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La construction du lien social à travers les jeux des acteurs publics et prives autour des pratiques du microcrédit dans un quartier périphérique de Tunis. Les approches de développement social local sur le quartier sensible de douar Hicher

Insaniyat N°49 | 2010  | Savoirs et dynamiques sociales | p. 99-103 | Texte intégral


Houda LAROUSSI


Les approches de développement social local sur le quartier sensible de Douar Hicher*

Mon travail prend son ancrage sur la commune de Douar Hicher dans la banlieue de Tunis, un territoire très investi par l’État en matière de lutte contre la pauvreté. On y retrouve un microcosme de l’ensemble des jeux d’acteurs dans le domaine tant politique (l’État) que économique (organismes de micros crédits et entreprises) et associatif (ONG, associations…). Ce travail porte sur les jeux d’acteurs, produits autour de la question de l’auto-emploi et du micro-crédit dans ce quartier, par le biais des dispositifs d’aide à la création de micros entreprises. Puis précisément encore, il porte sur les modalités d’émergence et de lien social construites par ces acteurs sur des bases territoriales dans un système local.

Dans un premier temps, je présente la problématique globale de ma thèse et ses principaux objectifs. Je précise la raison pour laquelle j’avais choisi de m’appuyer sur la création de la micro entreprise et le recours aux micros crédits au niveau de la commune de Douar Hicher. Ceci va m’amener, à présenter cette commune en me basant sur son contexte historique, et en décrivant la recomposition territoriale imposée par l’État sur ce lieu.

Je dresse dés le départ le cadre méthodologique et conceptuel de ma réflexion. J’y introduis des notions d’acteurs, de mobilité urbaine, d’intégration territoriale, de pauvreté urbaine etc. J’y présente les principales caractéristiques attribuées à ces concepts en me basant sur le point de vue d’une diversité d’auteurs qui s’inscrivent dans une complémentarité d’approches disciplinaires. En ce qui est du cadre historique et politique de mon travail de terrain, j’évoque aussi l’évolution des enjeux de la planification et des politiques urbaines en Tunisie ainsi que des approches politico-institutionnelles de la gestion et de la pauvreté urbaines. Enfin, j’aborde les hypothèses et les pistes méthodologiques à la base des enquêtes que j’ai menées sur le terrain.

Dans une seconde partie, je présente l’acteur central, l’État tunisien, dans sa politique urbaine d’autonomie dirigée et de délégation centralisée en matière de développement social et associatif, de déconcentration, de développement régional et local.

Tout d’abord, l’analyse historique, depuis 1960, des attitudes et les interventions de l’État, face aux problèmes spécifiques de Douar Hicher et d’Ettadhamen avant la création de la commune de Douar Hicher ainsi que de l’émergence de l’urbanisation spontanée, me permettront de cerner l’évolution actuelle des politiques publiques envers les quartiers périphériques. Je mets par la suite l’accent sur les nouvelles orientations de l’État tunisien par rapport aux enjeux de la lutte contre la pauvreté et les réformes internationales incitant à la décentralisation et à la privatisation, selon les principes politiques de la Banque mondiale et de la «la bonne gouvernance ». Dans son projet de vouloir concilier une décentralisation suggérée par l’extérieur et une centralisation du pouvoir central, je montre les utilisations, faites par l’État, des problématiques européennes du développement associatif puis du développement local. Je consacre dans ce sens un chapitre aux nouvelles options de l’État en matière d’encadrement associatif par la création de la Banque tunisienne de solidarité et sa structuration associative, visant à promouvoir un nouveau dispositif d’encadrement financier et de coordination associative. De même, en évoquant les nouveaux enjeux du développement régional et la nouvelle politique de développement local de l’État, je détermine le cadre dans lequel le système centralisé mène lui-même le diagnostic ascendant/descendant constitutif de l’action de développement local. Je présente ainsi l’étendue d’un réseau d’acteurs publics, qui justifie d’une part, le recours à des pratiques centralisées toujours d’actualité et d’autre part, le nouveau rôle d’un État régulateur d’un jeu, qui malgré tout se diversifie.

Enfin, il apparaît sur le terrain de Douar Hicher que cette recomposition de l’État se trouve confrontée à deux modalités différentes de la question sociale et de construction du lien social, objets des troisième et quatrième parties.

Je décris dans la troisième partie, à partir d’enquêtes de terrain, le traitement associatif du social et la construction du lien social par l’ONG ENDA, son appui aux femmes, à la mixité familiale et au secteur informel, son statut comme opérateur de structuration sociale et d’acteur de développement local. Je présente la logique du micro crédit, comme un appui pour la restructuration du secteur informel. J’illustre le rôle de ENDA comme acteur d’un développement local de proximité, suite à ses actions d’accompagnement et de suivi et à sa démarche de développement dit «par le bas » et visant l’auto-organisation des populations comme acteurs d’un développement dit « solidaire». Je présente, à la fin de cette partie, un chapitre sur la logique du groupe solidaire et des projets spécifiques de l’ONG ENDA. Je montre le double impact de cette action, d’une part, en marge du système de micro crédit tunisien et en faveur d’une population jusqu’à présent non prise en compte, et d’autre part, en tant que modèle associatif de développement local dans le champ des interventions de l’État et répondant à ses préoccupations actuelles.

Face à cette logique de lien social construite par ENDA sur le quartier, la quatrième partie décrit le traitement politique et économique de la question sociale au travers d’un second acteur de poids : la Banque tunisienne de solidarité (BTS). Les personnes interviewées mettent souvent en comparaison et en concurrences la BTS avec l’action de ENDA. La finalité de la Banque tunisienne de solidarité est moins d’apporter une réponse de lien social que de répondre à la crise de l’emploi par la création d’entreprises. Sa logique est celle de l’incitation économique et de la gratification sociale, fonctionnant sous le mode d’une banque privée à gestion publique. Sous l’impulsion de l’État, les stratégies régionales et locales de la BTS s’inscrivent dans le cadre d’une politique de déconcentration. Par la création de la Banque tunisienne de solidarité, l’État se présente comme promoteur du micro entrepreunariat et du micro crédit. L’ambiguïté sociale que j’analyse, de la Banque tunisienne de solidarité, tient au fait qu’elle fonctionne sur le mode associatif créant parfois une confusion avec l’action des ONG. Mais il est intéressant de constater qu’elle vient légitimer une nouvelle politique étatique, celle de réencastrement de l’économique dans le social et où la solidarité est montrée au moins formellement comme un principe intégré à l’économique.

Dans le cadre de ce double traitement à la fois social (ENDA) et économique (BTS) de la question sociale, on trouve au Douar Hicher des acteurs satellites de la politique économique et sociale de l’État. C’est l’objet de la cinquième partie qui évoque les différents relais de l’État : relais administratifs des Gouverneurs aux Omdas et municipalités dans les articulations établies avec le Centre, relais financiers des fonds nationaux de promotion sociale et de restructuration de l’économie par la privatisation, relais des acteurs privés de l’entreprise, puis publics de la promotion de l’emploi et de l’insertion dans le marché du travail, relais des services de la formation ou de la promotion sociale dans une quête d’autonomie face à la rigidité de l’État. Je montre les nuances socio-politiques introduites par ces acteurs comme relais (parfois complices, alliés ou partenaires critiques) de la politique de l’État central prenant tour à tour partie soit pour le traitement social (ONG : ENDA), soit pour le traitement politique et économique (Banque tunisienne de solidarité).

Une sixième partie montre comment les bénéficiaires reçoivent l’ensemble de ces jeux d’acteurs publics et privés. J’analyse sur le terrain les nouvelles attitudes des acteurs face aux difficultés structurelles du développement économique et social de Douar Hicher, en précisant les stratégies personnelles adoptées par les bénéficiaires par le biais des réseaux de solidarité familiales et informels. On voit alors comment ces populations bénéficiaires ont pu co-construire de la socialité avec l’ONG ENDA comme opérateur de lien social, participant par exemple à développer un autre statut de la femme comme nouvel acteur socio-économique et professionnel.

J’évoque enfin comment les bénéficiaires jouent selon différentes stratégies vis-à-vis des institutions financières (BTS, ENDA). J’analyse notamment les jeux de la légalité et de l’illégalité et les stratégies de contournement. Je détermine les jeux du secteur informel et du secteur formel par le biais d’un arbitrage ininterrompu entre le marché officiel et le marché clandestin, ainsi que les diverses tactiques et stratégies qui en découlent suite au jeu des bénéficiaires avec le panel des micros crédits à leur disposition. Par cette capacité à « jouer » avec les ressources et à « contourner » les enjeux, je montre que l’on peut considérer ces populations comme passant du statut du simple bénéficiaire assisté au statut d’acteur parmi d’autres, participant ainsi pleinement, mais selon des stratégies qui leur sont propres, au développement proposé par les acteurs institutionnels.

Dans une dernière partie, je définis d’abord les caractéristiques de la centralisation et de la décentralisation dans chacun des systèmes politico-administratifs en France et en Tunisie. Puis j’introduis les concepts français de développement local, de territorialisation de politiques publiques, de gouvernance comme mode d’organisation des systèmes d’acteurs. Sans méconnaître les points évidents de différenciation entre les deux systèmes français et tunisien, je veux quand même montrer les possibles apports de ces concepts pour réinterpréter le développement local potentiel en Tunisie. Je détaille dans leurs apports possibles à l’évolution du développement local du système d’acteurs tunisiens, des concepts majeurs du développement social local français : le processus de transformation des systèmes politico-administratifs, les formes de mobilisation des acteurs et leurs stratégies d’intervention au niveau local, ainsi que les projets de territorialisation des politiques publiques lorsque l’État investit les territoires.

Je présente enfin la notion de gouvernance comme un outil possible d’aide à la concertation locale et au développement urbain, comme un nouveau mode d’appui au développement régional, et de régulation institutionnelle pour l’organisation de l’action publique. J’envisage à partir du cas tunisien, les théories de la Gouvernance comme relais des théories du développement des sociétés industrielles complexes.


Notes

* Thèse de Doctorat en Sociologie, sous la direction de P.-N. Denieuil, soutenue le 6 octobre 2006 à Paris Université de Paris V, Laboratoire LISE.

 

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