Insaniyat N°7 | 1999 | Paysans Algériens ? | p. 05-32 | Texte intégral
Agricultural Algeria : From territorial build-up to impossible peasont emergence Abstract : Agronomic and climatical conditions, ways of organization and space appropriation by rural communities, on the one hand, historical differences in seeing a central state emerge, political instability and agrarian colonization on the other hand seen to have been an obstacle to the forming and installing an Algerian peasantry tied to the land, holding permanent ownership titles, accumulating equipment, and appropriate technical systems. Collective owhership, extensive soil use, and the “ sorts of life” pastoral and semi-pastoral had up to the 19 th C, a primate place in AIgeria. The peasant property of “melh” statute developed before colonization only in the outskirts of towns or cities which had been the seat of state dynasties in the past - in certain mountain massifs or in the oasis. It is mainly inside these zones that a peasantry deeply attached to the land evoluated, using often intensine exploitation methods for soil and water resources. The French colonization, not only operated the most radical rupture in complementory agricultural space use and their resources but it ruined at the same time, all possibility of development of a peasant base in A Igeria. The existence of an immense agricultural proletariat limited the Algeria agricultural organization choices following independence. An examination of handicaps, at the same time national and historical, deserves a necessary detour to partly understand the jams to which all agriculural politics carried out, have come up against. Keywords : agriculture, rural, agricultural land, collective properties |
Omar BESSAOUD: Chercheur au Centre International des Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM)- I.A.M- Montpellier. France
De la période coloniale jusqu'aux récentes décennies d'indépendance algérienne se sont succédées des politiques agricoles orientées vers la mise en valeur des territoires agricoles (des terres du Tell aux zones arides et désertiques du Sud), vers la modernisation du droit de propriété foncière et des techniques de production agricoles.
La récurrence de ces thèmes sur une période historique aussi longue traduit en fait l'existence de lourds handicaps qui expliquent l'échec relatif de ces politiques et leur instabilité.
Ce sont ces "faits de permanence"[1] comme les appelait Marc Côte, qu'il nous semble utile de redécouvrir pour comprendre les difficultés à réorganiser socialement et économiquement l'agriculture algérienne.
Ces faits se réduiraient à trois handicaps auxquels l'Algérie se heurterait: un handicap naturel lié aux conditions agro-climatiques, un handicap social et historique résultant de l'absence d'une forte assise paysanne[2] et a un handicap technique.
Notre étude se limitera à esquisser une analyse des deux premiers aspects.
1. Le handicap naturel de l'agriculture algérienne
La faible dotation en ressources naturelles - sols et eaux- de même que les conditions agro-climatiques limitent singulièrement les possibilités d'intensification des activités agricoles et différencient l'espace agricole.
La disposition du relief, tout d'abord, distribue inégalement les forces productives naturelles.
1.1. L'organisation du relief de l'Algérie et ses effets sur l'espace agricole
J. Despois note, que "la géographie régionale de l'Algérie est délicate à présenter (...),. C'est un pays morcelé, compartimenté (qui) manque d'unité géographique et de cohésion (...), et les grandes unités naturelles entre lesquelles se partage l'Algérie manquent elles-mêmes d'homogénéité "[3].
Une première distinction peut-être établie entre deux grands ensembles nettement opposés
L'Algérie du Nord, qui est celle du TeIl, et l'Algérie du Sud. La zone tellienne est pleinement méditerranéenne, la zone sud, pleinement aride ou semi-aride.
a) L'Algérie du Nord s'étend entre la Méditerranée et le Sahara sur une bande large en moyenne de 350 Km. Elle est composée de deux zones assez compartimentées
- La zone tellienne qui borde le littoral méditerranéen sur une largeur de 100 Km en moyenne.
Le caractère montagneux de la zone tellienne, à proximité immédiate du littoral, l'altitude des hautes plaines et leur isolement de la mer déterminent dans l'ensemble de l'Algérie des climats beaucoup plus heurtés qu'en Tunisie et qu'au Maroc[4]
- La zone steppique qui s'étend du Sud du TeIl jusqu'aux piémonts Sud de l'Atlas Saharien sur une largeur de 100 à 300 Km.
b) L'Algérie du Sud représentée par un ensemble désertique d'un peu plus de 2 millions de Km2.
Ce désert s'étend sur 1800 Km du Nord au Sud et 1600 Km d'Est en Ouest. L'activité agricole est, dans ce vaste ensemble désertique, dispersée dans quelques vallées et Oasis peuplées de palmeraies - vallée du Touat - Gourara, de l'oued Souf, du M'zab et de l'oued Ghir, Oasis de Biskra, Tolga, Touggourt, région de Tamanrasset -Djanet -.
c) A l'intérieur même de ces grandes divisions géographiques, plusieurs unités se dégagent.
- Dans l'Algérie du Nord, il faut relever l'existence de deux chaînes montagneuses : l'Atlas Tellien et l'Atlas Saharien- tendues de la frontière Ouest à la frontière Est et orientées dans le sens Ouest - Sud - Ouest et Est-Nord-Est.
à L'Atlas Tellien, chaîne plissée et accidentée, ferme le pays sur la mer. Il est formé de plusieurs sous-ensembles : les monts de Tlemcen, du Tessalah, des Beni-Chougrane. de l'Ouarsenis, du Dahra et du Zaccar à l'Ouest; les monts de Blida et du Titteri au Centre; les monts de Kabylie, des Bibans, de Constantine et les massifs des Babors et de Collo à l'Est.
à L'Atlas Saharien au Sud comprend des alignements réguliers qui vont des monts des Ksours et du Djebel Amour à l'Ouest, aux monts des Ouled Nails au Centre jusqu'aux monts des Aurès et des Nemamchas au Sud-Est.
Entre ces deux chaînes atlassiques, s'étalent les hautes plaines algéro-ornaises et les hautes plaines constantinoises dont I'altitude varie de 800 m dans la région Est, jusqu'à 400 ni dans la dépression du Hodna, pour atteindre 1100 m à la frontière algéro-marocaine.
- Deux domaines naturels émergent au Nord de l'Algérie : celles des plaines du littoral limitées dans l'espace (Mitidja, Annaba, de l'Oranie), juxtaposées à des régions de collines, de basses plaines étroites et discontinues dans l'espace et vallées de l'intérieur (Sidi-Bel-Abbès, Mascara, vallées du Chelif et de la Soummam) souvent étroites et discontinues. Plaines sub-littorales, bassins intérieurs et hautes plaines constituent des unités que l'on ne retrouve pas au Maghreb[5].
Au contact des montagnes et des plaines, les piémonts (du Djurdjura, de l'Atlas Saharien...) Constituent des "espaces marges" et des zones de transition entre deux espaces géographiques (plaine littorale et hautes montagnes comme c'est le cas de la Basse Kabylie ou des piémonts de l'Atlas Saharien). Ces zones intermédiaires entre deux ensembles physiques constituent un secteur qui a attiré les populations humaines. Elles ont localisés au cours des âges nombres de frontières politiques du Maghreb central[6].
- Dons le Sud algérien, c'est l'espace saharien où prédominent des horizons plans. Les zones désertiques constituent les 4/5 du Sahara. Les paramètres physiques et climatiques varient d'une Oasis a l’autre : ressources en eau, ensablement, situation topographique, maxima et minima de températures, pluviosité (de 200 a 10 mm par an), fréquence des vents.
Si l'on nivelait l'ensemble de ces reliefs, l'altitude serait d'environ 800m. Partout les pentes marquent le paysage. La conséquence de ce relief est que "la présence de cette chaîne montagneuse directement flanquée sur le littoral, interposée entre mer et espace intérieur arrête les précipitations venues du Nord ou du Nord-Ouest, localise les grands" châteaux d'eaux du pays, assèche et continentalise I'intérieur. Elle organise 1'hydrographie en une série de cours d'eaux parallèles et courts qui se précipitent vers la Méditerranée sans avoir pu se concentrer"[7] .
Ce trait explique la continentalité et le caractère aride ou semi-aride du climat.
1.2. Un climat méditerranéen aux marges du désert
L'Algérie agricole se trouve localisée dans une étroite bande. La limite de l'olivier et du figuier est vite atteinte et ces espèces végétales ne dépassent pas la ligne de faîtes de l'Atlas Tellien dont le versant Nord reste sous l'influence du climat méditerranéen.
L'autre versant de l'Atlas trace une frontière avec le pays des parcours, celle de l'Algérie pastorale, celle de la steppe caractérisée par un climat défavorable aux cultures.
Le climat n'est donc méditerranéen que dans les régions littorales et sub-littorales.
Les terres fertiles - celles des plaines du Sahel du sub-littoral et des plaines intérieures - ne représentent que des îlots de superficie réduite.
Le caractère méditerranéen du climat algérien se perd dès que l'on pénètre à l'intérieur des terres et la plus grande partie de l'Algérie, celles des hautes plaines, est sous l'influence d'un climat que les agronomes nord-africains du début du siècle qualifiaient de "steppien", aux hivers froids et secs. En effet, les hautes plaines insérées entre l'Atlas tellien et l'Atlas saharien sont soumises aux contraintes d'un climat continental (hivers froids et relativement secs et étés chauds avec des amplitudes thermiques élevées, des vents chauds en été et des gelées en hiver).
Plus au Sud, c'est le désert et ses immenses espaces marqués par l'aridité qui laisse peu de place au peuplement et à la production agricole.
La tonalité continentale est donc fortement marquée sur une grande partie du territoire agricole et la sécheresse est une menace constante.
Cette opposition permet d'opérer une première différenciation de l'espace agricole. Selon Bernard (A) et Lacroix (N) "la somme des pluies permet de distinguer le TeIl, pays des arbres et des fellahs, la steppe ou pays des graminés et des pasteurs, le Sahara ou région non cultivable, sans eau, sans arbres et sans cultures sauf dans les Oasis...,. Toutes choses étant égales par ailleurs, on peut admettre qu'avec 400 mm d'eau, le sol est généralement cultivable, de 200 à 350 ou 400 mm c 'est la steppe; avec - de 200 mm, c 'est le désert"[8] .
"Pour la population algérienne de 1830, l'opposition TelI-Sahara jouait pleinement: toute la région non-tabulaire, y compris les secteurs peu arrosés de l'Ouest oranais et de la plaine d 'Oran est Tell, comme l'ensemble constantinois, jusqu'au revers Sud de l'Aurès et du Bou-Taleb; toutes les hautes plaines algéro-oranaises, y compris les chaînons atlassiques qui les bordent au Sud, sont çah'ra"[9] . Cette nette délimitation sépare grossièrement les régions qui reçoivent, pendant toute l'année agricole, d'octobre à mai, plus de 300 à 350 mm de précipitations et portent un sol agricole, de celles qui ne les reçoivent pas et ne les portent pas.
L'opposition TeIl-Sahara est encore plus évidente pour les sols et la végétation. Si presque partout, manque l'humus, du moins les terres alluviales abondent dans les fonds, et les sols rouges sur les montagnes et les plateaux telliens les bassins intérieurs et les hautes plaines constantinoises, s'ils sont encroûtés, le sont sous une couche de terre meuble.
Pour nous résumer, 1'Algérie est un pays sec qui appartient au triangle aride- semi-aride. Elle constitue l'une des régions du monde située dans une zone de transition climatique, et qui, de ce fait, subit à la fois l'influence des zones humides et tempérées (en hiver) et l'influence du désert.
Cette position de "frange" se traduit par une dégradation théorique graduelle en latitude, du littoral au Sahara. Si l'on met en rapport, topographie et bioclimats, il ressort très clairement une contrainte forte pour l'agriculture qui est spécifique à l'Algérie. Du fait que gradient de pluviométrie et gradient de planitude sont inversés, la majorité des plaines aptes à l'activité agricole sont marquées par l'aridité ou la semi-aridité et la majorité des zones humides sont montagneuses. Il y a dissociation entre ces deux éléments et leur conjonction n'existe que dans certaines régions très limitées en surface utile telle la Mitidja. Les zones du territoire agricole qui conjuguent à la fois des précipitations supérieures à 600 mm et des pentes inférieures à 3% ne couvrent en Algérie que 500 000 ha sur une Algérie du nord qui s'étend sur plus de 40 millions d'hectares[10]. La répartition des cultures céréalières (près de 80 % des assolements) selon la pluviométrie révèle également que seulement 27 % de la SAU céréalière est situé dans des zones où il pleut annuellement un peu plus de 400 mm d'eau. Cet indicateur n'a de signification que si l'on rappelle que, plus que la succession des saisons, ce sont les irrégularités et les excès qui marquent profondément le régime des pluies en Algérie.
Enfin, il convient de noter que le réseau hydrographique est médiocre. La faiblesse du réseau, sa structure et les faibles écoulements, n'ont pas favorisé l'aménagement d'un espace agricole intensif du point de vue de son exploitation.
Il apparaît essentiel d'insister, en nous appuyant sur ces éléments qui tiennent des conditions géographiques et de relief sur le fait que l'espace agricole de l’Algérie est donc singulièrement limité. Le relief et les conditions climatiques vont exercer une influence très forte dans la construction du territoire agricole, et l'adoption de pratiques intensives d'agriculture - sans irrigation artificielle - est rendue difficile par une pluviométrie globalement déficitaire, aléatoire, irrégulièrement répartie[11].
1.3. Zones agricoles et limites des cultures
Sur une carte, l'Algérie occupe une étendue considérable, mais la terre arable est en quantité limitée. Un peu plus de 7,5 millions d'hectares sur une superficie de 42 millions, soit 17, 8% du total. Les terres fertiles et susceptibles d'appropriation par les agriculteurs sont disséminées dans de vastes espaces quasi-désertiques.
Une première division s'impose celle entre les régions où les cultures peuvent se contenter des précipitations atmosphériques et celles où elles ne sont pas possibles sans irrigation.
Oliviers et vignes tracent les lignes d'une agriculture méditerranéenne en Algérie. L'on va cultiver également les céréales, des légumineuses, des fourrages et des céréales de printemps dans les zones les mieux arrosées. L'élevage ovin et bovin sera associé aux cultures céréalières.
Dans les zones steppiques, c'est l'élevage ovin et caprin qui dominera, avec accessoirement cultures des céréales sur les marges.
Dans les zones du Sud, l'agriculture est rare et les populations pratiquent sur quelques îlots, l'élevage nomade et des cultures itinérantes. L'Oasis est le lieu principal où se développent des activités agricoles au Sud de l'Atlas Saharien. Dispersés sur près de 2 millions d'ha, les quelques 100 000 ha de SAU sont soumis aux rigueurs d'un environnement aride. Une paysannerie mobilisant les techniques les plus rudimentaires y pratique une agriculture irriguée sur des petites exploitations. L'essentiel des productions a un caractère vivrier avec association du palmier-dattier.
Les dernières décennies ont bouleversé les conditions techniques traditionnelles des Oasis, notamment depuis la décision d'accès à la propriété foncière agricole de 1983 (Accès à la Propriété Foncière Agricole - APFA): développement du système d'irrigation par pivots, introduction de la plasticulture, de cultures commerciales et d'espèces cultivées dans le TelI (blé, arboriculture fruitière) et de l'élevage bovin.
Si l'espace agricole est la base matérielle sur laquelle se développe des activités économiques avec des contraintes auxquelles se trouve confronté toute société, il a une histoire qui est celle des sociétés qui se l'approprient. L'espace agricole de l'Algérie est le produit de transformations inséparables d'un contexte historique (mouvements démographiques, histoire politique, évolution des techniques et politiques agricoles et/ou économiques d'ensemble) qui a conditionné l'adaptation des hommes à ces contraintes.
L’espace agricole doit ainsi être analysé en rapport avec I 'histoire de sa structuration, l'histoire des modes d'exploitation et de sa mise en valeur.
2. La construction du territoire agricole de l'Algérie et de ses modes d'exploitation
Plusieurs étapes peuvent être distinguées : une période antique pré-romaine par la primauté de l'élevage sur les cultures, une période romaine introduisant une spécialisation de certains territoires agricoles, une période arabe où l'essor urbain participe à la structuration de l'agriculture et des campagnes voisines. A la veille de la période ottomane, la structuration spatiale des modes d'exploitation des sols semble être achevée, et la Régence développe un dispositif juridique qui définit les statuts fonciers, les modes de faire-valoir des terres et de prélèvement fiscal. Sans remettre en question des complémentarités dans les modes d'utilisation des espaces agricoles, la Régence turque contribuera à enclencher un processus de "modernisation" de la propriété en favorisant la "décollectivisation" des sols. La colonisation française opère toutefois les ruptures les plus brutales à la fois dans les formes d'organisation des espaces agricoles et les modes d'appropriation des terres.
2.1. Pasteurs et agriculteurs dans la Numidie antique
Les sociétés berbères pré-romaines pratiquaient une gamme étendue de spéculation, alliant l’arboriculture, les maraîchages, les céréales et l'élevage. L'on exploitait les potentialités et les ressources disponibles des zones montagnes (vergers et olivettes occupaient de vastes superficies et "c'est surtout dans les montagnes, suivant Solin, que les Numides élevaient les chevaux[12]), des forêts (Car, "outre la guerre, la chasse était une des occupations des Numides [13]") et des plaines sèches
De nombreux textes et vestiges attestent que la culture des céréales était développée avant le IIIéme siècle (orge et blé de Numidie). La Numidie de Massinissa envoya à différentes reprises, des quantités importantes de grains et suppléait à l'insuffisance de la production agricole en Sicile, dans l'Empire romain et en Grèce[14]. Malgré ce développement, l'élevage restait l'activité la plus importante et l'effectif de ce cheptel était Si important que l'historien grec Polybe (IIéme siècle avant J.C) "ne pensait pas que l'on puisse trouver rien de semblable dans tout le reste de la terre[15] ".
Strabon (1er siècle de notre ère), relate que les Numides, qui étaient divisés en tribus étaient essentiellement de tradition nomade.
L'organisation de l'espace agricole au cours de cette période se caractérise par une adaptation des populations aux éléments offerts par le milieu naturel Les formes de production se caractérisent par la propriété tribo-communautaire, même Si Massinissa tente d'asseoir la propriété individuelle et familiale et de sédentariser des populations dans les massifs montagneux, et ceci dans le cadre d'une stratégie de construction d'un Etat[16]. Ces formes autorisent une exploitation complémentaire des ressources disponibles à l'intérieur des différents domaines bio-climatiques (montagnes/plaines, forêts/terre de culture, élevage/cultures céréalières).
La colonisation romaine remodela sensiblement cet espace agricole et introduit une rupture avec les pratiques de complémentarités dans les activités agricoles et l'utilisation des différents espaces. Elle institua, dès le IIème siècle semble-il, une monoculture céréalière au profit des marchés de consommation des villes-garnisons et des marchés extérieurs. Cette colonisation ne développe aucune culture nouvelle et ne fait qu'étendre les superficies de cultures traditionnelles (céréales, vignes et oliviers). Les principales richesses des domaines coloniaux consistaient donc essentiellement dans la production de céréales et les cultures fruitières, dont les produits - principalement l'huile et le blé - étaient exportés et écoulés à Rome[17] .
Nous savons, qu'à un espace agricole dont la mise en valeur était réalisée par un réseau de village et d'exploitations agricoles organisées autour d'établissements à caractère originellement défensif[18], succédait un autre espace où l'élément déterminant du paysage agraire était constitué par de petites et moyennes agglomérations paysannes, car comme le note Lacroix " des tribus plus sédentaires habitaient dans des villages formés de cabanes, et s 'adonnaient à la culture du sol en même temps qu 'à 1 'éducation du bétail,"[19]
La soumission des Berbères à l'égard de Rome n'ayant été que "précaire et temporaire" selon la formule d'Ibn-Khaldoun, les populations autochtones continuent d'exploiter, céréales, oliviers et arbres fruitiers (figuiers en particulier); les fractions des populations nomades qui n'ont pas été absorbées par la colonisation et fixées au sol, et qui ont été refoulées plus au Sud, continuent d'assurer un élevage pastoral sur des espaces échappant au contrôle de l'Empire romain.
L 'espace agricole colonisé est donc loin d 'être homogène.
La colonisation agricole romaine aura créé en Algérie, comme cela se reproduira au XIXéme siècle avec la colonisation française sur une plus vaste échelle, des disparités régionales. Mais à l'inverse de ce que sera la colonisation française, on pourrait affirmer que l'Est du territoire constituait une "province romaine " et l'Ouest une réserve indigène". Il y a une segmentation des espaces agricoles et une juxtaposition entre agriculture autochtone et agriculture coloniale, chacune se déployant dans son domaine géographique[20]
Sur l'espace utile contrôlé par Rome et les terres conquises, les rapports sociaux sont réorganisés. Les latifundia turent assignés à des colons pratiquant un faire-valoir indirect et utilisant une main d'œuvre servile. L'ager publicus est cultivé selon ces mêmes modes. La ville romaine, proche des terres et regroupant une population urbaine romanisée, des propriétaires et des notables alliés de Rome[21], exerça une emprise sur le monde rural environnant en prélevant des vivres et une partie des richesses créées ( la rente foncière prenant la forme-impôt ou la forme-tribut versé en nature[22]) . C'est cette main-d'œuvre servile et les petits propriétaires ruinés par le fisc qui constituèrent la base sociale de mouvements sociaux insurrectionnels (mouvement des circoncellions) et religieux (le donatisme) qui défièrent la puissance romaine[23].
La domination vandale se traduit par l'expropriation des romains et la redistribution des meilleures terres des provinces conquises entre les mains des nouveaux vainqueurs. Des parts leur étaient concédées, à eux et à leurs héritiers, en toute propriété[24].
Sur l'espace agricole occupé par les Vandales, l'on reconduit les modes de faire-valoir indirects en vigueur, sauf qu'ici les terres sont confiées moyennant redevances aux Romains[25]. Les Romains, de la Numidie qui n'avaient pas été expropriés, payaient un impôt qui était, semble-t-il, moins lourd qu'au temps du gouvernement impérial[26].
L'emprise sur les terres semble moins forte au cours des VIéme et VIIéme siècle.
Le recul de l'urbanisation devant la nomadisation n'a pu être freiné par la reconquête de Justinien, et les campagnes militaires des Byzantins "se trouvent limitées aux couloirs de communication entre les massifs montagneux où l'indépendance des sédentaires berbères se renforce... [et] jamais elles ne pénètrent sur les hauts plateaux et dans les déserts où les tribus chamelières nomadisent librement"[27] Les aires de culture (olivettes, blé et vigne) tendent ainsi à se rétrécir, de même que les courants traditionnels d'échanges.
L'on assiste, en effet au cours de ces siècles à une réappropriation des espaces par les populations berbères et à une restauration des anciens rapports de production et à des formes de production où le pastoralisme reprend ses droits, de sorte qu'à la veille de l'arrivée des Arabes, donc à la fin du VIIéme siècle, la Numidie apparaît avoir été plus pastorale que le Maroc[28].
2.2. La conquête arabe: essor urbain et développement paysan
La conquête arabe et l'essor de la civilisation islamique contribueront, en premier lieu, à la réinsertion de la Berberie dans les courants d'échanges avec la Méditerranée, l'Orient arabe et l'Afrique au sud du Sahara[29].
Entre les VIIIéme et Xlème siècle, nous assistons également à un essor démographique, au développement de moyens de circulation à l'intérieur des terres (hautes plaines) et à la création de villes ou à la réactivation d'anciens sites urbains. Un nouveau type de ville émerge (différent de l'agglomération rurale ou villageoise de type berbère ou des cités romaines), avec ses fortifications, ses sûqs, ses industries, ses quartiers séparés, ses mosquées, sa banlieue agricole (le Fahç). Le réseau de villes (localisées pour une grande partie à l'intérieur du pays à la différence des villes de Tunisie ou du Maroc[30]) réunit les critères énoncés par Ibn-Khaldoun pour que la vie (urbaine) s'organise "de manière utile et commode " des ressources en eau (sources, rivières, puits)..., "de bons pâturages aux environs pour les troupeaux "...,
"des terres cultivables" pour approvisionner les populations en céréales notamment, du bois de construction et de chauffage... et enfin, parfois le voisinage de la mer qui "facilite l'importation de denrées étrangères[31] "
Les mouvements démographiques, l'arrivée de populations venues d'Orient ou d'Andalousie et les échanges commerciaux s'accompagnèrent de nouveaux apports dans les domaines agricoles. Les savoirs agronomiques et les savoirs-faire techniques ont circulé avec les hommes et la carte des cultures s'enrichit ainsi de nouvelles variétés: coton, lin, indigo, tabacs, orangers, citronniers, dattiers, riz, sorgho ( qui remontera de l'Afrique Noire vers le TelI).
C'est à cette période de l'histoire de l Algérie que se construisent la carte des cultures de 1'Algérie et les vocations de certaines régions agricoles[32].
Le développement des échanges, l'essor démographique et la "civilisation citadine", pour employer une catégorie Khaldounienne, exerceront un impact sur les campagnes et les agricultures locales.
La ville et les sites urbains, sièges des Etats dynastiques qui se succèdent vont tracer ou consolider les contours de nouveaux espaces agricoles ceux des plaines péri-urbaines (le fahç) et de zones de montagne cultivées intensivement, employants des techniques de mise en valeur plus élaborées (puits et machines hydrauliques), consacrant des modes de faire valoir et de propriété (le melk) qui marqueront les structures agraires de l'Algérie jusqu'à nos jours.
La prospérité économique et commerciale de ces villes et des agglomérations villageoises (Tlemcen, Miliana, Mazouna, Blida, Béjaia, Jijel, Ténès, Oran, Alger, Constantine, Nédroma, Médéa, Sétif, Mostaganem, Tiaret, Al-Khadra, M'sila, Al 'Mu'askar, La Qâl'a des Banî-Hammad, Cherchell, Dellys, Banu Wazalfan, Tolga, Biskra, Ouargla, N'gaous...) était principalement fondée sur les ressources tirées des domaines fonciers, de l'aménagement des terroirs et de la production agricole de l'arrière-pays[33].
Ce domaine agricole occupé par des populations paysannes sédentarisées développe des relations d'échanges avec les tribus nomades berbères (les seminomades "et les paysans dont la sédentarisation n 'est que relative") qui se rencontrent "dans les plaines et les montagnes, sous les tentes prés des pâturages. des déserts [steppiques] ou au bord des régions sablonneuses"[34] . Les géographes arabes[35] (EI-Békri, , EI-Idrisi, Hassan EI-Wazan...) décrivent assez bien, à travers l'activité des sûqs, la nature des échanges entre les deux domaines[36].
Les fahç, l'arrière pays et les campagnes environnantes produisaient des denrées qui étaient exportées par les villes de l'intérieur (Constantine et Sétif) ou les ports [37].
Il semble bien que les différents espaces agricoles utiles qui se structurent en Algérie - et leurs vocations - le soient, tout au moins dans leurs grandes configurations, dès le Xéme-Xléme siècle.
De nouvelles catégories juridiques, liées au droit musulman, de même que de nouvelles formes de contrat naissent et vont régir dorénavant la propriété foncière et les modes de faire-valoir. Les terres du "Wakf' public ou privé, les "melk" fondé sur la "vivification" des sols vont s'ajouter aux terres de statut "'arch", biens des collectivités rurales réparties selon les coutumes en usage au sein des tribus ou les rapports de force établis. Les terres publiques, le Makhazen, possession des familles dynastiques ou de leurs auxiliaires se reconstituent sur la base de l'ancien "ager publicus" de droit romain et sur les terres exploitées par les anciens occupants.
Il faut souligner que l'emprise citadine sur les systèmes fonciers et agricoles était forte[38]. Dès le XIIéme, El-Idrissi signale qu'à Constantine "ville peuplée qui a des sûqs et des marchands", "des habitants aisés [et] nantis" vivent "largement des transactions qu'ils font avec les Arabes et des contrats d'association qu'ils souscrivent avec eux, pour des labours et pour le stockage des récoltes[39]. Dans la Muqqaddima, Ibn-Khaldoun décrit avec précision les modes de constitution des propriétés et possessions de fermes par les citadins. Il développe également une approche du fonctionnement des marchés fonciers qui étaient marqués, selon les indications qu'il en donne, dans les périodes d'essor de la "civilisation urbaine", par des fluctuations des prix et une forte spéculation foncière. La dépendance des campagnes et des paysans se révèle également à l'occasion d'une fiscalité (le kharâj payé en céréales ou en argent) qui s'exerçait sur un rayon plus ou moins large et selon les puissances politiques et militaires constituées du moment.
La répartition spatiale des formes d'exploitation du sol entre les populations sédentaires (des plaines et vallées intérieures proches des villes et des hameaux fortifiés, des villages de montagne, sièges d 'une polyculture et d 'une arboriculture paysannes) et les populations nomades et semi-nomades (qui associent plus ou moins étroitement la culture des céréales et les déplacements de troupeaux) se modifiera selon les époques.
EI-Idrisi (XIIéme siècle) signalait par exemple, que la région de Kâlaa (sud-est de Mostaghanem), qui disposait d'un fahç cultivé intensivement, était devenu "déserte et inculte, la crainte (inspirée par les attaques des tribus voisines) ayant fait fuir tous les habitants "[40], L'aléa climatique et les désordres internes du Maghreb expliqueront les avancés et les reculs de l'une ou l'autre des formes d'exploitation et d'occupation des sols.
Il semble, pour Attelah Dhina " que le Maghreb des derniers siècles du moyen-age connut la prédominance des éleveurs sur les cultivateurs[41]. Ibn Khaldoun avait déjà noté "le recul de l'agriculture" en son temps[42]. Il y voyait un aspect essentiel de la décadence du Maghreb des XIVéme et XVème siècles et c 'est au cours de ces siècles que tend à se stabiliser (et cela jusqu 'à la colonisation française) la répartition spatiale des deux formes d'exploitation du so1[43].
Durant la période ottomane, nous retrouvons les contours de territoires agricoles façonnés au cours des précédentes périodes, mais avec cependant des changements qui affectaient essentiellement les modes d'appropriation des terres agricoles.
2.3. La période ottomane et les transformations du régime foncier
Les espaces agricoles étaient partagées entre différentes formes d'utilisation et d'appropriation souvent complémentaires les unes des autres.
Il y a les territoires agricoles localisés sur les plaines côtières et les fahçs dépendants des villes et agglomérations villageoises qui restent le lieu de cultures et de productions qui approvisionnent les villes mais aussi des marchés extérieurs. Ces zones étaient souvent irrigués grâce à des systèmes d'irrigation par submersion ou par infiltration mobilisant de multiples techniques: canaux, puits artésiens, norias, captages de sources. La production était relativement abondante et variée : arbres fruitiers, oliviers, figuiers, légumes.
Moll, auteur d'une des premières études consacrées à l'agriculture algérienne, constatait par exemple, qu'au “début de la conquête, les jardins étaient nombreux aux environs d'Alger et dans les ravins du Sahel; ils étaient complantés d 'arbres fruitiers greffés, de vignes et surtout d'orangers. La floriculture, peu variée, comprenait principalement des espèces odoriférantes, jasmin et roses musquées. Les environs de Tlemcen, avec leurs belles irrigations, ceux de Médéah, de Bougie, de Constantine avec son Hamma bien arrosé, etc., renfermaient de nombreux vergers, des vignes, des plantes potagères et quelques fleurs" [44].
"On peut compter aux environs d'Alger 16 000 jardins ou métairies qu'on nomme haouch et la plaine (de la Métidgé] est une superbe plaine" commentait Daumas, qui ajoutait que..." Bélidé est une des plus agréables villes du royaume. ..Les jardins fournissent tous les fruits et verdure qui se consomment à Alger. Il s'y tient tous les jeudis un marché général, où de tous les environs on apporte les poules, les œufs, les bœufs, les fruits secs, l'orge, le blé et les légumes[45]" .
Venture de Paradis (XVIIIéme siècle), quant à lui, écrivait que "dans le district d'Alger, à une journée de la ville du coté du sud, on cultive le riz dans le territoire d'une ville murée qu'on appelle Magnana. Depuis quelques années, on a commencé aussi à le cultiver dans une contrée du gouvernement du Ponant nommé Miné. Ces deux enfournissent annuellement 5 ou 6000 quintaux qui suffisent à la consommation du pays; n'y ayant plus que les grands de l'ogeac qui mangent du riz d'Egypte, on n'en apporte plus[46] ".
Dans certaines plaines et les basses vallées intérieures on pouvait trouver des zones de cultures intensives ( plaine de l'Habra, plaine de la Mina, vallée du Chélif où on faisait des céréales, du riz, des maraîchages, des pastèques... )[47]. Les descriptions de H. Khodja, de Daumas, de Rozet et Carette, de Venture de Paradis ou de Shaw témoignent de la variété de leurs productions[48].
Les territoires montagneux étaient également exploités sur des modes plus ou moins intensifs. A côté d'un élevage (ovins, caprins, bovin et apicole) “ l'on y cultivait des céréales, des pommes de terre, des oliviers, des fruits de toute sorte qui se vendent dans les marchés"[49]. Les montagnards kabyles donnaient la prédominance à l'arboriculture (et surtout à l'oléiculture) qui couvrait la majeure partie des espaces cultivés.
Dans les Hautes Plaines et le Sud, la vie économique reposait sur l'activité pastorale et "... la principale richesse des Arabes Bédouins consiste dans le nombre de leurs troupeaux..."[50]. Cette activité est associée à la culture extensive des céréales[51]. Dans les zones telluriennes de l'Ouest, les céréales étaient plus développées et dans l'Est Constantinois l'élevage occupait les espaces et concentrait les activités agricoles des populations. A noter un élevage équin dans les hautes plaines, et camelin plus au Sud, beaucoup plus important qu'il ne le sera au cours de XIXéme et XXème siècle[52].
Là également, les populations nomades et semi-nomades développeront des échanges réguliers "avec le peuple agricole pour avoir de I 'orge et du froment[53]". Le rapport de l'espagnol Aramburu (XVIIéme siècle), notait par exemple pour l'Ouest algérien, que " les habitants de Canastel labouraient trois quarts de lieux ou une lieue autour de la ville. Ils avaient un peu moins de potagers que ceux d'Oran avec des fruits abondants; dont ils faisaient commerce avec Oran, ainsi que des légumes. Leur territoire se limitait au levant jusqu'auprès de port d'A rseu[54]".
Quant aux populations sédentaires des Oasis du Sud, elles entretenaient des jardins complantés en palmiers-dattiers, en produits maraîchers et en arbres fruitiers, irrigués dans certaines régions au moyen de techniques mises au point dès le XIème siècle (foggaras).
Les changements apportés par la Régence turque affectaient essentiellement les statuts juridiques, les structures agraires et/ou les modes de gestion foncières des espaces agricoles.
La propriété citadine (melk) était dominante dans les milieux agricoles riches et cultivés intensivement. Nous savons par plusieurs sources, que "les jardins [des] fahç étaient possédés par les riches commerçants, les patrons hdar, des membres de tribus maghzen ou des dignitaires turcs [55]". Les haouch de la Mitidja, vastes fermes travaillées par des khammès et des ouvriers agricoles appartenaient à des propriétaires fonciers ou à des dignitaires de la Régence. Hamdan Khodja, auteur du Miroir, se déclare par exemple possesseur de père en fils d'une assez grande partie de cette plaine, comme les familles Bougandoura et Nasseph Khodja...[56]
Les exploitations agricoles et les vergers arboricole et oléicole des massifs montagneux obéissaient quant à elles, davantage aux règles qui régissent la propriété familiale indivise (statut melk).
Des propriétés dites beylicales s'étendaient sur une grande partie des territoires agricoles contrôlés par la Régence turque. Ainsi, pour Constantine, l'on sait que "tous les douars qu 'on trouve dans un rayon de dix lieux forment pour ainsi dire une dépendance de la ville (de Constantine), parce qu 'ils appartenaient au beylik et aux plus riches habitants (maures et turcs). Ce n 'est guère au-delà de cette distance qu'on trouve des peuplades sédentaires... Une grande partie des terres qui avoisinent Constantine appartient au domaine public; la jouissance en était accordé aux hauts fonctionnaires du beylik Les Arabes qui les travaillaient pour le compte de ceux-là retenaient seulement J/S du produit " [57]. Par ailleurs, "comme le beylik hérite de tout homme qui ne laisse point de postérité, il se trouve possesseur d'un grand nombre de ces jardins et de ses métairies, qui fournissent tout ce qui est nécessaire pour l'armement des corsaires, la provision des camps et des garnisons et la table du gouvernement et celle de l'ogeac" [58].
Ils y avaient aussi les terres azelières, terres confisquées par la Régence ou achetées aux tribus, et donc appartenant au domaine public mais qui sont concédées et administrées par des groupes sociaux alliés de la Régence et des tribus azelas qui acceptent de lever des troupes pour le dey.
Les terres arables et de parcours des hautes plaines et de la steppe sont collectives et de statut 'arch. Elles étaient occupées le plus souvent par des tribus qui en avaient la jouissance selon des modes définis par les collectivités. Le statut 'arch pouvait se retrouver également dans les zones de montagne ou de piémont.
Il y a un fort prélèvement fiscal de 1'Etat Turc : le Djabri, impôt foncier forfaitaire, le Ouchour et la ghrama, impôt versé en nature proportionnellement au nombre de charrues ou de terres labourées. Le beylik lève la ghrama sur la récolte "qui est au moins de un sur dix, et plus ordinairement un sur huit" selon Ventura de Paradis et " les terres ensemencées payent en nature une certaine quantité de mesures pour chaque paire de bœufs employées au labourage. Ce droit n'est pas non plus uniforme ; il y en a qui payent 10% d'autres 5, d'autres 15,…". [59]
Les auteurs de "L'Algérie: passé et présent" constatent que "le ralentissement de la course à laquelle s'était peu à peu substitué le commerce au gré de la signature d'accords internationaux, la limitation même de ce commerce par le jeu des monopoles... amenaient les 'féodaux" de l'odjaq et des castes, groupes et tribus qu'ils s'étaient adjoints dans leur administration, à se tourner de plus en plus vers le prélèvement des produits de la terre " [60].
Ces prélèvements constituaient certainement un frein à l'accumulation au sein du secteur agricole. Daumas faisait ainsi remarquer que si la Mitidja nourrissait 150 000 laboureurs au début du XIXéme siècle " ce chiffre... était réduit à 80 000 quant nous arrivâmes[en 1830]... La cause de cette réduction…[étai] le fisc épuisant des turcs... Aux impôts on avait ajouté les impôts, et les plus pauvres des enfants de cette ennemie de la faim [la Mitidja], avait gagné la montagne: le blé est plus rare, mais celui qui l'a semé peut du moins en nourrir sa famille..." [61]. Témoignage qui se recoupe avec celui de Venture de Paradis qui précise, après avoir décrit la pression fiscale en vigueur, qu'il ''n'y a pas d'êtres plus malheureux que les maures qui cultivent les terres d'Alger" [62].
Avec la conquête turque, l'on observe enfin une dégradation des formes collectives d'appropriation des terres et à un lent processus de décomposition de la propriété tribale, communautaire et familiale par le jeu des successions, des confiscations et des rapports de force instaurés par certaines tribus ou fractions de tribus [63]. La décollectivisation et les modes de faire-valoir indirects s'est accompagnée de l'accroissement des effectifs de Khammès et de métayers dans 1'Algérie précoloniale [64]. L'extension des rapports de khammassat se réalise sur un fond de décomposition des relations tribales. Le contrat de khemmassat peut être interprété comme une forme de partage (inégal) du risque lié à l'aléa climatique, et ceci, en l'absence de progrès techniques significatifs [65].
La colonisation française introduira toutefois les ruptures les plus radicales, à la fois dans les formes d'organisation des espaces agricoles, comme dans les rapports de propriété des terres.
2.4. La colonisation française et la formation de "l'Algérie utile"[66]
Les divers travaux portant sur la période coloniale ont largement décrit les transformations opérées, en particulier sur l'espace agricole[67].
Les régions mises en valeur par la colonisation française sont celles qui bénéficient d'une bonne dotation en ressources (sol et eaux) et où les conditions agro-climatiques sont les plus favorables. C'est d'abord, l'exploitation des ressources naturelles du Sahel, des zones littorales, des plaines et vallées de l'intérieur. Nous savons ainsi que " la mise en valeur des terres nues reste toujours en Algérie une grave préoccupation et se succèdent sans solution les projets les plus divers. plus on s'éloigne du littoral... [68]". Maupassant, lors de sa visite en Algérie en 1881, rapportait en observateur averti que:" en somme, à part les heureux propriétaires de la plaine de la Mitidja, ceux qui ont obtenu des terres de Kabylie par un des procédés [de confiscation des terres] que je viens d'indiquer, et, en général, à part tous ceux qui sont installés le long de la mer, dans l'étroite bande de terre que I Atlas délimite, les colons crient misère"[69].
Lecq et Rivière dans leur traité d'agriculture pratique, tout en dénonçant les attributions de concessions " à des colons n'ayant aucune aptitude pour l'exercice du métier d'agriculteur", avaient montré les limites que le handicap naturel de l'Algérie opposaient à l'extension de la colonisation. Les territoires steppiques ne laissaient aucune place "à la moindre colonisation" affirmaient-ils et dans le Sud, "le climat est réellement rebelle à la colonisation européenne" [70].
Ce sont ces conditions agro-c1imatiques qui expliquent en partie que "que la colonisation conçue comme politique de petite colonisation ne demeure pas plus d'une génération sous la formule qu'on lui avait assignée. Dès la deuxième génération de colons, trois ou quatre lots s'agrègent en exploitation unique. La petite propriété évolue vers la moyenne ou la grande, et les villages de colonisation se dépeuplent..."[71]. Les progrès de la grande propriété forment donc le trait frappant de l'agriculture européenne depuis les années 1920-30... et la propriété latifundiaire finira par détenir 87 % de la propriété coloniale" [72]. Certains statuts fonciers ont favorisé la colonisation et la privatisation des terres. Les terres beylicales, les azels et les habous publics seront versés dans le fonds de l'Etat colonial et concédés aux premiers colons-concessionnaires. Les lois foncières et les expropriations. utilisant les moyens les plus divers (militaires, économiques, les transactions sur le marché et la fiscalité), compléteront la formation d'un espace colonial privé sur près de 3 M d'ha (35 % de la SAU) contrôlés par 150 000 colons et regroupant 22 000 exploitations.
Mais il reste clair cependant, que l’Algérie utile qui s'est installée sur les meilleures terres des zones telliennes du pays a resserré l'aire utilisée traditionnellement par les populations autochtones, "qui ont dû, pour vivre, défricher sur des pentes abruptes des lambeaux de terre". Dans d'autres régions, c'est aussi "l'industrie pastorale qui a été atteinte et compromise par la diminution des terres de parcours et leur transformation en terres labourables"[73].
Dans certaines régions "le resserrement de la population indigène a forcé celle-ci à des défrichements néfastes"[74]. Le mouvement de défrichement, qui atteint son apogée entre 1880 et 1920, entraînera une baisse du taux de boisement (le taux de boisement tombera à Il % contre 14 % pour le Maghreb en moyenne et 25-28 % en France). Les modes d'occupation des sols associés aux techniques de culture (celle du dry-farming en particulier) ont conduit, en outre, à "ne détérioration du capital foncier du pays, au point que les initiateurs du Plan de Constantine de 195 g inscrivaient comme une priorité absolue "la reconquête du sol en vue de reconstituer progressivement l'humus et de parvenir à une rétention des eaux [75].
La colonisation a ainsi "généré un glissement de l'espace algérien vers le Nord et une forte littoralisation des activités agricoles, une prise en main des plaines littorales, partiellement des hautes plaines et des bassins de l'intérieur"[76].
L'espace agricole algérien "a été progressivement spécialisé en une série de sous-espaces juxtaposés: terres riches pour les colons, piémonts et pentes pour les fellahs, montagnes comme réserve de main-d’œuvre, steppes pour 1 'élevage. Ce sont toutes les pratiques de complémentarités aux différentes échelles qui sont rompues ou entravées" [77].
En conséquence, peu de choses vont subsister de la complémentarité et de l’équilibre qui caractérisaient, d'une manière globale, les relations traditionnelles entre les groupements et les zones.
"Actuellement, constataient tout au début du siècle les agronomes Lecq et Rivière, "l’Arabe ne peut plus descendre, comme autrefois, dans les riches pâturages la colonisation a envahi le Tell, défait la collectivité des propriétaires de parcours. Le petit lopin qu'il lui reste est dur à cultiver, car les ressources manquent.. Faire du jardinage pour contribuer à la frugale alimentation de chaque jour n'est guère praticable pour la majorité. le moindre arrosement étant impossible... "[78]
Analysant la crise du système agro-pastoral, Boulchobza faisait observer également, que "l'appropriation / spécialisation des terres des hautes plaines [avait] engendré une coupure avec la steppe, son arrière pays naturel'[79].
Enfin Meuleman, dans son étude sur l'évolution économique et sociale de la population rurale dans le Constantinois entre les deux guerres mondiales, met fortement l'accent sur la rupture des rapports économiques qui régissaient le monde de l'agriculture et de l'élevage [80].
Ce sont ces ruptures qui ont entraîné de fortes densités démographiques et les déséquilibres entre les formes sociales d'organisation et le milieu naturel; les montagnes sont contraintes de garder leur croît de population et les plaines les paysans sans terre, les Ichammès et autres déracinés des campagnes algériennes..
La rupture des complémentarités va apparaître à l'examen de la carte des cultures. La colonisation française accentuera la spécialisation d'un certain nombre de territoires. Production de grains dans les grandes exploitations des hautes plaines de l'Est et de l'Ouest, viticulture dans les plaines de l'Ouest et du Centre, agrumes et primeurs dans les plaines de la Mitidja, du Habra ou de l'Est.. Les productions de ces territoires seront exportées vers la Métropole (orge, vins, agrumes et légumes frais).
Mais le fait le plus remarquable et qui, à notre sens, affecta lourdement la formation sociale algérienne est le développement, aux côtés des colons et des grands propriétaires algériens, d 'un immense prolétariat agricole.
La salarisation des populations agricoles est, en effet, un des traits les plus marquants de l'évolution de la société rurale algérienne au cours de la période coloniale [81].
Ce fait social, qui résulte des formes de répartition de propriété (avec la "décollectivisation" des terres), compromettra définitivement les possibilités d'émergence d'une paysannerie algérienne, titulaire de titres permanents de propriété et aménageant son espace agricole au moyen de techniques maîtrisées et contrôlées.
3. Le handicap historique de l'agriculture algérienne ou l'impossible émergence d'une paysannerie algérienne
Ainsi, l'étude des transformations sur une longue période des espaces agricoles renvoient à l'examen des rapports existants entre le monde de l'agriculture et celui de l'élevage, et au-delà, entre les populations sédentaires et nomades. Différents modes d'occupation et de valorisation des ressources naturelles par les populations locales se sont formés progressivement dans l'histoire [82].
3.1. La Numidie de la période antique
Elle est incontestablement dominée par des populations nomades pratiquant une activité pastorale.
Décrivant les genres de vie des populations locales, Strabon attestait bien que des tribus berbères "parcouraient avec leurs troupeaux les vastes contrées [qu'elles] occupaient, dressant leurs tentes là où [elles] trouvaient d l'eau et des pâturages" [83]. D'autres tribus, occupant les massifs montagneux se sont, en Outre, progressivement fixées au sol et sédentarisées. Elles ont développé une activité agricole en aménageant des terroirs, en cultivant des céréales et en entretenant un verger oléicole au moyen de techniques rudimentaires transmises de façon routinière de génération en génération [84].
La permanence de l'occupation de ces terroirs était accompagnée par un mode d'habitat spécifique - l'agglomération villageoise -.
Si dans les espaces pastoraux la propriété tnibo-communautaire est la règle, dans les espaces d'agriculture intensive ou semi-intensive la propriété familiale indivise associée à une appropriation collective des communaux de villages et des domaines forestiers gagnait en ampleur.
L'une des premières tentatives de développement d'une classe paysanne fut intimement liée à la construction d'un Etat central en Numidie. Cette entreprise initiée par Massinissa au IIème siècle avant l'ère chrétienne, exigeait - comme toute forme de construction d'un Etat - une occupation permanente du territoire assurée par des paysans sédentaires.
Cette tentative de constitution d'une classe paysanne par Massinissa, dans le contexte d'une construction étatique avancée, sera favorisée par une différenciation sociale au sein des tribus et par l'émergence d'une élite politique et administrative locale. Des tribus ou des fractions de tribus se partageront les terres en fonction de la taille des familles et de leur puissance constituée [85]. Des 1chefs de tribus et des notables issues des familles régnantes s'approprieront des sols selon un mode privatif [86].
Cette initiative de renforcer l'assise paysanne de la société berbère fut toutefois contrariée par la colonisation romaine.
Les Romains vont certes, modifier les frontières séparant les zones pastorales des zones de culture en refoulant les agro-pasteurs aussi loin vers le Sud que leur puissance militaire le leur permettait mais les modes d'exploitation des terres (monoculture et spécialisation) et les formes de propriété qu'ils vont promouvoir vont faire obstacle à un libre essor de rapports paysans au sein des zones de culture contrôlées.
La colonisation romaine va introduire le droit privé dans le régime d'organisation foncière et inventer sur les territoires conquis le système latifundiaire, qui ne sera pas sans conséquence sur l'ordre social à côté des tribus nomades et de leur organisation collective dans le contrôle des ressources naturelles, il s'est développé, sur une échelle relativement large, une main d'œuvre servile exploitée dans les domaines des colons (ou des propriétaires fonciers) et qui a été fixée dans des habitats groupés. Cette main d'œuvre - qui préfigure le prolétariat agricole du XIXéme-XXéme siècle- n'accumulera ni titres de propriété, ni moyens de travail personnels, ni technique agricole.
Sur une période relativement longue - vandale et byzantine- les frontières entre les espaces occupés par les agriculteurs sédentaires et se modifieront régulièrement en raison des situations d'insécurité et de guerre imposées à ces régions. Pour Ch. A. Julien.... en Numidie se jouait, depuis l'époque vandale, un drame social [où] graduellement, les agriculteurs du temps de la domination romaine étaient évincés par les petits transhumants et surtout par les grandi' nomades chameliers" [87], si bien qu'à l'arrivée des Arabes, "et cela contrairement aux autres pays étrangers" (Espagne, Syrie, Egypte ou dans l'Irak persan) "où la civilisation est villageoise et citadine", comme l'affirme Ibn-Khaldoun, la civilisation au Maghreb était majoritairement bédouine[88].
3.2. De nouvelles frontières entre agriculteurs et pasteurs vont être tracées.
En effet, dès la deuxième moitié du VIIéme siècle, la dynastie des Rustémides (persans) imposera sur une échelle relativement large sa culture sédentaire et reproduira un système d'agriculture intensif dans les jardins irrigués (..."les jardins irrigués sont liés à la culture sédentaire" affirmait Ibn-Khaldoun[89]) et dans les exploitations agricoles influencées par la ville. Apiculture, élevage des chevaux, de bovins et d'ovins occupaient parallèlement les populations (nomades et semi-nomades) des campagnes environnantes.
Un processus plus accéléré de sédentarisation de tribus berbères favorisera progressivement la remontée du monde paysan, et cela semble-il, jusqu'au XIéme-XIIéme siècle. Les descriptions des régions. du Maghreb occidental que nous trouvons chez El-Békri et EI-Idrisi montrent assez parfaitement que la nature de certaines activités (arboriculture, vigne, coton, lin, riz, élevage de gros bétail), de certains équipements ("moulins à eau", "réservoirs d'eau", "machines hydrauliques", silos traditionnels) et ouvrages agricoles (adductions, travaux de captage de sources, puits et retenues d'eau) témoignait d'une emprise plus forte sur les sols - et donc d'une assise paysanne[90].
Si au cours de ces siècles, l'on faisait observer que "les arabes ne s 'occupèrent que des pâturages pour les chameaux et de la proximité du désert et des routes caravanières ", il n'en était pas de même pour les Berbères: "leurs champs sont beaux... [et] ils n 'ont donc pas besoin de se procurer au dehors de quoi améliorer l'agriculture, qui est, chez eux de pratique courante et générale.”[91]. La pratique courante et générale de l'agriculture à laquelle fait référence Ibn-Khaldoun était bien le signe d'un dynamisme paysan. Celui-ci ne concernait toutefois pas toutes les populations berbères, car toutes les terres agricoles occupées et exploitées ne disposaient pas du même potentiel de fertilité. Il impliquait certainement aussi des Arabes sédentarisés et installés dans le haouz et/ou le fahç des villes (ou à l'intérieur de zones d'agriculture intensive)[92].
La période contemporaine d'Ibn-Khaldoun (XlVéme et XVéme siècles) est une période historique où la civilisation nomade reprend des droits sur les espaces agricoles, mais sans pour autant effacer les traces de culture sédentaire, que le Maghreb entretiendra aussi, du fait de l'apport issue de l'émigration des musulmans d'Andalousie[93]. Les dynasties Berbères et les Andalous favoriseront, en rapport avec l'essor urbain, la reconstitution de sociétés paysannes, détentrices de terres sous le régime du melk individuel ou familial indivis et maîtrisant les façons culturales et les techniques d'irrigation.
L'emprise foncière sur les terres par les citadins, les prélèvements fiscaux opérés dans les phases de déclin de ces dynasties et l'instabilité politique remettront cependant constamment en question le développement des formes sociales paysannes d'organisation de l'agriculture.
3.3 La Régence turque maintiendra les formes sociales archaïques de division du travail et d'organisation de la production (khammès et grands propriétaires).
Les rapports entre pasteurs et agriculteurs sont relativement stables depuis les XIV-XVéme siècles et nous n'observons pas, au sein des groupes d'agriculteurs, de dynamique propre à favoriser le développement d'une paysannerie enracinée au sol et accumulant savoirs et savoirs-faire techniques.
Le rapport d'Aramburu (XVIIéme siècle), signale pour l'Ouest algérien l'activité des "paysans de Habra [qui] semaient des deux côtés de la rivière du même nom... d'importants terrains d'irrigation..."' ceux des ~ Il qui obtiennent aussi une récolte abondante de figues qu'ils font sécher et qu'ils vendent à toute la Barbarie", mais fait remarquer que" les eaux dès rivières et les sources abondantes que possède ce territoire[l'Ouest] pourraient le rendre plus fertile, si elles étaient bien dirigées et mises en valeur, avec un peu plus de technique et un travail" [94]. Le docteur Shaw (XVIIIéme siècle), décrit les paysages ruraux et les productions des exploitations de la Mitidja et des zones cultivées de la Régence, mais en ajoutant aussi que "les jardins de ce pays sont fort loin d'être réguliers.." [95].
Venture de Paradis écrit, pour sa part, que les "terres [de la Régence] sont très fertiles" mais fait observer dans le même temps que "plus de la moitié du royaume est en friche. La province la plus riche est celle du Levant ou de Constantine celle de Maaskerou, du Ponant est moins cultivée, et la plus pauvre est celle du Sud ou de Titéri"[96]
Les modes de propriété et les formes de répartition des terres existants sous la Régence turque conduiront dans les faits à des processus de polarisation sociale qui se traduiront, d'une part, par un renforcement de la classe des grands propriétaires fonciers d'origine citadine (dignitaires de la Régence, Kouloughlis et chefs de tribus alliés) et, d'autre part, par un accroissement du nombre de khammès et de métayers. Selon certaines estimations la population rurale du Constantinois comptait, à la veille de l'occupation française, 20 % de khammès[97].
Les prélèvements fiscaux ruineront, par ailleurs, les possibilités d'expansion des petits propriétaires et des petits jardiniers des banlieux péri-urbaines. Les sociétés paysannes avec un solide attachement au terroir, une mise en valeur intensive de la terre dans le cadre privé (droit melk) et une forte cohésion sociale resteront, comme par le passé, localisées ou cantonnées dans les espaces agricoles dominées par les villes, dans certains massifs montagneux (ou fonds de vallées) et à l'intérieur des zones oasiennes.
Sur le reste du territoire agricole se sont les sociétés agro-pastorales, reliées entre elles par des liens de sang et non des liens au sol, qui dominent les espaces. A l'intérieur de ces espaces dominent les formes communautaires (arch) de possession et d'appropriation du sol et des troupeaux. Selon certaines estimations, à la veille de la colonisation française, les nomades représentaient 55% de la population"[98]. Despois et Reynal signalent par exemple, que “Collines d'Oran, plaine de la M'léta. petits plateaux d'Arzew et de Mostaganem sont d'anciennes régions d'économie extensive plus pastorale qu 'agricole. Au début du XIXéme siècle, la plupart de leurs habitants vivaient encore sous la tente… Dans l'Ouest, les Douïrs et les Zmelas étaient de vrais semi-nomades"[99]
Ainsi jusqu'au XIXéme siècle, comme le faisait remarquer Marx, l'Algérie aurait gardé des traces importantes de la forme dite archaïque 4e la propriété foncière (la propriété tribale, familiale, collective et indivise). Le faible développement d'une paysannerie, propriétaire - ou exploitant- du sol et des moyens de travail, accumulant des techniques, et des méthodes plus intensives de mise en valeur des terres, reste autant lié a l'histoire politique qu'aux conditions agro-climatiques de l'Algérie [100].
3.4. Le processus de prolétarisation massive de la population active agricole sous le régime colonial français
Tout l'arsenal juridique et politico-militaire du système colonial français, comme on le sait, a visé fondamentalement à atteindre un seul objectif: la destruction de la propriété collective et de l'organisation tribale. Sa mise en œuvre a abouti à la création d'un immense prolétariat et/ou semi-prolétariat agricole algérien, si bien qu'en 1858, les khammès et les bergers représenteraient le cinquième de la population [101].
La "sécurité de I' Algérie" (référence aux insurrections) devant se faire non seulement par une occupation militaire " mais encore en attachant les arabes au sol et en leur donnant des titres de propriétés", Napoléon III tentera d'inaugurer une politique visant à faire de "l'élément arabe... l'élément vital de la colonisation "[102], Toutes les politiques - inspirées de cette idée napoléonienne- qui seront suivies buteront sur le même obstacle; la faiblesse de l'assise paysanne et l'état avancé de désintégration des formes paysannes qui existaient[103].
L'on constate bien d'un côté, au cours de la période coloniale, un déclin du nomadisme qui se fait par phase " mais surtout depuis le début de ce siècle"; l'on fait bien état également d'un processus accéléré de sédentarisation des populations (et les recensements ne se font plus par le dénombrement des tribus, fractions de tribus ou tentes), mais l'on est bien obligé de reconnaître que "si, dans certaines zones, on pourrait imposer à I'Arabe sédentaire des principes agricoles autres, avec quelques chances d'améliorer sa condition générale, il ne serait pas sage de changer les procédés de culture des nomades des Hauts Plateaux et des pays où la transhumance est une nécessité inéluctable, et où la propriété, pour ne pas devenir un désert, doit rester collective... Dans ces pays, il faut renoncer à tous les procédés de culture intensive exigeante en fumure et en travaux du sol"[104] . Sage conseil d'agronomes avertis qui pensaient qu'en sédentarisant, en regroupant et en privatisant le régime des terres - ce que fait l'Etat tout au long du XIXéme et XXéme siècle, l'on commettait une erreur d'appréciation qui consistait à prendre " les arabes pour les paysans d'Europe... [Or] chez les arabes comme chez tous les peuples plus ou moins nomades et chez lesquels le sol est possédé tout au plus d'une manière collective, le sentiment de la propriété existe à peine pour les choses immobilières" [105] . Ce qui explique les échecs.
Les crises agricoles qui vont se manifester entre les deux guerres, vont encore conduire des agronomes "nord-africains" à s'interroger de façon plus rigoureuse, d'une part, sur conditions socio-historiques et techniques auxquelles faisait face l'agriculture algérienne, et d'autre part, sur les limites imposées au développement agricole par les facteurs agro-climatiques. Ces interrogations sont posées qu'au tout début du siècle, et peut-être avec plus de conviction après les années 1930, suite à une prise de conscience de l'échec définitif du modèle de colonisation paysanne (avec un peuplement européen) et des réformes foncières initiées depuis les années 1944-45 et 1958-60 en direction des populations rurales algériennes [106].
Les résultats historiques de telles tentatives sont bien connus.
Les objectifs qui ont été affichés par ces réformes et qui visaient explicitement à distribuer des titres de propriété, à transformer le fellah en "véritable chef d'exploitation agricole" et a "l'aider" à acquérir des "aptitudes" qui définissent "le vrai paysan", ne furent jamais atteints. Le processus de constitution de la propriété individuelle a provoqué un profond dysfonctionnement des systèmes traditionnels et entraîné une prolétarisation massive des campagnes algériennes.
En 1911, sur une population rurale qui comptait 3 700 000 habitants, plus de 1 310 000 personnes vivaient dans les familles de khammès, métayers et fermiers algériens (soit plus d'un tiers). En 1939, les services de l'agriculture indigène dirigés par Augustin Berque, recensaient pour l'Algérie du Nord, 713 000 khammès, 611 000 ouvriers journaliers et 549000 fellahs[107]. Au milieu du siècle, l'Administration[108] avait recensé 551 386 fellahs, 2 046 385 ouvriers agricoles saisonniers et permanents, 132 913 khammès, 19 755 propriétaires et 5093 exploitants gérants et divers pour une population agricole de 2 775 532.
A la fin des années 50, en Algérie, la paysannerie est minoritaire et l'ensemble de la population des agriculteurs est constitué de salariés, semi-prolétaires et/ou khammès, de sorte que l'instauration de l'Autogestion au lendemain de l'indépendance ne peut être interprétée comme un "accident historique ”[109]. Les conditions sociales pour une redistribution individuelle des terres à une paysannerie constituée et organisée n'étaient pas réunies.
L'instabilité des collectifs de travail entre 1962 et 1987, de même que la remise en question de la Réforme Agraire de 1971, sans heurts politiques majeurs semblent liées à cet immense handicap historique de l'Algérie à édifier son agriculture sur une "base paysanne".
Même au sein du secteur privé agricole, de nombreux auteurs ont noté le caractère rudimentaire de l'emprise humaine "[110], que "la tradition paysanne est un phénomène récent en Algérie"[111] quand l'on a pas affaire, dans te fond, à "une fausse paysannerie" [112]; Marc Côte décrit avec plus de précision ces "campagnes désarticulées " héritées du passé qui "correspondent à une occupation du sol ténue, rudimentaire, sans aménagements importants; a une agriculture privée, de petits (voire moyens) exploitants et à un système de production essentiellement céréalier, extensif aléatoire. Labours et récoltes y sont généralement mécanisés... mais les rendements sont de 6 à 10 qtx à l'ha. On trouve cette agriculture dans toutes les plaines non mécanisés, sur les piémont, et jusqu'aux portes des steppes, mais également dans certains massifs montagneux… Ce sont les pays de statut arch... Les anciens pasteurs, progressivement sédentarisés, sont devenus agriculteurs mais pas pour autant paysans [113] ".
Nombreux sont ceux qui ont cherché à déceler les signes d'un essor ou d'un dynamise paysan dans les campagnes algériennes à travers des mises de fonds réalisés dans l'hydraulique agricole, des tentatives de reprise de l'élevage bovin ou de l'arboriculture fruitière. Force est de reconnaître que cette voie (paysanne) n'a jamais réussi à prendre un caractère général et irréversible.
Les politiques agricoles et rurales n'ont, par ailleurs, pas autorisé la reconstruction ou l'émergence d'un autre type d'agriculture (collective, étatique ou familiale). C'est là que l'on situe l'un des facteurs de blocage au développement agricole de l'Algérie actuelle.
Notes
[1] - COTE, M.,- L'Algérie: espace et société.- Paris, Armand Colin, 1996. Chapitre 4.- p.p. 30-41.- Voir également du même auteur: Pays, paysages et paysans.- Paris, CNRS, 1996.
[2]- 6 Le concept de paysannerie renvoie à une réalité complexe. L'activité entretenue avec la nature ne suffit à définir cette catégorie sociale. Le concept renvoie à un rapport social et matériel qui implique à la foi un degré relatif d'enracinement au sol conféré généralement par la possession ou la propriété juridique de la terre, et une accumulation de savoirs et de savoirs-faire techniques agricoles. Rapport défini également par la ville et le monde urbain (Redfield), rapport à l'Etat (Wolf) qui assigne aux paysans une fonction d'occupation et d'aménagement du territoire, d'approvisionnement alimentaire et d'accumulation. Ces rapports ne sont pas figés. Ils ont un caractère historique. Les développements récents du capitalisme tendent à réduire la place des paysans , et à les remplacer par des professionnels du secteur agricole qui ont peu de traits communs avec les paysans d'hier.
[3] - DESPOIS.J. et RAYNAL. A.- Géographie de l'Afrique du Nord-Ouest.- Paris, Payot, 1958.
[4] - PRENANT. A., NOUSCHIL. A. LACOSTE, Y. .- Algérie : passé, présent.- Paris. Editions sociales, 1960.- p.22.
[5] - PRENANT, A., NOUSCHI, A. LACOSTE, Y…- Op. cité.- p. 19.
[6] - COTE, M..- Op. cité.- chap. 4.- p.p. 30-41.
[7] - COTE, M.- Op. cité.- chap. 4.- p.p. 30-41.
[8] - BERNARD, A et LACROIX, N..- L'évolution du nomadisme en Algérie.- Alger, édit. Challamel, 1906.- p.341.
[9] - PRENANT, A., NOUSCHI, A., LACOSTE, Y..- Op. cité.
[10] - COTE, M.- Op. cité.- p.41.
[11] - Ces contraintes agro-climatiques et la faible dotation en sol avaient conduit René Dumont en 1952 à remettre en question la vocation agricole de l'Algérie et à plaider avec force pour un projet industriel. Il écrivait: "Environ la moitié de la population rurale nord-africaine est actuellement "chômeur partiel", généralement par manque d'espace vital… Sans industrialisation marquée, les 2/3 des ruraux resteraient inemployés pendant de longs mois".- in Industrialisation de l'Afrique du Nord. Bibliothèque de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.- Paris, Libraire Armand Colin, 1952.
[12] - LACROIX, M.L.- Histoire de la Numidie et de la Maurétanie, depuis les temps les plus anciens jusqu') l'arrivée des vandales en Afrique.- éd. Firmin Didot Frères, 1842.- p.60. Réimpression Bouslama.- Tunis.
[13] - LACROIX.- Op. cité.- p.61.
[14] - LACROIX.- Op. cité.- p.60.
[15] - PRENANT, NOUSCHI, A., LACOSTE, Y.- Op. cité.- p.76.
[16] - Pour Wolf, l'apparition d'un Etat s'accompagne de la création d'une classe paysanne au sein de la population rurale.- cf. WOF, E.- Peasants, ENGLEWOOD Clifts.- New-York, 1966.
[17] - Le grenier de Rome (L'Afrique du Nord romaine) n'a jamais exporté plus de 800.000 qtx de grains selon R. Dumont, ce qui, compte tenu des techniques de stockage et de transport paraît assez considérable; in "Evolution récente et perspectives de l'agriculture nord-africaine". Institut d'observation économique; étude spéciale n°3, mai 1949.
[18] - Ce n'est pas par hasard que Moll, L., dans son ouvrage "colonisation et agriculture de l'Algérie" (Librairie agricole de la maison rustique, Paris, 1845), se réfère au modèle de colonisation romain en préconisant qu'après" avoir colonisé les principaux centres d'occupation militaire, on tâcherait de les relier, soit entre eux, soit avec la côte, au moyen d'établissements coloniaux intermédiaires" et, ajout-il, "pou réviter l'affaiblissement qui pourrait résultent du fractionnement des établissements coloniaux, il suffira que ce fractionnement s'arrête, comme celui de l'armée, à une certaine limite, c'est-à-dire que chacun des centres de colonisation ait une importance et un développement tels qu'il puisse, au besoin, exister et se défendre par lui-même.".- p.p. 257 à 260.
[19] - LACROIX.- Op. cité.- p..59.
[20] - ISNARD, H écrivait à propos de l'occupation de l'espace par la colonisation française que celle-ci avait crée en Algérie des disparités régionales lourdes de conséquences politiques, économiques et sociale… l'Est constitue une réserve indigène et l'Ouest une province européenne. Il y a une juxtaposition, plus qu'une intégration entre agriculture musulmane et agriculture coloniale. Chacune a son domaine géographique.- In A.A.G, n°7, 1969; L'on peut faire remarquer que l'Oranie est la région d'Algérie où les hautes plaines favorables à la vie pastorale se rapprochent le plus de la côte. Le Tell et les zones de culture forment ici une bande extrêmement étroite.
[21] - Les Numides des villes n'étaient que les imitateurs de la civilisation carthaginoise ou romaine, et n'ont plus la même originalité que ceux qui étaient errants.- Lacroix.- Op. cité .- p.59.
[22] - LEVEAU, Ph.- La ville antique et l'organisation de l'espace rural: villa, ville, village.- In Annales.- E.S.C. n°4, Juillet- Août, 1983.
[23] - YANOSKI, Jean.- In Histoire et description de tous les peuples, de leurs religion, meurs, industrie, coutumes, etc.- L'Afrique chrétienne, Ed. Firmin Didot Frères, 1842.- Réimpression Bouslama, Tunis.
[24]- In Histoire de la domination des vandales en Afrique.- par YANOSKI, J.- Ed. Firmin Didot frères, 1842.- p.82.- Réimpression Bouslama, Tunis.
[25]- Les terres abandonnées aux Vandales étaient exemptes d'impôts; mais les terres qu'on laissa aux anciens propriétaires, parce qu'on ne les trouva pas assez bonnes, furent chargées de tant de redevances, que tout en restant possesseurs de leurs immeubles, les Africains n'en retirèrent rien pour eux-mêmes.- in Histoire de la domination des vandales en Afrique.- YANOSKI.- Op. cité.- p.84.
[26] - Histoire de la domination des vandales en Afrique.- par YANOSKI, J.- Ed. Firmin Didot Frères, 1842.- p.86. Réimpression Bouslama, Tunis.
[27] - LOMBARD, M.- L'Islam dans sa première grandeur: VIIè-Xiéme siècle?- Paris, Ed. Flammarion et collection Champs, 1971.- p. 68.
[28] - PRENANT, NOUSHI, LACOSTE.- Op.cité.- p.99.
[29] - LOMBARD.- in Op.cité.
[30] - Cf. NOUSCHI.- La ville dans la Maghreb pré-colonial.- In ouvrage collectif "Les réseaux urbains du Maghreb pré-colonial.- Alger, OPU, 1983.- p.p. 37-53.
[31] - IBN-KHALDUN.- El-Muquaddima. Discours sur l'histoire universelle.- Sindbad, 1978, T.2.- p.p.720-721.- Toutes les villes que les géographes arabes vont décrire (El-Békri, El Idrisi, Ibn-Hawqal, Hassan El-Wazan…) réunissent les facteurs évoqués (sources d'eau, jardins, champs cultivés, pâturages…).
[32] - LECQ, et RIVIERE dans leur Manuel de l'agriculteur algérien.- Alger, édit. Challamel, 1906; affirment que "Notre agronomie (française) n'a pas changé l'économie rurale de l'Arabe. Il connaissait toutes les plantes alimentaires et possédait des races de bétail particulières", p 93 . Dans l'Encyclopédie agricole pour le Nord de l'Afrique? Edit, de 1900, les deux auteurs notent que "l'agronomie arabe avait un principe bien affirmé. C'était d'éviter la monoculture, ainsi que le démontre la diversité des végétaux de choix répondus sur son domaine. Par contre, l'agronomie française après ses essais infructueux de cultures coloniales s'est jeté en pleine monoculture.- p.324.
[33] - PRENANT, NOUSPCHI, LACOSTE.- Op. cité.- p.123.
[34] - IBN-KHALDUN.- El-Muquaddima. Discours sur l'histoire universelle.- Sindbad, t.2, 1978.
[35] - El-BERKI (m. 1094) in Description de l'Afrique septentrionale (écrit en 1068), édition revue et corrigée. A. Maisonneuve, Paris, 1965, traduction de M.G. De Slane, reproduction de l'édition de 1911-1913, Alger- Tous les géographes arabes fournissent une foule d'indications sur les villes du Maghreb occidental. Pour les villes décrites il es trouvent question de sources d'eau, de moulins , du fahç avec ses jardins arrosés comportant une variété de cultures (fruits, légumes, lin, henné, tabacs, cumin…à. de champs cultivés (blé et orge), de plantations fruitières, d'oliviers, de dattiers, de pâturages, de sûqs où les fruits, les légumes, les céréales, la viande (d'ovin ou de bovin) et le miel sont généralement bon marché. Pour tous les ouvrages de ces géographes arabes, les descriptions des domaines steppiques, de même que celui des hautes plaines sèches des agro-pasteurs sont rares et leur existence sont évoqués qu'au travers des échanges commerciaux avec les villes. Hassan el-Wazzan dit Jean Léon l'Africain "Description de l'Afrique". A. Maisonneuve. Paris 1956. Ibn-Hawqel (Xéme siècle)"Livre des routes et des royaumes" – écrit en 977 – Traduction par De Slane.- Al-Idrisi (1099 6 1160à.- In, "Le Maghreb au XIIème siècle de l'hégire – Nuzhat-al-Mushtag, traduction de M. Hadjh Sadok.- Alger OPU, 1983.
[36] - Présentant les tribus berbères des Lamt et Senhadja, Al-Idrisi (1099-1160) dit d'elles, que "ce sont des chameliers, propriétaires de dromadaires de belle race, pratiquant le nomadisme (et qui) changent souvent de campement… Ils importent quelquefois du blé et du raisin sec, surtout du raisin sec, car ils le font macérer dans l'eau, après l'avoir pilé, pour boire ensuite son jus épuré et sucré. Dans leur pays, le miel est abondant", miel qui sera écoulé sur les marchés proches.- In Op. cité, p65. Il est dit d'Alger qu'elle" a une vaste compagne entourée de montagnes habitées par des tribus berbères qui cultivent le froment et l'orge, font surtout de l'élevage de troupeaux de bovins et d'ovins, élèvent aussi beaucoup d’abeilles, disposent de grandes quantités de miel et de beurre salé et en exportent vers les régions voisines et lointaines. Ce sont des tribus dont le territoire est inviolable». p.106, de Mazouna, qu’elle «a des rivières, des champs de céréales, des jardins, des suqs animés, des habitations élégantes; son marché se tient à jour fixe; il est fréquenté par divers éléments berbères qui y apportent des fruits variés, des laitages, du beurre salé, du miel en garndes quantités..- p.121 et de La Calle, où «les denrées alimentaires viennent des campagnes voisines occupées par les Arabes… de même que des fruits qui sont parfois importés de Buna et d’ailleurs.
[37]- Cf. El-BEKRI et surtout El-Idrisi.- Op.cité qui fournit des indications précieuses sur ce point. Il évoque ainsi les cas de Ténès qui “a des fruits et un solm fertile…. Le blé y est plus que disponible ainsi que toutes les autres céréales qui sont exportées tous azimuts, sur des navires…”, p.96, d’Oran qui fournit” la plus grande partie de l’approvisionnement [à] l’Andalousie…”, p.97, de Marsa al-Dagag qui est réputée en particulier pour ses “figues… exportées en mottes et en fruits séparés dans toutes les contrées et jusque dans les cités et métropoles les plus lointaines…” p.p. 106-107, Dellys dont “le prix des fruits, des produits alimentaires et des boissons n’est nulle part ailleurs aussi bas [et où l’on] trouve beaucoup d’ovins et de bovins qui se vendent bon marché et qui sont exportés de son territoire vers tous les horizons”. p.107, de Constantine “qui a du miel en abondance, ainsi que du beurre salé qui est exporté dans tous les pays”. p.114, à Sétif qui “exporte les noix, tellement elles y sont abondantes , vers toutes les contrées” p.118, de Bijiya dont les compagnes et exploitations agricoles cultivent “le froment, l’orge, les figues et tous les autres fruits sont cultivés en quantités suffisantes pour les consommations de plusieurs pays [et où] sont entreposés des ballots et des marchandises qui sont vendues pour des sommes colossales”” p.108 et enfin d’Alger.
[38]- PRENANT, NOUSCHI, et LACOSTE notent que: “les villes qui conservent leur supériorité urbaine furent celles qui préservèrent l’étendue de leur domaine foncier”. Bougie, Miliana, Tlemcen, Nédroma, Alger, Médéa, Mascara, Mazouna, Blida, Constantine et qui soulignent également que “la prospérité commerciale et agricole des villes semble procéder de leur supériorité politique sur les paysans des campagnes environnantes… Ces campagnes riches aux alentours des villes attiraient les nomades…”.- Op.cité.- p.123.
[39]- AL-IDRISI.- Le Maghrib au XIIème siècle de l’hégire.- Nuzhat-al-Mushtaq, traduction de M. Hadj Sadok.- Alger, OPU, 1983.
[40]- EL-IDRISI.- Op.cité.- p.143.
[41]- ATTALAH, Dhina Les Etats de l’occident musulman aux XIIIème, XIVème et XVème siècles.- Alger, OPU, Enal.- p.342.
[42]- Le Maghreb, bien qu’inférieur autrefois, à cet égard à l’Ifrikya, n’était pas un pays pauvre… Aujourd’hui, c’est presque partout un désert, sauf sur le littoral et les collines voisines.- IBN-KHALDUN.- p.757.- in El-Muquaddima, t2.
[43]- PRENANT, NOUSHI, LACOSTE.- Op.cité.
[44]- MOLI, L..- Colonisation et agriculture de l’Algérie.- Paris, Librairie de la maison rustique.- 1845.- p.88.
[45]- DAUMAS, E..- Moeurs et coutumes d’Algérie.- Paris, Sindbad, 1988.- p.p.2-12.
[46]- Venture de Paradis.- Op.cité.- p.23.
[47]- KADDACHE, Mahfoud.- L’Algérie durant la période ottomane.- Alger, OPU, 1998.
[48]- KHODJA, H..- Le miroir.- Paris, édit. Sindbad, 1985.
Cf. aussi «Oran et l’Ouest algérien au 18ème siècle d’après le rapport Aramburu»; Traduction et présentation de El-KORSO, M et DE EPALZA, M..- Alger, B.N, 1978.
«Voyage dans la régence d’Alger» par le docteur SHAW (Traduit de l’anglais par J. Mac Cartly) 1738.- Edit. Bouslama, Tunis, Edition française en 1830.- «Alger au 18ème siècle»par VENTURE DE PARADIS. Edit. Bouslama, Tunis, Texte écrit en 1789. DAUMAS, E..- Mœurs et coutumes d’Algérie.- Paris, Sindbad, 1988.
[49]- KHODJA, H..- Le miroir.- p.55.
[50]- SHAW.- Op.cité.- p.39.
[51]- MERAD-BOUDIA, A..- La formation sociale algérienne précoloniale.- Alger, OPU, 1981.
[52]- A la veille de 1830, le troupeau d’ovins était évalué quant à lui, à 7 ou 8 millions de têtes, ce qui était considérables si l’on rappelle que la population algérienne comptait à peine 3 millions d’habitants.
[53]- KHODJA, H..- Le miroir.- p.39.
[54]- Rapport déjà cité.- p.52.
[55]- KADDACHE, Mahfoud.- Op.cité.- p.p. 183-184.
[56]- KHODJA, H..- Op.cité.- p.74.
[57]- PRENANT, NOUSCHI, LACOSTE.- Op.cité.
[58]- Venture de Paradis.- Op.cité.- p.p. 2-3.- Une description assez précise est donnée des modes de faire-valoir pages 25 et 26: «le beylik afferme les terres du domaines pour 3, 4 ou 5 pataques gourdes de 3ib 7 s. 6, le carré qu’une paire de bœufs est supposée pouvoir labourer en un jour; c’est-à- peu près un arpent.. Les métairies qui lui appartiennent dans le district d’Alger, il les fait travailler pour son compte; à chaque métairie et à chaque jardin qu’il a, il y a un turc pour vekil; les métairies sont travaillées par les cabailis ou les maures, les jardins sont travaillés par les esclaves. Les beys afferment certains cantons à des cheiks arabes qui prennent pour leur compte particulier cents feddans. Le prix est plus ou moins fort selon la qualité et la proximité des villes.
[59]- VENTURE de Paradis.- Op.cité.- p.p. 25 et 162.
[60]- PRENANT, NOUSCHI, LACOSTE.- Op.cité.
[61]- DAUMAS, E..- Op.cité.- p.44.
[62]- Venture de Paradis.- Op.cité.-p.p. 130.-131.
[63]- MEULEMAN, J.H..-Le Constantinois entre les deux guerres mondiales. L’évolution économique et sociale de la population rurale.- Alger, OPU, 1991.
[64]- MEULEMAN, J.H. note qu’à la veille de la colonisation, le Constantinois, les khammès représentaient 20 % de la population active.- Voir aussi Algérie: passé et présent.
[65]- Cf. MILLIOT, L.- L’association agricole chez les musulmans du Maghreb.- Paris, Editions Arthur Rousseau, 1911.
[66]- Terme utilisé par les agronomes nord-africains du début du siècle.
[67]- Nous renvoyons aux travaux des géographes et en particulier à ceux de Le Coz en France et Marc Côte en Algérie in «L’espace retourné». Nous limiterons donc notre propos aux principales conclusions en rapport avec notre objet d’étude.
[68]- LECQ et RIVIERE.- Op.cité.- p.367 et suivantes.- «La colonisation et le climat».
[69]- MAUPASSANT, Guy de.- Ecrits sur le Maghreb.- éditions Minerve, 1988.- p.115 qui ajoute «qu’une fois le Telle franchi, la terre devient nue, aride, presque impossible à cultiver. Seul, l’Arabe, qui se nourrit avec deux poignées de farine par jour et quelques figues, peut subsister dans ces contrées desséchées».- p.115.
[70]- LECQ et RIVIERE.- Traité pratique d’agriculture.- p.p. 650 et suivantes.
[71]- BERTHAULT, P..- Rapport présenté au Congrès des ingénieurs agricoles à l’exposition coloniale de 1931.
[72]- AGERON, CH.R..- Histoire de l’Algérie contemporaine.- Paris, éditions P.U.F., 1979, t2 .- p.484.
[73]- LECQ et RIVIERE.- Op.cité.- p.p. 363 -364.
[74]- LECQ et RIVIERE.- Op.cité.- p.p. 360.
[75]- Délégation Générale du Gouvernement de l’Algérie. Plan de Constantine, Rapport général, Juin 1960.- p.p.226 et suivantes.
[76]- COTE, M..- Op.cité.
[77]- COTE, M..- Op.cité.- p.266.
[78]- LECQ et RIVIERE.- Manuel de l’agriculteur algérien.- Alger, édit. Challamel, 1906.- p.91.
[79]- BOUKHOZA, M..- in Contraintes et mutations du monde rural.- Alger, OPU, 1992.
[80]- MEULEMAN.- Op.cité.- p.266.
[81]- BERQUE, A..- Pour le paysan et l’artisan indigène.- Alger, éditions Minerve, 1939.- qui fait remarquer un «fait immense, longtemps passé inaperçu dans l’évolution de la société rurale indigène entre 1860 et 1940 : le sédentarisation». Ce fait est donc récent au regard de l’histoire d’une société.
[82]- La relation établie par Ibn-Khaldoun entre les formes de production économique et d’organisation de la société (urbaine, rurale, nomade ou sédentaire) d’une part, et les formes de reproduction des Etats dynastiques, d’autre part, présente de ce point de vue un intérêt majeur.
[83]- Cité par LACROIX.- Op.cité.
[84]- CF. MOLL qui décrit techniques et outillage hérités de cette période, Op.cité.- p.p. 140 et suivantes.
[85]- Pour WOLF, l’apparition de l’Etat marquerait le seuil de la transition entre cultivateurs et paysans. Cf. COLONNA, F..- Qu’est –ce qu’une paysannerie? .- In Savants paysans.- Alger, OPU, 1987.- p.p. 27 et suivantes.
[86]- LACROIX.- Op.cité.- p.23.- voir aussi «Algérie: passé et présent».- déjà cité.
[87]- JULIEN, CH.A..- Histoire de l’Afrique du Nord-Tunisie, Maroc, Algérie- de la conquête arabe à 1830.- Paris, Editions Payot, 1975.- p.22.
[88]- Les Berbères «n’avaient aucune culture sédentaire, du moins depuis assez longtemps pour atteindre quelque degré de perfectionnement…».- IBN-KHALDOUN.- Op.cité.- p.p.740-741.
[89]- IBN-KHALDOUN.- Op.cité.- p.769.
[90]- El-IDRISI note par exemple que Al-Ghadir «est habitée par des ruraux qui possèdent des exploitations agricoles aux terres fertiles labourées de façon constante (c’est nous qui soulignons) et donnant de bonnes récoltes», Op.cité.- p.p.109-110. il est même question d’un cadastre, réalisé en 1159 sous le règne de Abdel-Moumin (Almohades), dans le souci de contrôle des territoires conquis, mais aussi d’assurer des ressources fiscales au Trésor Public.- Cf. JULIEN, CH.A..- Op.cité.- p.111.
[91]- IBN-KHALDOUN.- Op.cité.- p.p. 743-744.
[92]- La réalité historique concrète est sans doute plus complexe et il serait erroné d’associer, comme le fera l’historiographie coloniale ou les agronomes «Nord-Africains» sur la base d’une lecture volontairement idéologique de la Muqqdima, les Berbères à la classe des agriculteurs-sédentaires (partie intégrante de la civilisation urbaine-sédentaire) et la civilisation bédouine aux seuls Arabes-nomades.
[93]- Cf. les développement d’Ibn-Khaldoun sur les techniques des cultivateurs andalous, Op.cité, p.752.- Nous renvoyons au Kitab El Filaha d’Ibn-El-Awwam datant du XIIème siècle et qui est la somme des savoirs agronomiques et techniques accumulés dans cette région de la Méditerranée. Réedition Bouslama. Tunis, 1977. Les agriculteurs andalous vont côtoyer les Espagnols qui sont de l’avis d’Ibn-Khaldoun» de tous les peuples civilisés… les meilleurs cultivateurs.».- IBN-KHALDOUN.- p.753.
[94]- Rapport déjà cité.- p.p. 44 et 49.
[95]- Cf. SHAW. Op.cité.- p.p. 21-22.
[96]- VENTURE de Paradis.- Op.cité.- p.12.
[97]- Cf. MEULEMAN.- Op.cité.- PRANANT, NOUSHI, LACOSTE.- Op.cité et DRESH, J..- La prolétarisation des masses indigènes en Afrique du Nord. In La Méditerranée et le Moyen-Orient T.1, La Méditerranée occidentale, PUF, 1953, qui remarque à propos des agriculteurs sédentarisés des hautes plaines que « ce ne sont pas là de vrais paysans, attachés au sol. Ils gardent encore, avec un certain mépris de la terre, la mentalité bédouine des khammès » étude cité, p.102.
[98]- BOUKHOBZA, M..- Op.cité.
[99]- DESPOIS et REYNAL.- Géographie du Nord-Ouest.- Paris, Edit. Payot, 1958.- p.91.
[100]- Nous souscrivons ainsi à l’idée de Marx pour qui «C’est l’Algérie qui conserve [au XIXème siècle] les traces les plus importantes – après l’Inde - de la forme archaïque de la propriété foncière. La propriété tribale et familiale indivise y était la forme la plus répandue. Des siècles de domination arabe, turque et enfin française ont été impuissants – sauf dans la route dernière période, officiellement depuis la loi de 1873- à briser l’organisation fondée sur le sang et les principes qui en découlent: l’indivisibilité et l’inaliénabilité de la propriété foncière» et Marx de s’interroger sur les raisons qui expliqueraient le fait que «les Orientaux n’arrivent pas à la propriété foncière, même sous sa forme féodale». « Je crois - affirme-t-il - que cela tient principalement au climat, allié aux conditions de sol, surtout aux grandes étendues qui vont du Sahara, à travers la Perse, l’Inde et la Tartarie, jusqu’aux hauts plateaux asiatiques»., in «Le système foncier en Algérie au moment de la conquête». C.E.R.M. Sur les sociétés pré-capitalistes.- Paris, Editions Sociales, 1973.- p.p. 383-384.
[101]- DRESH, J..- La prolétarisation des masses indigènes en Afrique du Nord.- in La Méditerranée et le Moyent-Orient t 1., La Méditerranée occidentale, PUF, 1953.- p.104.
[102]- Lettre de Napoléon III du 1.11.1869 au Maréchal Pélissier, in Annie Rey Goldzeiguer «Le Royaume Arabe».- Alger, Edit, SNED, 1977.- p.135.
[103]- Cf. les articles des Etudes sociales Nord-africaines (ESNA). N° spécial, Paris, 1950: «les nords-africains et l’agriculture». A. Tage «Bref aperçu sur le régime foncier musulman en Afrique du Nord». PASQUIER, G..- L’Algérien est-il un paysan de vocation»? Cf. également la thèse pour le doctorat de droit soutenu en 1902 de Van Vollenhoven, J..- «Essai sur le fellah algérien».- Université de Paris.- Paris, Editions Arthur Rousseau, 1903.
[104]- LECQ et RIVIERE.-Manuel de l’agriculteur algérien.- Alger, édit Challamel, 1906.- p.94.
[105]- LECQ et RIVIERE.- Op.cité.- p.235.
[106]- Cf. notre article «Le paradigme de l’agriculture coloniale et la modernisation au Maghreb».- In Options Méditerranéennes. Série A / n°29, Montpellier, 1997.
[107]- BERQUE, A..- Pour le paysan et l’artisan indigène.- Alger, Editions Minerve, 1939 et Note sur le paysannat indigène, 1939.
[108]- Le paysannat algérien; vers la rénovation de l’agriculture traditionnelle par les SAP et leur SAR.- Alger, Gouvernement Général de l’Algérie, 1954.
[109]- En l’état actuel, les fellahs ne sont pas de vrais paysans mais des demi-prolétaires.- p.516.- In BOURDIEU et SAYAD.- Le déracinement.- Paris, éditions de Minuit, 1964.
[110]- CHAULET, C..- La terre, les frères et l’argent.- Alger, OPU, 1987.
[111]- BOUKHOBZA.- Op.cité.
[112]- ETIENNE, B..- In Problèmes agraires au Maghreb.- 1977, Editions CNRS.- p.39.
[113]- COTE, M..- Les mutations rurales en Algérie: le cas des hautes plaines algériennes.- Alger, OPU, 1981.- p.276.