent démolies, et on a construit à la place respectivement la Wilaya (préfecture) et l'hôtel de ville. La Wilaya, avec son architecture néo classique, "style du vainqueur" par Opposition à la médersa néo mauresque, renfermera le musée de Constantine qui sera appelé à remplacer "Cirta" ( situé au Coudiat Aty), trop petit paraît - il.

En juin 1995, le Wali considère que la bâtisse est une touhfa (joyau), tellement il est ébloui par la monumentalité de la construction. Il s'oppose ainsi au déplacement du siège de la Wilaya du centre vers la périphérie (Aifour). Le caractère monumental du bâtiment en fait un musée de l'architecture néo classique, mais on n'a pas besoin de lui assigner ce rôle. Le DEC (le Maire) quant à lui propose la destruction pure et simple du siège de la Wilaya. Ainsi pour empêcher dans "une fièvre patriotique" ou idéologique la destruction de ce patrimoine, certaines associations et admirateurs de la vieille ville proposent le classement du siège de la Wilaya. En janvier 1995 la liste des monuments proposés au classement nationale comporte principalement les bâtiments de l'époque coloniale.

Si nous retenons ces trois propositions, le Rocher serait doté de trois monuments reflétant trois périodes de l'histoire de la ville. Nous soulignons que ces projets sont sujets à des polémiques. La restauration et la réaffectation du Palais en musée sont un vieux projet. En revanche la Médersa et la Wilaya sont perçues au niveau local comme des enjeux et sont sources de conflits identitaires. Ces projets "culturels" entrent dans le cadre de la valorisation du patrimoine historique, dont le programme est esquissé en 1985 par l'étude de préservation du Rocher établie par l'URBACO et l'instance de classement du Rocher en mars 1992[38], que « Demain l'Algérie» confirme.

- Ces décisions légitiment- elles les édifices coloniaux par leur réaffectation ?

- Pourquoi le choix s'est -il fixé sur deux édifices (Wilaya et Medersa) de l'époque coloniale et qui symbolisent deux attitudes de l'occupant?

- Dans quelle mesure ces projets imposés par les autorités locales seraient - ils acceptés par la population? Le sens nouveau que "ceux qui aménagent d'en haut l'espace et la société [39]"veulent donner à ces deux projets interpellent-ils les jeunes? Lesquels ? Ceux de Souika ? Ne sont -ils pas déjà adhérents aux associations Souika (I et 11) ? Sachant que les associations ont leurs intérêts ailleurs, en tous les cas pas dans la préservation du patrimoine, puisqu'il ne leur appartient pas[40] Quels sont alors les véritables enjeux ?

Conclusion

L'analyse du POS et des tentatives de restauration confirme l'hésitation des autorités quant au devenir du patrimoine de Constantine (site, monuments, artisanat). En effet la sauvegarde se cherche encore en Algérie, car jusque là nous avons hérité d'expériences négligeables (Casbah d'Alger. Ghardaïa), ce sont à notre avis ces défaillances qui expliquent les hésitations avec lesquelles l'administration tente de gérer la question du patrimoine. Les exemples de restauration illustrent les difficultés de faisabilité de tout projet de sauvegarde.

Bibliographie

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- Chombard de Lauwe, problèmes de délimilation de quartiers, Paris et région parisienne, 1952

- Choav F. allégorie du patrimoine, ed. Seuil, Paris 1992.

- Herzfelt M. A place in history, social and monumental time in Cretan town, Princeton -university press, New Jersey, 1991.

- Dans l'imaginaire de certains conservateurs, le classement ne concerne pas les parties coloniales. C'est pour cela d'ailleurs que l'instance de classement n'a pas été affichée à la mairie.

- Lepetit B., « Analyse du présent et ressaisissement du passé», in Second Colloque international d'histoire urbaine, Strasbourg du 8 au 10 septembre 1994 (ronéo).

- Monnet J., La vie et son double, la parabole de Mexico, essai de recherche Nathan, Paris, 1993

- Riegl A., le culte moderne des monument~, son essence, sa genèse, éd. Seuil, Paris, 1984.

- Safar Zitoun M., Stratégie sociale et appropriation de l'espace; le cas d'Alger, Th. Doct., Paris 7, 1992

- Sannier Y.. La ville et ses découpages in Mélanges de l'école française de Rome? Mefrim t. 105, 1993-2, p.p. 375-403.


Notes

[1]- Nous utilisons Rocher, médina, Vieux Constantine pour désigner la vieille ville.

[2]- Dans le cadre de magister, Université de Constantine

[3]- Projet APC

[4]- D'après l'enquêtes de 1993 certains propriétaires ont cédé leurs maisons au fisc, faute de pouvoir payer les impôts.

[5]- Lors des journées d'études sur la Casbah d'Alger en déc. 1992, le Wali d'Alger a rappelé dans son intervention la réalité technique de la Casbah. Le patrimoine n'est en effet pas seulement un agencement de pierres léguées par les ancêtres, le vécu et les conditions de vie très difficiles des habitants sont aussi à prendre en compte.

[6]- POS, PDAU...

[7] - Wilaya- université de Constantine juin 1994

[8]- Ord.67-28 I, relative aux sites et aux monuments historiques.

[9]- SAFAR - ZYFOUN, Madani.- Stratégie sociale et appropriation de l'espace, cas d 'Alger, Th. Doct.-Paris 7, 1992.- p.p. 636.

[10]- Dans l'article 18, de la loi 90 - 29 du 1er décembre 1990 relative à l'aménagement et à l'urbanisme, sont déterminées les zones d'intervention sur les sites urbains et les zones à protéger (art. 31). " Le règlement proposé dans le cadre du POS ne tient pas compte de la nature du site, par exemple la couleur blanche pour les façades, or la couleur du Rocher est ocre. De même le programme proposé considère Souika comme une unité de voisinage empruntée aux programmes des ZHUN, or Souika est un quartier qui fait partie d'un ensemble.

[11]- « Projet Khalifa »Wali de Constantine 1988-1989.

[12]- Même attitude que celle du DEC.

[13]- L’étude est précédée d’une enquête technique, et d’un inventaire (commerces et services), or l’enquête sociologique n’a pas été envisagée. C’est pour cela que le Secrétaire général de la wilaya en sept. 1995 parle « de défaillances ».

[14]- POS, Wilaya / Université (IAU) Juin, 1994.

[15]- La rue Mellah Slimane comportait en 1993, 112 commerces.

[16]- POS.- op.cité.

[17]- En 1988, dans le cadre de relogement des habitants de la Place d’Armes (vieille ville), les services de la wilaya d’Annaba ont proposé un relogement contingenté des familles : deux familles (anciens voisins) dans un même appartement.

[18]- Enquêtes de l’URBACO (1984) et de l’APC (1994).

[19]- Instruction interministrielle n°1 du MUCH / Culture en date du 7.1.1984.

[20]- CHOMBARD DE LAUWE.- Délimitation de quartiers, Paris et sa région.- Paris, 1952.-p.p.357.

[21]- Programme du 31 août 1993, identification d’un programme de réhabilitation du patrimoine immobilière dans le cadre du concours de la CEE, Ministère de l’habitat / CEE.

[22]- CEE Ibid.

[23]- HERZFELT, M.- A place in history: social and monumental time in Cretan town, Princeton.- New Jersey, University press, 1991.

[24]- MONNET, J..- La ville et son double, la parabole de Mexico, essai de recherche.- Parsi, Nathan, 1993.- p.46.

[25]- Le Rocher est en instance de classement, c’est probablement la raison pour laquelle l’institut ne figurait pas sur la liste des monuments proposés au classement en janvier 1995.

[26]- AL KORSO, M..- La dimension culturelle et religieuse dans l’Algérie coloniale (1830-1954), in Algérie Actualités du 5-11 nov 1992.

[27]- Monument classé en 1913 par l’administration française et reconduit en 1967 par l’administration algérienne.

[28]- Appelé improprement Sidi Lakhdar

[29]- Expression empruntée à M. Belfkih et A. Fadloula.- p.159.

[30]- Ord. 67-281, code communal…

[31]- CHOAY, F..- Allégorie du patrimoine.- Paris, Ed Seuil, 1992.- 115.

[32] ANA., à caractère administratif, et créée par le décret n° 87.10 du 6 janvier 1987.

[33]- En application de l'article 5 du décret 81.382.

[34]-Université de Constantine et université Emir Abd el-Kader.

[35]- LEPETIT, B..- Analyse du présent et ressaisissement du passé, in second Colloque international d'histoire urbaine.- Strasbourg du 8 au 10 septembre 1994 (ronéo). Colloque.-p.4.

[36] Monument classé en 1934.

[37] - RIEGL A., le culte moderne des monuments, son essence, sa genèse, éd. Seuil, Paris, 1984.

[38]- Dans l'imaginaire de certains conservateurs, le classement ne concerne pas les parties coloniales. C'est pour cela d'ailleurs que l'instance de classement n'a pas été affichée à la mairie.

[39]- LEPETIT, B..- Colloque, op.cité.- p.1.

[40]- Cf. Réunion PAPW du 3 Mai 1995.

 

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