Incontestablement, pour tous les férus de lecture, de cette «joie de lire chaque fois recommencée» (Mostefa Lacheraf), ils savoureront cette œuvre magistrale. Avec bonheur et satiété, à n’en pas douter. Pour se réconcilier avec eux-mêmes après tant de ruptures et de dérives accélérées au cours des dernières décennies…
Assurément, pareille œuvre est à lire et à relire. A relire «entre les lignes»! Davantage à méditer,s’agissant d’un essai solidement étayé, de surcroît coïncidant avec la célébration du cinquantième anniversaire de la Guerre de libération nationale. S’agit-il seulement d’une autobiographie? Dès les premières lignes, il est question d’une monographie parfaitement réussie alors que l’approche géo-historique du cadre d’enfance n’a jamais été entreprise avec autant de réussite. En tout état de cause, l’on est captivépar les charmes de cette minuscule contrée si difficile à localiser sur une carte géographique ordinaire: les Béni-Snous, une petite vallée éponyme demeurée murée entre de hautes parois rocheuses à proximité de la frontière algéro-marocaine. Une communauté fortement attachée à ses terres, certes ingrates mais mises en valeur avec art et abnégation, bien attestée par une judicieuse polyculture vivrière quoique insuffisante et obligeant la majorité des adultes à l’émigration; une diaspora représentant actuellement les 9/10 de la population d’origine…
Avec autant de détails que de précision, le premier bachelier qui a échappé miraculeusement à «la misère, la faim, les épidémies…» (p 19), nous retrace le cadre de vie des habitants[1] ayant pris une part active aux événements marquants de notre histoire. En témoignent de nombreux événements développés à partir de faits et données concrets.
Dans de telles conditions, l’on ne sera point surpris par le rôle joué par les Béni-Snous et leur participation au combat libérateur. Sans conteste, c’est l’ossature même de cette œuvre hors pair jusqu’à présent. D’autant qu’il s’agit de ce chapitre point abordé par d’autres publications avec autant d’événements fourmillant de détails et de données relatifs à ces «hommes de l’ombre». De toutes ses structures – très nombreuses, s’étendant jusqu’en Libye –, toutes savamment conçues et mises en place. Comment et dans quelles conditions? Surpris lui-même en s’y engageant, l’auteur apporte quelques détails, après avoir lu le Mur de l’Atlantique: «En somme, dans le renseignement, nous avions tous appris sur le tas, sur le terrain, par la lecture et l’analyse. Avec tous ses inconvénients parfois difficilement supportables, la clandestinité s’était avérée pour nous une grande école. Elle nous avait permis de parfaire notre formation, d’apprendre la maîtrise de soi, la patience, l’endurance et le travail bien fait. C’était là la vraie école de Boussouf ». (p 215)
Plus particulièrement, ce chapitre intitulé «Dans les services secrets ou avec les hommes de l’ombre» (p 205-275) est des plus édifiants. Il convient de s’y attarder pour une meilleure approche. Focalisons-nous sur certains passages pour en connaître les forces et compétences de ces ressources humaines dans les conditions les plus exceptionnelles. «…dans l’ombre et l’anonymat, ces très nombreux jeunes, des ex-collégiens, des ex-médersiens et beaucoup d’étudiants universitaires avaient volontairement déserté leur scolarité et leurs études pour rejoindre les rangs de l’Armée de libération nationale, avaient donné le meilleur d’eux- mêmes, parfois jusqu’au sacrifice suprême, et apporté une contribution honorable à la glorieuse lutte armée.» (p 245).
De si longs développements poursuivis méthodiquement, à lire avec beaucoup d’intérêt car formulés objectivement. Dans la transparence et avec suffisamment de recul dans le temps par un témoin-acteur intègre, en outre demeuré fortement attaché à la bonne éducation reçue par une famille pauvre, mais fortement imprégnée par les valeurs et principes conformes à nos authentiques traditions, soit le secret même qui a été à l’origine de sa parfaite réussite: scolaire, militante et de combat multiforme. Postérieurement, d’une brillante carrière au sein des structures étatiques.
C’est à celle-ci qu’est consacrée la dernière partie (275-508). Avec davantage d’illustration grâce à l’attachement, à la bonne éducation et réussite scolaire bien qu’interrompue après l’obtention du baccalauréat. Avec davantage aussi d’intuition et de doigté, de réalisme et de savoir-faire pour être à la hauteur des responsabilités assumées durant les trois premières décennies de l’ère post-indépendance. Plusieurs responsabilités pleinement assumées. En témoigne celle durant laquelle il fait montre de qualités de manager sans égal, digne d’un diplômé des plus illustres écoles managérielles, alors qu’il ne les a jamais fréquentées, en dehors de l’application de principes et méthodes adoptés depuis sa prime enfance… Plus particulièrement, il faut lire et relire, revoir et méditer l’expérience qu’il a poursuivie longuement en vue de la création ex-nihilo de ce qui devait être une véritable industrie pharmaceutique avec, en amont, une authentique politique de santé publique…
En définitive, si une telle expérience n’a pu aboutir par suite de maints blocages, du reste bien explicitées (359-364), Mohammed Lemkami n’a pas pour autant mis fin à sa brillante carrière, même dans les conditions les plus exceptionnelles, en n’hésitant pas à la poursuivre aux Pays des Aigles (509-514).
Ainsi, on ne saurait recommander la lecture attentive de cette œuvre arrivant à point nommé pour aller de l’avant, pour nous ressourcer et tirer les enseignements qui s’imposent; dans l’intérêt général, celui notamment des générations montantes!
Djilali SARI
Notes
[1] «Pas d’école jusqu’au milieu des années 1930, ni de dispensaire, ni de médecin, pas d’infirmerie, ni eau, ni électricité etc. Les jeunes continuaient à apprendre le Coran chez le taleb et rares sont ceux qui arrivaient à le connaître par cœur.» (p 17).
Il faudra cependant signaler des cas comme celui de la grande mère paternelle de l’auteur, Hadja Fatma, lettrée en arabe et récitant le Coran en totalité» (p.8).