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Insaniyat N° 90 | 2020 |Participation citoyenne aux projets de développement| p. 7- 11| Texte intégral



Ce numéro d’Insaniyat traite d’une question complexe à la fois ancienne et d’actualité : celle de la participation citoyenne à la vie de la cité. Derrière les termes de citoyenneté  et de participation, qui sont entrés dans le vocabulaire commun sous des connotations essentiellement politiques, se cachent en effet deux dimensions différentes mais complémentaires si l’on regarde les choses de plus près. D’un côté se situent des débats fondamentaux sur les notions de citoyenneté et de démocratie, qui ont trouvé dans le contexte algérien de ces deux dernières années (le Hirak) une formidable caisse de résonnance. De l’autre, des réalités contrastées d’implication des citoyens dans des pratiques locales tout à fait triviales ayant pour objectifs l’amélioration de leurs conditions de vie, dans leurs lieux d’habitat, leurs quartiers, mais qui portent en filigrane des réponses concrètes à ces questionnements de fond. 

Si l’idéal de la participation des gens ordinaires, des citoyens égaux en droits et en devoirs aux affaires de la cité a été en effet à l’origine du paradigme moderne de la démocratie, sa résurgence dans les mouvements sociaux actuels en dit long sur ce que Berger et De Munck appellent « le désenchantement à l’égard de la politique, qui n’a jamais été aussi grand » (Berger & De Munck, 2015). Ces auteurs soulignent à cet égard que la participation telle qu’elle s’est développée à des échelons locaux est devenue sinon une panacée appelée « à la rescousse des démocraties en crise », du moins une solution au déficit de démocratie dont souffrent d’autres sociétés. Elle traduirait de ce fait, une sorte d’appel émanant de la base à l’invention d’un nouveau lien entre le pouvoir politique et les communautés locales de base. Elle exprimerait ainsi de manière objective une demande d’inclusion au politique qui ferait sens, et proposerait une alternative de fonctionnement démocratique local en quelque sorte apaisée et au plus près des attentes citoyennes.

Engagés dans la recherche de travaux consacrés à cette thématique dans l’université algérienne et ailleurs et ce, à partir du constat de l’intérêt que commençait à porter le monde académique sur les expériences d’aménagement participatif qui s’étaient développées dans les villes et villages algériens, nous étions loin de prévoir la profondeur de cette soif de participation et de démocratisation de la vie publique existant dans la société algérienne.

Les textes présentés dans ce numéro permettent de constater que loin d’être des épiphénomènes rares et curieux, les nombreuses expériences participatives documentées ces dernières années dans les universités du pays[1] et même ailleurs, constituaient en quelque sorte la partie immergée d’un immense iceberg d’initiatives locales, de petits projets d’aménagement participatif de placettes, d’espaces interstitiels, de rues, bâtiments et autres lieux abandonnés ou laissés pour compte par l’aménagement et les aménageurs officiels, c’est-à-dire les autorités locales. Ils montrent bien, et de manière éclatante et argumentée, le combat d’associations citoyennes locales pour récupérer des biens et espaces disputés et parfois indûment spoliés et privatisés par d’autres acteurs sociaux.

Ils décrivent aussi les prodiges d’organisation et de mobilisations des ressources de liens communautaires ou de type « villageois » et communautaires quand ces derniers avaient résisté aux processus de laminage induits par des processus d’urbanisation délétères et individualistes. Ils montrent enfin, que des démarches participatives vertueuses, dans le sens sociétal du terme, ont trouvé dans le contexte algérien des aboutissements réussis. Pour peu que les autres acteurs impliqués dans ces démarches, les autorités politiques et administratives locales en l’occurrence, apportent leurs contributions effectives et mettent dans le pot citoyen commun leurs ressources.

La première contribution de Madani Safar Zitoun montre à travers une analyse critique de l’implantation et de l’acclimatation des démarches participatives “bottom up”[2] sur le long cours, des années 1980 à aujourd’hui, la manière selon laquelle les méthodologies participatives se sont frayées un chemin difficile dans les esprits et dans les pratiques d’une administration algérienne très centralisée. Elle montre surtout comment, malgré la diffusion et la réussite accumulée par ces dernières dans les années 1990, l’aisance apportée par l’embellie des recettes pétrolières observée dans les années 2000 a emporté les rares montages participatifs institutionnalisés et mis en œuvre par les acteurs publics dans des projets d’habitat et d’aménagement urbain.

Dans la même veine analytique, Anna Rouadjia dans son article « L’engagement en faveur de l’environnement : entre attente de redistribution et quête de reconnaissance », apporte des éclairages subtils sur « les motifs de l’engagement participatif » des populations d’Alger et de Marseille engagées dans des mouvements de défense de l’environnement. Elle nous montre ainsi que les valeurs citoyennes et participatives contenues dans l’idéologie environnementaliste ne sont pas présentes dans les représentations de toutes les couches sociales de la population algéroise. Ces dernières, malgré le fait qu’elles « ne sont pas immuables, statiques et définitives » peuvent être, comme « valeurs dominantes appropriées par le bas et devenir des vecteurs d’affirmation et d’émancipation ». Elle relance et interroge par ce biais le débat sur les difficultés de l’engagement des couches populaires dans les démarches participatives.

Ses conclusions font écho aux deux autres contributions de Fatiha Tamani-Djebra et al. sur l’expérience participative « réussie » de jardins partagés d’une cité d’habitat collectif algéroise et de Dounia Cherfaoui sur la démarche participative mise en œuvre dans un projet d’aménagement d’une placette de la ville d’Alger. Ces études de cas se sont avérées, selon leurs auteurs, instructives du point de vue de l’évaluation de l’acclimatation des méthodologies participatives dans le contexte algérien. À travers la description de tous les aspects d’ordre organisationnel, technique et opérationnels qui ont été mis en œuvre par l’ensemble des acteurs institutionnels et les populations locales, on découvre à travers ces deux contributions combien en effet les valeurs environnementales sont convoquées et instrumentalisées par l’ensemble des acteurs.

Ces travaux soulignent également le rôle joué par les acteurs officiels qui peuvent ainsi « passer » les projets et les légitimer auprès de leurs tutelles. Ils montrent aussi combien ces montages s’avèrent des constructions opérationnelles exceptionnelles et foncièrement fragiles, car tributaires de conjonctures de rapports politiques et de volontés individuelles locales. On y perçoit surtout, et cela mérite d’être souligné, la grande capacité des populations à l’échelle locale de s’impliquer dans des projets collectifs.

Enfin, la dernière contribution qui clôt ce numéro est un entretien mené par Hayette Nemouchi avec Robert Hérin (géographe et professeur émérite à l’Université de Caen-Normandie). Cette contribution  aborde l’apport de la géographie sociale à l’analyse de la « gouvernance des territoires en crise » ou de la « crise de la gouvernance des territoires ». Dans la mesure où les méthodologies participatives ne sont en effet pas des entités abstraites et idéelles, mais se déploient dans des contextes territoriaux précis, et nécessitent la mobilisation de ressources particulières de gouvernance. La vision spatialisée des choses que souligne Robert Hérin permet de mieux comprendre la complexité et l’ancrage territorial des réalités analysées dans les différentes contributions précédentes.

Pour conclure, nous dirons que ces contributions ne font qu’effleurer un champ très large et vigoureux de la pratique sociale en œuvre dans les différentes sociétés civiles dans le monde, et en Algérie en particulier. Elles nous fournissent une matière supplémentaire aux travaux déjà réalisés au sein du CRASC sur les questions de citoyenneté et d’évolution du lien social dans nos villes 

Madani SAFAR ZITOUN

Notes 

[1] Cf. entre autres les travaux de Abbadie, M. (2001). La politique nationale de l'habitat : la requalification participative dans les grands ensembles, cas de la cité Soummam-Bab Ezzouar. [Mémoire de magister en aménagement urbain, Université des sciences de la technologie Houari Boumediene (Alger)]. Anouche, K. (dir), (2005). Requalification urbaine participative à Alger, Rapport final Projet Pilote de la Cité Soummam. [Mémoire de DESS, URB-6031, Université de Montréal]. Benmohamed, T., Maïza, Y. (2010). Une expérience participative à la cité de la SELIS (Béchar). Dans A, Bendjelid. (dir.),  Villes d’Algérie. Formation, vie urbaine et aménagement. Editions du CRASC : Oran, p. 197-214.Hissar, H. (2006). Le renouvellement de l’action publique algérienne à l’épreuve du réel : le cas du projet de « requalification » de la cité Diar el Kef, Alger. » [Mémoire de Master, IEP, Université d’Aix-Marseille III]. Safar Zitoun, M. (2009). L’ingénierie participative dans les programmes publics de logement social. Contenu et limites de l’expérience algérienne. Dans Habitat social au Maghreb et au Sénégal. etc…

[2] Les démarches dites “Bottom-up” dans le vocabulaire international désignent les initiatives et projets qui émanent de la base, du « bas » (bottom) c’est-à-dire de la population, pour aller vers le « haut » (up), c’est-à-dire les instances de pouvoir et de décision.

[3] Voir entre autres : Derras, O. (2002). Le mouvement associatif au Maghreb. Les cahiers du Crasc, 05, p. 213 ; Remaoun, H., Hennia, A. (dir.), (2013). Les espaces publics au Maghreb. Au carrefour du politique, du religieux, de la société civile, des médias et des NTIC. Les ouvrages du CRASC, p. 605 ; Remaoun, H. (dir.), (2012). L’Algérie aujourd’hui : Approches sur l’exercice de la citoyenneté. Les ouvrages du CRASC ; Derras O. (dir), (2004). Les acteurs du développement local durable en Algérie : comparaison Méditerranéenne. Les ouvrages du CRASC, p. 251 ; Bendjelid, A. (dir.), (2010). Villes d’Algérie. Formation, vie urbaine et aménagement. Editions du CRASC : Oran, etc…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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