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Mohamed Brahim Salhi (1952-2016)


Insaniyat N°80-81 | 2018 |La santé au quotidien dans les pays du Maghreb|p. 7-11 | Texte intégral


Le jeudi 25 août 2016 a été un jour douloureux pour la communauté universitaire. C’est le jour où notre collègue et ami Mohamed Brahim Salhi est décédé. Il nous a quittés alors qu’il était au summum de son activité intellectuelle et sociale.

Né en 1952 à Tizi-Ouzou, il a un itinéraire singulier, que ce soit au niveau de son cursus scolaire, de ses recherches, que de son engagement au sein de l’Université, des sociétés savantes et de la recherche scientifique.

Le riche cursus universitaire de Mohamed Brahim Salhi reflète bien ses compétences solides dans différents domaines de l’enseignement et de la recherche scientifiques. Des études en sciences politiques à Alger (1974), ensuite un doctorat 3è cycle (1979) à la prestigieuse École des Hautes Études en Sciences Sociales (l’EHESS) de Paris, en sociologie- ethnologie, puis  un doctorat d’État en Lettres et Sciences Humaines à l’Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III, en 2004) sur Société et religion en Kabylie 1850-2000. Cette thèse montre son choix d’étudier le fait religieux, dans une exploration approfondie qui l’amène au constat désolant du peu d’intérêt des administrations locales pour les archives, qui sont l’âme d’une Nation.

Une revue rapide de ses publications et projets de recherche montre trois constantes : le fait religieux, la citoyenneté et le local. Son terrain de prédilection est la Kabylie.

Très tôt, le fait religieux éveillera son intérêt et constituera la trame de fond de sa réflexion et de ses explorations d’un terrain, la Kabylie, complexe en proie à des tiraillements culturels, cultuels et politiques. Dans ses premiers travaux, il cherche à comprendre comment la religion s’impose dans une culture donnée et comment cette dernière se l’approprie, la structure et lui donne sens. Dans un texte très documenté, publié dans Insaniyat[1], il explique qu’il est : « … en effet évident que les imazighens, comme tous les groupes humains et culturels qui ont embrassé l’Islam, n’ont pas renoncé à leurs cultures mais y ont puisé des outillages qui façonnent leurs pratiques sociales de la religion ». Dans ce contexte, il va analyser et montrer, à travers l’étude du cheminement de Cheikh Mohand El-Hocine, en Kabylie, comment ce personnage religieux et politique, à la fois, a su allier valeurs locales et religion musulmane, « ce cheikh est un exemple frappant de la vivacité de la culture amazighe dont il exprime les valeurs avec beaucoup de liberté et qu’il articule avec les valeurs religieuses centrales ». 

Les trois dernières décennies nous ont montré l’importance du fait religieux au Maghreb et dans le monde. Un autre champ de recherche va se superposer et s’imposer durant les deux dernières décennies, il s’agit de la notion de citoyenneté. Ses travaux centrés sur la Kabylie, région en proie à des conflits récurrents, mais nécessaires à la construction de l’identité, qualifiés par lui comme « des moments intenses de recomposition de la citoyenneté », lui offrent un terrain fertile et sans cesse renouvelé. Cette citoyenneté est en construction permanente. Les évènements historiques exacerbent ce besoin d’affirmer son appartenance (identité) et son action sur le monde (citoyenneté) par son engagement ou désengagement, par son intégration ou son exclusion. Ses recherches gravitaient sur l’identité, la citoyenneté et comment elles se construisent sur la base de négociations, de « modernisation » et « retraditionalisation ». Il dira que le mouvement du changement n’est jamais à sens unique, et la modernisation n’est pas la seule à impulser un changement qui alternerait entre modernisation et retour à la tradition, comme si le changement ne pouvait se satisfaire de la modernisation sans lui ajouter la valeur traditionnelle nécessaire à son intégration. La Kabylie constitue un des terrains les plus fertiles dans la recherche, car sans cesse en effervescence ; les printemps berbères en sont les événements les plus marquants, car présentant des enjeux politiques, culturels, sociaux très complexes. Aussi, va-t-il observer, décortiquer, analyser le champ social et constater que les mouvements citoyens visent à restaurer la liberté d’expression et le droit à la diversité culturelle, réduite à un bloc monolithique depuis l’indépendance. Réhabiliter la culture amazighe c’est autoriser l’Algérien à s’approprier toute sa culture dans sa diversité d’expression. Ces mouvements n’ont pas été vains puisqu’ils ont permis que soit enfin consacrée, dans la constitution, tamazight langue officielle en février 2016. Ce terrain apparait également dans ses publications dans la revue Awal.

Dans ce même registre, Mohamed Brahim Salhi rappelle que les revendications intégristes, qu’elles soient culturelles ou cultuelles, visent le communautarisme, qui exclut, de fait, le vivre-ensemble dans la différence, et fait reculer la République (Germaine Tillion dirait « la république des cousins au détriment de la république des citoyens »),
et par voie de conséquence, la citoyenneté. Il va explorer, rechercher des terrains ethnographiques concentrés sur des objets précis et des terrains bien circonscrits, que ce soit dans ses propres recherches ou celles de ses doctorants. On a le sentiment qu’il tente de creuser sans cesse, de présenter une description « dense » au sens Geerzien, pour reconstituer le sens des actions et manifestations ethnographiques de cette région. Malgré son immersion dans ce terrain, il reste toujours attaché à l’objectivité scientifique, rigoureux et son analyse dépassionne le débat et le déplace des positions partisanes vers une analyse scientifique.

Enseignant depuis 1979 à l’Université Mouloud Mammeri de
Tizi-Ouzou, Mohamed Brahim Salhi a non seulement laissé sa trace sur le plan de la recherche, mais aussi sur le plan de la contribution à la gestion de l’université.

Á l’université, il a occupé le poste de vice-recteur à Tizi-Ouzou, par la suite, il sera nommé comme doyen de la faculté des sciences sociales de la même université. Il a aussi été coordinateur de l’École Doctorale en Anthropologie à Oran (EDA-Oran) et directeur de l’INRE (Institut National de la Recherche en Éducation, à Alger)… 

Sa contribution au CRASC a été conséquente à plusieurs niveaux :

En tant que chercheur associé, il a dirigé de nombreux projets
et encadré des jeunes chercheurs et doctorants en les accompagnant sur le chemin ardu de la jeune recherche en Algérie. Le CRASC était en construction et il y a contribué, non seulement en tant que chercheur et encadreur, mais également au sein du conseil scientifique.

En tant que membre du conseil scientifique du CRASC, il était fortement engagé et passionné lors des débats. Il faut rappeler que le CRASC des années 2000 était en gestation, nous tâtonnions. Il y avait très peu de chercheurs permanents, la majorité était des associés, et Mohamed Brahim Salhi a énormément apporté sans aucune autre contrepartie que de contribuer à l’édification d’un centre de recherche qui ait des assises de fonctionnement rationnelles et une production scientifique de qualité.

En tant que membre du comité scientifique de la revue Insaniyat, il a publié des articles, des comptes rendus et des présentations de numéros. Il a coordonné le numéro sur Le local, acteurs et représentation (n° 16, 2002), sur Religion, pouvoir et société avec Hassan Remaoun (n° 31, 2006) et celui sur la ville (n° 54, 2011). À chacun de ses passages à Oran, qui étaient nombreux, il trouvait toujours un moment pour discuter avec les membres du comité de rédaction et parfois d’assister à la réunion et de participer aux débats.

Enfin en tant que coordinateur de l’École Doctorale en Anthropologie (EDA), créée, en 2006, par le CRASC, en partenariat avec l’Université d’Oran (université habilitée) et celles de Tizi-Ouzou, Bejaia, Constantine, Mostaganem, Tlemcen, etc.), Mohamed Brahim Salhi a été une des chevilles ouvrières et l’un de ses enseignants les plus engagés. Il y a assuré des séminaires, des ateliers et dirigé de nombreuses thèses. Membre fondateur, avec Nouria Benghabrit-Remaoun, Badra Moutassem-Mimouni, Mohamed Saidi, Hassan Remaoun et il y a coordonné l’École (EDA) durant deux promotions : 2006-2007 et
2007-2008. Cette École doctorale a été une école-modèle qui a associé de nombreuses universités. L’objectif principal était de mettre en contact des étudiants de différentes régions du pays et d’orientations culturelles et sociales.

En 2014, Mohamed Brahim Salhi est nommé directeur de l’Institut National de Recherches en Éducation (INRE), il va impulser une dynamique à cette institution et organiser un colloque national (le 25 et le 26 février 2015, Alger), intitulé « la recherche en éducation : perspectives et priorités », dont les objectifs étaient de réorganiser la recherche en éducation, en faisant appel aux acteurs de l’éducation ainsi qu’aux penseurs et chercheurs dans les différentes disciplines des universités du pays. Le colloque est sorti avec des recommandations mettant en exergue la nécessité d’une formation rigoureuse des acteurs de l’éducation et le développement des méthodes actives accordant une autonomie à l’enseignant et à l’apprenant. La recherche devait accompagner l’éducation et déboucher sur une expérimentation et un feedback continu entre la recherche et l’action d’éducation. L’INRE devait passer au statut d’établissement public scientifique et technique, ce qui n’était pas une mince affaire, Mohamed Brahim Salhi a fait appel à un comité scientifique solide pour accompagner ce changement.

Tous ces engagements l’ont fatigué, épuisé. Il avait prévu de prendre sa retraite pour se consacrer à la recherche et à l’écriture.

Il est parti trop tôt et n’a pu développer toutes ses idées avant-gardistes sur la recherche en éducation et ses perspectives.

Ce sont des personnes comme Mohamed Brahim Salhi qui, par leur engagement et leur abnégation, ont posé des assisses solides pour l’édification du CRASC et de la revue Insaniyat. Ils avaient une vision à long terme, qui leur a permis de tenir malgré les difficultés de tous ordres.

Mohamed Brahim Salhi a été un « citoyen » au grand sens du terme puisqu’il a participé à la gestion de la cité, que ce soit tant que gestionnaire, penseur, chercheur ou enseignant.

Bibliographie de Mohamed Brahim Salhi

(2010). Société, politique et religion en Kabylie. En cours d’édition, sortie prévue fin 2009 début 2010, Paris : Ėd Bouchène.

(2010). Algérie : identité-citoyenneté. Tizi-Ouzou : Édition Achab.

(2008). La tariqa Rahmaniya : de l’avènement à l’insurrection de 1871. Alger : Ouvrage édité par HCA.

Contributions à Insaniyat

(2006). Société et religion en Algérie au XXe siècle : le réformisme ibadhite, entre modernisation et conservation. Insaniyat(31), Janvier-Mars.

(2006). Religion, pouvoir et société. Co présentation avec H. Remaoun. Insaniyat (31).

(2005). L’ESPACE montagnard entre mutations et permanences. (dir.). Nadia MESSACI, p. 11-50, ISBN 9961-813-19-7 

(2004). Contestations identitaires et politiques en Algérie (1940-1980) : le poids du local. Édition IRMC/ Paris : Maisonneuve et Larose.

(2002). Réalités, acteurs et représentation du local en Algérie. Présentation du n°16/2002 de Insaniyat, CRASC, (coord.). Mohamed Brahim SALHI.

(2002). Local en contestation, citoyenneté en construction. Le cas de la Kabylie. Oran-Algérie, CRASC, Janvier- Avril, Insaniyat (16). Réalités, acteurs et représentations du local en Algérie. (vol. VI, 1), (p. 55-97), ISSN 1111-2050.

(2000). La presse à la conquête du village : note sur la diffusion d’Alger républicain en Kabylie (1954-1955). Insaniyat (10), Janvier-Avril.

(2000). Élément pour une réflexion sur les styles religieux dans l’Algérie d’aujourd’hui, Insaniyat (11), Mai-Août, p. 43-63.

(1999). Modernisation et retraditionalisation à travers les champs associatif et politique : le cas de la Kabylie. Insaniyat (08) Mai-Août.

Revue Awal

(2006). Les usages sociaux de la religion en Kabylie. De la spécificité à l’universalité I. Paris : Edition de la Maison des Sciences de l’Homme, Awal (33), Cahiers d’études berbères, p. 3-15.

(2004). Élites entre modernisation et retraditionalisation : les acteurs de la contestation identitaire en Kabylie (1980-2001). Le Caire : Ėd Casbah /CREAD/ ARCAASD.

(2003). L’approche du sacré et du changement religieux chez Geertz : quelle pertinence pour le cas algérien. Dans L’Anthropologie du Maghreb selon Berque, Bourdieu, Geertz et Gellner. (dir.). L. ADDI, Paris : Awal / Ibis Press,
p. 111-124.

(2002). Réflexion froide sur des questions chaudes. Quelle anthropologie du religieux en Algérie ? Cahiers du CRASC.

 

[1] Objets religieux à l’épreuve des représentations identitaires : la Kabylie et Cheikh Mohand comme exemples (en langue arabe).

Badra MOUTASSEM-MIMOUNI

 

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