Insaniyat N°80-81 | 2018 |La santé au quotidien dans les pays du Maghreb|p.135-138 | Texte intégral
« La pratique donne l’expérience,
et l’expérience peut tout » (Proverbe allemand).
Peut-on faire de sa propre expérience un gisement d’idées ? Une source d’inspiration pour des écrits visant le partage d’un vécu, d’un souvenir, ou bien d’un souhait inexaucé ? Entamant sa vie professionnelle en tant qu’auxiliaire de santé, Farouk Zahi sera versé par la suite dans l’administration sanitaire pour occuper des postes à responsabilité dans plusieurs villes d’Algérie. Cette expérience dans le secteur sanitaire, il va la resituer et narrer, après sa mise à la retraite dans des contributions, publiées particulièrement dans les quotidiens El Watan et le Quotidien d’Oran.
Ce livre qui regroupe 43 articles, ayant comme thème principal la santé publique, témoigne de plus de 35 années d’exercice vécu sous des changements constants et imprévisibles. Plusieurs sujets ont été abordés, notamment le système sanitaire, la refonte hospitalière, les maladies transmissibles, les acteurs de la santé publique, etc.
Une attention particulière a été accordée au système de santé algérien qui prôna, au lendemain de l’indépendance, la garantie du droit aux soins pour tous les citoyens. Des progrès ont pu être réalisés grâce aux efforts déployés par des médecins autochtones, qui ont relevé le défi pour remettre sur les rails les quelques édifices existants, désertés par leurs fonctionnaires. Indiquant du doigt l’image du Taj-Mahal, le Professeur Toumi concluait en ces termes : « ce palais a été érigé par un prince mongole à la gloire de sa bien-aimée, quant à nous, nous avons fait ça par amour pour notre pays usurpé ! » (p. 19). L’un des aboutissements de cette volonté est la mise en œuvre d’un système de vaccination en faveur de toute la population, même pour celle installée dans les contrées les plus isolées. Deux dates majeures marqueront cette saga dont peuvent en être fiers les pionniers, [l’une d’entre elles] la mise en œuvre, dès 1977, du plan élargi des vaccinations (PEV) » (p. 98). Mais ce système sanitaire qui faisait autrefois la fierté des uns, laisse, aujourd’hui, à désirer et invite à remettre en cause les choix adoptés. Car comme l’écrit l’auteur, « politisé à l’excès, il devenait suspect aux yeux de ceux-là mêmes, qui ont été élevés en son sein » (p. 20).
L’émergence de la médecine libérale interpella aussi l’auteur, dans la mesure où celle-ci gagne du terrain au grand dam du service public. Il veilla à démontrer l’importance et le rôle de ce dernier dans la préservation de la santé des citoyens, en étant le premier garde-fou contre les maladies. Et pour appuyer son opinion, il se réfère à l’avis du docteur Ammar Benadouda, vieux routier des services de santé publique, qui voyait que la santé, autant que l’éducation et la justice, ne peut être que publique (p. 63).
Une autre question qui suscita son intérêt, celle des maladies et des nuisances auxquelles les Algériens font face. Il s’arrêta longtemps sur les maladies transmissibles, héritées de la période coloniale du fait du niveau de vie déplorable et de la couverture sanitaire limitée (à l’exemple de leishmaniose, la tuberculose, le paludisme, le choléra..). Il attire aussi l’attention sur les actuelles nuisances induites par le changement social et l’accroissement démographique (la pollution, le harcèlement sonore, les toxi-infections alimentaires…). Zahi pense qu’« en dépit des efforts financiers colossaux consentis pour améliorer le sort des populations en matière de prise en charge sanitaire, le bateau environnement-santé continue à voguer de Charybde en Scylla » (p. 109).
Quelques articles ont été dédiés à la mémoire des hommes et des femmes qui ont marqué l’existence de l’auteur et celle des Algériens. Il est question de médecins qui ont imprégné la santé des populations par leur dévouement, leur humanisme et leur savoir, à l’instar des
Pr Zerhouni, Boulahbal, Guessabi, Ben Atallah, Belkhodja, Chaulet et bien d’autres. Ils ont tous apporté une pierre à l’édifice, bien qu’ils aient été dépourvus de moyens : « des hommes et des femmes aux mains nues ont entrepris une belle œuvre, celle de restaurer et de promouvoir l’état de santé de leurs concitoyens » (p. 11).
Somme toute, l’ouvrage relate une expérience professionnelle
et humaine s’étalant sur une période marquée par des transformations structurelles qu’a connues le secteur sanitaire algérien. L’auteur se rappelle une période révolue qui a vu naître les prémices du système de santé publique en Algérie, caractérisée par les défis, le patriotisme et la fierté. Il évoque l’état actuel de ce système, en soulignant ses échecs et ses dysfonctionnements qui engendrent des inégalités sociales en santé au lieu de les réduire.
Souad LAGUER