N°23-24 | 2004 | Oran : Une ville d'Algérie | p. 91-110 | Texte intégral
Oran confronted with urban Algiers planning influences : the image of the capital and its effects on local authoritiesAbstract : As in every country, the Capital remains the symbol in the field of life- style improvement for other towns of urban frame and their populations. Key words : centralization - local actors - image of the Capital - urban conflicts - planning actions - decennial phase – Oran. |
Abed BENDJELID : Université Es-Sénia, 31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie
Pour l’observateur qui suit depuis des années la croissance d’Alger, le fait le plus frappant se rapporte à la configuration éclatée de son bâti, qui bourgeonne fortement dans l’énorme périphérie en formation : nouveaux noyaux d’habitat éclaté, greffes villageoises, foisonnement de constructions autour et dans des sites agricoles ruraux, autant de similitudes, toutes proportions gardées, avec l’espace métropolitain d’Oran.
Au-delà de l’ampleur de ce phénomène et sa modulation temporelle, il s’agit, dans cette contribution, d’en comprendre les mécanismes et surtout les causes, dans la mesure où Alger, lieu du pouvoir central où tout se décide dans le champ de l’urbanisme, est aussi un espace de l’application de toutes les décisions prises. De fait, les différents acteurs institutionnels et privés élaborent des stratégies différenciées pour et dans leur ville.
Deux questions qui visent à comprendre : en premier lieu, comment sont perçues et appliquées les orientations du Centre par les acteurs locaux, principalement publics, et secondairement privés, très attentifs au discours du Centre ; et en second lieu, comment l’image d’Alger- capitale déteint-elle sur les responsables voire les pouvoirs locaux d’Oran, dans les bonnes comme dans les mauvaises actions d’aménagement urbain ?
Alger et Oran : deux configurations comparables, mais dont la dynamique spatiale est bien modulée dans le temps
• La similitude dans la récente fragmentation géographique du bâti d’Alger et d’Oran
Dans la banlieue algéroise, partout des noyaux d’habitat en cours d’achèvement se caractérisent par des localisations ponctuelles qui soulignent une discontinuité spatiale, dans la mesure où les écarts habités ont été réalisés, bien souvent, au sein de parcellaires agraires. Cette alternance de paysages ruraux et de paysages urbains se rencontrent, par exemple, dans la plaine de la Mitidja (Birtouta, Djasr-Kasentina, Sidi-Moussa…), dans la zone littorale (Bordj-el-Kiffane, Marsa…) et sur les collines du Sahel (Dely-Ibrahim, Draria, El-Achour, Baba-Hassen…). Ce phénomène spectaculaire de la croissance des noyaux bâtis au sein des parcellaires agricoles algérois est souligné par de nombreux auteurs.
En ce début de siècle et à une échelle plus réduite, la proche banlieue d’Oran connaît le même phénomène, dans un rayon d’une douzaine de kilomètres autour de la ville. Le desserrement a donné lieu à la naissance de nombreuses excroissances urbaines, principalement implantées dans les communes d’Oran : Es-Sénia, Bir-el-Djir, Sidi Chahmi, Hassi Bounif et Misserghin. Dans l’ensemble, à la différence des excroissances oranaises, plus compactes car bien délimitées, l’espace périphérique algérois apparaît marqué par un mitage extrême.
• Une multiplication, modulée dans le temps de constructions agglutinées dans les deux périphéries
De 1966 à 1977, l’industrialisation de la Mitidja a vu la naissance de multiples agglomérations secondaires, en particulier dans la commune de Sidi-Moussa (Haouaoura, Ouled-Allal, Zouaoui), contrairement au Sahel algérois, plus agricole, où une seule localité a pu prendre forme (Kaddous, dans la commune de Douéra). Dans la périphérie oranaise, seule l’émergence de Khémisti (premier grand lotissement planifié localisé dans la commune de Bir-el-Djir, comme agglomération secondaire), de Sidi-Marouf et d’Emir-Abdelkader (ex-Saint-Rémy), situés dans la commune de Sidi-Chahmi, est à relever durant la même période.
Selon les données du recensement, pendant la décennie 1977-1987, la naissance d’agglomérations secondaires est particulièrement nette dans la banlieue algéroise. Cela est du, à la fois, à la réalisation de villages socialistes agricoles (Barbessa, à Chaïba…), à l’extension significative de fermes d’origine coloniale dans les domaines autogérés (Bouhadja, à Birtouta…), de douars (Ouled Maamar, à Attatba…), de lotissements ruraux (communal Sud, à Fouka…), de cités résidentielles (Cité de la Sonacome, Cité de l’Equipement…, à Aïn Taya…). En effet, cette décennie a vu une prolifération d’agglomérations secondaires implantées dans la plupart des communes de la moyenne banlieue d’Alger : cinq nouveaux noyaux dans la commune d’Ouled Slama, quatre dans les communes de Meftah, Aïn-Taya, Chaïba et Douéra, trois dans les communes de Birtouta, Rouiba, Reghaïa et Saoula, deux dans la commune de Khraïcia)…
Le même phénomène, temporellement modulé il est vrai, est observé dans la périphérie immédiate d’Oran, où onze nouveaux sites urbanisés ont pris forme dans les communes : quatre dans la commune de Bir-el-Djir, trois dans celle d’Es-Sénia, deux dans celle de Misserghin, un dans celles de Hassi Bounif et d’Oran. Les plans de structure de ces noyaux permettent de déterminer les agglutinations habitées d’origine planifiée, non planifiée ou mixte. La nouveauté réside, ici, dans l’ampleur prise par l’habitat non planifié mesuré dans la seconde ville algérienne : en effet, « pour les seuls noyaux d’essence illicite, on peut estimer leur part à 15 % de la population oranaise, soit plus de 100 000 habitant en 1997 » ! (Bendjelid A., 1998)
Cette tendance du foisonnement du bâti s’est certes poursuivie durant la décennie 1987-1998, mais avec moins de vigueur, du moins dans l’espace oranais, à l’intérieur duquel ont pris naissance quelques agglomérations secondaires telles que Kenz-el-Manar, Cité Es-Sabah (ex-Mouahidine), le lieu-dit « zone industrielle d’El-Kerma », Coralès…, qui sont toutes, à la différence de celles nées durant la décennie précédente, des noyaux planifiés [1] , c’est-à-dire réglementés.
Parmi les faits les plus saillants du territoire urbanisé ou en voie d’urbanisation, deux méritent d’être relevés. Le premier concerne la fusion d’agglomérations en raison de la jonction de bâtis : ainsi, une conurbation s’est formée en s’étirant sur une quinzaine de kilomètres agglutinant les tissus bâtis des communes d’Oran et de Bir-el-Djir (Oran, Emir-Abdelkader, Cité de l’USTO, Khémisti, douar Sidi-Bachir (ex-Bendaoud), Bir-el-Djir, El-Menzah (ex-Canastel) ; en 1998, cette conurbation rassemble plus de 705 000 habitants ! Sur le territoire oranais, le second fait remarqué se rapporte à l’apparition récente de constructions hétérogènes greffées sur d’anciennes fermes coloniales situées dans la périphérie immédiate d’Oran (El-Firma, domaines agricoles des Huit-Martyrs, Megdad, Khemisti…). Au sein de la périphérie d’Oran, ce foisonnement de morphologie bâtie semi-urbaine apparaît comme le résultat de conflits entre les aménageurs et les aménagés car, comme dans les territoires périurbains des grandes villes algériennes, les « nouvelles stratégies donnent la priorité à l’immobilier… ; la progression lente et inexorable de l’urbanisation… a soulevé l’hostilité des agriculteurs peu informés, de la future extension métropolitaine » (Bendjelid A., Midoun F., 2004).
Globalement, il y a lieu d’en signaler l’ampleur, bien tardive, de l’émergence des excroissances oranaises par rapport à celle de l’aire métropolitaine algéroise : au moins une quinzaine d’années sépare ces deux phénomènes. La mobilité professionnelle des travailleurs de la terre a été plus précoce en Mitidja et déjà, en 1977, « l’habitat rural ne joue plus au sein des Domaines, son rôle essentiel : loger les travailleurs… Dans les douars, l’habitat est aussi spectaculaire…, les terres privées sont loties… ; souvent, ce sont les non ruraux qui viennent s’installer : citadins ou salariés des nouvelles usines… Ainsi, certains douars perdent petit à petit leur fonction agricole pour devenir des zones de résidence » (Mutin G.- Rebbouh H., 1978).
• Alger et Oran : des métropoles marquées par des ruptures morphologiques comparables
Au-delà de la coupure de la morphologie du bâti visible entre la ville pré-coloniale [2] et la ville coloniale, l’observateur est frappé par la rupture manifeste entre « la ville héritée » et les banlieues nées après l’indépendance. Même à l’intérieur de celles-ci, l’hétérogénéité des paysages urbains et des pratiques humaines apparaît, de fait, tranchée : bâti architectural, matériaux de construction, plan de structure, regroupements sociaux spécifiques, niveau d’équipement, accessibilité, comportements anthropologiques des habitants, importance du parcellaire agricole…
A partir de ce constat spatial, modulé dans le temps, on ne peut que s’interroger sur les mécanismes de cette situation comparable au sein des deux grandes métropoles algériennes qui ont bénéficié chacune, en un tiers de siècle, de deux plans d’urbanisme approuvés. En tenant compte des politiques de développement mises en œuvre, il s’agit de tenter de comprendre, en nous appuyant sur les stratégies déployées par les acteurs centraux et locaux et sur l’analyse des configurations spatiales produites, comment l’image d’Alger-capitale a pu déteindre, positivement ou négativement, sur la ville d’Oran.
Les rapports entre Alger et Oran durant les phases décennales des régimes politiques successifs : croissance économique, dynamique spatiale et stratégies d’acteurs
• Les nouveaux rapports entre la capitale d’Etat et les métropoles régionales algériennes : à Oran, un déclassement administratif et une crise de logement différée
Capitale, Alger a gardé logiquement les principales fonctions de commandement ; la nature du régime socialisant, imposé en 1962, a entraîné la mise en place d’une centralisation poussée, au nom de l’unicité de la nation, qui n’autorise aucune velléité d’existence d’un pouvoir régional ou local.
En ce sens, les structures administratives et financières héritées dont étaient pourvues les métropoles régionales d’Oran et de Constantine ont été gommées. De fait, celles-ci ont été déclassées car ont été établis « de nouveaux types de relations entre la capitale et l’ensemble des agglomérations urbaines, métropoles ou villes moyennes. Les traditionnels rapports privilégiés entre Alger et les métropoles tendent en fait à s’estomper ; toute ville moyenne (entendre chef-lieu de wilaya) entretient ou pourrait entretenir à moyen terme des liens directs avec la capitale, sans passer nécessairement par le niveau supérieur, constitué par la métropole » (Bendjelid A., 1979). Ce déclassement des métropoles d’Oran et de Constantine a mis celles-ci au même niveau que n’importe quel autre chef-lieu de wilaya (Saïda, Médéa, Batna ou Béchar). Ce nivellement urbain a fortement pénalisé Oran, d’autant plus qu’un discours politique appuyé lui a donné la réputation surestimée d’une grande ville bien dotée en logements abandonnés par les Européens, en équipements collectifs et en infrastructures de base…, oubliant l’effondrement, après 1962, de ses activités commerciales et culturelles, l’ampleur des migrations reçues, le déclin de son trafic portuaire, l’extension des bidonvilles des Planteurs et de Ras-el-Aïn… Ce discours gouvernemental, qui peut être lu comme une façon feutrée de décider d’orienter les investissements vers d’autres territoires, marque le début du « désinvestissement urbain » (manque d’entretien du bâti, déficience de la maintenance du mobilier urbain et des équipements, insuffisance de nouvelles réalisations…) au sein de la ville.
En revanche, les fonctions de commandement installées à Alger justifiaient sa forte attraction puisque la ville aurait « reçu, entre 1962 et 1966, quelque 700 000 habitants » (COMEDOR, 1974) ; tout ceci explique logiquement la précocité, à Alger, de la crise de logement dès les premières années de l’indépendance. Paradoxalement, cette crise est aussi révélatrice d’une reprise locale de l’activité économique et sociale.
A Oran, la crise de logement n’a commencé à être apparente que durant les années 1972-1973. Ce décalage temporel de la crise de logement peut être aussi mesuré en prenant en ligne de compte l’extension des bidonvilles qui avaient repris de l’importance dans la banlieue algéroise. Dans sa thèse (1986, p. 218), Sgroi-Dufresne y dénombre 60 bidonvilles. A partir de la date d’installation de 1 012 familles au sein de 14 noyaux d’habitat précaire, l’auteur montre que ce phénomène ancien (avant 1962 : 16,9 % des familles installées) s’est poursuivi entre 1963 et 1966 (8,6 %), a redémarré entre 1967 et 1970 (14,2 %), a pris de l’ampleur entre 1971 et 1974 (23,6 %) et s’est accéléré entre 1975 et 1982 (36,7 %). Comparativement, la véritable prolifération des quartiers d’habitat spontané aux portes d’Oran (douar Bendaoud, douar Boudjemaa…) peut être située pendant les années 1975-1977, au moment de l’élaboration du plan directeur d’urbanisme, soit une dizaine d’années après l’expansion des bidonvilles à Alger.
• Les différentes « phases décennales » : régimes politiques, acteurs et dynamiques spatiales
- Centralisation de la décision et déconcentration locale
La centralisation a permis de mettre en place, en premier lieu, les institutions politiques et économiques nationales et, en second lieu, les structures locales de gestion en vue de mieux desservir et contrôler les différents niveaux des territoires administratifs. Si l’organisation économique de l’espace, pensée par le pouvoir central, a été surimposée sur le pavage de l’espace d’intervention administratif que sont les wilayas, les sociétés nationales créées lors de la décennie 1960 n’ont fait qu’inscrire leurs flux économiques à l’intérieur du découpage administratif hérité et ce, jusqu’en 1975.
Le contrôle territorial au sein des wilayas et des communes est fait par un personnel nommé et par un personnel élu ; c’est dire, là, la mise en place progressive d’« une centralisation décisionnelle algéroise [relayée] par une décentralisation des activités d’exécution [située] hors de la capitale » (Prenant A., 1979). En effet, lors des premières élections locales de 1967 et 1969, l’Etat-Parti a puisé son personnel élu parmi les membres du parti unique et de ses organisations de masse ; le système politique dirigiste n’a utilisé localement qu’un personnel élu non préparé à la gestion administrative et au développement local, mais exécutant à la lettre ses directives. Forgée par un pouvoir central agissant par le jeu de la cooptation et de la promotion et qui n’acceptait ni débat démocratique, ni contestation éventuelle, la classe politique locale s’est progressivement moulée dans une mentalité d’application aveugle des décisions centrales, sans chercher à s’adapter aux réalités urbaines locales et aux difficultés quotidiennes vécues par les habitants. La rémanence de cette mentalité cause, encore aujourd’hui, bien des dégâts dans la gestion des affaires liées au développement local.
Gestion déficiente de la quasi-totalité des municipalités, manque de moyens matériels, sous qualification humaine, fiscalité inadaptée… ont finalement entraîné une gestion assistée, routinière et sans imagination, des communes et par conséquent des villes, et Oran n’a malheureusement pas échappé à ce schéma.
Ce que nous appellerons délibérément « phases décennales » correspond à une durée approximative d’un régime présidentiel en Algérie, et dont les décisions prises à Alger ont fini par imprimer des configurations urbaines déterminées et spatiales singulières.
- Oran (1962-1969) : de l’atonie économique à une réorganisation divergente de l’espace régional par les structures commerciales étatiques et par la reconstitution feutrée des circuits du commerce de gros privés
La première décennie de l’indépendance a été caractérisée, à Oran, par une atonie économique et ce, en dépit de la mise en place d’antennes commerciales étatiques qui ont réutilisé les structures métropolitaines héritées en vue de desservir la ville, la wilaya et l’espace régional qui, officiellement, n’existe pas, mais qui fonctionne concrètement pour toute la partie occidentale de l’Algérie et même pour le Sud-Ouest saharien (wilayas de Béchar, Adrar, Tindouf) ; toutefois, il faut souligner que la mise en place des sociétés nationales a tout de même contribué à la reprise de l’activité portuaire.
Si, durant cette période d’installation progressive du monopole commercial étatique, la reconstitution des structures commerciales de gros s’est opérée difficilement, mais lentement, il en va autrement pour la recomposition de l’économie familiale « traditionnelle » privée qui s’est très discrètement affermie, à l’ombre du puissant secteur étatique et face à l’Etat centralisé. Effectivement, toute une économie invisible d’échanges, fondée sur des structures familiales et d’anciens réseaux d’intérêt, s’est développée avec retenue entre Oran et sa région vécue et pratiquée (circuits du commerce de gros dans les branches des textiles, de la viande, des fruits et légumes…, flux financiers, mobilité humaine, réseaux d’achat…). Bien plus, à côté des investissements d’origine régionale placés dans le commerce ou l’industrie (Benchehida D., 1980), d’autres entrepreneurs originaires du reste du pays sont venus faire fructifier leurs capitaux à Oran en raison d’une sorte d’ouverture sociétale « plus moderne » que celle existant dans la plupart des villes algériennes. Cette ouverture peut s’expliquer par une altération des liens « tribaux », par l’histoire locale, par les multiples liens entretenus pendant des siècles avec les pays européens, par une culture urbaine diversifiée et par la diversité d’apports migratoires continus.
Comme partout, face à un secteur étatique puissant se sont reconstitués, sans bruit, des réseaux commerciaux d’essence très souvent familiale. Dans bien des cas, les familles élargies ont déployé des stratégies efficaces en plaçant un de leurs membres à l’intérieur même de chacun des rouages étatiques (administration, Parti, armée, douanes, finances, enseignement…). A Oran, cette stratégie de contournement a été pratiquée par des groupes sociaux géographiquement déterminés (tlemcéniens, kabyles, algérois, mozabites, gens de la steppe, soufis, chéragas…) spécialisés dans des filières commerciales précises (textiles, viande rouge, alimentation, chaussures…). Ils ont certes investi tous les locaux commerciaux de gros abandonnés par leurs propriétaires, juifs principalement et européens secondairement, situés dans les quartiers péricentraux du Derb (ex-quartier des juifs), de Karguentah, de Saint-Antoine… ; mais ces réseaux ont aussi contribué à réanimer quelque peu l’économie oranaise et surtout refondé l’aire d’influence économique d’Oran. Sur ce plan, nous pouvons dire que ces acteurs privés se sont adaptés, sans bruit et sans s’opposer frontalement à l’Etat, à une conjoncture privilégiant l’étatisation de l’économie.
- La phase décennale planifiée (1970-1979) et ses acteurs : des réalisations induisant des effets pervers au sein de l’occupation de l’espace urbain.
L’application des plans de développement a déterminé différents types de programme gérés directement par le Centre (programmes sectoriels centralisés), le wali (programmes sectoriels déconcentrés) et le président de l’assemblée populaire communale (programmes communaux de développement). Comme toutes les grandes villes algériennes, Oran a bénéficié d’une série de programmes qui ont permis la réalisation d’équipements tertiaires supérieurs, de zones industrielles, zones résidentielles, zones touristiques…
Dans le domaine urbain, a été pensée, ces années-là, la seule politique algérienne de l’habitat qui présente une certaine cohérence. En effet, entre 1972 et 1974, des textes portant sur l’aspect foncier, l’urbanisme réglementaire, les structures de gestion immobilière, l’urbanisme opérationnel… ont apporté aux gestionnaires les outils manquants en vue de modeler l’espace urbain. Comme les autres cités, Oran a bénéficié de la réalisation de ZHUN (zone d’habitat urbain nouvelle) : en effet, entre 1978 et 1986, les « 5 zhun couvrant 805 hectares ont permis le lancement de la réalisation de 20 000 logements collectifs à Oran » (Smaïer A., 1989).
Si Oran a connu un début de crise de logement en 1972-1973, il faut se rappeler que celle-ci a été perceptible à Alger dès les années 1965-1966. Les premiers textes, promulgués dans la foulée du développement planifié, ont clarifié les objectifs et les modalités du lancement des instruments de maîtrise de la croissance urbaine dont l’application laisse à désirer tant à Alger (Mutin G., 1986) qu’à Oran. A ce niveau, la responsabilité des collectivités locales est pleinement engagée, dans la mesure où les implantations (zones d’habitat collectif, zones industrielles, localisation d’équipements…) étaient imposées très facilement sur les terres du domaine de l’Etat ; ces localisations inconsidérées (absence ou insuffisance d’études d’impact, indisponibilité de données et de cartes aidant la prise de décision, urgence de l’action demandée par le Centre…) ont pris le pas sur les implantations réfléchies.
En général, la raison invoquée localement est principalement liée à des situations d’urgence imposées par les ministères et, en définitive, toute la ville algérienne a, depuis, été pratiquement gérée sous le sceau de l’urgence, et cette mentalité a fini par prendre corps dans « la tête » des responsables locaux, voire centraux. C’est dans cet état d’esprit, et sans exagérer aucunement, qu’à Oran, par exemple, les coopératives immobilières, suivies par les lotissements, ont été implantées sur le terrain, et ont continué à l’être bien après cette phase décennale, sans aucune vision d’ensemble de la ville et sans référence sérieuse au plan directeur d’urbanisme approuvé par les élus locaux. Bien plus, devant les incohérences et les requêtes exprimées par les citoyens, face aux abus pratiqués par les multiples pouvoirs locaux (administration, corporatisme, organisations de masse, groupes de pression, réseaux d’intérêt…), les injonctions du Centre concernant une redistribution plus équitable des réserves foncières ont été très habilement détournées.
L’allocation inégalitaire des réserves foncières communales, faite principalement au profit des classes moyennes et aisées, a joué un rôle incontestable en tant qu’enjeu électoral. Géographiquement, elle a justifié l’occupation foncière illégale des terres du domaine public et la croissance de noyaux d’habitat spontané aux portes des villes. C’est le cas d’Oran, où les douars sous-intégrés ont constitué des espaces de desserrement, par le jeu de la mobilité résidentielle intra-urbaine, pour les nombreuses familles non logées ou mal logées qui n’avaient aucune chance d’accéder au lot de terrain ou au logement par « la voie normale».
En une quinzaine d’années, le paysage urbain algérien s’est complètement transformé : forte extension du bâti, morphologie standardisée des périphéries urbaines des villes du Tell, des hautes plaines steppiques et du Sahara. Quelques chercheurs se sont penchés sur la question de l’urbanisation des grandes villes, notamment à Alger où « l’appropriation de la ville officielle [a été faite] par la société officielle… ; l’occupation ségrégative de l’espace [est restée] calquée sur celle de la ville coloniale » (Sgroi-Dufresne M., 1986).
Par ailleurs, si cette politique de l’habitat de la période planifiée a eu des impacts concrets sur la production de nouveaux espaces urbains, elle a, en revanche, complètement occulté les mécanismes de la réhabilitation d’un bâti ancien, de plus en plus dégradé car non entretenu alors qu’il appartient pour l’essentiel à l’Etat ; tout se passe comme si l’Algérie a de gros problèmes avec son patrimoine architectural… En ce sens, une partie de ce patrimoine d’époques précoloniale et coloniale espagnole et française, située à Sidi-Lahouari, à Oran, a été détruite ; l’incapacité de l’entretenir a provoqué d’abord des effondrements d’immeubles, puis celle-ci a donné lieu à des programmes officiels de démolition volontaire car cela posait problème aux pouvoirs central et local. L’absence de réglementation claire dans ce domaine servait de paravent aux responsables locaux dont la responsabilité est encore pleinement engagée dans cette « non-politique de la Ville » dont l’évaluation est bien partielle et, aujourd’hui encore, les autorités locales ne font que reloger les sinistrés dans de nouveaux logements (Messahel A., 2001) financés par l’Etat dans des villes déjà soumises à une forte demande en logements.
En dépit de la mise en place de structures communales et wilayales qui gèrent de notables programmes planifiés, la décentralisation prévue n’a été en définitive qu’une déconcentration en raison du dirigisme central et d’un personnel élu, de plus en plus habitué à exécuter les ordres de la tutelle, et ceci, d’autant plus qu’à la fin d’une mission ou d’un mandat électoral, le seul compte à rendre concernant la gestion des affaires publiques est fait à la tutelle ministérielle et non pas à la société. A l’échelle locale, il faut tout de même souligner les rapports, plus ou moins conflictuels entre le wali, représentant de l’Etat, qui intervient bien souvent dans les affaires municipales, et l’assemblée populaire communale, et à Oran « l’Etat et la commune se livrent une guerre feutrée, sans bruit, pour le contrôle de la ville, le premier jouant sur la légitimité de la nation contre les particularismes locaux, la seconde arguant de sa représentativité et la connaissance des besoins locaux… Le wali se trouve coincé entre la logique centralisatrice et uniformisatrice (!) de l’Etat et les exigences de la population (logements, terrains…). Il ne peut qu’imposer son autorité à la commune, faute de lui opposer son administration propre » (Soufi F., 1998). Dans cet ordre d’idée, il faut noter que les rapports entre les élus et la population, particulièrement celle habitant les quartiers d’habitat spontané, ont été toujours été empreints de méfiance, les uns ignorant les autres. La gestion de la décennie suivante, qui marque le remplacement de la période planifiée par un régime décennal plus libéral, n’a pas grandement changé la donne relationnelle du problème.
- La phase libérale des années 1980.
Oran : les décideurs face à l’équipement de la ville et à sa fonction de relais régional assignée par Alger
Le nouveau régime s’ouvre sur une forme de libéralisme qui tenait à améliorer l’image saturée de la capitale en réalisant une série d’infrastructures de base et d’équipements collectifs en vue de la mettre au niveau des capitales maghrébines (autoroutes, voies-express, échangeurs, rénovation du Hamma, réalisation du Riadh-el-Feth, grands hôtels de standing, équipements sportifs…). Ainsi, « la grande infrastructure routière est fortement impulsée ; la rocade et l’autoroute littorale sont pratiquement bouclées et, d’un jour à l’autre, en 1985, on a pu sortir d’Alger non seulement dans des temps très courts, mais dans un nouveau paysage urbain hautement spectaculaire » (J.-J. Deluz, 1988).
La poursuite de la création des zones d’habitat collectif s’est poursuivie, même si, par ailleurs, le pouvoir central a fait détruire de nombreux bidonvilles et renvoyé des familles résidentes dans leur bled, attestant, de ce fait, l’idée répandue d’une ségrégation spatiale et sociale dans l’aire métropolitaine algéroise. Dans la foulée, un an après Alger, Oran a aussi eu son opération de débidonvillisation. A défaut de s’attaquer à l’énorme quartier d’habitat précaire de Si-Salah (ex-Les Planteurs), le wali a fait détruire, durant l’été 1984 « des dizaines de maisons en parpaing et en matériaux de récupération édifiées ces dernières années autour d’El-Barki » (Tahraoui F., 1984). D’autres petits noyaux de baraques ont été aussi démolis pour recaser toutes ces familles touchées au sein des sept lotissements de Nedjma (ex-Chteibo, ex-L’Etoile) que le wali d’Oran de l’époque avait décidé d’autorité d’implanter, en 1989, aux portes d’Oran. Et, comme à Alger, beaucoup ont perçu cette action de « résorption de l’habitat précaire » comme une exclusion des pauvres et des mal-logés de la ville en direction de l’espace périurbain.
Comme Alger, Oran a tout de même bénéficié de quelques infrastructures de base (finition du troisième boulevard périphérique, accès au port par une nouvelle voie express et un échangeur, rénovation de l’aéroport, inauguration de l’université de technologie…) qui ont raffermi les relations de la métropole de l’Ouest avec sa zone d’influence. En revanche, beaucoup d’autres opérations n’y ont pas encore été réalisées (réhabilitation de La Calère, aménagement de la place du 1er-Novembre, réhabilitation du Palais du Bey, Palais de Congrès, Cité olympique, quatrième boulevard périphérique, unité de traitement des eaux…).
Dans la vie de relation, le début de l’ouverture économique a entraîné le raffermissement des structures du commerce de gros privé, d’une part, et la poursuite de l’utilisation par le pouvoir central des fonctions métropolitaines d’Oran comme un relais, visant à soutenir la politique d’équipement des villes moyennes (Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Mascara, Mostaganem, Tiaret…), d’autre part. En vue de permettre le fonctionnement des nouvelles structures publiques du secteur tertiaire supérieur (centres universitaires, centres hospitalo-universitaires, sièges sociaux d’entreprises publiques, bureaux nationaux d’études, directions techniques des nouvelles wilayas…), des centaines de cadres supérieurs oranais ont été attirés et surtout relogés sur place. A titre d’exemple, « sur les 208 enseignants algériens [affectés au Centre universitaire de Tlemcen], à peu près un tiers a été prélevé directement sur les effectifs des universités oranaises » (Bendjelid A., 1990).
- La phase décennale des années 1990 : des conflits apparents entre les aménageurs et les aménagés dans des espaces urbains en crise
Cette décennie de tous les dangers a débuté par les émeutes d’octobre 1988 et a vu une multitude d’acteurs émerger (partis politiques, unions professionnelles autonomes, syndicats libres, associations, lobbies, confédérations patronales…), qui ont leurs propres stratégies. Comment celles-ci, admises par les nouvelles règles du jeu définies par Alger, ont-elles pu déteindre sur le fonctionnement de l’espace oranais ?
Nouvelle Constitution et multipartisme ont entraîné des élections qui, pour la première fois, ont donné lieu à une opposition entre le pouvoir central et les structures locales élues. Dans une situation confuse caractérisée par des divergences de fond entre le Centre et les élus locaux, la périphérie immédiate d’Oran a connu dès les années 1989 des occupations foncières illicites, plus ou moins contenues par la gendarmerie nationale, lorsque des familles « mal logées » ont squatté des terrains du Domaine public (cas des douars d’Aïn-el-Beida, Cheikh Bouamama, dit El-Hassi, Boudjemaa, Kharouba, El-Ksab…). La démission des structures centrales et déconcentrées, doublée du laisser-faire des assemblées communales, vont marquer durablement la périphérie oranaise. Avec le recul, l’on s’aperçoit que cette action est inquiétante dans la mesure où l’habitant « pauvre » est devenu un acteur qui ne respecte plus la loi ; bien plus, il justifie son comportement par l’inégale distribution des allocations foncières. L’arrêt des élections législatives de 1991, la dissolution des municipalités islamistes et la nomination de nouveaux délégués dans les assemblées communales et wilayales ne changent ni les données du problème spatial, ni celles des nouvelles pratiques sociales enclenchées.
Les enquêtes faites dans la banlieue oranaise, au début de la décennie 1990, font ressortir deux aspects majeurs : le premier se rapporte à la croissance illégale de noyaux éclatés, dont la justification résiderait dans la mauvaise redistribution des ressources (foncier, logement, emploi…), et le second apparaît tout aussi alarmant. Cette population, dans l’ensemble démunie et mal logée, utilise cette façon d’occuper l’espace dans le but de provoquer « les gens de la mairie », éternels mal-aimés, à la différence de ceux des services techniques de la wilaya qui, parfois, ont su négocier avec des associations informelles, l’installation partielle d’un réseau d’électricité ou celle d’un branchement d’eau… L’important pour ces squatters est d’accéder certes à un équipement, mais l’élément capital, à leurs yeux, est symbolique, dans la mesure où toute négociation avec une structure de la wilaya ou de l’Etat est considérée, par eux, comme une forme de reconnaissance, légitimant leur occupation de l’espace. Malheureusement, au cours de cette décennie trouble, les rapports formels et informels établis entre les aménageurs et les aménagés ont été très peu abordés par les chercheurs en sciences sociales travaillant sur Alger et son territoire périurbain, alors qu’une série de travaux ont été entrepris sur Oran, Constantine, Béchar, Tiaret… Ces recherches d’universitaires et de praticiens portent sur les stratégies déployées, à la fin de la décennie 1980 et au début de celle 1990, par les populations habitantes pour accepter, adapter, éviter, refuser passivement ou frontalement, détourner, récupérer, se réapproprier, contester des actions d’aménagement urbain menées par les acteurs publics en tant qu’aménageurs de l’espace (Bendjelid A., Brûlé J.C., Fontaine J., 2004).
De toute façon, si l’instabilité des délégués nommés a pénalisé, pendant cinq ans (1992-1997), la gestion urbaine (réalisation des programmes, absence de contrôle du nouveau bâti, opacité de l’allocation foncière, rétrécissement du cercle des « faiseurs » de la ville…), Oran, de par sa dynamique, a tout de même continué de fonctionner tant bien que mal. L’organisation des élections locales, en 1997, atteste d’un retour progressif de l’Etat. Celui-ci tente de reconquérir ces nouveaux espaces urbanisés éclatés, qui posent tout de même d’épineux problèmes, juridiques et techniques (régularisation, financement de la viabilisation, réalisation des équipements collectifs, application des normes, régulation urbaine…) aux collectivités locales, voire centrales.
Oran et ses autorités locales : la perception de l’image d’Alger à travers les projets et actions d’aménagement et d’urbanisme de la capitale
Après une décennie de convulsions, le retour à la vie publique normale (élections législatives, élections présidentielles…), la création du gouvernorat d’Alger en 1997 et la remise en état du paysage urbain par le biais de crédits spécifiques ont revigoré l’image d’Alger et, surtout, fait tourner le regard des élus et responsables locaux de toutes les villes algériennes, et Oran est au premier rang en tant que seconde ville du pays, vers la capitale. Plus précisément, les autorités oranaises ont voulu naturellement imiter les actions menées dans la capitale, mais sans tenter d’imaginer des actions proprement locales à entreprendre en fonction des besoins réels de leur ville ; actions positives d’aménagement et actions négatives concrétisées à Alger ont servi d’exemples à Oran.
• La tenue de colloques portant sur la gestion des grandes villes
Ainsi, après l’organisation du colloque international portant sur « La gestion des grandes villes d’Algérie », tenu à Alger en avril 1988, la wilaya d’Oran organise, une dizaine d’années après (mars 1997), le sien sous le thème « Gestion des grandes villes ». Ce type de rencontre, dont les maigres résultats sont loin d’être concrétisés, a surtout servi de tremplin à des responsables locaux pour tenter de justifier leurs actions aux yeux du Centre. Dans cette stratégie désormais classique, l’invitation faite à des universitaires habituellement sous-estimés et ignorés [3] permet à ces responsables locaux de faire cautionner leurs actes positifs, voire leurs erreurs.
• Le cas du grand projet urbain d’Alger et l’éphémère essai oranais
De même, le lancement à Alger du « Grand projet urbain », dont l’initiative est revenue à une structure administrative spécifique – le gouvernorat d’Alger – a été maladroitement plagiée à Oran, où le projet a donné lieu à la tenue d’une journée d’études (mars 2000) durant laquelle ont été exposées … les actions ciblées du « Grand projet urbain d’Alger », et présentés quelques axes de travail relatifs au « futur » grand projet urbain d’Oran. Or, ce type de projet nécessite à la fois une sérieuse réflexion adaptée aux problèmes concrets d’une ville qui, aujourd’hui, n’arrive même pas à assurer correctement le fonctionnement le plus élémentaire des services dus à la collectivité (alimentation en eau potable, ramassage des ordures, gestion de la décharge d’El-Kerma, entretien du mobilier urbain, protection des espaces verts et des espaces publics, réfection de la voirie, réhabilitation d’immeubles dégradés, structuration des réseaux de transport collectif, respect des normes architecturales…). Ceci, sans parler à la fois de la réalisation de projets collectifs qui ont été lancés depuis des années et surtout de l’abandon de méthodes de travail éprouvées au sein des administrations (fiches de suivi, statistiques régulières, production de données chiffrées de qualité…) ; il faut ajouter à cela, une incapacité locale à lancer des études qualitatives sociales qui faciliteraient la prise de décision.
• Les empiètements fonciers illégaux à Alger et leurs perceptions à partir d’Oran
Dans le même sens, les allocations foncières non réglementaires (espaces verts, chemins publics, pinèdes…) illégales et/ou illicites, faites à Alger (Dely-Ibrahim, Chéraga, Hydra, Kouba…) au profit des nomenklaturas et rapportées logiquement par la presse écrite, ont un impact négatif sur les responsables locaux oranais car, pour nombre d’entre eux, « si cela est possible dans la capitale, c’est aussi possible à Oran »… Phénomène peu abordé à Oran, les nombreuses occupations d’espaces interstitiels au sein des tissus urbains intra-muros sont squattées par des groupes sociaux proches ou dans le pouvoir. Or, ce genre d’actes abusifs, rarement sanctionné, qui peut bénéficier aussi d’une large impunité dont les conséquences spatiales sont irréversibles en matière d’aménagement urbain, est mal vécu par la population et quelques associations citoyennes.
• La redoutable question irréfléchie de la nature des découpages administratifs au sein des métropoles urbaines
Dans le même cheminement, la création du gouvernorat d’Alger en 1997 et ses attributions techniques et financières ont alimenté de longs débats à Oran, au sein d’une société locale éclatée entre « les notables », « les pseudo- notables », « les ouled el-bled », « le mouvement citoyen »…, en vue de faire admettre au pouvoir central l’acceptation d’un statut administratif comparable à celui de la capitale. En vérité, la double vraie question, éludée, se rapporte à une meilleure gestion des secteurs urbains existants et à la concrétisation d’une sorte de district urbain (ou de communauté urbaine pourvue d’une agence urbaine) qui assurerait une coordination efficace entre la commune d’Oran et celles des communes les plus proches en vue de faciliter le développement naturel de l’aire métropolitaine et ce, en se fondant sur une logique de concertation entre tous les acteurs urbains. Imiter Alger en matière de développement est certes une bonne chose, mais la logique voudrait que cela s’inscrive dans une vision nationale d’ensemble (politique de la ville), dont il faut adapter les orientations en fonction des besoins spécifiques locaux, imaginer les priorités et évaluer les coûts des projets ; toute cette série d’actions devrait tenir compte du devenir de la ville et de la cohérence recherchée de son aire métropolitaine, voire de sa région.
Après quelques années de fonctionnement, la remise en cause au début de l’année 2000 du gouvernorat d’Alger confirme, si besoin est, l’échec de la réorganisation administrative de l’aire métropolitaine et démontre surtout l’incohérence politique d’un gouvernement de la république qui a tenté de placer Alger au-dessus de la loi, et les impacts de cet acte gravissime sont encore occultés aujourd’hui. Ce revers subi par la capitale a tempéré les requêtes locales relatives à un statut comparable à celui d’Alger.
• L’importante question de la création de villes nouvelles
Le cas de la création récente de la ville nouvelle de Sidi-Abdellah, à proximité d’Alger, suscite aujourd’hui une agitation au sein des institutions locales et de « la société civile oranaise fragmentée » en vue de lancer aussi une ville nouvelle (Misserghin ?), et ce, après le refus émis par le pouvoir central d’autoriser la création de la ville nouvelle d’El-Araba, à proximité d’Arzew, dont les études avaient été terminées au début des années 1980 [4] . Ceci pour souligner simplement que la construction d’une ville nouvelle demeure une grande question d’aménagement territorial, pensée et réalisée durant une ou plusieurs générations. Il s’agit de faire oeuvre pédagogique en disant et en redisant à des collectivités locales qui arrivent, laborieusement, à installer dans les délais impartis un réseau d’assainissement au sein de tout nouveau lotissement formé d’une centaine de lots…, qu’une ville nouvelle est loin d’être … une « méga- ZHUN » ! Il est, en effet, bien difficile de créer la vie urbaine en quelques années, et tout aussi difficile d’installer les activités économiques qui donnent les fonctions à toute ville nouvelle ; ceci, sans parler de la question du coût de l’urbanisation et des différentes charges devant être payées par les résidents, car vivre en ville « se paie » et, jusqu’à présent, dans les villes algériennes, c’est l’Etat qui a payé et qui paie encore… Récemment, l’implication du Centre dans le suivi de la réalisation de la ville nouvelle de Sidi-Abdellah (Mahelma) apparaît comme un gage de réussite, dans la mesure où, à côté de la fonction résidentielle, l’affectation d’activités économiques de haut niveau déterminera le rôle fonctionnel de Sidi-Abdellah dans le territoire.
Conclusion
C’est dire brièvement, à travers ces quelques derniers exemples choisis, que toute action et projet d’aménagement réalisés dans la Capitale sont suivis avec attention par les responsables et la population des grandes villes de l’intérieur en raison de la symbolique même des fonctions de commandement d’Alger. Depuis l’indépendance, le centralisme poussé du pouvoir politique a forgé une mentalité négative d’exécution pure et simple de ses décisions par des responsables locaux dont les actions dépourvues de sens critique et d’imagination n’ont pas été dans le sens du développement local attendu tant par le Centre lui-même que par la population.
Aujourd’hui, cette population fragilisée par les diverses crises apparaît consciente des enjeux et des difficultés quotidiennes (logement, emploi, eau…) vécues, comme l’atteste la contestation violente observée ces dernières années dans les rues de nos villes (Sidi-bel-Abbès, Khenchela, El-Abiodh, Sidi-Cheikh, Djanet, Bou-Saada, El-Kerma…). Les actions d’aménagement réalisées, dans une perpétuelle urgence, ne peuvent que donner des résultats discutables dont il faut soit s’en accommoder, soit y opérer des actions de replâtrage. Ainsi, par exemple, la promulgation de la Loi d’aménagement du territoire, en 1987, est venue bien après les dégâts causés par des localisations industrielles inconsidérées ou par la croissance urbaine mal maîtrisée et ce, à un moment où le pays n’avait plus les moyens financiers de sa politique. C’est à ce type de contradiction qu’il est nécessaire de réfléchir et ce, à un moment où la ville est le vrai centre de l’actualité algérienne.
Aujourd’hui, l’acte premier du Centre devrait tracer clairement, en concertation avec tous les acteurs impliqués, la vision d’un développement profitable à toute la société algérienne et surtout… d’appliquer la loi. A l’échelle locale, il s’agit de permettre au wali, représentant du gouvernement, de garder sa mission de contrôle, d’une part, et d’assurer une fonction d’arbitrage entre les divers acteurs locaux qui déploient leurs propres stratégies, d’autre part. Par ailleurs, le représentant du Centre doit aider les élus à mieux gérer le quotidien et à faire respecter la loi dont l’acte premier, en matière d’aménagement, pour tout responsable local est de se conformer strictement aux orientations du plan directeur d’urbanisme et d’aménagement et du plan d’occupation des sols.
Bibliographie
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• Loi 02-08 relative aux conditions de création des villes nouvelles et de leur aménagement, J.O. n° 34, 14 mai 2002, Alger.
NOTES
[1] - La vigoureuse croissance des bâtis planifiés au sein des métropoles, des grandes et moyennes villes pose aujourd’hui un sérieux problème de dénomination des nouveaux sites habités tant aux visiteurs qu’aux services techniques d’intervention. Un texte anachronique verrouille le travail de toponymie des nouvelles cités, lotissements, coopératives… lors de leur dénomination, désormais connue par la quantité (1509 logements, 244 lots…) ; encore aujourd’hui, on ne mesure pas assez les implications néfastes de cet immobilisme communal sur le devenir de l’urbanisme.
[2] - Il faut préciser qu’Oran a connu deux périodes coloniales : l’occupation espagnole (XVI°- XVIII° siècle en partie) et l’occupation française (XIX°- XX° siècle en partie).
[3] - En général ; les rapports entre la recherche universitaire et l’administration locale oranaise sont épisodiques ; de temps à autre, un responsable nommé ou élu porte son intérêt sur les études universitaires, la production écrite et demande l’avis de quelques chercheurs regroupés au sein de conseils consultatifs…
[4] - Relevons aussi le projet avorté de la ville nouvelle de Boughzoul implantée dans les Hautes plaines steppiques algéroises, au croisement de la R.N. 1 et la R.N. 40… En ce sens, récemment La Loi relative aux ‘conditions de création de villes nouvelles et de leur aménagement’ (2002) est venue fixer toute une série de modalités concernant la création et l’aménagement des villes nouvelles (territoires d’accueil, avis des acteurs impliqués, création de l’organisme de suivi de la ville nouvelle…).