Insaniyat N° 27 | La socio-anthropologie en devenir | p.77-100 | Texte intégral
A Detour through anthropology and the mythical figures in the relationship between Order and Disorder : a new grid for reading Abstract: In the methodological field and in a general way, Humanities and social sciences are undergoing very deep changes today. These changes are the results of two types of thought being concurrently led. On the one hand, considerations within exact sciences through what one can “call” today the, the Disorder Paradigm Key words : order - disorder - duality - quadrilateral - hexed - sacred - mythic - rationality. |
Ahmed MORO : Chercheur au C.E.F.R.E.S.S. et au CURAPP (Université Jules Verne de Picardie).
Il est toujours difficile de déranger les habitudes méthodologiques ‑ qu’elles soient anthropologiques, sociologiques, psychologiques, économiques ou autres ‑, dans la mesure où l’on crée un certain désordre dans l’esprit des praticiens et des chercheurs. En revanche, il est tout à fait justifiable d’innover, d’améliorer et de penser des nouvelles méthodes et grilles d’analyse.
Notre contribution s’inscrit dans cette optique de créativité. En pensant scientifiquement à des nouvelles méthodes d’analyse fondées essentiellement sur les concepts d’ordre, de désordre et leur entropie, nous proposons une grille d’analyse qui embrasse les formes élémentaires des différentes combinaisons de la dualité de l’ordre et du désordre.
Les rapports qu’entretiennent les notions d’ordre et de désordre sont de nature complexe. La saisie ainsi que la compréhension de la complexité de ces rapports nécessitent la construction d’une grille de lecture susceptible de clarifier leur «dialogie», selon l’expression forgée par E. Morin. Pour y parvenir, il nous semble difficile de se satisfaire des définitions traditionnelles par «la négative». En effet, d’un côté, ces définitions ne permettent pas de mettre en évidence les référents épistémologiques ou idéologiques dont sont chargées ces deux notions ; de l’autre, la définition de l’un est purement et simplement déduite de la définition de l’autre: l’ordre est la négation du désordre et, inversement, le désordre est la négation de l’ordre.
Souvent, l’ordre est associé à une connotation positive, alors que le désordre comporte des connotations négatives. L’ordre est harmonieux alors que le désordre est conflictuel. L’ordre et le désordre relèveraient ainsi du discours pratique éthique, politique, voire mythique et religieux. Il s’agirait, dès lors, selon B. Piettre (1997), de deux notions «plus normatives que descriptives». Dans le cadre de cette situation, l’ordre et le désordre sont dans une sorte de face à face immuable qu’il faut dépasser.
Si on refuse ce type de définition, la seule possibilité qui demeure est celle de dégager la multiplicité des formes de ces rapports en allant de la figure la plus simple [F1] à la plus complexe [F3] en passant par sa médiation [F2]. Naturellement, on aurait pu en définir d’autres plus complexes encore que [F3]; il est néanmoins plus prudent, pour la clarté de l’analyse, de se limiter à [F3], dans la mesure où elle traduit un degré de complexité élevée, mais permet en même temps d’embrasser un champ relativement vaste de démarches et d’outils méthodologiques.
Ces formes ne sont pas indépendantes, mais se déduisent les unes des autres à travers un processus de dépassement où les unes préfigurent les autres. C’est dans ce sens qu’on peut affirmer que [F3] est la forme la plus générale. Loin d’annihiler les autres formes, elle les présuppose.
L’application anthropologique de ces formes permet de contribuer à leur validation méthodologique dans les autres sciences humaines et sociales, sachant que leur utilisation dans ces sciences ne fait aucun doute.
Pour une meilleure compréhension, nous présenterons d’abord les trois formes élémentaires des figures de l’ordre et du désordre; ensuite, nous ferons un détour anthropologique de ces figures mythiques.
Prolégomènes aux figures de l’ordre et du désordre : les trois formes élémentaires [F1], [F2] et [F3]
La nature des relations qu’entretiennent les deux notions d’ordre et de désordre est à la fois complexe et polymorphe et, surtout, l’une ne peut être clairement définie qu’en référence à l’autre. Chacun de ces deux termes renvoie à des référents, à des présupposés et à des postulats, qui ne sont pas généralement explicités, en particulier lorsqu’on procède à des applications dans le domaine anthropologique ou sociologique.
Considérer, en effet, qu’un dispositif méthodologique peut non seulement être conçu, mais en outre devenir opératoire analytiquement, débouche sur des contradictions insurmontables. La première de ces contradictions porte sur le sens même qu’il faut attribuer à l’ordre et au désordre. Ces deux notions ne peuvent acquérir par elles-mêmes des contenus positifs ou, pour dire les choses autrement, elles ne peuvent recevoir que des définitions négatives. Le désordre n’a de sens que par rapport à l’ordre et, réciproquement, le désordre ne peut être compris que par la référence à l’ordre. Tout le problème entre les notions d’ordre et de désordre est de savoir laquelle est inaugurale ou si, au contraire, elles doivent être appréhendées simultanément.
L’ordre et le désordre: des rapports complexes
Pour introduire un peu plus de clarté, il faut commencer par distinguer l’ordre et le désordre en tant que concepts, de leur usage dans le sens commun. Celui-ci considère qu’il y a désordre quand il existe un état de choses ou une activité dont les éléments sont «mal» rangés, ou «mal» disposés: l’ordre est donc un autre état où ces éléments sont dits «bien» rangés, ou «bien» disposés.
En tant que concepts, ces deux termes ne se limitent pas à désigner des états, mais des processus. Le désordre signifie perturbation, pour des causes multiples d’un ordre, celui-ci étant un état. Inversement, l’ordre devient un processus d’organisation d’un état «désordonné».
Cette dualité montre que, lorsque l’un a le statut d’un état, l’autre ne peut être qu’un processus. Ainsi, on parlera de désordre social, moral ou psychologique par rapport à des états d’ordres de même nature. En conséquence, il faut considérer que le débat concernant l’ordre et le désordre renvoie à des positions plus philosophiques que scientifiques.
L’ordre comme état premier
Ainsi, E. Morin[1] considère que dans les sciences classiques l’ordre est le «roi», aussi bien en physique qu’en astronomie ou en sciences de la nature. Ce qui est recherché, c’est un ordre du monde et de l’Univers. Il souligne, par exemple, que les lois de la physique classique, «jusqu’à l’étrange exception du second principe de la thermodynamique, ignorent la dispersion, l’usure et la dégradation. L’Univers autosuffisant s’auto-entretient à perpétuité. L’ordre souverain des lois de la nature est absolu et immuable. Le désordre en est exclu, de toujours à jamais». Il s’agit donc, très clairement, selon E. Morin, de l’érection dans la pensée scientifique classique de l’ordre comme principe «premier». Celui-ci évacue totalement la problématique du désordre.
Par emprunt, les sciences sociales ont adopté une démarche analogue. Tout ordre obéit aux lois de la nature. L’ordre social et l’ordre économique sont considérés comme des ordres conformes aux lois naturelles. Dès lors, la voie est ouverte pour une conception de la société sur le mode de la physique, de la biologie ou de la mécanique. L’économie devient la «physique des passions» ou la «physique des sentiments moraux»; de même, en sociologie on parlera de «physique sociale»[2]. La connaissance de la société ne peut donc être comprise que dans le cadre de «normes cognitives» fondées sur cet ordre dit «naturel».
Cependant, l’évacuation du désordre ne va pas sans problème: d’abord, à propos de la cause première instaurant l’ordre, ensuite concernant les conditions garantissant sa «stabilité». Cette question a déjà été discutée par les scolastiques avant même que le processus de spécialisation ne produise les différents champs cloisonnés des connaissances humaines. Bien sûr, chez les scolastiques, le problème se posait dans des termes qui renvoyaient à des considérations «religieuses»[3], mais il n’en demeurait pas moins un problème de la nature. La question était de savoir comment concilier le bien commun dans la société avec les poursuites d’intérêts purement vénaux ou bassement matériels des individus, ce qui impliquait des normes de «jugement» liées au bien et au mal, qui relèvent de la première configuration des «normes de la finalité», qualifiées de «normes de la finalité du sacré». La rationalité des comportements n’était pas encore envisagée (elle ne le sera que vers la fin du XVIIe siècle, en passant par la philosophie du droit naturel pour s’imposer comme la seule forme des comportements à la fin du XIXe siècle).
La rationalité en elle-même ne suffisait pas à l’explication de la constitution d’un ordre social. Si le sacré et le politique disparaissaient comme référence pour cette constitution, il ne restait plus que l’ordre naturel. L’ordre devient progressivement processus d’auto-organisation.
Au commencement était le désordre
C’est ce que G. Balandier nous rappelle avec force. Dans certaines civilisations et, surtout, dans ce qu’il appelle «les sociétés de tradition», le désordre (ou le chaos) était considéré comme principe fondateur. La seule différence avec l’autre perspective, c’est que le désordre est reconnu ici comme un principe fécond, créateur, et non comme une «menace de destruction de l’ordre social», à condition, bien évidemment, de le conjurer. La conjuration du désordre est «médiatisée» par ce qu’on peut appeler des «institutions». La fonction des institutions, mais aussi des mythes et des activités rituelles, est d’introduire de l’ordre dans les relations sociales.
De même, dans certaines civilisations antiques, les figures du chaos et du désordre n’étaient pas totalement inconnues. On peut même aller jusqu’à affirmer qu’elles étaient des figures centrales dans la représentation du monde et des relations sociales. Ainsi, l’apologue chinois que M. Foucault cite dans la préface des Mots et les choses, d’après un texte de J. Borgès, n’hésitait pas dans sa taxinomie à mettre ensemble des éléments étranges les uns aux autres, sans se heurter à un quelconque problème de cohérence.
La mise en rapport des éléments d’un ensemble ne signifie pas forcement les soumettre au principe d’ordre. En outre, cette mise en rapport ne donne aucun sens à l’ensemble lui-même. Chaque élément a un sens pris isolément, mais la totalité de ces éléments est profondément désordonnée, pour ne pas dire chaotique.
En fait, le problème posé est plus complexe qu’il n’y paraît. C’est celui de la congruence entre éléments contigus ou, pour le moins, circonscrits dans un même champ, dans une même configuration de lisibilité. Il y a, en effet, deux cas à considérer :
- les éléments cardinaux qui, parce que n’entrant pas en congruence, ne font pas sens, sauf pour l’univers «cabalistique» ou mythographique, où la signification des chiffres relève de codes culturels différentiels ;
- les éléments ordinaux dont la congruence est relative au contexte des perceptions individuelles ou collectives. C’est le cas de la «structure poétique»[4]. De même, tout le courant gestaltiste conforte le principe des variations perceptives, non hiérarchisables (car n’obéissant pas à l’algorithme de la vérité et de l’erreur, ni d’une plus ou moins grande acuité qui coïnciderait avec l’«intention» de l’auteur... dans le domaine de la création artistique, par exemple (peinture, musique, etc.).
Chez les Grecs, c’est ce que soulignent tous les travaux qui s’intéressent au désordre et au chaos, ce dernier étant mis au rang d’un dieu de la mythologie. Hésiode le considérait même comme le dieu premier après lequel vient la Terre.
C’est donc ici la conception du chaos originel qui prévaut. Ce n’est que par la suite qu’un ordre du monde fut instauré. Il est évident que l’essence du monde est une essence chaotique. Ce qui est radicalement nouveau, c’est que la démarche scientifique prétend aujourd’hui «affranchir» le chaos et le désordre de l’emprise mythologique pour en faire un objet scientifique. Du point de vue épistémologique, les conséquences de cette transformation sont immenses. Après avoir tenté ‑ en vain ‑ non seulement d’exorciser, mais d’exiler les démons du chaos et du désordre vers les vastes contrées du monstrueux, l’heure est à sa «domestication», à son apprivoisement, à la reconnaissance de sa fécondité.
On assiste à la fin de ce siècle à un changement radical de perspective, en même temps qu’à un retour aux sources des mythes fondateurs antiques, éconduits en quelque sorte par la pensée théologale médiévale, fondée sur l’ordre éminent (ordo, selon saint Augustin), puis par la pensée métaphysique fondée sur l’ordre immanent (celui de la raison), au cours des siècles passés. Le désordre devient (ou redevient), d’une certaine manière, premier alors que c’est l’ordre qui occupait ce statut auparavant[5].
Dans les deux configurations précédentes, l’ordre et le désordre sont ou des états ou des processus l’un pour l’autre. Il s’agit d’une configuration «duale». En réalité, ce n’est pas la seule configuration concevable; d’autres configurations doivent être mises en évidence.
La multiplicité des formes et des articulations: une analyse formelle
Le développement précédent nous permet de conclure que l’ordre et le désordre ne peuvent être pensés séparément. C’est ce que fait remarquer très justement G. Balandier lorsqu’il écrit: «L’ordre et le désordre sont indissociables, quel que soit le chemin qui conduit de l’un à l’autre, tout comme ils sont indissociables de l’histoire de la rationalité.»[6]. Au-delà des questions de définition sémantique soulevées, il faut envisager des combinaisons multiples entre les deux, donnant naissance à des configurations diverses dont on peut se servir pour mieux comprendre les rapports dialectiques entre ordre et désordre.
La configuration duale du rapport ordre/désordre [F1]
Dans le cadre de cette configuration, l’ordre et le désordre constituent un couple «infernal». On peut utiliser, pour rendre compte de leur dualité, la métaphore de la dualité «mathématique». On sait que cette dualité met en rapport la droite et le point: «Par deux points, on ne peut faire passer qu’une et une seule droite. En revanche, un point n’est que le résultat de l’intersection de deux droites.»
Si on accepte la validité de cette métaphore, deux variantes de la configuration duale sont possibles, selon qu’on considère comme point de départ l’ordre ou le désordre. Cela ne signifie pas que l’ordre et le désordre soient séparés totalement l’un de l’autre, mais qu’ils se co-produisent simultanément et réciproquement à travers les interactions et l’organisation. Par conséquent, ces configurations sont ce qu’on peut appeler des «idéal-types».
En effet, entre l’ordre et le désordre, il peut y avoir des rapports d’opposition, d’antagonisme, de concurrence, de complémentarité ou, enfin, de dualité. La dualité nécessite donc des explications plus amples à travers ce que E. Morin appelle «le jeu des interactions».
D’abord, l’ordre est impossible à concevoir sans organisation. Les deux ne se développent qu’en fonction l’un de l’autre. L’ordre appelle l’organisation, qui sécrète son propre déterminisme en l’imposant à son environnement. Pour y parvenir, l’organisation a besoin du principe d’ordre, bien entendu, mais aussi de l’intervention des interactions[7]. Ce qui signifie que l’ordre et l’organisation sont étroitement liés par les interactions. Celles-ci représentent donc le «tissu» nodal des rapports entre l’ordre et le désordre. Le désordre favorise les rencontres, qui ne peuvent se réaliser que par les interactions dont le résultat est l’organisation. Cette organisation préfigure l’ordre.
L’une des caractéristiques de l’ordre est sa nature hautement instable. L’instabilité est liée fondamentalement à la notion d’équilibre. C’est l’éternelle question de la binarité ou de la dichotomie lorsqu’on envisage les notions de stabilité/instabilité ou équilibre/déséquilibre comme des notions antagoniques.
L’équilibre suppose la satisfaction de nombreuses conditions qui l’exposent à une très grande fragilité. Il en est de même de la stabilité. La fragilisation de l’équilibre a pour conséquence la désorganisation se traduisant par l’émergence du désordre. Celui-ci, par le biais des interactions organisationnelles, génère à son tour l’ordre. Donc, le moyen terme entre l’ordre et le désordre porte, d’une part, sur les interactions/organisations, d’autre part, sur l’instabilité/désorganisation.
On sait que l’ordre et le désordre sont toujours associés aux notions de l’équilibre et du déséquilibre. Ainsi, les sociologues et les économistes de la fin du XIXe siècle ont tenté d’appliquer cette configuration à l’équilibre de l’ordre économique et social. C’est le cas de V. Pareto, mais surtout de L. Walras.
C’est cette conception de l’équilibre, que M. Forsé appelle «paradigme de l’équilibre»[8], qui a très fortement influencé les approches des sociologues où l’équilibre était associé à l’ordre, alors que le déséquilibre était lié au désordre. C’est toute la problématique de la «sociologie du changement» dans laquelle on peut déceler, en effet, plusieurs variantes de l’équilibre.
Ainsi, chez les «organicistes», c’est la métaphore biologique qui traduit l’équilibre stable: on considère que la succession des sociétés est comparable à celle des organismes. Chez les «mécanicistes», c’est plutôt la métaphore «mécanique» qui est privilégiée: il s’agit d’un équilibre métastable; le changement est ainsi perçu comme le passage entre les différents états d’équilibre. Enfin, les «interactionnistes» mettent l’accent sur le caractère instable de l’équilibre. Chez d’autres courants, on procède par combinaisons: c’est le cas, pour se limiter à ce seul exemple, des «fonctionnalistes» qui articulent l’équilibre stable et métastable (T. Ponsons).
La forme, ou la configuration duale, n’est pas aussi simple qu’on peut le penser au départ. Elle présente une complexité croissante à cause de la mise en place d’un niveau de «médiation» entre l’ordre et le désordre. Les différentes combinaisons se situent à ce niveau intermédiaire. Il est le champ sur lequel se déroule la «lutte» sans merci que se livrent l’ordre et le désordre, sans possibilité de transmutation des formes de cette lutte.
Lorsqu’on associe à l’ordre et au désordre d’autres couples de notions telles que équilibre/déséquilibre ou encore stabilité/instabilité, on comprend bien que la relation duale, qui est la configuration de base (idéal-type), ne doit absolument pas être interprétée comme une simple relation de causalité.
La configuration bi-duale: quadralité [F2]
Il faut dépasser la simple configuration duale en allant vers des configurations plus élargies. Ce passage s’effectue par application de l’un à l’autre comme opérateur secondaire. Cette application permet ainsi de multiplier les formes des rapports ordre/désordre ainsi que celles des espaces intermédiaires.
Parmi ces formes, se trouve la «configuration bi-duale», qu’on peut ainsi baptiser «quadralité»[9]. La quadralité est une étape importante dans la mise en évidence d’un certain degré de complexité impliqué par une structure «hybride» du couple ordre/désordre à travers la relation information/organisation/interaction.
Deux combinaisons principales[10] caractérisent la quadralité: l’ordre du désordre et le désordre de l’ordre. Ces deux combinaisons sont à la fois équivalentes et ambivalentes. C’est la logique connue de la «bouteille à moitié vide et/ou à moitié pleine».
En réalité, la perspective est différente concernant leur combinaison car, au-delà de l’impression qui laisse penser à leur équivalence, c’est la mise en évidence de la nature du rapport de l’un à l’autre qui permet de les distinguer.
Si l’état initial était un état désordonné, à travers les interactions et les rencontres, l’ordre se met en place sous forme de micro-états, donnant le rapport ordre/désordre. Ces micro-états (au niveau des individus ou des éléments) représentent des micro-ordres ou micro-désordres. Ils finissent par engendrer des macro-états traduisant des macro-ordres et macro-désordres.
Par ces rapports, nous n’entendons pas seulement les formes de combinaisons possibles mais surtout les formes des rapports à travers des indices de mesures (ou encore ratios).
On peut dire que M. Serres s’inscrit dans cette représentation combinatoire lorsqu’il écrit: «Oui, le désordre précède l’ordre et seul est réel le premier; oui, le nuage, c’est-à-dire les grands nombres, précède la détermination et seuls les premiers sont réels.»[11]
Dans la majorité des théories actuelles, on considère que le désordre est premier. Toute construction est due au désordre et à travers lui. Il est générateur et constructeur quand on le pense positivement, il est destructeur et dégénérateur lorsqu’il est perçu négativement. Il est en action permanente, il travaille dans tout mouvement, dans toute action, et dans tout phénomène. Il les développe et les organise ou, au contraire, il peut les annihiler en les désorganisant. Bref, le désordre est au service de l’ordre dans le premier cas.
Il faut être conscient que ces différences sont purement analytiques et que le choix du terme premier dépend de la vision de celui qui en fait usage. Dans ce sens, M. Serres insiste sur le caractère universel du désordre alors que Newton et Layzer le relativisent fortement pour mettre l’ordre comme terme premier. Newton pense, en effet, que «la nature obéit toujours aux mêmes lois dans les mêmes conditions». Layzer considère, lui, que «l’ordre est une propriété de systèmes faits de plusieurs particules». Or, ce qui est primordial, c’est la conjonction de l’ordre et du désordre.
La configuration tri-duale: hexalité [F3]
On peut introduire un degré supplémentaire d’hybridation dans la continuité des deux configurations précédentes. C’est la tri-dualité ou encore ce qu’on peut nommer l’«hexalité»[12].
Les deux nouvelles hybridations par rapport aux configurations précédentes sont l’ordre de l’ordre et le désordre du désordre. Pour la première, on peut la qualifier aussi d’ordre composé ou de deuxième degré. On peut l’expliquer comme une organisation de l’ordre au premier degré, qui est soit un micro-ordre soit un macro-ordre.
Il s’agit, en réalité, d’une complexification de l’ordre premier. Pour la seconde, le désordre du désordre, l’explication est identique, sauf qu’elle porte sur le désordre premier et non sur l’ordre. Ce sont, par conséquent, ce qu’on peut appeler les «figures matrices» par rapport auxquelles se situera la conception de l’ordre et du désordre dans telle ou telle autre théorie.
Il est évident que les «figures élémentaires» décrites ci-dessus sont purement abstraites. La logique de leur développement est une logique d’interprétation par passages successifs ou métamorphoses d’une forme à une autre dans le sens d’une complexité croissante. Par conséquent, elles ne préjugent en rien ni du temps ni de l’espace où elles peuvent se déployer. Leur succession ne doit pas être confondue avec une évolution historique particulière allant vers une plus grande complexité.
Il en est de même en ce qui concerne l’espace: on peut les utiliser pour comprendre aussi bien les rapports humains dans des groupes restreints, comme dans les groupes larges (nation, pays, etc.).
Un détour par l’anthropologie et par les figures mythiques de l’ordre et du désordre
Dans l’exposé des formes «relationnelles» de l’ordre et du désordre, on a laissé penser que ce sont fondamentalement les sciences exactes qui «menaient la danse». Cette assertion n’est pas totalement fausse, surtout aujourd’hui (l’impulsion étant le fait des sciences «dures»), mais elle n’est pas totalement juste non plus. On ne peut, en effet, accepter sans réserves la véhémence de certains parmi ceux qui considèrent les sciences humaines comme des «sciences molles». Autrement dit, il n’est pas sûr que l’impérialisme des sciences exactes dans ce domaine soit aussi net qu’on le pense. On ne peut être d’accord avec la thèse de la domination-dépendance que si l’on écarte de son champ d’analyse des domaines aussi fondamentaux que l’ethnologie ou l’anthropologie, en insistant en revanche sur les domaines où cette domination-dépendance s’exprime avec une très grande puissance, comme en économie.
C’est pourtant à l’anthropologie qu’on doit les interrogations les plus fécondes sur l’ordre et le désordre et non aux sciences de la nature. Celles-ci ont tenté vainement de construire une synthèse, à travers la notion de l’ordre naturel où le sacré a été laissé en arrière-plan. Face à la société, à ses turbulences et à ses soubresauts, il fallait en expliquer les mouvements et en dévoiler l’ordre. Cela a été fait très largement par analogie avec l’ordre de la nature.
Mais les réflexions d’un C. Lévy-Strauss, d’un M. Mauss ou, plus près de nous, d’un G. Balandier ou d’un P. Clastres montrent que le sacré et le désordre ne se laissent pas expulser aussi facilement et, en tout cas, toute tentative allant dans ce sens «doit se payer», et parfois au prix fort.
Au lieu d’adhérer, par conséquent, à la thèse de la dichotomie / dépendance, plusieurs indices permettent de ranger, à la lumière des conceptions anthropologiques, la «science classique» dans ce qu’on peut appeler les «configurations de la finalité» auxquelles est associé un système de normes «cognitives de la finalité». Que la fonction de mise en ordre soit remplie par le «sacré» ou par le «rationnel», cela ne change rien à l’affaire: dans les deux cas, c’est le déterminisme qui est en cause.
La re-découverte du sauvage comme figure de la raison ?
Nous voulons mettre ici en parallèle ces deux cheminements. Cette mise en parallèle peut paraître quelque peu forcée. Il n’en est rien, car elle se justifie pour des raisons historiques (c’est le travail sur les mythes qui est à l’origine des réflexions sur le désordre) et conceptuelles parce qu’elle nous servira de support pour montrer la validité «heuristique» de la typologie des configurations «formelles».
Il faut noter néanmoins qu’une grande partie des anthropologues est allée trop loin dans la «mystification» des sociétés de tradition et que si, par conséquent, il faut éviter tout «ethnocentrisme», il faut également se méfier de tout «anti-ethnocentrisme inversé», aussi néfaste que l’autre. En d’autres termes, et avant de voir comment la question est traitée chez G. Balandier, il faudrait nous expliquer sur la nature des sociétés de «tradition» ou «sauvages».
La figure du sauvage telle qu’elle a été construite par l’anthropologie est une figure ambivalente : elle représente, à la fois, la figure qui interroge par son étrangeté et celle qui est censée représenter ce qui «manque» ou ce qui a été perdu par les sociétés occidentales. Dans le premier cas, le «sauvage est une brute», il est la «personnification» de la non-civilisation; dans le second, il détient la «vérité de ce que nous avons perdu» et ce que nous espérons retrouver.
Dans le premier cas, c’est du «mauvais sauvage» (sauvage vraiment sauvage!) dont il s’agit. On sait que cette figure a été servie par les ethnologues de la «colonisation» et que l’anthropologie s’est constituée, d’une certaine manière, contre tous les excès qu’elle a engendrés[13]. En revanche, dans le second cas, on produit une autre figure. Elle remonte fondamentalement aux conceptions de J.-J. Rousseau[14] et de ses disciples. C’est la figure du «bon sauvage» qui rappelle un état de l’humanité non encore corrompu par la «civilisation» et ses vacarmes, la «bonté des origines"». Mais cette figure relève de la pure imagination, qui est source de beaucoup de déceptions. Ainsi, Chateaubriand, lors de son voyage en Amérique, raconte son très grand désarroi, lorsque les «sauvages» en chair et en os ne répondent pas à cet «impératif de pureté et de bonté ontologique», de la façon suivante:
«Lorsque après avoir passé le Mohawk, j’entrais dans des bois qui n’avaient pas encore été abattus, je fus pris d’une sorte d’ivresse, d’indépendance. J’allais d’un arbre à l’autre, à gauche, à droite, en me disant : “Ici plus de chemins, plus de présidents, plus de rois, plus d’hommes”. Et, pour essayer si j’étais rétabli dans mes droits originels, je me livrais à des actes de volonté qui faisaient enrager mon guide, lequel dans son âme me croyait fou.
Hélas ! Je me figurais seul dans cette forêt où je levais une tête si fière ! Tout à coup je viens m’écraser contre un hangar. Sous ce hangar s’offrent à mes yeux ébahis les premiers sauvages que j’ai vus de ma vie. Ils étaient une vingtaine tant hommes que femmes, tous barbouillés comme des sorciers, le corps demi-nu, les oreilles découpées, les plumes de corbeau sur la tête et des anneaux passés dans les narines. Un petit Français poudré et frisé, habit vert pomme, veste de droguet, jabot et manchettes de mousseline, raclait un violon de poche et faisait danser “madelon friquet” à ces Iroquois. Monsieur Violet (c’était son nom) était maître de danse chez les sauvages. [...] Demeuré à New York après le départ de notre armée, il se résolut à enseigner les beaux-arts aux sauvages […], porta la civilisation jusque chez les hordes sauvages. En me parlant des Indiens, il me disait toujours : “Ces messieurs sauvages et ces dames sauvagesses”. [..]) N’était-ce pas une chose accablante pour un disciple de Rousseau, que cette introduction à la vie sauvage [...]. J’avais grande envie de rire, mais j’étais cruellement humilié.»[15]
Lévi-Strauss et P.Clastres n’ont pas affirmé autre chose lorsqu’ils tentaient d’expliquer leur quête anthropologique: l’un était à la recherche de l’«Indien vrai» non frelaté par les «débats de salon de la bonne conscience» des ethnologues[16]; l’autre entreprend, selon ses propres termes, le voyage «auprès des peuples encore sauvages»[17]. Le «sauvage» doit être «authentique», sinon il n’est pas. Sauf que la surprise peut être aussi grande que celle de Chateaubriand lorsqu’il assiste de ses propres yeux à la danse des «sauvages» sur les rythmes d’un violon de poche aux fins fonds de la forêt vierge. Mais le «sauvage» authentique existe-t-il réellement? Qu’il nous soit permis d’en douter. Le «sauvage» est une pure création. Cette création, selon J. Bazin, doit être à la fois «évidemment autre et très évidemment nôtre» (J. Bazin, le Bal des sauvages).
Cette image ambivalente, pour reprendre le terme choisi au départ, «brouille» le «message"» (si message il y a) que la figure du « sauvage» veut nous transmettre. L’anthropologie le somme de répondre à des questions que la société «sauvage» ne se pose pas ou, en tout cas, elle ne le fait pas sur le même mode que la société occidentale. Ainsi, sur l’ordre, sur l’Etat, sur le désordre, sur la violence, les « sauvages» sont convoqués et, comme ils ne peuvent répondre, eh bien qu’à cela ne tienne, on peut le faire à leur place. C’est ce qui explique que les «sociétés de la tradition» relèvent fondamentalement et exclusivement de la pure représentation. C’est ce qui explique aussi les difficultés qu’on éprouve à trouver des fondements satisfaisants pour en donner une définition positive : sociétés non civilisées, sociétés sans écriture, sociétés sans Etat, sociétés primitives, etc. (la liste est encore longue mais elle ne nous dit rien sur ce qui définit ce type de société autrement que par référence à ce qu’elles ne sont pas). D’où une série de malentendus et de confusions sur le pouvoir, sur la fonction de la parole, sur le traitement de la violence...‑ et sur l’ordre et le désordre, pourrait-on ajouter !
Malgré les éclairages nouveaux qu’il projette sur cette problématique, G. Balandier n’échappe pas totalement à ces ambiguïtés. En réduisant beaucoup sa pensée, on pourrait voir en effet que la distinction qu’il établit entre les «sociétés de la tradition» et les «sociétés du mouvement» revient d’une façon ou d’une autre à supposer les unes stables ou immobiles, les autres instables et évolutives. Ce n’est qu’à cette condition qu’on peut comprendre son «éloge» du mouvement comme seul et unique facteur de création de nouvelles relations sociales et, en fin de compte, de «nouvelles phases» dans l’évolution des sociétés.
Pour penser le mouvement, on est obligé de le penser par rapport à l’arrêt, à l’immobilité, à l’inertie. Ici, aussi, la «société de la tradition» est instrumentalisée. Elle a pour fonction, chez G. Balandier, de tendre le miroir à la «société du mouvement».
A la lumière de tout ce qui précède, on en déduit que, lorsque sont abordées les sociétés dites «de tradition», il faut avoir clairement à l’esprit l’impératif de se méfier de ce qu’on fait dire aux «sauvages» car quand ils ne dansent pas d’eux-mêmes, il se trouvera toujours quelqu’un pour les «forcer» à danser. Le «bal des sauvages» est un bal masqué.
Si la raison a été érigée, d’une certaine manière, en «dogme» à partir de la période des Lumières, elle a été confrontée, au cours de cette même époque, à l’autre comme comportant dans son existence sa «négation apparente»: cette figure de l’autre est celle du «sauvage» qu’on découvre dans les deux sens du terme, c’est-à-dire à la fois géographiquement mais aussi dans un jeu de mots que Lacan n’aurait pas récusé: dé-couvrir, qu’on s’empresse de couvrir de ses propres projections. C’est cette figure, comme on le sait, qui va hanter la pensée européenne tout au long des XVIIIe et XIXe siècles comme la figure «énigmatique» de la négation. De J.-J. Rousseau à l’anthropologie contemporaine en passant par Tocqueville et d’autres, elle n’a pas cessé d’interroger la pensée européenne, y compris la pensée scientifique.
La pensée scientifique versus la pensée mythique
Dans ce sens, on ne peut qu’acquiescer devant le constat dressé par G. Balandier. Pour lui, «la science a d’abord voulu la mort du mythe». Il explique cette volonté par le fait qu’elle «a vu en lui l’obstacle à une véritable compréhension et elle a dès lors déclenché contre lui une guerre sans merci». Or, ce que G. Balandier affirme, c’est que les deux types de pensée, aussi bien la pensée scientifique que la mythique, relèvent de la «raison». Il faut donc, en accord avec cette affirmation, considérer que la raison ne se confond pas nécessairement avec la rationalité, ou qu’elle n’est pas toujours une «raison rationalisante» ou «ratiocinante». Dès lors, il s’agit d’usages différents de la raison, et non d’une opposition radicale ou dichotomique ; ni de deux modes de pensée dont l’un serait conforme à la raison alors que l’autre lui serait antinomique. Ils ont tous les deux comme objectif d’introduire de l’ordre et de l’intelligibilité dans l’Univers. C’est au niveau des modalités selon lesquelles s’effectue cette introduction qu’ils sont différents.
Cette position tant combattue par le passé est acceptée plus facilement aujourd’hui. Pour I. Prigogine et I. Strengers, «tout comme les mythes et les cosmologies, la science semble chercher à comprendre la nature du monde, la manière dont il s’est organisé, la place que les hommes y occupent»[18]. Il faut remarquer néanmoins que, si les deux sont à mettre sur le même pied d’égalité, leur mode de légitimation n’est pas identique: l’une procède par légitimité déduite de l’autorité; l’autre, en revanche, s’appuie sur les protocoles de la vérification et, donc, de l’expérimentation.
Balandier donne des preuves de cette position à travers de multiples exemples des «cosmogonies» de certains peuples d’Afrique ou d’Amérique latine, d’où il ressort que non seulement il y avait une conscience du désordre premier «comme indissociable de la création du monde mais que l’ordre lui-même n’est jamais acquis». Celui-ci n’est que le résultat de la conjuration du premier. Toutes les institutions «rituelles» ou «symboliques» ont pour fonction d’accomplir ce travail de conjuration. Il serait fastidieux de reprendre tous les exemples soumis à l’enquête par G. Balandier en fonction de la primauté du désordre et de la nécessité de sa «domestication», on se limitera ici à un exemple, celui des Dogons du Mali, parce qu’il nous semble à la fois des plus éclairants et des plus convaincants.
Examinons donc très rapidement le cas des Dogons. Le discours tenu par les Dogons sur la création du monde et de l’Univers, tel qu’il nous est exposé par G. Balandier, est un des plus riches en enseignements. D’abord, cette création est conçue comme une sorte de «jeu» ou «de spectacle» qui dérive de l’ennui de Dieu (grand-père créateur dans le langage des Dogons). Ensuite, la création est imparfaite, non que cela soit dans l’intention divine elle-même mais parce que les créatures peuvent échapper (s’autonomiser), se révolter contre l’acte de création par un acte imposé. Il y a donc une certaine liberté relative des créatures qui peut se retourner contre le créateur. Les desseins de Dieu et des créatures peuvent, par conséquent, s’opposer et celles-ci peuvent échapper à l’emprise du premier.
Selon le récit dogon, Dieu avait commencé par créer deux couples de jumeaux de nature androgyne à dominance mâle. L’ambivalence est donc dans l’essence de la création. L’un des couples symbolise l’harmonie et l’union, l’autre porte en lui «la déchirure, la séparation». Mais le récit va plus loin: pour mener à bien cette entreprise, Dieu avait imaginé la création symétrique de deux couples à dominance femelles. Ainsi, on voit ici illustrée la nécessité du dépassement de la dualité pour aller vers l’héxalité en passant par la quadralité, selon les formes exposées sur les formes élémentaires du rapport ordre/désordre
Ce passage, ou plus exactement cette «métamorphose», ne peut se réaliser à cause de la révolte du deuxième couple. Celui-ci pressé, dit-on, de s’emparer de sa part «féminine», se révolte contre la volonté divine. Celle-ci décide alors la destruction de son jumeau et, à partir de ses restes, entreprend de (re-)construire le monde. La lutte entre l’ordre et le désordre est la cause de la genèse des choses et des êtres, c’est-à-dire du monde lui-même. Ici, son dépassement s’effectue par le sacrifice et la «résurrection» du sacrifié. Mais ce sacrifice ne signifie absolument pas anéantissement. L’opération sacrificielle est d’une certaine manière la reconnaissance de la puissance de cette «cause» et de la nécessité de la «contrôler» ou de la «domestiquer».
Il s’agit donc de savoir, si nous avons bien compris l’exposé de G.Balandier, d’un outrepassement des différentes figures (dualité, quadralité, hexalité), que nous pouvons représenter schématiquement sous une forme séquentielle de la manière suivante :
Schéma IV : Application des combinaisons duales au cas des Dogons
Des cas analogues à celui des Dogons sont très nombreux en Afrique noire comme ailleurs. Il serait dans ce sens très intéressant de procéder à une étude systématique de ces différents cas. Toutefois, nous ne voulons pas pousser plus en avant ce rapprochement. Ce que nous avions l’intention d’illustrer, en reprenant G. Balandier, c’est une lecture de ce rapport d’inversion entre ce qui fonde l’ordre «symbolique» ou «mythique» et l’ordre «rationnel» à la lumière des «formes élémentaires» des rapports ordre/désordre. Ces formes sont par conséquent opératoires. Elles nous ont permis, en outre, de mettre en évidence une première catégorie de la «finalité», celle du sacré ou encore du symbolique.
On peut faire la lecture suivante de cette opposition en la pensant comme une opposition sur le traitement du tiers. En effet, voilà comment M. Serres présente ce traitement à l’occasion de son commentaire du Banquet dans l’Apparition du diable en personne: «Voici le jeu du tiers, il est simple comme bonjour et ce n’est plus un jeu de mot, c’est un jeu de mort. Il tourne, il rôde, il attend, il guette, il épie. Il se place entre, il interprète, il contredit [...]. Il réunit ou il sépare, l’un et l’autre, l’un ou l’autre. Il travaille lui aussi, lui encore, à l’exclusion et à l’inclusion, de même qu’il est l’objet, le passif, la victime parfois des deux opérations: il en est maintenant le sujet. S’il inclut, il est le symbole, s’il exclut, il est le diabole»[19].
Ainsi, l’ordre rituel est un ordre fondamentalement symbolique dont la finalité est d’instaurer un ordre toujours remis en cause. Les deux termes opposés sont inclus dans les opérations rituelles et mythiques. L’inclusion permet par conséquent le dépassement de l’antinomie originelle pour aller vers des formes à la fois multiples et complexes. La dialogie de l’ordre et du désordre ont pour scène de théâtre, le rite, le sacrifice, le mythe, bref, les lieux du «sacré». Mais il faut nuancer cette affirmation car, malgré tout, le désordre n’est qu’un «accident», un «mal nécessaire qui doit être conjuré» par le biais de toutes les procédures de la gestion du «sacré». Aussi, a finalité du «sacré» devient étroitement liée aux résultats obtenus à travers ces procédures.
L’ordre de la «rationalité» procède du principe du tiers exclus. C’est l’un ou l’autre. Le renversement est éclatant: le désordre n’est qu’apparence, l’ordre est le principe fondateur. Il suffit d’aller au-delà des apparences pour le mettre en évidence. C’est le désordre qui fait ainsi les frais de l’exclusion du tiers. La lutte est une lutte à mort. A défaut de son anéantissement, le désordre est «diabolisé», il est la menace, la préfiguration du chaos et il est vain de prétendre le gérer.
Le jeu du tiers nous permet ainsi de comprendre très clairement, du point de vue anthropologique, avec une très grande simplification néanmoins, sur quel socle s’est construit l’esprit scientifique en Europe: fondamentalement sur l’exclusion du tiers. Cette exclusion empêche tout dépassement, s’oppose à la transmutation des formes, bloque leurs jeux: les choses ne peuvent qu’être déterminées par des causes qui elles-mêmes peuvent devenir des effets et ceux-ci prenant la place de celles-là dans un processus immuable et sans fin. On comprend ainsi qu’il ne s’agit pas d’un hasard: la science, à cause de la crise qu’elle connaît aujourd’hui, a redécouvert, avec les rapports complexes entre l’ordre et le désordre, le jeu du «symbolique», en particulier dans la théorie de l’information.
Conclusion : un état des lieux provisoire
Le bien-fondé de la partie préliminaire se justifie essentiellement par la nécessité d’introduire un peu de clarté dans les définitions de certaines notions fondamentales comme l’ordre et le désordre, mais aussi dans la nature des rapports qu’ils entretiennent – ce que E. Morin appelle la «dialogie» de l’ordre et du désordre. Elle avait aussi deux autres intérêts à nos yeux.
Le premier est celui de mettre en évidence des «configurations» archétypiques au niveau formel des rapports ordre/désordre. Ces configurations nous permettront, chaque fois que cela sera possible, d’identifier les façons d’envisager un problème. En effet, selon telle ou telle autre configuration, les sens attribués à l’ordre et au désordre ne sont pas identiques. Ainsi, on peut noter que souvent, dans les différents travaux consacrés à cette problématique, on croit parler de la même chose, alors qu’en réalité, on se réfère à des significations très éloignées les unes des autres. Très fréquemment le dialogue dans ce domaine s’apparente à un «dialogue de sourds».
L’intérêt premier de nos travaux porte plus sur l’«enseignement» de la méthodologie et ses outils nouveaux ou anciens, tel qu’il est pratiqué en sciences humaines en général. Cet enseignement ne renvoie presque jamais aux «normes de cognition» des outils enseignés: soit il les passe sous silence, soit il en postule la prescience; dans les deux cas, le résultat est le même, la reproduction l’emporte sur la compréhension. A celui qui apprend le fait mécaniquement, lorsqu’on passe aux applications, on demandera de le faire sur ce même mode. Ainsi, ces outils ne renvoient, en fin de compte, qu’à eux-mêmes. L’absence d’une référence explicite (généralement réservée au monde des chercheurs) au dispositif «de signification» des outils empêche fatalement et leur apprentissage «raisonné» et leur «soumission» à l’effort de réflexion. On comprend comment la voie a été ainsi donc ouverte très largement à une formalisation «à outrance», mais «insignifiante» par elle-même. Ce serait trop prétentieux de notre part de vouloir résoudre un tel problème, nous nous limiterons à en souligner l’importance cruciale et à le mettre en évidence chaque fois que cela sera nécessaire ou possible.
C’est par ces réflexions et textes semblables à cette contribution où l’on peut porter à connaissance, au moins de la communauté scientifique, l’utilisation et la cognition des nouvelles méthodes d’analyse quantitative et qualitative et qui sont conçues et réfléchies en fonction de nouveaux besoins méthodologiques.
L’application des trois formes élémentaires des figures de l’ordre et du désordres par un détour anthropologique nous confirme le bien-fondé de la grille d’analyse entropique, malgré la non-présentation de la formalisation mathématique qui est la partie quantitative permettant de quantifier les différentes phases de dualité, quadralité et hexalité par des ratios, l’entropie et la négentropie. Effectivement, pour des raisons d’allégement et de commodité, cet autre aspect de la question ne pouvait être traité dans cette contribution.
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Notes
[1] Morin, E., La méthode : la nature de la nature, Paris, Ed. Seuil, 1977, Coll. Points, p. 2.
[2] Quételet, A. [1796-1874] est le premier à avoir appliqué les statistiques aux phénomènes sociaux. Il peut ainsi être considéré comme le véritable fondateur de la "statistique" sociale. Il est même fort probable que l’expression “physique sociale” lui fut empruntée par Auguste Comte.
[3] Si la "finalité" a été évincée par la physique, on pouvait difficilement faire de même en biologie. En particulier lorsqu’on sait que Driesch, en 1908, a pu démontrer que la reconstitution d’un oursin peut s’effectuer uniquement à partir de la moitié d’un embryon qui devient réellement un adulte complet. Il est donc nécessaire de trouver une explication à cette "finalité" qui ne soit pas d’ordre "providentiel". Un autre aspect actuel qui laisse perplexe est le retour de ce type de "finalité" à travers le développement des analyses "cybernétiques" (Rosembleuth et alii 1950).
[4] Cf. René Cohen, La structure politique, PUF.
[5] Ce renversement s’explique par le cheminement des sciences exactes elles-mêmes. Si on prend l’exemple de l’astronomie, on peut suivre chronologiquement cette évolution à travers les dates des différentes découvertes : 1923, l’existence d’autres galaxies, 1963, l’existence des quasars, 1968, des pulsars. L’extension de l’univers correspond à une expansion qui relève d’une dispersion pouvant être explosive.
[6] Balandier, G., Le désordre. Eloge du mouvement, Ed. Fayard. Balandier, 1988, op cit.
[7] Les interactions sont des actions réciproques modifiant le comportement ou la nature des éléments, corps, objets, phénomènes en présence ou en influence.
[8] Forsé, M., L’ordre improbable: entropie et processus sociaux, Paris, P.U.F., 1989.
[9] Ces concepts (la quadralité et la bi-dualité) ainsi que (l’hexalité et la tri-dualité) ont été proposé par nous même pour désigner une double et triple dualité.
[10] Effectivement, on ne donnera ici que les deux combinaisons principales, tout en sachant qu’il y a pour FII, quatorze cas possibles.
[11] Serres, M., «Les sciences», in Legoff, J. et Nora, P., Faire de l’histoire, Partie II, Nouvelle approche, Paris, Gallimard, 1974, p. 225.
[12] Comme pour la bi-dualité, on ne présentera que les combinaisons principales de tri-dualité, les autres se déduisent en fonction de leurs complexités, et ils sont au nombre de 56 cas.
[13] Il suffit de lire les chroniques des ethnologues coloniaux pour s’en convaincre. Malinowski [1975], s’érige contre cette vision lorsqu’il écrit : "La sauvagerie est considéré comme synonyme d’absurde, de cruel, coutumes excentriques, superstitions fantasque, pratiques révoltantes. Des récits où il est question de licence sexuelle, d’infanticide, de chasse aux têtes, de cannibalisme, etc. ont rendu la lecture d’ouvrages d’anthropologie attrayante pour beaucoup de gens et ont suscité chez d’autres un sentiment de curiosité plutôt que le désir de faire de l’anthropologie l’objet d’une étude sérieuse", Trois essais sur la vie sociale des primitifs, Payot, p.7.
[14] Rousseau, J.J., Du contrat social, Ed. 10/18, 1973.
[15] Mémoires d’outre-tombe, Livre VI, pp. 282-283
[16] Avec néanmoins la nécessité chez Lévi-Strauss de la distanciation par rapport à l’autre comme condition de sa mise en représentation. Nous voulons absolument dire ici que Lévi-Strauss participe de l’anti-ethnocentrisme inversé mais souligner l’ambiguïté originelle de la "figure du sauvage". Ainsi Lévi-Strauss parle de "la sauvagerie" des iro-iangi de la façon suivante : "Sauvages, ils l’étaient indiscutablement surtout les iro-iangi. Leur contact avec le monde blanc d’ailleurs réduit la plupart du temps à un seul paraguayen, ne remontait qu’à quelques mois. De quelle manière se manifestait la sauvagerie de ces sauvages ? Nullement en l’étrangeté des apparences : nudité des corps, taille des cheveux, colliers de dents, chants nocturne des hommes, etc. qui m’enchantaient puisqu’aussi bien c’est cela même ce que j’étais venu chercher. Mais par l’impossibilité massive, et du premier regard irrémédiable de se comprendre", Tristes tropiques, p. 432. P. Clastres est plus explicite: "J’étais allé jusqu’au bout du monde à la recherche de ce que Rousseau appelle “ les progrès presque insensibles des commencements”. J’avais poursuivi ma quête d’un état qui, dit encore Rousseau, n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n ‘existera jamais et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent", P. Clastres [1972], Chroniques des indiens guyaki, ce que savent les achés, chasseurs nomades du Paraguay, Plon p. 93.
[17] Clastres, P., La société contre l’Etat, Ed. Minuit, 1974.
[18] La nouvelle alliance, Ed. Gallimard, 1979.
[19] Serres, M., Le parasite, Grasset, 1980, p. 335.