Insaniyat N°54| 2011 | Tizi-Ouzou et la Kabylie: mutations sociales et culturelles | p.127-145 | Texte intégral
Identity and adaptability in Kabyle songs in the 1990’s: Idir, Lounès Matoub and Aït Menguellet Abstract: This article aims at showing the determinant played by Kabyle songs, as a place of affirmation and identity framework, but also as a place of discovery, a place of encounter, and opening up to the other, to elsewhere and difference. In a society where orality continues to represent expression and essential communication, songs making up a cornerstone of this space, are present less as a means of entertainment than a social practice and a full means of communication. It’s a question of bringing certain songs to light with their multiple stakes submersed in this art designated by some as “minor”, but which are still present in kabylie, mainly in times of crisis, as also to reural a profound cultural identity which is irrepressible, at the same time endogenous and exogenous. Keywords: mother tongue, culture, identity and adaptability, uniformity, diversity. |
Fatiha TABTI-KOUIDRI: l’ENS/LSH – Alger, 16000, Alger, Algérie
"Dis-moi ce que le peuple chante et je te dirai quelle est sa morale et comment il est gouverné".
CONFUCIUS – Ve siècle avant J-C.
Introduction
Dans l’Algérie des années 1990, alors que la violence et la terreur font reculer bien d’autres formes d’expression (notamment le cinéma et le théâtre), on assiste à un véritable renouveau de la chanson engagée qui va notamment servir d’exutoire aux ressentiments d’une population prise en étau entre terrorisme et répression. Le chanteur engagé semble alors retrouver le statut qu’avaient autrefois les « seigneurs des mots » de la tradition orale, virtuoses du verbe, détenteurs de la mémoire commune, faiseurs d’opinion, passeurs de langue(s) et de culture(s).
En effet, porte-voix d’un peuple réduit au silence par la peur et la censure, le chanteur n’est plus dès lors un simple « motrib » dont le rôle est de divertir. Sa prise de parole en fait un « parleur » dans le sens que Jean-Paul Sartre donnait à ce terme, c'est-à-dire quelqu’un qui « désigne, démontre, ordonne, refuse, interpelle, supplie, insulte, persuade, insinue »[1].
Cette fonction informative, exhortative, contestataire, dénonciatrice, revendicatrice, etc., que les chansons vont alors développer, si elle n’est pas nouvelle, va s’amplifier et se durcir comme à chaque fois en période de crise. Ainsi, en dépit des lois d’exception et la violence vécue au quotidien, ou peut-être même à cause de tout cela, la chanson algérienne des années 1990 va se présenter comme un moyen cardinal d’expression, d’information, de protestation, de revendication, de conscientisation, de mobilisation…
La prise de conscience de ce potentiel déterminant d’un objet communément considéré comme accessoire, frivole, voire licencieux[2], a suscité le questionnement suivant, auquel seront proposés quelques éléments de réponse :
- Pourquoi tant de valeur symbolique est-elle attribuée par certains à une forme désignée par d’autres comme une « sous-culture de masse » ?
- Quels sont les enjeux culturels et par là-même identitaires immergés dans le contenu comme dans la forme des chansons kabyles de la décennie noire ?
- De quelles manières la diversité s’y exprime-t-elle ?
La chanson, un moyen de communication
« Toute manifestation culturelle peut être perçue comme un processus de communication »[3] et la chanson en est une. Durant les années 1990, elle va servir de vecteur à un discours populaire de substitution au discours dominant du pouvoir et à celui dominateur des extrémistes religieux, discours péremptoires qu’elle va déconstruire pour en souligner les abus et les failles.
Ancrées dans une actualité tragique, les chansons vont alors baliser la décennie noire : des chansons témoignages, des chansons manifestes, des chansons chroniques d’une violence quotidienne, des chansons de révolte mais aussi d’amour et d’espoir, des chansons pour « dire » ce qui peut paraître indicible parce que difficile à comprendre, difficile à admettre, des chansons enfin qui vont porter une parole libérée à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières du pays et constituer de ce fait un lieu d’ouverture dans un pays fermé.
En réaffirmant le lien traditionnel historiquement tissé entre contestation populaire et médium de la parole chantée, la chanson algérienne des années 1990 va contribuer de façon notable à maintenir la communication entre les Algériens eux-mêmes mais aussi entre ces derniers et le reste du monde. Ainsi, née dans un contexte de crise multiple, économique, politique, sociale et culturelle, la chanson algérienne de la décennie noire va se présenter « comme acte témoin, comme acte trace, de cet état politiquement, économiquement, humainement critique et souffrant »[4].
Sa présence massive dans l’environnement sonore et affectif de toutes les couches de la société et son rôle multiple à la fois poétique, ludique, thérapeutique, idéologique, culturel, identitaire, social, relationnel, etc., vont renforcer son impact sur les individus et les groupes. Ils en feront un média influent car le plus accessible, le plus proche par son contenu des préoccupations de la majorité des Algériens, et par sa forme, de leurs pratiques langagières d’où, comme le souligne P. Zumthor à propos de la poésie orale, « un effet moral : l’impression, sur l’auditeur, d’une loyauté moins contestable que dans la communication écrite (…), d’une véracité plus probable et plus persuasive»[5]. Il y a donc lieu de ne pas se laisser abuser par « La trompeuse légèreté des chansons»[6], ces dernières pouvant constituer, outre un moyen de communication à part entière, un important gisement documentaire permettant la mise au jour des enjeux immergés dans le contexte qui les a générées.
La chanson kabyle, un espace d’affirmation identitaire
J.F. Hamers et M. Blanc affirment que « pour qu’une langue soit une dimension saillante de l’identité d’un groupe, il faut qu’elle soit perçue comme une valeur centrale par les membres du groupe. »[7] C’est le cas de tamazight qui en Kabylie est posée comme le discriminant principal et le trait définitoire fondamental de l’identité berbère. C’est pourquoi, sans négliger les aspects politique, social et culturel, la revendication berbère est avant tout linguistique. Cette revendication passe surtout par la poésie et le chant qui ont représenté, durant une longue période, l’ultime refuge de tamazight.
En effet, la revendication de la langue et de la culture berbères s’est longtemps exprimé par le chant, c’est pourquoi « l’impact et la signification de la chanson kabyle sont celles de la langue qu’elle diffuse, travaille et perpétue : tamazight. Tout progrès de la chanson est un pas en avant de la langue »[8]. Dans son roman « L’étoile d’Alger » (1998), le romancier Aziz Chouaki reprend cette idée à son compte et met en avant le rôle central de la chanson dans la revendication de tamazight en faisant dire à l’un de ses personnages : « C’est grâce à la chanson que la cause berbère s’est fait entendre dans le monde. Grâce à Idir surtout »[9].
Il est vrai que la culture berbère doit beaucoup au chanteur Idir dont la chanson « A baba Inuba »[10] traduite en sept langues, « va donner une assise de masse à la thématique identitaire et va renforcer la crédibilité nationale et internationale de la culture berbère »[11].
Idir qui affirme que « dans la chanson kabyle, il y a un message idéologique, politique, culturel»[12] est le premier chanteur de la génération de l’indépendance à briser un tabou en citant le nom de Jugurtha, souverain berbère banni de l’histoire officielle, dans une chanson intitulée « Muqlegh »[13] (J’ai observé) :
Muqleγ tamurt Umaziγ |
J’ai observé le pays d’Amazigh |
Yugurten walaγ uḍmik |
Jugurtha j’y ai vu ton visage |
Cette chanson a valu à Idir d’être totalement censuré dans son pays, ce qui l’a contraint à émigrer en France d’où il a toujours continué à défendre la cause berbère à travers ses chansons mais aussi ses actions et ses déclarations.
L’un des plus ardents défenseurs de cette cause, le chanteur Lounès Matoub, a lui aussi exprimé dans ses chansons la révolte que suscitait en lui le déni de sa langue et de sa culture maternelles ou, au mieux, leur relégation dans le domaine du folklore. Dans « Iluhqed Zzhir »[14] (Le tumulte se précise), il s’insurge contre le sort réservé à sa langue maternelle :
Tameslayt nni |
Cette langue |
D difrurin d issah |
éclose dans la vérité |
Γar γersan nitni |
ne représente à leurs yeux |
Telĥa ken i ccdah |
que des chansonnettes pour danser |
Dans « A tamurtiw »[15] (Ma patrie), il réaffirme sa détermination à mener un « combat » sans répit jusqu’à la reconnaissance de son identité :
Imi d-lulegh d aqbayli |
Puisque je suis né kabyle |
Isem-iw imenγi |
mon nom est combat |
Γas tehfa tdukli |
et même si l’union s’émousse |
A tt-id- smesdeγ |
je l’aiguiserai, |
Ay at tmurt-iw |
ô mon peuple |
S tidi n lmux-iw |
des sueurs de mon cerveau |
Ara kwen-in dehneγ |
je t’enduirai. |
La fougue et l’intransigeance qui caractérisaient celui que toute la Kabylie surnomme « le Rebelle » s’expliquent, comme le fait remarquer Tassadit Yacine, par le fait que « de toutes les oppressions, il en est une plus insupportable que toutes les autres au cœur du poète : c’est celle que subissent sa culture et sa langue »[16]. Cette oppression, est également dénoncée par un autre chantre de la berbérité, Lounis Aït Menguellet qui, comme le montre Tassadit Yacine dans l’ouvrage qu’elle lui a consacré[17], s’engage lui aussi dans la poésie comme dans un combat.
Dans une chanson intitulée « Taqbaylit »[18] (Kabyle), un mot qui désigne à la fois la culture, la langue et la personne qui la parle, il prône la lutte pour la sauvegarde de la mémoire, et donc, en premier lieu, de la langue qui sert à la transmettre :
Ayla-m ’aqlit |
Reconnais ce qui t’appartient |
Γuram ad as tebrud yibwas |
prends garde à ne jamais y renoncer |
A taqbaylit |
Ô (langue) kabyle |
Yecreq yitij yuli wass |
on voit poindre ton soleil et ton jour se lever |
Comme dans la quasi-totalité des poèmes kabyles, la langue est personnifiée et se confond avec la « mère » que « ses enfants » ont le devoir de défendre :
Freh yissnaγ |
Sois fière de nous |
Ma truhed dacu nes’a |
Si tu nous laisses que nous reste-t-il ? |
Kem d yemnatneγ |
tu es notre mère |
Ma neğğa-kem |
si nous renonçons à toi, |
Gğen-kem wid tqur’aḍ |
si ceux que tu protège t’abandonnent |
Anda-t wudem |
avec quel front |
Is ara nqabel wiyaḍ |
oserons-nous faire face aux générations futures ? |
(…) |
|
Ur ttxemim |
Sois sans crainte |
Ma di ttiq neγ di liser |
dans l’adversité comme dans la prospérité |
Tameslayt-im |
Ta parole, |
W a ttiγdlen ma yezmer |
que celui qui prétend pouvoir l’étouffer, s’avance |
Ma d arraw-im |
C’est grâce à tes enfants |
Yissen I tbedd ldzayer |
que l’Algérie est debout ! |
Dans sa préface à l’ouvrage de T. Yacine, d’où sont extraits les vers qui précèdent, Kateb Yacine explique ainsi la « véhémence » qui s’exprime dans la dernière partie de l’extrait cité : « C'est que tamazight, notre langue nationale, depuis des millénaires, est à peine tolérée, pour ne pas dire proscrite, dans l'Algérie indépendante ! »[19] Pour lui, les chanteurs, en effectuant au travers de leurs chansons un véritable travail de mémoire, se présentent comme des résistants, des « maquisards de la chanson ». En effet, « tel fut le titre offensif de Kateb Yacine qui introduisait le texte écrit sur le dos de la pochette du disque 78 tours réalisé par Meziane Rachid qui a interprété, pour la première fois, une chanson de mobilisation autour de l’identité Amazigh »[20].
Dans cette lutte pour la reconnaissance de leur langue et de leur identité, les chanteuses ne sont pas en reste. Parlant de Taos Amrouche et de ses « Chants berbères de Kabylie »[21], Assia Djebbar déclare : « Elle semble nous lancer ces chants violemment, fièrement, à la face : peut-être faut-il vraiment cet envol sonore formidable pour nous, les oublieux de la langue ancienne ! »[22].
Une nouvelle génération de chanteuses suit les traces de Taos Amrouche : Nouara, Malika Domrane, le groupe Djurdjura…, toutes ont revendiqué leur identité berbère. La première fait place à cette revendication dès le berceau. En effet, « Ad k-wessiγ a mmi ’zizen »[23] (Je te mets en garde mon enfant chéri), est une berceuse qui prend l’allure d’une série de recommandations dictées par une mère à son enfant :
Ad k-wessiγ a mmi ’zizen |
Je te mets en garde mon enfant chéri, |
D l’ib ma tettud lasel-ik |
ignorer ses origines est un avilissement. |
Ulac w'ara k-ihasben |
Personne ne t’accordera la moindre considération |
Mur tessined imawlan-ik |
Si tu ignores qui sont les tiens |
Hader wi k-ijayhen |
Prends garde à ne pas te laisser tromper |
Ad d-truhd ur d-teğğid later-ik |
ou tu disparaîtras sans laisser ton empreinte |
(…) |
|
Rfed leqlam ad ttarud |
Prends une plume et écris |
Ad tezred acu i’adden |
prends connaissance du passé |
Macci d ayen ara temhud |
Ce n'est pas une chose que tu peux gommer |
Macci d ayen yettfakan |
Ce n'est pas une chose qui a une fin |
Wi d-ilulen ad as-tehkud |
À ton tour tu raconteras à ton enfant |
Akka ad yissin wi t-ilan |
afin qu’il sache qui il est |
Le groupe « Djurdjura », lui, reprend une chanson phare de la résistance berbère : « Kker a mi-ss Umazigh »[24] (Debout fils d’Amazigh !) :
Kker a mmi-s umaziγ! |
Debout fils d'Amazigh ! |
I tij nneγ yuli-d, |
notre soleil s’est levé |
Atas ayag' ur -t-zriγ, |
Il y a si longtemps que je ne l'ai vu |
A gma nnuba nneγ tezzid |
Frère, notre tour enfin est arrivé |
A zzel in-as i Masinissa |
Cours dire à Masinissa |
T amurt is tukwi-d ass a |
Que son pays s‘est aujourd’hui réveillé |
In-as, in-as i-Yugurta |
Dis! Dis à Jugurtha |
Arraw-is ur-t-tun-ara, |
que ses descendants ne l’ont pas oublié |
Ttar ines d-a-t-id-rren, |
qu’ils sont décidés à le venger |
Ism-is a-t-id-sekfen |
et à ressusciter son nom |
I lKahina Icawiyen |
A Kahina des “Chaouia” |
A tin is ddan irgazen |
qui a su guider les hommes |
I n-as ddin i-γ-d-ğğa |
dis-lui que le pacte qu’elle nous laissé |
Di la’mer ur-ten-tettara |
jamais nous ne l’oublierons |
S umeslay nneγ a nili, |
C’est par notre langue que nous existerons |
Refrain |
|
Azekka ad yif iḍalli, |
demain sera meilleur qu’hier |
Tamaziγt atgem atternu, |
Tamazight vivra et prospérera |
D asalas bwemteddu |
C’est le pilier du progrès |
A l’origine, l’auteur de la chanson, Ali Laïmeche, un militant du PPA, s’adressait aussi bien aux colonisateurs qu’aux partisans du panarabisme. La reprise du titre dans les années 1990 va lui donner une portée différente. L’évocation de la lutte semble concerner plus les événements du « Printemps berbère » d’avril 1980 et le premier couplet se veut annonciateur d’une reconnaissance de la spécificité culturelle berbère, qui ne sera timidement amorcée par les institutions que quelques années plus tard, en 1995.
Les chanteurs kabyles engagés de la décennie noire, notamment Idir, Lounès Matoub, Aït-Menguellet qui ont fait de la reconnaissance de l’identité amazigh le fer de lance de leurs revendications, reprennent ainsi les schémas ancestraux de quête identitaire qui caractérisaient déjà les poèmes et les chants de leurs prédécesseurs, notamment ceux de la génération de l’indépendance. Ainsi, « toute la nouvelle chanson kabyle, à très forte connotation protestataire, est à considérer comme l’expression esthétique de ce travail culturel et idéologique, de ce discours collectif qui se met en place et se développe durant la première décennie de l’indépendance. Du reste, un grand nombre de textes chantés ont été ou sont composés par des poètes qui ont activement participé à ce mouvement d’affirmation »[25].
La chanson kabyle des années 1990 perpétue donc le lien entre la résistance passée, celle des militants dit berbéristes des années quarante notamment, et la résistance présente tout en s’adaptant à l’évolution de la politique linguistique. En effet, on peut remarquer que, depuis l’accession de tamazight au statut de deuxième langue nationale (en avril 2002) et la reconnaissance de la spécificité culturelle berbère, la chanson kabyle engagée, tout en conservant l’esprit contestataire qui l’a toujours caractérisée, semble se faire un peu moins véhémente que par le passé. Il faut reconnaitre que cette mutation est également en partie liée à la nécessité de se plier à de nouvelles logiques de marché en tentant de s’adapter au goût d’un public jeune et en grande majorité inconditionnel de ce qu’on pourrait appeler « la chanson légère », comme celle qui caractérise le raï, un genre alors en plein essor.
La chanson kabyle, un vecteur de diversité
Culture et identité ont toujours été placées au centre de la thématique de la chanson kabyle. Or, ces termes sont classés par Martine Abdallah-Pretceille parmi ceux qui ne permettent pas « de penser un monde hybride », de prendre en compte « les multiples appartenances, les mutations, les individualisations et les personnalisations des comportements, les transgressions, les chemins de traverse, les zébrures, les parcours alternatifs…»[26]. On pourrait par conséquent en conclure que l’hypertrophie du discours identitaire dans la chanson kabyle tend moins vers une exigence de diversité que vers un repli communautaire, une sorte de vision homogénéisatrice inversée, faisant pendant au panarabisme. Toutefois, la référence récurrente à « lassel » (les origines), aux « izoran » (les racines) et à la culture qui en émane, la quête incessante d’identité qui caractérise le discours des poètes-chanteurs kabyles pourraient découler d’une volonté de mieux se connaître pour être à même de mieux se faire connaître. En fait, « il s’agit de reconquérir son Moi historique et présent afin de mieux aller vers l’autre. Il s’agit de s’ouvrir sur soi pour mieux s’ouvrir sur l’universel qui est déjà parmi nous, en nous»[27]. De ce point de vue, même si elle prend parfois l’allure d’une crispation identitaire, on peut considérer la lutte des Kabyles pour la reconnaissance de leur amazighité, comme un rejet de l’uniformisation, une exigence de diversité.
Ainsi, dans « D ssah »[28] (La vérité), le groupe Djurdjura propose une vision autre que celle, monolithique véhiculée par le discours officiel. Le but semble être de faire valoir une « vérité » différente de celle officiellement admise :
D ssah neqar taneslit |
La vérité est que je défends ma souche |
D ssah cniγ tazayrit |
la vérité est que je chante mon pays |
d ssah ncenu ismis |
la vérité est que je suis liée à son nom |
Tejra tetaba’ arawis |
Comme l'arbre à ses racines |
D ssah nekki ttaqbaylit |
La vérité est que je suis kabyle |
(…) |
|
D ssah ttrajuγ ma dinim |
La vérité est que j’espère vous entendre me dire |
Ur tagwad fekd afusim |
« Ne crains rien, tends nous la main. » |
La fréquence d’emploi du mot « vérité », en corrélation avec les mots « souche », « racines », « liée » et « kabyle », pourrait être perçue comme une forme de crispation identitaire susceptible de brider tout élan vers l’Autre. Cependant, les deux derniers vers semblent remettre en question cette éventualité. En effet, le « vous » auquel s’adresse cet appel est selon toute vraisemblance « l’Autre » qui ne partage pas nécessairement les mêmes convictions et dont on attend une « main tendue », scellant une sorte de réconciliation. Aït Menguellet, quoique dans un style plus exhortatif, semble poursuivre le même objectif de reconnaissance de « la vérité » dans « Neżra »[29] :
Neżra la tżerrem |
Nous savons que vous savez |
Teżram kulchi dayen illan |
Vous savez que nous disons la vérité |
Teżram amek i gella lhal |
Vous savez ce qu’il en est |
Ma nnan awen-d wi kwen ilan |
Si on vous demande vos origines |
Inet-t id mebγir ccwal |
Reconnaissez-le sans colère |
Teżram amek i gella lhal |
Vous savez ce qu’il en est |
Teżram acimi teffrem |
Vous savez, alors pourquoi vous taire ? |
Isem nnwen la d-issawal |
Votre nom (identité) vous hèle |
Yibbwas a-t-id teskeflem |
Un jour vous serez tenus de le déterrer |
Neżra la tżerrem |
Nous savons que vous savez |
Xas ma teddreγlem |
même si vous êtes aveuglés |
Ma yegwra-d yiwen i cfan |
S’il n’en reste qu’un à avoir gardé la mémoire |
A-d-yini ayen illan |
qu’il dise la vérité |
A kwen id yessefĥem |
et qu’il vous l’enseigne! |
Le chanteur met en scène un face à face entre un « nous » et un « vous » qui partagent un même « savoir » au sujet d’une même « vérité ». Ce qui les sépare et semble les dresser les uns contre les autres, c’est leur gestion respective de cette « vérité », les premiers ayant choisi de la dire et les seconds de la taire.
Le but du « nous », qui englobe le poète-chanteur, est de faire admettre cette « vérité » à ceux qui, « aveuglés », s’obstinent à la rejeter, de leur faire retrouver « la mémoire » et reconnaître leurs « origines ». Ce dénouement présenté comme inéluctable (« Votre nom vous hèle / Un jour vous serez tenus de le déterrer ») témoigne de l’assurance du poète-chanteur quant à un repositionnement du pouvoir en place vis-à-vis de la politique d’uniformisation linguistique et culturelle menée depuis l’indépendance.
Cette quête perpétuelle de la vérité sur les origines qui s’exprime essentiellement par le moyen de la poésie et de la chanson va « propulser (cette dernière) au rang de véhicule majeur de l’identité ethnique et culturelle du groupe Amazigh »[30]. Chanter équivaut alors à imposer la langue et la culture berbères au sein d’une réalité de laquelle elles sont officiellement exclues. Il semblerait donc que « la culture, pas plus que le langage ne reproduit la réalité. Elle la crée »[31]. Ainsi, faire vivre la culture Amazigh c’est contribuer à la survie du groupe qu’elle caractérise, car comme l’affirme Pierre Bourdieu « le fait que les gens croient qu’un groupe existe, luttent pour qu’il existe, contribue à le faire exister »[32]. Il semblerait que dans la lutte pour faire vivre la culture berbère, les chanteurs kabyles soient en première ligne et jouent un rôle déterminant dans la réécriture d’une histoire différente de celle proposée par l’historiographie officielle, une histoire qui remet sans cesse en question le monolithisme étatique en donnant à voir Algérie plurielle.
Cette exigence de diversité essentiellement ancrée dans une thématique d’affirmation identitaire, va s’exprimer également à travers une diversité linguistique de plus en plus présente dans la chanson kabyle.
Considérés par leur communauté comme les garants de la préservation et de la pérennité d’une langue menacée d’extinction par la scolarisation massive (l’arabe littéraire étant la langue d’enseignement), l’urbanisation galopante (la ville étant, comme le souligne L-J. Calvet, « un facteur d’unification linguistique »[33] au profit des langues dominantes, dans ce cas précis, la langue arabe), et l’impact des médias publics essentiellement arabophones, les chanteurs kabyles ont longtemps refusé tout compromis avec les autres langues présentes sur le terrain, faisant de l’usage exclusif de tamazight un acte de résistance. Le chanteur Slimane Azem, l’un des principaux piliers de la chanson kabyle, affirmait dans une chanson justement intitulée « Tamazight »[34] :
Isem-is lluγa n tmaziγt |
notre langue c’est Tamazight |
A tt-nesγar d lwağeb nneγ |
Il est de notre devoir de la transmettre |
En effet, « lorsque la langue est la caractéristique saillante ou valeur centrale par excellence, c’est elle qui peut définir l’identité culturelle des membres d’un groupe. »[35] Cela semble être le cas de tamazight, expression la plus tangible de l’identité berbère.
Pourtant, Slimane Azem a été l’un des premiers à faire voisiner arabe et kabyle dans certaines de ses chansons telles « Nek d’el mir »[36] (C’est moi, le maire). En outre, il a même produit, afin semble-t-il de faire parvenir ses messages à un public plus large, plus diversifié, des versions entièrement arabisées de certaines chansons initialement écrites en tamazight à l’exemple de « Kifach nkunu susţa »[37], version arabe de « amk ara nili susţa » (comment pourrions-nous vivre en paix ?).
En outre, en 1983, lorsqu’il prend la parole pour interpréter un chant d’amour ultime pour son pays natal, « L’Algérie, mon beau pays »[38], c’est contre toute attente en français qu’il choisit de s’exprimer :
L’Algérie, mon beau pays
Je t’aimerais jusqu’à la mort
Loin de toi, moi je vieillis
Rien n’empêche que je t’adore
Avec tes sites ensoleillés
Tes montagnes et tes décors
Jamais je ne t’oublierai
Quel que soit mon triste sort.
Pourtant, au lendemain des événements du Printemps berbère (avril 1980), les conjonctures étaient loin de se prêter à ce que d’aucuns ont considéré comme une sorte d’entorse à une règle tacite : la chanson kabyle devait demeurer « le maquis de tamazight », langue alors exclue de l’école et des médias lourds comme la télévision.
Toutefois, l’exemple de celui dont se réclament la plupart des poètes-chanteurs kabyles sera suivi par bon nombre d’entre eux dont l’un des plus fervents défenseurs de la reconnaissance de la langue et de la culture berbères, Lounès Matoub, qui introduira à son tour le français dans certaines de ses chansons, même si c’est, le plus souvent, sous forme de déclamation. Ainsi la langue française sera présente par exemple dans « A mes frères »[39] (titre original en français », ou « Regard sur l’histoire d’un pays damné »[40] (titre original en français) dont sont extraits les vers qui suivent :
Ni " Les droits de l’Homme "
Sous toutes les formes
N’ont pris part à mon malheur[41]
Seul le peuple comme un seul homme
A osé défier la peur
Ce parti ou celui-là
Je ne me gênerais pas
A les torpiller haut et bas
Sans relâche mais sans mépris
Pour que les geôles s’effondrent
Pour que tous les bourreaux sombrent
Dans la triste nuit des ombres
Retirons nos baillons
Redorons nos blasons
Accueillons cette lueur
Présage de bonheur
Tous et toutes pour une Algérie meilleure
Et pour une démocratie majeure.
La position de la plupart des chanteurs kabyles va petit à petit évoluer vers plus d’ouverture sur d’autres langues, notamment l’arabe dialectal et le français. En effet, le point de vue qui consistait à bannir de leurs productions toute autre langue que le kabyle perd progressivement du terrain, dénoncé par certains poètes-chanteurs parmi les plus emblématiques tel Lounis Aït Menguellet. Ce dernier déclare, lors d’un entretien accordé au journal Liberté : « le kabyle par exemple, s’il ne s’enrichit pas d’apports extérieurs, restera bloqué, en panne. Cette logique est implacable. Une langue qui ne va pas vers d’autres langues, c’est un serpent qui se mord la queue»[42].
L’usage de langues autres que le berbère va se faire de plus en plus fréquent dans la chanson kabyle favorisant le contact avec d’autres cultures que celle-ci soient endogènes ou exogènes. On notera ainsi un changement d’attitude à l’égard de l’arabe dialectal dit aussi « arabe algérien » que certains chanteurs kabyles vont même jusqu’à revendiquer au même titre que tamazight. Ainsi, dans « Tizi n wass-a »[43] (L’aube d’aujourd’hui), le chanteur Ferhat Imazighen Imula se prononce pour l’enseignement de ces deux langues à l’école :
Tamurt tarfed iman-is |
Le pays va se développer |
Tarwas akw taghra |
et sortir de l’ignorance |
Tasghar di tutlayin-is |
les enfants étudieront leurs langues |
Ta’rabt nldzayer d tamazight |
l’arabe algérien et Tamazight |
Durant les années 1990, bien que de façon assez marginale, cet arabe algérien va faire son entrée dans le répertoire de certains chanteurs kabyles où il va alterner avec tamazight. On le retrouve par exemple dans plusieurs chansons de Djamel Allam telle « Gatlato »[44] dont le dernier couplet est en arabe dialectal :
Keyna lhefla |
On organise une fête |
Lfuq fel huma |
Dans le quartier |
U netfakru Lhadj el Anka (bis) |
On évoquera Lhadj El Anka |
Kayna lqahwa |
Il y aura du café |
Fiha telwa |
avec un fond de marc |
Kima ken lfen w sniwa (bis) |
et l’art ruissellera sur les plateaux de cuivre |
Les quelques chanteurs kabyles qui usent de l’arabe dialectal semblent poursuivre le même objectif, conquérir petit à petit un public non berbérophone et « s’adresser à tous les Algériens, pas seulement aux Kabyles »[45], notamment lorsqu’il s’agit de dénoncer l’oppression et l’extrémisme religieux ou lorsque les griefs sont directement adressés aux gouvernants comme il apparaît dans les deux exemples qui suivent, extraits respectivement de « Khaliwna netnefsu »[46] (Laisser-nous respirer) de Rachid Koceila ou « Tagrawla »[47] (Révolution), un titre du chanteur Idir auquel s’est associé Amazigh Kateb du groupe Gnawa Diffusion :
Khaliwna netnefsu |
|
Khaliwna netnefsu |
Laissez-nous respirer |
N’ichu kima nhabu |
mener notre vie à notre guise |
M les discours ta’kum on s’en fout |
de vos discours on s’en fout |
Lli bi’u rrih ţiru |
que les vendeurs de vent décampent |
Ĥadi mudda twila |
Depuis trop longtemps |
W ntum tseyru fi hyatna |
vous régissez nos vie |
B ray ccheykhukha |
avec vos idées de vieillards |
Tagrawla |
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Ssamet wella y’abar |
le muet a retrouvé la parole |
Lma’mi wella ’andu bsar |
l’aveugle a retrouvé la vue |
Ben chkun haggar (bis) |
l’oppresseur est démasqué |
Tagrawla hukket barbar |
La révolution gagne la Berbérie |
W ttura dem icharchar |
la lutte c’est le sang qui gicle |
Fi qlub lahrar (bis) |
du cœur des hommes libres (bis) |
Mazelna tagrawliyin |
nous demeurons des révolutionnaires |
Mazelna thuwar |
nous demeurons des résistants |
Radjmin kum |
nous vous lapiderons |
Bahdjar leqbor |
avec les pierres des tombes |
A’la lmahgor (ter) |
pour venger l’opprimé (ter) |
Lli mat w nsaweĥ |
qui est mort et qu’on a oublié |
Vers la fin des années 1990, certains chanteurs kabyles et pas des moindres enregistreront des duos avec des chanteurs arabophones. Ainsi, Idir sortira une nouvelle version de sa chanson « Azwaw »[48] (Le Berbère), en duo avec Cheb Mami qui intègre cette nouvelle version bilingue (kabyle, arabe dialectal) dans son album « Meli meli »[49] (titre n° 10). Si chacun des deux chanteurs interprète deux couplets dans sa langue maternelle (le kabyle pour Idir et l’arabe dialectal pour Mami), dans le refrain qui termine la chanson, chacun chante dans la langue maternelle de l’autre, comme pour sceller les retrouvailles que leur chanson exalte :
Idir (en kabyle) : |
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Asliγ iw jewwaq |
J’ai entendu le son de la flûte |
tergagi tassa |
et mon cœur a vibré |
Ĥa lala |
ah lala |
Amlaly durfiq |
j’ai rencontré mon ami |
Luleγ yides assa ah |
et pour nous c’est aujourd’hui une renaissance |
A yazwaw su mendil awraγ |
Ô Berbère au foulard jaune ! |
Mami (en arabe) : |
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Ĥadi tebsima taht lyum a’lina |
Un sourire fleurit aujourd’hui sur nos lèvres |
Ya rabi dawamĥa lina |
Mon Dieu faites que cela dure toujours |
Ĥadi tebsima taht lyum a’lina |
Un sourire fleurit aujourd’hui sur nos lèvres |
Ĥa ĥuma jaw hbabi w jiranna |
Voici venir nos amis, nos voisins |
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Idir (en arabe) : |
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Lé lé lé lé ha lala (ter) |
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Ĥa ĥuma jaw hbabi w jiranna |
Voici venir nos amis, nos voisins |
Mami (en kabyle) |
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Lé lé lé ha lala (ter) |
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Ay Azwaw su mendil awraγ |
Ô Berbère au foulard jaune |
Toutefois, en dépit de cette avancée notable, l’usage de l’arabe dialectal dans la chanson kabyle demeure assez restreint, se cantonnant en général dans la chanson dite légère. A l’inverse, le français fait durant les années 1990 une entrée en force dans la chanson engagée comme dans la variété, investissant le répertoire de nombreux chanteurs comme Idir, Takfarinas, Djamal Allam… Cela pourrait s’expliquer par le fait que nombre de ces chanteurs, installés en France, s’adressent également au public algérien émigré de la deuxième et troisième génération.
Cela pourrait également s’expliquer par le fait que cette langue suscite moins de crainte que l’arabe, ressenti par certains comme une langue à laquelle est généralement attribuée une grande responsabilité dans le recul de tamazight. En outre, il semble que tout au long des années 1990, le français ait permis de s’inscrire dans une vision plurielle du monde et d’entrer en contact avec une culture moins marquée par les tabous qui caractérisent la langue et la culture maternelles. En effet, comme le souligne G. Grandguillaume, « la langue française au Maghreb est présente, non seulement comme résidu de la domination coloniale, mais comme ouverture à un monde différent, qui est le monde de la modernité et de la technique, mais aussi le monde de l’émancipation et de l’affranchissement moral… »[50].
Ainsi, dans sa chanson « Ay aqcic »[51], si Elissa choisit les deux langues maternelles des Algériens pour exprimer ses sentiments : le kabyle pour dire son amour et l’arabe dialectal (souligné dans le texte) pour crier sa révolte contre les interdits, le contact physique, prohibé par la culture maternelle, est lui, exprimé en français, un peu comme si la langue étrangère rendait l’acte moins répréhensible :
« Ay aqcic » |
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Awin a’zizen a merruh ay aqcic |
Toi aussi cher que ma vie, jeune homme |
Hamleγk maci del γardiw |
Je ne peux m’empêcher de t’aimer |
Felak a değğaγ laĥliw |
Pour toi j’abandonnerai les miens |
Yaĥadru fina nnes |
les gens peuvent parler de nous |
Je m’en fiche ay aqcic |
je m’en fiche jeune homme |
Win ndur nelqa ’asses |
où que j’aille on me surveille |
Ma’endi hadja f nnes |
ce qu’ils peuvent penser m’importe peu |
Ana rani habba n’ich ay aqcic |
moi, j’ai envie de vivre jeune homme |
Quand je suis dans tes bras ay aqcic |
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Mon corps n’est plus qu’une flamme |
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Je t’aime à en perdre l’âme |
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On peut me tuer ma’lich ay aqcic |
on peut me tuer, ça ne fait rien jeune homme |
Si dans tes yeux je me noie |
Il semblerait qu’exprimés en langue française certains mots et expressions, frappés d’interdit dans la langue maternelle, connaissent une sorte d’exorcisme linguistique qui les réhabilite en désamorçant leur charge affective.
La chanson kabyle des années 1990 sera ainsi caractérisée par une diversité linguistique (qui ne se démentira pas durant les années 2000) qui va rompre son confinement régional et contribuer à une sorte de paix des langues, d’abord en aidant à désamorcer la rivalité entre tamazight et arabe dialectal, ensuite en atténuant quelque peu la suspicion dont souffre le français en sa qualité de langue de l’ancienne puissance colonisatrice. Ce faisant, la chanson kabyle va constituer un espace de rencontres, de découvertes et d’échanges, un lieu d’ouverture sur le proche comme sur le lointain, et donc un vecteur du divers.
Conclusion
En s’accrochant à leurs racines, en revendiquant leur langue et leur culture, mais aussi en s’ouvrant linguistiquement et musicalement à l’Autre, l’ailleurs, le différent, les chanteurs kabyles, notamment durant les années 1990, semblent avoir réussit à dépasser l’antagonisme apparent entre identité et altérité, authenticité et modernité, unité et diversité. Cette dernière qui « nous renvoie bien à la reconnaissance et à l’expérience de l’altérité »[52] nous fait prendre conscience que l’identité n’est pas définitivement donnée, qu’elle est un processus dynamique en continuelle évolution et résulte d’une traversée d’identifications diverses.
Ainsi, même si elle se construit d’abord sur des normes et des valeurs communes, « une communauté n’est pas une "reproduction de l’uniformité" mais une "organisation de la diversité" »[53], organisation à laquelle les chanteurs kabyles semblent avoir contribué au sein de leur communauté linguistique. En effet, en revendiquant les particularités linguistiques et culturelles qui font leur identité propre, ils ont donné à voir une Algérie plurilingue et pluriculturelle, une terre de mobilité des hommes et des idées, de contact de langues et de cultures, maintes fois conquise, occupée, colonisée, libérée, traversée par des influences diverses (africaines, méditerranéennes, orientales et occidentales), une terre qui porte les empreintes de ceux qu’elle a enfantés, de ceux qu’elle a accueillis et adoptés mais aussi de ceux qu’elle a dû subir, empreintes dont résulte une diversité culturelle réelle, profonde et irrépressible.
Notes
[1] Sartre, J-P., Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Editions Gallimard, 1985, p. 25. (1ère édition en 1948).
[2] Dans de nombreux pays musulmans, la chanson est généralement associée à des mœurs dissolues et présentée par les fondamentalistes religieux comme une pratique licencieuse. De nombreux hadiths la définissent comme un « qabih lighayrih » (nocif pour autrui) qui détourne du droit chemin et conduit au mal et à la dépravation. C’est pourquoi chanter (notamment pour les femmes) est vécu la plupart du temps comme la transgression d’interdits sociaux et religieux.
[3] Dourari, A., Modalité d’être et dialectique de l’un et du multiple dans les expressions culturelles de la société algérienne. Essai d’une sémiotique sociale, in A. Dourari (dir) Cultures populaires et culture nationale en Algérie, Actes du colloque, La place des formes d’expressions populaires dans la définition d’une culture nationale, (Université Mouloud Mammeri, Tizi-Ouzou, 20 – 22 novembre 1999), Paris, Editions L’Harmattan, 2002, p. 250.
[4] Deniot, J., « Le chanter réaliste, genre et ramifications », communication présentée lors des rencontres Textes à chanter, alliant universitaires et musiciens, à l’Université de Nantes en 1997. (Informations données par l’auteur lors de l’entretien qu’elle nous accordé le 10 janvier 2008). Il n’y a pas de références éditoriales à ce texte, cependant, l’article concerné est consultable sur le site de Joëlle Deniot : http://www.chansons-francaises.info, L’extrait cité y figure en p.1.
[5] Zumthor, P., Introduction à la poésie orale, Paris, Editions du Seuil, 1983, p. 31.
[6] Cf. Borowice, Y., « La trompeuse légèreté des chansons. De l’exploitation d’une source historique en jachère : l’exemple des années trente », in CAIRN, n° 61, avril 2005, pp. 98-117.
[7] Hamers, J. F. et Blanc, M., Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles, Pierre Mardaga éditeur, 1983, p. 209.
[8] Cherbi, M. et Khouas, A., in Chanson kabyle et Identité berbère. L’œuvre d’Aït Menguellet, Editions EDIF, 2000 / Paris, Méditerranée, 2001, p. 50.
[9] Chouaki, A., L’étoile d’Alger, Alger, Editions Marsa, 1998, p. 71.
[10] « A Baba inuba » est un conte kabyle ancien dont le chanteur Idir a fait une chanson (titre n° 1 d’une cassette de douze titres, Editions Oasis. Non datée, cette cassette a été commercialisée en 1974). « A Baba inuba » a marqué un tournant dans l’histoire de la chanson kabyle en propulsant cette dernière hors des régions berbérophones. Traduite en sept langues et reprises dans de nombreux pays dont la France, l’Italie, l’Allemagne, le Japon, la Turquie etc., cette chanson offrira une notoriété internationale à son interprète qui sera ainsi le premier à faire sortir la chanson kabyle de son confinement régional. La dernière reprise en date de cette chanson se présente sous forme d’un duo entre Idir et la chanteuse écossaise Karen Matheson, Titre n° 1 de l’album « Identités », Sony Music Entertainment (France) SA, 1999.
[11] Chaker, S., Imazighen Ass-a, Alger, Editions Bouchène, 1981, p. 24.
[12] Cf. la déclaration du chanteur kabyle Idir à Semiane, S. A., in Octobre. Ils parlent, Op. cit., p. 279.
[13] Titre n° 6 de la face A d’une cassette de dix titres, Editions Oasis.
[14] Titre n° 7 de l’album « Lettre ouverte aux… », Blue Silver, France, 1998.
[15] Titre n° 6 de l’album « Eras tili », Editions EMI, Azwaw, 1999.
[16] Yacine, T., Aït Menguellet chante… Chansons berbères contemporaines, Paris, Editions La Découverte/Awal, 1989, p. 324.
[17] Yacine, T., Aït Menguellet chante… Op.cit.
[18] Le texte intégral de cette chanson figure dans l’ouvrage de T. Yacine, Aït Menguellet chante… Op. cit., p. 246.
[19] Yacine, K., Préface de l’ouvrage de T. Yacine, Aït Menguellet chante… Op. cit., p. 3.
[20] Mokhtari, R., « Les maquisards de la chanson », in Le Matin, n° 2477 du Jeudi 20 avril 2000, p. 5.
[21] Disque 45 tours, BAM LD 101, 1967. (Médiathèque de Radio Alger, Chaîne 2). Ces chants ont été réédités dans les années 1990 sous le label SACEM/ Beur FM, Editions Empreintes Digitales.
[22] Djebbar, A., Ces voix qui m’assiègent, Paris, Editions Albin Michel, 1999, p. 136.
[23] Sortie dans les années 1980, cette chanson, introuvable dans le commerce, est devenue une berceuse fredonnée par les mères kabyles à leurs enfants. Dans les années 1990, elle a été chantée par Nouara dans les rares concerts auxquels la chanteuse a participé (Cf. El Watan du 25 novembre 2005, Rubrique culture, p. 7.)
[24] Ecrite par Muhend U idir Aït Amrane dans les années 1940, deux nouvelles versions de cette chanson sont interprétées respectivement par Aït Menguellet et le groupe Djurddjura. Cette chanson revient avec force dans les années 1990 où elle est de toutes les manifestations en Kabylie. L’extrait cité figure dans S. Chaker : « Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyle. Un parcours poétique », in La Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, n° 51, Edisud, 1989, p. 29.
[25] Chaker, S., « Une tradition de résistance et de lutte : la poésie berbère kabyle. Un parcours poétique », Op. cit., p. 26.
[26] Abdallah-Pretceille, M., Former et éduquer en contexte hétérogène. Pour un humanisme du divers, Paris, Editions Anthropos, 2003, p. 28.
[27] Dourari, A., Avant-propos, in Abderrezak Dourari (dir.), Cultures populaires et culture nationale en Algérie, op. cit., p. 9.
[28] Titre n° 7 de la Compilation « Oriental feeling », volume 1, BMG, France, 1993.
[29] Titre n° 4 de l’album « A mmi » (mon fils), Editions Triomphe Musique. Le texte intégral de cette chanson figure dans T. Yacine, Aït Menguellet chante…, op. cit., pp. 237-238. Chanson datant des années 1980 et reprise dans les années 1990.
[30] Cherbi, M. et Khouas, A., op. cit., p. 17.
[31] Abdallah-Pretceille, M. et Porcher, L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 2001, p. 60.
[32] Bourdieu, P. et Mammeri, M., « Du bon usage de l’ethnologie », in Actes. De la Recherche en sciences sociales, n° 150, Regards croisées sur l’anthropologie de Pierre Bourdieu, Editions du Seuil, Décembre 2003, p. 17.
[33] Calvet, L-J., Les voix de la ville, op. cit., p.11.
[34] Titre n° 1 de l’album « Chants populaires algériens », Collection Patrimoine, 1994, (réédition d’un disque 45 tours sorti chez les Editions Pathé Marconi). Le texte intégral de cette chanson figure dans l’ouvrage de M. Belaïd, Slimane Azem. Le maître de la chanson berbère, Editions Mehdi, 2002, pp. 40-41.
[35] Hamers, J.F. et Blanc, M., op. cit., p. 164.
[36] Titre n° 9 de l’album « Slimane Azem », Collection Patrimoine, 2007, (réédition).
[37] Titre n° 10 de l’album « Le malheur des temps » (titre original en français), Collection Patrimoine, 2007, (réédition). La version originale (en tamazight) figure sur le même album sous le titre « Amek ara nili susta » (titre n° 11).
[38] Titre n° 8 de l’album « Chants populaires algériens », Collection Patrimoine, 1994, (réédition). L’extrait cité figure dans l’ouvrage de M. Belaïd, op. cit., p. 7.
[39] Titre n° 10 de l’album (posthume) « Les deux compères », label Equalys, 1999. Le texte intégral de cette chanson figure dans Y. Seddiki, op.cit., pp.86-87.
[40] Titre n° 1 de l’album « Regard sur l’histoire d’un pays damné », Editions Azwaw, (1994). Le texte intégral de cette chanson figure dans Seddiki,Y., op.cit., pp.113-119.
[41] Allusion à son enlèvement et à sa séquestration durant quinze jours (du 25 septembre au 10 octobre 1994) par le Groupe Islamique Armé (GIA) qui dans une parodie de procès, a prononcé sa condamnation à mort.
[42] Propos rapportés par Ourad, Meziane, in Liberté du 14 mars 2005, p. 8.
[43] Titre n° 8 de l’album « Chants révolutionnaires de Kabylie », Editions Fnar Music, 1993. Cette chanson, produite et mise en circulation en plein printemps de 1980, connait un nouvel essor dans les années 1990, notamment par le biais d’Internet qui lui permet de toucher un public plus large.
[44] Titre n° 1 de l’album « Cna n tiliwin » (Le chant des sources), Editions WMO, 1995.
[45] Propos recueillis lors de l’entretien que nous a accordé la chanteuse Elissa, le 10 octobre 2001 à Bejaia.
[46] Titre n° 3 d’une cassette de six titres, Editions Sono-Star Production.
[47] Titre n° 6 de l’album « Identités », Sony Music Entertainment, France, 1999.
[48] Titre n° 1 de la face B d’une cassette de douze titres, Editions Oasis (1974) et titre n° 8 de l’album « Best of Idir », Editions Aqbu Music (1991).
[49] Editions Totem Record, label Virgin, 1998.
[50] Grandguillaume, G., Arabisation et politique linguistique au Maghreb, op.cit., p.25.
[51] Titre n° 3 d’une cassette de six titres, Editions Must Music (1997).
[52] Abdallah-Pretceille, M., Former et éduquer en contexte hétérogène, op. cit., p.72.
[53] Hymes, D., Vers la compétence de communication, Paris, Hatier/CREDIF, 1984, p. 42.