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L'espace vert urbain public : entre pratique et conception

Insaniyat N°2 | 1997 | Espaces habités | p. 59-76 | Texte intégral


Public open spaces : between practice and concept

Abstract : A study of public open spaces, attempts to understand the limits of a normalization approach in different phases of its conception. It means taking into account the non-quantifiable needs which are attached to the idea of true-to-life-space. Thus, beyond the size and kind of space foreseen, is the social cultural reference which should be considered during an urban planning phase. According to this view, transgressing the reference model, raises the problems of creativity in the conceptual method. It is situated in a system of ecological values within which mingle the interaction of time use and space. The true-to-life-space is structured by site morphology, practice and history. These elements which are distinguished by their matter reflect identity concepts : character and place memory. The kind of actions during the conceptualizing phase of an open space, can have an impact on its evolution.

Keywords : green, ecology, morphology, identity, history


Ammara BEKKOUCHE: Université des Sciences et de la Technologie d'Oran Mohamed Boudiaf, 31 000, Oran, Algérie
Centre de recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


 La norme urbanistique attribue à la ville la nécessité de s'équiper en espaces verts. Le débat sur les fonctions, tente d'apporter une signification objective aux diverses justifications théoriques et appuie les convictions de l'existence d'un besoin en espace vert. Mais la nature des besoins est difficile à cerner. La grille des normes les groupe sommairement sous la désignation de "besoins élémentaires" pour définir la quantité et le type afin de répondre à des pratiques qu'ils sont supposés satisfaire. Relativement à cette donne, la notion de besoin s'intègre

sous l'angle de la dimension culturelle dans le processus d'élaboration de l'espace vert urbain public. Elle introduit parallèlement aux aspects chiffrables du processus de programmation, des composantes non-chiffrables qui se rapportent au concept d'espace vécu. Le niveau qualitatif est estimé atteint quand l'articulation des diverses variables, reflète l'image d'un accord harmonieux entre la taille, le type et l'usage de l'espace vert.

1. LA QUANTITÉ D'ESPACE VERT URBAIN

La notion de quantité suscite les questions de savoir combien il faut d'espaces verts pour une ville? Et quelle grandeur il faut leur donner pour qu'ils soient fonctionnels?

Schématiquement, il suffit de relever le chiffre de population par groupe d'âge et de lui affecter la catégorie d'espace vert qui correspond aux besoins évalués par la grille des normes. L'ensemble des opérations effectuées, s'accompagne de la décision de localisation qui se définit à partir de l'échelle des différentes composantes urbaines (l'unité de voisinage, le quartier, la ville). Ce travail utile à priori, permet de dégager un ordre de grandeur spatiale et de l'accorder aux besoins chiffrés par les normes. La répartition des espaces verts urbains ainsi conçue, offre dans les limites de cette démarche une composition spatiale théorique où la notion de besoin ne se rapporte pas à un cadre socioculturel spécifique. Cette lacune se perçoit dans l'écart observé entre les pratiques de l'espace et la projection urbanistique. L'importance de l'écart se traduit par une forme de discordance entre la fonction et l'usage de l'espace entraînant sa désuétude ou justifiant sa disparition. Dans cette logique, le critère de rentabilité sert d'argument au mobile économique pour expliquer la création de sous-espaces qui réduisent les dimensions initiales de l'espace vert urbain et dénaturent son atmosphère. Un problème de conception est ici posé.

La mise en cause de la démarche exclusivement normative s'interroge sur les moyens et les éléments à considérer pour la compléter. Elle implique l'examen de critères culturels conformément à un contexte et introduit opportunément à la réflexion le thème de l'urbanisme
colonial tel qu'il s'est appliqué en Algérie. Ce champ d'analyse permet d'estimer l'importance de la dimension culturelle dans les pratiques de l'espace, à travers les modes de réappropriation après l'indépendance.

Le problème de la quantité d'espaces verts en milieu urbain renvoie à considérer les enjeux économiques et écologiques selon une perception globalisante pour minimiser les conflits qui peuvent intervenir. Sa définition implique la considération des activités, les différents flux qui les structurent ainsi que les comportements des individus. Le développement des activités évolue selon un processus de continuité historique et de rupture novatrice. Les activités sont à l'image d'une société et de sa culture. Leur organisation crée des rythmes qui s'inscrivent dans la mémoire collective et raffermissent le lien d'appartenance à un milieu.

Le contexte ainsi délimité, s'entend par rapport aux pratiques sociales qui incluent les habitus et les usages spécifiques de la société en question. Une des remarques de Christian Norberg-Schulz a justement porté sur le fait que ceux qui sont chargés de l'aménagement de l'espace prennent à peine en considération le problème du milieu[1]. Il souligne l'importance à reconnaître que la ville possède des particularités pour établir les signes de distinctions qui lui attribuent son identité et son caractère. Selon cette optique, l'évolution de la pensée urbanistique conduit à développer une vision écologique dans les processus de programmation et d'aménagement urbains. La référence au modèle ne suffit pas à justifier le dimensionnement comme une simple application quantitative. Elle préconise en complément, le recours aux instruments qui permettent à la ville de se constituer une mémoire. Il s'agit de répondre à des aspirations spécifiques attachés à des pratiques et des comportements en repérant les facteurs de continuité du patrimoine. Ils renvoient au système de structuration  de l'espace par des besoins physiques et non-physiques liés à des modes de vie et à des vécus culturels[2]. L'adaptation à
une réalité contextuelle qui prenne en considération les potentialités structurantes d'un lieu définies par l'espace, le temps et les pratiques, constitue les données du problème des espaces verts publics dans le processus d'aménagement urbain. Elles impliquent la définition du type en tant que production culturelle.

2. LE TYPE

Le type dérive d'une nécessité de classification des éléments spatiaux. Dans un souci d'organisation, il se rattache à l'idée de rationalité.

Les urbanistes se réfèrent à la typologie des espaces verts urbains qui regroupe une variété de formes et de dimensions. Elle correspond à un ensemble de données fonctionnelles et se caractérise par une distribution basée sur la séparation des domaines publics et privés. Son usage dans les derniers développements urbains issus de l'urbanisme progressiste, a fait l'objet de critiques et commentaires visant à remettre en question les procédures de programmation et de conception.

Le champ typologie suscite deux interrogations:

1- N'y-a-t-il pas dans le classement typologie, une façon séparatiste d'aborder la composition de l'espace? En d'autres termes, la technique de cloisonnement des fonctions n'est-elle pas à l'origine, source de différenciation spatiale qui se traduit par des juxtapositions d'entités autonomes?

2- Le recours à la typologie, ne favorise-t-il pas un certain mimétisme inhibant la démarche créatrice?

Plusieurs typologies peuvent être élaborées à partir de l'analyse morphologique pour expliquer des "conditions de conception et de production de l'espace"[3]. Leur établissement permet en outre de déceler la nature et la richesse de l'expérience dans le processus de répétition et d'amélioration des composants de l'espace. De façon conséquente, l'effort de réflexion donne à la typologie un sens prévisionnel dans la démarche planificatrice. Il s'agit de substituer à l'intervention chronologique, où l'élément
construit vient en premier position, une conception globale qui consiste à composer les éléments de l'espace et du temps.

L'observation de l'évolution du type, permet d'établir la nature des changements introduits et de voir dans quelle mesure les moments de rupture typologique, posent problème. Parallèlement à l'architecture, la rupture se situe à un moment où la "théorie de l'architecture moderne rejetait toute les formes historiques de l'architecture"[4]. Ce rejet est conforme aux changements survenus au début du siècle et qui ont touché le monde de l'art lato sensu. Les nouvelles réalisations des espaces verts urbains, en rompant avec les formes du passé, rompent en même temps avec les systèmes de valeurs qui présidaient à la reproduction du type. C'est donc dépendemment de l'évolution urbaine dans son ensemble spatiale et architectural qu'il importe de considérer celle des espaces verts. Le constat de rupture typologique intervient avec la tendance générale de discontinuité du tissu urbain et relève du concept de "culture universelle" prônée par le Mouvement Moderne. Ce courant de pensée, qui s'est concrétisé par des créations nouvelles en dehors des contextes culturels locaux, a produit des formes sans valeur significative[5]. La notion de signification ouvre le débat sur les processus de création. Outre la transgression dans les principes d'ordonnancement et de composition spatiale, l'interrogation renvoie à l'évolution de la relation entre forme et signification. La théorie propose un "processus de réinterprétation, plutôt d'une création dans un vide culturel"[6]. La représentation du domaine public acquiert une symbolique liée à la notion de libération de l'espace. L'idée en gestation affecte à chaque fonction son lieu de continuité et de fluidité d'organisation. Elle implique le concept de rationalité et introduit les procédures de classification des éléments constituant l'espace urbain. Cependant, l'intervention novatrice sur les espaces verts ne peut aboutir si leur conception n'est pas inscrite dans une démarche globale d'organisation de l'espace et à différentes échelles : "Il ne peut y avoir de convivialité dans les espaces extérieurs collectifs basée sur le plaisir de la rencontre si au préalable l'organisation des logements est source de conflit de voisinage"[7]. L'exemple à ce sujet, est fourni par l'Unité d'Habitation de Le Corbusier[8].

En d'autres lieux, l'élargissement de la sémantique des espaces verts à des critères d'ordre statutaire donne des types d'espaces dont les modes d'utilisation s'ouvrent à la diversité des formes de pratiques. Certains espaces verts de production peuvent servir en même temps pour la détente et le loisir dans l'objectif de leur faire jouer un rôle économique[9].

Dans cette perspective, la question du sens donné à l'espace vert se pose d'une manière particulière. C'est dans le contexte de transformation des conditions historiques qu'ils convient de situer le sens des mots et des valeurs. Que représentent les espaces verts réalisés en Algérie d'après les modèles français? Faut-il les considérer comme une évolution et donc les assimiler comme un facteur de progrès? Faut-il au contraire, les considérer comme des espaces imposés, des objets étrangers auxquels il faut s'adapter ? Concernant les villes algériennes en partie produites par un urbanisme colonial, la question du type soulève celle de sa signification.

3. DU MIMÉTISME À LA CRÉATIVITÉ : UNE ATTITUDE À ASSUMER

L'étude des significations vues au moyen des signes et des symboles relève des niveaux d'analyses anthropologiques, historiques et sociologiques[10]. Elle s'inscrit dans la démarche des typologies comparatives telle qu'elle apparaît dans les recommandations de diverses études[11].

En admettant que la différence sémiologique est d'ordre culturel, il nous importe aussi de retenir qu'elle se rattache au niveau économique d'une société[12]. Le sens donné à l'espace vert urbain public par un usager désœuvré ne peut être objectivement le même que celui d'un usager pour qui sont résolues les questions minimales d'une vie normale. Le sens des mots "loisir", "détente", "promenade" affectés à la fonction de l'espace vert urbain public, ne peut dans ces cas englober une même signification.

En Algérie, on s'aperçoit à l'heure actuelle que l'espace vert urbain public est un conglomérat de significations relatives aux différentes administrations et populations coloniales puis post-coloniales. Les réalisations après l'indépendance, mènent à se questionner sur l'origine et la formation des concepteurs ainsi que sur leurs référends théoriques.

La question du sens des espaces verts urbains publics renvoie la réflexion au chapitre de la créativité. Elle implique les règles de l'économie et de l'écologie où les besoins non-chiffrables des individus figurent comme signes distinctifs de la démarche créatrice. Il revient à rechercher les facteurs qui permettent de l'opposer à la démarche mimétique dans la production de l'espace.

L'action mimétique est un geste qui se rattache à la propagation et aux échanges des valeurs culturelles et scientifiques. Le contexte international montre que les mêmes préoccupations d'aménagement de l'espace vert public, traversent l'Europe occidentale dans les années 70. Il semble qu'un regain d'intérêt commun insuffle un mouvement de pensée unitaire pour redonner à l'espace public une image conforme à sa politique urbaine. Barcelone s'affirme en précurseur dans la restructuration des quartiers à partir de l'espace public[13]. Louvain-la-Neuve en Belgique, soulève le problème de "l'âme de l'espace public" suite au constat de son encombrement et des exigences de la vie moderne. Les mêmes objectifs se retrouvent chez les urbanistes français qui notent un retard en matière de réglementation en comparaison avec leurs voisins "néerlandais et allemands"[14]. Les jardins de la Villa Borghèse à Rome par exemple, sont pris comme modèle pour une opération de carrefour auto-routier à Athènes le Pirée[15]. La comparaison avec d'autre pays consiste à bénéficier de leur expérience[16].

L'action mimétique se manifeste à différentes échelles et sous différentes formes. Son objet se définit par la répétition de l'existant. Elle se situe ainsi à l'opposé de la démarche utopique et trouve sa justification dans la théorie néorationaliste en réaction au progressisme de l'urbanisme moderne. Une autre forme d'utopie est relevée dans cette attitude qui se rattache non plus à l'imaginaire mais à la nostalgie : "...la répétition quasi rituelle de conduites anciennes traduit l'inadaptation, la fuite devant un présent inassumable"[17].

La question est de savoir dans quelle condition l'action mimétique a des effets négatifs dans la production de l'espace? C'est-à-dire que le processus de répétition devient un facteur  de monotonie et se généralise en dévalorisant les spécificités du modèle.

L'action mimétique reproduit le stéréotype et la banalité dans l'absence de condition de création[18]. La maîtrise et la compréhension de l'objet de référence reste une condition nécessaire pour qu'il y ait un processus de reproduction créateur. La méthode de création dépend de la méthode critique. Pour que l'action mimétique ait un apport positif, il faut supposer l'existence de conditions en mesure d'assumer la méthode critique. La démarche créatrice est inhérente à un "système de valeur préalable"[19]. Sans doute, en nous situant dans un système de valeurs écologiques, une réflexion reste à mener à l'égard de la manipulation typologique. Selon l'hypothèse de composition d'éléments interactifs tels que l'espace, le temps et leur usage, elle consisterait à associer à la valeur marchande de l'espace, un ensemble de valeurs symboliques et culturelles repérables à travers les pratiques de l'espace.

4. L'APPORT DE L'ÉCOLOGIE AUX PROBLÈMES URBAINS

L'expression "écologie urbaine" sous-entend un ensemble d'actions qui intègrent, selon l'approche systémique, des éléments de doctrine et une conception environnementale de l'espace. Actuellement, l'intérêt largement soutenu pour les problèmes de l'environnement, introduit l'écologie à tous les niveaux institutionnels de l'urbanisme et de la gestion urbaine.

L'écologie urbaine, apparaît de nos jours dans les coulisses des milieux spécialisés de l'urbanisme et suscite les interrogations de la recherche. Quels sont les rudiments nouveaux introduits en urbanisme par ce corps de pensée ?

L'écologie en tant que science est perçue comme un facteur de rédemption évoquant une attitude similaire à celle qui a préfiguré la naissance de l'urbanisme à l'époque industrielle. Il s'agit d'approfondir la connaissance de l'écologie pour agir sur l'urbain. Le critère écologique est une donnée chiffrable au même titre que la démographie et l'économie. Elle sert de point d'appui à l'organisation de l'espace sans influer sur le parti pris de la conception : celle-ci relève de la sensibilité du concepteur.

Les domaines d'étude de l'écologie comprennent la "gestion du milieu urbain" … "les effets de la fiscalité sur l'environnement…" ainsi que le constat des phénomènes et la connaissance des mécanismes d'interaction, les voies de corrections des pollutions et dégradations. C'est à partir d'études environnementales qu'on abouti à "l'identification de l'écologie"[20]. En d'autres termes, l'enjeu écologique introduit la notion d'impact et une nouvelle compréhension du concept "d'aménagement rationnel"[21]. Ses objectifs et modalités montrent que l'aménagement rationnel n'est pas à considérer comme un but en soi : c'est la mesure des conséquences économiques et sociales de l'aménagement en tant que processus systémique, qui définit le sens de la rationalité.

La réinterprétation des éléments en interaction substituent à la démarche applicatrice de formules, celle qui accorde à l'espace une dimension culturelle[22]. Elle ouvre le champ théorique du sens des pratiques de l'espace comme étant un potentiel de significations à introduire dans le processus de composition spatiale et urbaine.

5. L'ESPACE VERT URBAIN PUBLIC : CONTEXTE ET RÉALISATION

Le cadre théorique qui considère l'existence de formes de relation affective et communautaire entre les individus et l'espace, soulève les problèmes relatifs aux concepts de lieu. Il s'agit d'espace vécu structuré par la morphologie, les pratiques et le temps. Ces éléments qui se distinguent par leur substance, renvoient aux concepts d'identité, de caractère et de mémoire du lieu. Trois composantes à définir pour mesurer et comprendre le niveau de leur importance dans le processus d'aménagement de l'espace.

Pour le cas des villes du littoral algérien, les types d'espaces verts publics qui s'y déploient, correspondent à deux périodes de leur histoire :

a/ La période coloniale française (1830-1962) qui se situe à un moment où le contexte européen connaissait les mutations de l'avènement industriel.

Durant cette période, le régime en place adapte l'espace urbain algérien à ses besoins en usant de son savoir-faire. Deux types d'espaces verts appartenant à cette tranche historique ponctuent l'espace urbain. L'un issu de l'urbanisme d'alignement, correspond au type d'espace intégré à un tissu homogène (square, place et rue plantées) ; l'autre issu des théories de l'urbanisme moderne, correspond au type plus étendu, en accompagnement à l'espace bâti (cité des grands ensembles).

Cette double représentation typologique des espaces verts, doit sa mise en forme à celle de l'environnement construit. Pour en comprendre l'exécution, il convient de retracer les circonstances historiques qui ont contribué à leur réalisation. Dans l'hypothèse où un même schéma de politique urbaine s'exerçait dans les villes du littoral algérien, la reconstitution des données se formule selon un découpage synchrone spatio-temporel que l'on peut classer en trois périodes :

1832-1844 : application d'un urbanisme militaire qui s'accompagne de la réalisation d'espaces verts type jardin public, square et place.

1844-1914 : c'est la période des tracés des grands boulevards plantés associés à des squares et places publiques, basés sur le principe de substitution aux remparts détruits.

1919-1962 : naissance et application de l'urbanisme bureaucratique à l'instar des lois promulguées en France en 1919 et 1924. Cette troisième période donne une lecture intermédiaire entre l'urbanisme ancien des règles d'alignement et l'urbanisme de zoning. Elle correspond à la construction d'immeubles isolés. Les types ainsi représentés sont un amalgame issu de la culture et des pratiques urbaines françaises sous l'influence de doctrines anglaises et adapté au contexte géo-morphologique du site algérien.

b/ La période post-coloniale est marquée par les nouvelles zones d'habitat urbain. La conception des espaces verts introduit les critères théoriques de l'urbanisme moderne dont l'application se fait en l'absence d'une véritable maîtrise d'œuvre et d'ouvrage.

La politique des pouvoirs publics, après l'indépendance en 1962, s'est fixée pour objectif "l'algérianisation" progressive des structures et des institutions du pays. A partir de 1975, se définit dans le domaine de l'urbanisme et de la construction, l'instrument urbanistique opérationnel désigné sous l'appellation de ZHUN (Zone d'Habitat Urbain Nouvelle). Le contexte de son élaboration se situe à un moment où prévaut le manque d'expérience et de connaissance dans le domaine de l'urbanisme. La démarche, par homologie aux ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité) en France, dont les dispositions relèvent de la Loi Cadre du 7 Août 1957, va définir la méthodologie adoptée. Le modèle de règlement des ZHUN émet pour obligation de réaliser des espaces verts en terme de pourcentage relativement à l'occupation du sol. En même temps, le besoin de faire face au problème de production de masse introduit la construction préfabriquée. Le procès d'une vision statique, sans égard aux particularités locales, va répartir la même organisation spatiale des périphéries urbaines à l'échelle nationale. Dans ce contexte auquel il faut ajouter les difficultés d'application sur le terrain, l'architecture comme l'urbanisme deviennent une "simple affaire de technique"[23]. L'évolution des faits, qui ont marqué la morphologie de l'espace urbain post-colonial atteint son importance à partir des années 80. L'espace généré suscite des réactions qui aboutissent à l'apparition de textes législatifs conduisant à l'élaboration de nouveaux instruments d'urbanisme. L'instauration des PDAU (Plan Directeur d'Aménagement Urbain) et les POS (Plan d'Occupation de Sol), prend effet en 1991.

La finalité des espaces verts urbains publics les destine à être des espaces de rassemblement où la prépondérance des activités revêt un caractère ludique. L'atmosphère qui s'en dégage est significative du processus historique qui a contribué à leur réalisation.

A ce titre la Place Jean Jaures à Marseille se présente comme un modèle illustratif du concept de lieu. Elle offre l'image d'un espace vert urbain public qui répond aux souhaits des usagers, des urbanistes et des gestionnaires de la ville[24]. Sa configuration spatiale et la distribution des activités, qui l'animent, sont le résultat des phases successives de son développement. Il relève de considérations réglementaires de l'urbanisme où ont été maintenues les pratiques significatives de la structure initiale, tout en permettant leur évolution. La qualité et la diversité des activités qui se développent au sein de la Place J. Jaures, renvoient à un processus d'aménagement où il est tenu compte des potentialités du contexte. Une certaine implication des habitants se perçoit dans l'organisation de l'espace et plusieurs thèmes à caractère commercial y sont représentés. Ils assurent une forme de concentration et donnent à la fréquentation un sens d'efficacité ayant un impact économique favorable à la ville.

Comparativement à la Place Jean Jaures, le Square Port Saïd à Alger n'a pas bénéficié de procédure de mise en forme similaire. Le site initial se caractérisait par sa localisation à l'entrée principale de la ville. L'espace devait son existence à des conditions circonstancielles géomorphologiques et sociologiques induisant des pratiques signifiées par des besoins d'ordre matériels et immatériels.

Le Square Port Saïd, en tant qu'espace vert urbain public, appartient ainsi au type d'espace, qui possédait des atouts naturels et des potentialités structurantes susceptibles de favoriser son développement économique : un réseau de communication principal justifiant des pratiques sociales majeures associés aux qualités environnementales du site. Les procédures de composition urbaine qui ont finalisé sa forme n'ont pas pris en considération les pratiques et les significations qui structuraient l'espace initial. Les données observées ont fait l'objet de transformations destructurantes, au cours de leur évolution. Ces dernières ont porté sur le réseau principal de communication (la rue Bab Azzoun) et sur les éléments significatifs des pratiques de l'espace (marché, lieux de culte et de rencontre…). La configuration spatiale actuelle est le résultat d'un projet unitaire basé sur l'affirmation d'une certaine idée du square et du centre ville colonial. Le processus est activé par la logique inhérente au principe de "terminus" en relation avec le territoire (la gare) et avec la France (le port). Une forte impression symbolique et culturelle y est exprimée à travers la réalisation du théâtre et de la rotonde centrale pour répondre à des pratiques dont les valeurs se rattachent aux traditions françaises. Les aménagements avaient pour objectifs de satisfaire en partie les besoins ludiques de la société coloniale dans un esprit d'ostentation et d'ornement. Cette procédure a eu pour double conséquence de changer la vocation commerciale de l'espace initiale et d'en écarter la société d'origine qui ne retrouvait plus les éléments justifiant sa présence. Le processus engagé a effacé les sentiments d'appartenance à un milieu et partant, les formes d'implications pouvant générer des impacts favorables au système économique de la ville. Actuellement le rôle écologique du square se réduit à une fonction chlorophylienne grâce à son potentiel verdure. Mais la nature et le niveau des activités qui s'y développent ne contribuent que faiblement au dynamisme de l'animation urbaine. Elles ne correspondent pas à la définition d'un espace central majeur dont la fonction est de regrouper un grand nombre d'activités commerciales de nature diverse et d'un certain niveau. L'observation montre que les activités existantes d'une part, ne s'organisent pas selon l'alignement et la densité caractéristique du concept de centre et d'autre part, ne correspondent pas à l'image définie par ce même concept. La faiblesse de concentration d'activités diversifiées à caractère commercial dans le Square Port Saïd, est exprimée à travers leur distribution spatiale et la nature des prestations fournies. Bien qu'étant un espace majeur au sein de la ville, il regroupe actuellement, des activités insuffisantes en genre et en nombre pour constituer une "concentration thématique"[25]. On constate ainsi qu'un seul niveau de restauration est offert et qu'il ne s'adresse qu'aux petites bourses (catégorie des cafés, gargotes, sandwichs). De même, l'existence de locaux spécialisés dans le commerce en gros, a des impacts fonctionnels qui ne concordent pas avec l'atmosphère du square.

6. LES ESPACES VERTS PUBLICS À ORAN

Les villes algériennes, présentent généralement les formes typologiques de la place, du square, du jardin ou parc, quelquefois le cours ou le "ring". Ce dernier se présente en forme discontinue et cerne la zone centrale de la ville. L'application de ce type s'assimile aux théories de l'urbanisme promulguées à la fin du siècle dernier selon le concept de cité-jardin d'Ebenezer Howard. Le "ring" constitue une unité morphologique et n'est pas un espace public dans sa totalité. Il conserve en priorité la fonction de servitude militaire et réserve certaines parties en jardins publics.

A l'Indépendance, Oran hérite d'un patrimoine "espace vert" inégalement réparti à travers la ville. La mise en évidence du processus de croissance urbaine, explique la logique de distribution[26]. Comme ailleurs, la politique coloniale se traduit par des actions d'aménagement basées sur la destruction de certains lieux de vie. Celle du "ravin vert" qui était un composant des fonctions de production et de loisir de la ville, a engendré une destructuration de l'entité existante. Les nouvelles configurations spatiales produites par l'urbanisme colonial, répondaient principalement à la fonction d'agrément et selon une idée d'hygiénisme. Leur répartition renforçait en outre, une certaine distanciation entre les différentes catégories de quartiers. Le premier boulevard périphérique qui fut projeté pour être le "ring" d'Oran, traduit bien cette conception orientée par les objectifs de manœuvre militaire.

Actuellement, le débat culturel accorde un intérêt particulier au mode de réappropriation de l'espace par la population algérienne. Dans le cas précis de l'espace vert urbain public, le questionnement se rapporte au constat d'une réalité marquée par des différences de fréquentation importantes entre les espaces verts d'un même type. Pareillement, les usages ne correspondent pas toujours à l'esprit attendu ou théoriquement affectés à ce type d'espace. Ces aspects du problème, suscite l'hypothèse que les différences observées se rattachent aux conditions de réalisation des espaces verts urbains publics[27]. Elles renvoient aux potentialités structurantes du site à l'origine et aux considérations contextuelles lors des procédures de mise en forme de l'espace vert public.

A Oran, l'étude des espaces verts publics urbains hérités de la période coloniale, montre qu'ils sont issus de deux types d'action :

1- déstructurante dans la mesure où la procédure de mise en forme n'a pas tenu compte des potentialités existantes.

2- structurantes dans certains cas d'espaces où il n'existait pas de pratiques sociales au moment de leur aménagement.

Quelques exemples du premier cas de procédure, sont concernés par les places de l'ANP, du 1er Novembre, du Maghreb, des Frères Moulay, l'Esplanade de Sidi M'Hamed et le boulevard de l'ALN. Les méthodes de composition urbaine, n'y ont pas considéré les potentialités physiques (topologie, géométrie, dimension) et/ou non-physiques (pratiques, vistas, toponymie) comme des données du contexte initial à développer. Les opérations de substitution introduites par l'urbanisme colonial, ont eu pour effet de réduire le rôle multifonctionnel de l'espace dont les activités se rattachaient à des besoins d'ordre matériels et immatériels de la société d'origine. L'aménagement paysager y prend valeur d'ornement et son évolution est altérée par le caractère passif de l'espace. Actuellement, des catégories d'usages conflictuels s'y côtoient nuisant à l'atmosphère et à la fonction écologique de l'espace.

L'autre type d'intervention a concerné les Places Aïssat Idir et de la Paix, la Promenade du Cheikh Ibn Badis et le Boulevard Colonel Lotfi. La création d'un espace vert urbain public dans ces cas, n'a pas évolué dans le sens attendu par la projection urbanistique. Ainsi, les activités qui s'y déploient ne correspondent pas à l'esprit d'un espace de rassemblement et d'animation conséquente. La Place Aïssat Idir est un carrefour de circulation, celle de la Paix est transformée en terrain de foot-ball. La Promenade du Cheikh Ibn Badis qui possède des qualités environnementales exceptionnelles, demeure un espace confiné. Il semble que son caractère premier se rattachait à l'existence du château Rosalcazar dont la déchéance se répercute sur l'atmosphère du jardin.

Le Boulevard Colonel Lotfi fut projeté en tant que composante du "ring d'Oran" pour accueillir des activités ludiques comme la promenade en milieu urbain. L'examen du processus de sa formation montre qu'il manquait aux conditions de sa réalisation les germes signifiant des pratiques et pouvant impliquer des activités en cohérence avec l'esprit de l'espace projeté. Réalisé sur les traces du "chemin de ronde", les activités qu'il rassemble[28] et qui évoluent vers un commerce de gros florissant, détruisent peu à peu son capital verdure. Ainsi les actions engagées dans le processus de mise en forme d'un espace vert urbain public, ont une relation avec la qualité de leur usage. L'aspect qualitatif s'entend par rapport au respect des pratiques significatives de l'existence de l'espace à l'origine. Elles se manifestent sous l'impulsion de besoins physiques et/ou non-physiques et structurent ainsi son identité et son caractère.

C'est l'ensemble des paramètres relatifs à la morphologie, les pratiques et le temps, qui influe sur l'organisation de l'espace. Celui-ci est rassembleur de par sa valeur intrinsèque parce-qu'il possède et offre certaines potentialités physiques qui justifient des tracés et des implantations humaines. L'espace devient un lieu à partir du moment où s'investissent des puissances non-physiques qui révèlent et structurent sa valeur. L'observation de ces potentialités et de la tendance des besoins qui les caractérisent pour en tirer profit, consiste à composer l'espace en permettant le développement interactif de son identité et de son caractère. Il s'agit d'organiser les structures de communications qui se nouent entre les usagers avec l'espace et le temps.


Notes

[1] Nobert-Schulz, Ch. - Genius Loci.- Pierre Mardaga Editeur, 1981.

[2] La dimension culturelle du développement, vers une approche pratique.- Editions UNESCO, 1994.- Collection Culture et développement.

[3] Colquhoun, A. - Recueil d'essais critiques, 1981.

[4] Colquhoun, A. - op. cité.

[5] Gombrich, E. H. - cité par Colquhoun, A.

[6] Ibid.

[7] Soulier, L. - Editions CRU, 1968.

[8] L'Unité d'Habitation de Marseille, se présente sous forme d'un grand bâtiment sur pilotis implanté à l'intérieur d'un espace vert. Ce dernier est limité par une clôture végétale sans être clos. Il n'est pas géré par les services de la commune et son statut d'espace privé au profit des résidents riverains, lui assure une forme de gestion autonome tout en lui conservant son caractère d'espace ouvert au public. La conception de l'ensemble donne une composition formelle et dimensionnelle qui permet cette possibilité de façon à ne pas générer de conflits d'usage, notamment à cause du bruit.

[9] C'est le cas des agro-parcs ou encore des champs de tulipes en Hollande. Leur perfection esthétique a généré une attraction massive de plus en plus importante. En offrant un spectacle unique au monde, leur organisation s'inscrit dans un processus de politique touristique assurant des bases sûres de ressources économiques.
En Scandinavie les espaces verts privés sont ouverts au public moyennant des modalités qui préservent les intérêts du propriétaire, de l'usager et de l'Etat. Le mobile économique à la base du système fiscal, structure cette forme d'organisation. Le type d'espace vert ainsi créé, transgresse le sens morphologique du terme. Il se conforme à la dimension culturelle structurée par les pratiques de l'espace et les traditions des peuples scandinaves.

[10] Duchac, M. - Actes de Colloque d'Aix-en-Provence. 1972.

[11] Chombart de Lauwe. Ph. - CRESM, 1963.

[12] Actes de Colloque, op. cité.

[13] Guy, Henri. - Dix années d'urbanisme. La renaissance d'une ville.- Barcelone, Editions du Moniteur, 1982.

[14] Tanase, Michel. - in Revue Urbanisme n°200, fév-mars, 1984.

[15] Krier & Culot. - Contre-projet. - AAM Editions, 1980

[16] De Vilmorin, C. - La politique des espaces verts.- CRU, 1976.

[17] Choay, F. - Urbanisme. Utopie et réalité.- Paris, Seuil, 1963.

[18] Barthes, Roland. - cité par Colquhoum, A. -op. cité.

[19] Choay. F. - op. cité.

[20] Mayer, S. - Parti pris pour l'écologie.- Messidor/Ed. Sociales, 1990.

[21] Dajoz, R. - Précis d'écologie.- Gauthiers-Villars, 1978.

[22] Chombart de Lauwe définit les problèmes culturels au sujet des plans généraux d'urbanisme liés à l'écologie, comme étant de deux ordres :

- "La distribution des monuments symboliques administratifs, scientifiques, commémoratifs, la préservation des monuments historiques ou leur mise en valeur, l'étude de l'accès  facile à ces diverses catégories de monuments, pour toutes les classes sociales".

- "… l'équipement culturel à prévoir aux divers échelons : quartier, groupe de quartiers, cités agglomérations". - "Paris. Essais de Sociologie. 1952-1964". Les Editions Ouvrières.

[23] Vilder, A. - cité par Colquhoun, A. - op. cité.

[24] Dalgier, J. - La Place Jean Jaures.- travail Personnel de Fin d'Etudes.- Ecole d'Architecture, Marseille-Luminy, 1993.

[25] Lynch, K. - L'image de la cité.- Paris, Dunod, 1960.

[26] Bekkouche, Ammara.- Espaces verts et croissance urbaine.- Magister en urbanisme.- USTO, 1990.

[27] - Potentialités structurantes du site : les espaces verts urbains issus d'opportunités foncières marquées par des pratiques sociales, peuvent développer un processus d'usage aux implications favorables à leur capacité de rassemblement. Les pratiques sociales sont significatives de l'existence de besoins matériels (marché, souk) et/ou immatériels (beauté du site, croyance, rite, événement, commémoration).

- Considérations contextuelles : la démarche écologique dans la procédure de mise en forme, considère les structures du contexte (identité, caractère, histoire) comme des potentialités. Dans ce cas, elle met en valeur les éléments significatifs pouvant impliquer un processus d'usages, où les activités ont un impact économique favorable à la ville.

- L'identité de l'espace vert est relative aux paramètres physiques de la morphologie concernée par la topologie, la géométrie et les dimensions.
- Le caractère de l'espace vert se rattache aux paramètres non-physiques liés aux éléments significatifs non-chiffrables tels que les pratiques, les vistas et la toponymie des lieux.

- La mémoire du lieu est concernée par la procédure engagée dans la mise en forme de l'espace vert. Elle dépend des transformations qui ont introduit des différences entre la forme initiale et la forme conçue. La mise en rapport des données du contexte permet d'apprécier l'importance et la nature des transformations.

[28] D'importantes stations-services structurent le boulevard dont deux se situent dans la perspective centrale

 

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