Insaniyat N°90 | 2020 |Participation citoyenne aux projets de développement |p.61 -79 | Texte intégral
Fatiha TAMANI-DJEBRA: Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme Alger, Hocine AIT AHMED, Laboratoire Ville, Urbanisme et Développement Durable, 16 200, Alger, Algérie.
Meriem CHABOU-OTHMANI : Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme ALGER, Hocine AIT AHMED, Laboratoire Ville, Urbanisme et Développement Durable, 16 200, Alger, Algérie.
Radjaa BENSOUYAH: Conservatoire National des Formations à l'Environnement, Département Jardins Partagé, 16 009, Alger, Algérie.
La question de la participation à l’amélioration du cadre de vie dans les cités d’habitat collectif en Algérie se pose avec acuité. L’état de dégradation avancée que présentent ces cités est dû principalement à l’absence d’implication des habitants dans la gestion urbaine de proximité, de sensibilisation et de la culture du vivre ensemble.
Au niveau international, la notion de participation ainsi que plusieurs formes et outils enclenchant le processus participatif du global au local, ont été mis en œuvre (André, Martin & Lanmafankpotin, 2012) (Bacqué, Gauthier, 2011), (Bresson, 2014), (Loïc, 2007). Le jardin partagé figure parmi la panoplie des dispositifs documentés ces dernières années. Il représente, cependant, dans l’Algérie d’aujourd’hui, une pratique plutôt novatrice qui gagnerait à être mieux connue dans la mesure où elle pourrait contribuer à impliquer les habitants dans une meilleure gestion de leur cadre de vie.
Le jardin partagé constitue, en effet, un objet synthétisant les enjeux du développement durable (Demailly, 2014). Il contribue à la création des liens sociaux et l’implication des habitants dans la vie de leur quartier, par l’appropriation et le partage des parcelles cultivées.
Les travaux de recherche, effectués ces dernières années sur ce type d’espaces partagés, révèlent le rôle et les enjeux de ce dernier dans la sensibilisation à la question écologique et à la vie citoyenne, enjeux liés particulièrement à l’amélioration du cadre de vie dans les quartiers, « L’investissement dans un jardin partagé peut poser les jalons d’une implication politique dans la vie de quartier ». (Demailly, 2011, p. 11) ; mais sert également à identifier les vrais enjeux sociaux locaux qui se dessinent dans les projets participatifs à dimension communautaire et environnementale.
La thématique de la participation a été largement abordée, notamment à travers les agendas 21 locaux confirmant la nécessité de l’implication des citoyens dans l’élaboration des plans d’action. Elle figure également dans plusieurs recherches sur la question de la mise en œuvre de dispositifs et de processus de participation et d’implication des citoyens dans la gestion urbaine et publique (Pintaudi, 2010) dans la vie de leurs quartiers. Toutes ces injonctions et recherches ont été construites autour d’un principe largement partagé : comment transformer les individus ou les groupes de résidents en acteurs de leur propre transformation, en citoyens respectueux de leur environnement urbain et comme parties prenantes de leur devenir (Bresson, 2004).
En Algérie, étant donné l’inexistence d’un cadre juridico-institutionnel régissant la participation citoyenne et habitante, notamment à travers la loi 06-06 de 2006 portant sur l’orientation de la ville, qui n’a pas été suivie de textes d’application et d’exécution, la participation est loin d’avoir été une pratique institutionnalisée. Signalons, cependant, l’initiative du Conservatoire National des Formations à l’Environnement CNFE[1], d’introduire une démarche participative à travers le partage d’un jardin, avec comme objectif la sensibilisation à la dimension environnementale et écologique, objet de cet article.
Dans le cadre de cette initiative innovante à plus d’un titre, dans le contexte très centralisé, très up down de fonctionnement de l’administration locale algérienne, c’est l’implication directe des habitants d’une cité d’habitat collectif de type AADL (Agence nationale d'amélioration et du développement du logement) qui était recherchée, non pour la beauté de l’expérience, mais parce qu’elle constituait un atelier d’apprentissage du vivre ensemble autour d’un projet de jardin partagé, mais aussi un chantier de réhabilitation participative d’espaces communs en déshérence.
Il s’agit donc, pour nous, de tirer les leçons de cette opération innovante de participation habitante à travers l’aménagement et l’exploitation de jardins potagers collectifs implantés dans le tissu interstitiel d’une cité d’habitat collectif, à travers les réponses collectées sur le terrain auprès des divers acteurs impliqués dans cette opération aux questions suivantes :
Comment cette première expérience, en Algérie, de processus participatif par le biais de jardins collectifs partagés a-t-elle favorisé le sentiment d'appartenance au quartier de résidence en développant le sentiment de chez soi chez ses habitants?
Peut-on considérer cette expérience particulière comme un vecteur permettant d’améliorer la gestion des parties communes de nos cités ?
Dans cet esprit, il nous est paru opportun de connaître le degré effectif de participation et d’acceptation du projet par les habitants, d’une part et d’identifier les contraintes politiques, institutionnelles, organisationnelles et/ou culturelles ayant entravé la généralisation et la réussite de cette expérience, d’autre part.
Dans cet article, nous émettons l’hypothèse que le jardin partagé pourrait être un catalyseur privilégié d’amélioration de la qualité urbaine dans nos cités d’habitat collectif parce qu’il repose sur un processus particulier de type participatif qui développe les ressources de lien et de coopération entre résidents à propos d’enjeux de voisinage de type secondaire.
C’est, en effet, sans doute, parce que le jardin partagé est un espace rassembleur du point de vue symbolique, qu’il constituerait en quelque sorte la forme par excellence d’introduction de la sensibilité citoyenne aux questions d’intérêt commun dans nos cités d’habitat collectif.
Le jardin partagé : témoignage d’une volonté d’implication des citoyens dans la gestion de proximité
Le jardin partagé : quelques repères dans l’histoire
L’histoire des jardins communautaires n’est pas récente, elle remonte au Moyen-Age. Le concept de jardins partagés est apparu aux Etats-Unis au cours des années 1970 (Baudry, 2010). Les friches urbaines résultant de la démolition de nombreux bâtiments dans la ville de New York furent végétalisées en lançant des bombes de graines (seed bombs) (Demailly, 2014). En 1973, le premier community garden fut créé dans une friche à Manhattan par Liz Chisti. En 1974, le mouvement Green Guerillas fut fondé et c’est ainsi que les community gardens se propagent dans toute l’Amérique du nord.
Aujourd’hui, les jardins urbains collectifs sous toutes leurs formes : familiaux, d’insertion et partagés sont l’objet de nombreuses politiques de développement local, à travers le monde : Paris, Berlin, Londres, Montréal, Tokyo et bien d’autres métropoles encore se dotent de jardins communautaires « le jardin partagé se présente comme la recherche d’un espace de convivialité et de mixité sociale face à l’atomisation subie dans la grande métropole ». (Baudelet, 2005).
En Allemagne, le jardin communautaire fait aussi dans l’originalité. C’est à Kreuzberg, quartier populaire et bétonné de Berlin, que se cultive un jardin partagé entièrement transportable surnommé le Prinzessinnengarten (jardin des Princesses). Ainsi, salades, radis et fenouil poussent dans des caisses à pain en plastique. En France, ces jardins se sont organisés à travers le réseau « le Jardin dans Tous Ses États » JTSE, dont les valeurs de la Charte de la terre en partage se fondent sur la gestion participative qui favorise la mixité sociale.
Le jardin partagé « Ezzouhour » : une expérience innovante en Algérie
Le Conservatoire National des Formations à l’Environnement (CNFE), créé à l’effet de renforcer le cadre institutionnel pour la mise en place de la politique nationale de l’environnement et du développement durable, s’est lancé dans un projet de « jardins partagés » et pris comme première expérience à la cité des 116 logements AADL Boumati, El-Harrach, d’Alger.
Les principales missions du CNFE : la formation, la sensibilisation et l’éducation à l’environnement en direction de l’ensemble des acteurs socio-économiques publics et privés ainsi que les préposés à l’application des lois ou à la surveillance des espaces fragiles.
L’histoire a commencé à partir d’une idée qui est née chez l’initiatrice du projet, suite à une formation qu’elle a suivie au Jardin d’Essais « Je voulais sortir et aller vers les gens pour provoquer la rencontre, j’ai utilisé un outil découvert en formation, le jardin partagé » (Bensouyah, 2017)[2].
Cette première expérience a mûri en 2011 et a pu se concrétiser grâce à une coopération entre le CNFE, l’AADL et les services de la collectivité locale d’El-Harrach. En 2012 naît le jardin « Ezzouhour » sur un espace extérieur, situé dans la cité des 116 logements AADL récemment occupée par ses habitants. Le premier jardin partagé en Algérie est donc le fruit de la collaboration entre le CNFE, l’AADL, la collectivité locale et les résidents de la cité.
D’une surface de 300 m2, ce terrain couvert de pelouse et qui servait d’espace vert, sera découvert par la responsable du département des jardins partagés du CNFE, lors de ses visites de prospection à la recherche d’une cité pouvant accueillir son projet de jardin partagé. Ce projet devant servir d’opération pilote, le terrain d’implantation devait être judicieusement choisi. Les critères de ce choix ont été principalement : la sécurité, la présence d’une clôture, de gardiens d’immeubles, d’un nombre de familles résidentes ne dépassant pas 100 ménages et la disponibilité d’espaces extérieurs bien délimités.
Figure 1 : Plan de la cité 116 logements, AADL (Boumati El-Harrach)
Source : AADL
Figure 2 : Le Terrain (300 m2)
Source : Bensouyah, 2012
Le jardin est conçu de telle manière à inclure l’aspect esthétique qui préserve l’image de la cité, et les thèmes de cultures qui puissent intéresser les citadins (ornement, aromatique, légumes et arbres fruitiers).
Le terrain a donné naissance à douze parcelles, onze destinées aux habitants et la douzième cultivée et prise en charge par le CNFE. Cette parcelle est le moyen pour assurer le lien avec les habitants ainsi qu’un contrôle et un suivi du projet. Le CNFE veille à la réussite du projet
et surtout à sa durabilité.
Figure 3 : Traçage du plan sur terrain 2012
Source : Bensouyah, 2012
Figure 4 : Mise en place des allées 2013
Source : Bensouyah, 2013
Les procédures de montage financier adoptées par le CNFE sont basées sur un financement mixte privé/public et ce, en collaboration avec la collectivité locale et des partenaires privés tels que les petites et moyennes entreprises, qui constituent la source de financement principale.
Les différents partenaires économiques, dans ce projet, constituent le seul souffle qui lui a permis de voir le jour. Leur apport est d’ordre matériel et/ou financier. Le CNFE a valorisé les engagés dans ce projet par une plaque publicitaire.
Aussi, le CNFE a obtenu une aide logistique (Fourniture de : terre végétale, fumier, quelques plantes ornementales, ossature serre, ciment, gravier, sable, aide aux travaux d’aménagement) de la commune d’El-Harrach. Le jardin d’essais d’Alger a offert des terreaux de culture et mis à la disposition une salle de formation permettant de recevoir un apprentissage des modes de jardinage respectueux de l’environnement.
Figure 5 : Mini-serre
Source : Bensouyah, 2013
Figure 6 : Clôture de sécurité
Source : Bensouyah, 2013
Méthodologie : questionnaire, entretiens et observations des pratiques
Appréhender la participation dans les jardins partagés
Les étapes de la mobilisation, une mobilisation difficile mais aboutie
La démarche de concertation engagée en 2011, par le CNFE, a débuté en sollicitant, en premier lieu, l’AADL propriétaire de parcelles de terrain dans la cité pour l’exploitation d’un terrain sis à la cité Boumati. Puis, en deuxième lieu, la collectivité locale d’El-Harrach par le biais de séances de travail qui ont permis de bien expliquer les visées du projet et ses impacts positifs sur le cadre et la qualité de vie des citoyens. Et enfin, les habitants ont été informés par le biais des annonces affichées à l’entrée des quatre bâtiments de la cité moyennant l’aide du gestionnaire du site et des gardiens des immeubles désignés par l’administration de l’AADL. Des listes ont été ouvertes au niveau du bureau de gestion afin que les habitants intéressés par le projet s’y inscrivent dans un délai fixé à dix jours.
Au lancement de l’opération, seuls onze sur cent habitants se sont inscrits. L’affichage et les séances de consultation avec le comité de quartier n’a pas permis la mobilisation des habitants autour de ce projet. Aussi, notre enquête a révélé que plus de 70% des locataires n’y croyaient pas.
Au terme du délai d’inscription, une première réunion a eu lieu avec les onze (11) premiers habitants inscrits pour poser le cadre du projet, expliquer les procédures d’encadrement et d’accompagnement. Le CNFE a organisé un programme de formation et de sensibilisation aux techniques de jardinage. Des spécialistes dans le domaine ont offert un apprentissage aux adhérents qui animeront cet espace.
Les adhérents en tant qu’acteurs sociaux se sont réunis autour du projet plusieurs fois. Ils ont pu acquérir les notions de base sur l’embellissement et la production de tous les types de plantes dans une ambiance conviviale loin des conflits sociaux.
Le jardin partagé, potentiel catalyseur de participation
À travers notre travail basé principalement sur des entretiens et questionnaires, nous avons essayé de comprendre le processus de participation via le projet de jardin partagé. Le cas étudié montre que l’habitant à un rôle dans la réalisation et la vie du jardin, d’où son implication dans la gestion de sa cité est synonyme de participation (Demailly, 2014) « Nous appréhenderons le jardin partagé en tant qu’espace, outil et dispositif de participation » (Demailly, 2014, p. 6).
Un dispositif administratif d’organisation et de fonctionnement des jardins partagés a été mis en place par le CNFE. Parmi ses recommandations, se constituer en association, premier jalon de travail en groupe et de concertation dans le cadre de ce projet. Le concept d’association (pas pris au sens juridique du terme) est utilisé comme dénomination indiquant la réunion de personnes (adhérents) autour d'un but et d'un intérêt commun. La création, donc, de ce type de groupement d’individu incite le partage et la participation à la vie de la cité, d’où la responsabilisation des habitants. Dans ce cadre, des dynamiques collectives ont été mises en place par des opérations collectives de préparation du terrain, des formations relatives au métier de jardinage et l’ouverture du jardin aux autres avec l’organisation de visites et des campagnes de sensibilisation aux enfants.
« Les groupes d’enfants scolaires sont autorisés à visiter le jardin dans un but pédagogique. Ils seront accompagnés par leurs encadreurs et pris en charge par les membres de l’association ou les représentants du CNFE » (la responsable du CNFE).
Dans un souci organisationnel et pour une meilleure gestion, le CNFE a mis en place un règlement contenant des clauses relatives aux règles de bon usage et de bon fonctionnement. Une des obligations est la participation des adhérents aux activités d'intérêt général et l’entretien des parties communes.
Et afin d’éviter tout type d’appropriation abusive et de privatisation des parcelles ainsi que la naissance d’éventuels conflits lors de la récupération des terrains alloués temporairement, le CNFE a pu encadrer la participation des habitants par la mise en place d’un contrat d’exploitation d’une durée d’une année renouvelable sur quatre ans.
Le jardin partagé, vecteur de réussite dans la gestion urbaine de proximité
« L’expérience des jardins partagés atteste, une nouvelle fois, que le faire est parfois plus efficace que les paroles pour générer le bien commun, certes modeste, certes local, mais ne faut-il pas commencer quelque part pour construire le monde de demain ? » (Den Hartigh, 2013, p. 14).
Confirmé par notre travail de terrain, le jardin partagé est un espace de rencontre, de détente, d’éducation et d'engagement. C'est un lieu d'apprentissage du vivre ensemble, de mixité culturelle et sociale. Un lieu qui permet de dépasser les barrières entre les individus. Le jardin est un activateur de pratiques et de comportements sociaux et écologiques à travers des usages habitants conformes aux organisations d’une idéologie environnementale et écologique, (D’Andrea & Tozzi, 2014). Les habitants de la cité Boumati ont déclaré « le projet de jardin partagé réalisé dans notre cité a créé un bon rapprochement entre les habitants ».
L’activité d’un jardin partagé et de son aménagement significatif d’une action d’investir une parcelle, est une forme de reprise en main de son lieu de vie. La mise en œuvre opérationnelle de ce jardin a apporté une contribution effective à la mobilisation et à l’appropriation habitante des espaces extérieurs auparavant délaissés. Ceci a donné aussi naissance à une association qui veille au bon entretien de la cité. Notre enquête destinée aux adhérents a révélé que c’est à partir de ce projet que les habitants ont commencé à s’intéresser aux questions de leur cité « au lieu de passer son temps dans un café je préfère rester dans mon petit jardin
et faire cultiver, désherber, nettoyer… »[3].
Le jardin partagé est aussi un lieu de réflexion et d’échange sur des sujets liés à l’agriculture et à l’environnement, mais aussi sur des thèmes tournant autour de l’évolution de la cité qui dépassent largement les frontières du jardin. Ces réflexions aboutissent rapidement sur des actions de gestion de la cité, « La participation citoyenne, instrument de gestion publique » (Pintaudi, 2010, p. 1).
Les expériences de jardins collectifs, tous types confondus, en vue d’une meilleure gestion de proximité, s’alignent aux discours de projets porteurs des prescriptions de la durabilité. Le respect de ces prescriptions permet la mise en conformité avec les nouveaux attendus de modes de vie censés favoriser les opérations d’éco quartiers (D’Andrea & Tozzi, 2014).
Le degré effectif de participation et d’acceptation du projet par les habitants
Les questionnaires adressés aux habitants de la cité Boumati révèlent un taux de 80% de satisfaction et démontrent un intérêt sans cesse croissant à s’engager dans leur milieu et à être considérés comme partie prenante dans les décisions qui ont un impact direct ou indirect sur leur milieu de vie :
« Réaliser des jardins partagés dans toutes les cités, et faire de la publicité à la télévision pour faire participer tout le monde ». « Tout le monde doit participer à ce projet pour l’amélioration de son cadre de vie »[4].
Le nombre de lots de terrain réalisés pour le jardin est insuffisant par rapport au nombre d’habitants désirant participer. Si au départ de l’opération seulement onze d’entre eux ont exprimé leur volonté de contribuer au projet, une fois réalisé, le nombre des habitants souhaitant l’élargissement de l’opération par la multiplication du nombre de parcelles et l’implication de toutes les familles de la cité est devenu beaucoup plus important.
Le CNFE constate et enregistre, pour sa part et de manière quasi quotidienne, le désir de plus en plus marqué des citoyens d’être impliqués dans ce genre de projet et la gestion des nombreuses activités touchant leur quartier et surtout celles liées à l’environnement. Cependant, ce désir s’exprime souvent sous forme de doléances de la part des citoyens en sollicitant la multiplication de jardins partagés dans leur cité et la reproduction des lots de terrains afin d’offrir la possibilité de participation d’un plus grand nombre possible.
Figure 7 : Implication des femmes et des enfants
Source : Bensouyah, 2013
Figure 8 : Sensibilisation des enfants
Source : Bensouyah, 2015
Les jardins partagés, action timide à vulgariser
Lutte pour la pérennité
Afin d’assurer le maintien du jardin partagé « Ezzouhour », une technicienne des Espaces Verts s’est jointe au collectif des habitants pour faire l’interface avec le Conservatoire National des Formations de l’Environnement. Ce dernier veille à la mobilisation des habitants, à la qualité de l'animation au sein du jardin et à l'importance d'un aménagement adapté aux jardiniers et au quartier; mais il reste que la pérennité du jardin partagé n’est pas pour autant totalement assurée étant donné que le CNFE se trouve seul à gérer toutes les situations et ne fait pas l’objet d’une protection particulière par les autorités.
« Au bout d’une année de fonctionnement, nous nous sommes retrouvés devant une grande demande de la part de la société civile, marquée par un désir général de « retour à la nature », notamment les collectivités locales et les locataires des nouvelles cités AADL » (Bensouyah, 2016).
Huit ans après, le jardin « Ezzouhour » demeure le seul jardin partagé intégré dans une cité d’habitat collectif en Algérie.
Comme ailleurs dans le monde, des associations émanant de la société civile émergent, exposant le désir de la reprise en main de leur espace et revendiquant le droit de l’implication des habitants dans la gestion de leur cité. Parmi ces associations, celle dénommée « collectif Torba » créée en 2014 et qui active dans le même axe, appelle à la vulgarisation et à la multiplication de ce type de projet de jardin partagé et propose un projet basé sur une « agro-écologie » en défendant l’idée d’une agriculture urbaine accessible et participative. Pour cette association, les jardins partagés constituent son deuxième objectif. Elle lance un autre appel aux assemblées populaires communales :
« Nous cherchons à travailler autant que possible avec les APC, afin de promouvoir des lieux publics spécifiques, ouverts à chaque personne qui désirerait cultiver un bout de jardin, mais qui n’ont pas nécessairement les moyens matériels »[5].
Ce genre de structures associatives a pour mission de favoriser l’expression, d’associer les habitants et de jouer un rôle de relais. Leur renforcement constitue un autre axe d’intervention permettant la propagation de ces démarches participatives.
Pour conserver la durabilité de cette opération et maintenir les accompagnements légers favorisant, l’implication des habitants et surtout la généralisation de ce projet, il est nécessaire de mettre en œuvre les moyens indispensables.
Ce tableau fait ressortir les atouts majeurs et les principaux freins à l'émergence et à la multiplication des jardins partagés à l’échelle nationale. Et ce, en fonction de trois critères : le terrain et ses aménagements, la gestion interne et le financement.
Tableau 1 : Synthèse atouts et freins à l’émergence des jardins partagés
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Atouts |
Freins |
Terrain et aménagements |
- Mise à disposition des terrains aisée - Proximité des terrains avec les habitants. |
- Équipements insuffisants (eau, stockage...), pour la généralisation de l’opération. |
Gestion collective |
- Les partenariats avec d'autres acteurs. -présence de volonté des citoyens. |
- Mobilisation difficile - Animation difficile (techniquement, manque de temps et de financements). |
Le financement |
-Implication des services communaux et des autres partenaires privés. |
- Financements privés aux projets limités, d’où difficultés de multiplication du nombre de jardins partagés. |
Réglementaire |
------- |
-inexistence de réglementation (texte juridique) régissant ce type jardin, en Algérie. |
Source : Auteures
Susciter une volonté politique
En dépit de multiples difficultés, essentiellement organisationnelles, culturelles et financières, l’initiative du CNFE au profit du jardin partagé « Ezzouhour » fut une grande réussite, vu que ce dernier a été réalisé et fonctionne jusqu’à présent, contrairement à d’autres projets qui n’ont pas pu être concrétisés dans d’autres cités collectives, selon Bensouyah, 2016.
Pour le maintien et la multiplication de ce type d’opération, des politiques locales d’accompagnement et de développement doivent être mises en place par les pouvoirs publics au sein des collectivités locales dans le but d’assurer la généralisation de ce modèle de participation citoyenne à la vie des quartiers.
Plusieurs types d’accompagnement peuvent appuyer ces initiatives, telles que la mise à disposition d’aides pour la préparation du terrain, des possibilités d’aides à la réalisation et à l’animation des projets ainsi qu’à leur financement.
À une échelle gouvernementale pour susciter la participation citoyenne, il faut disposer d’un cadre de référence. Pour y parvenir, les pouvoirs publics doivent affirmer une volonté politique allant dans le sens d’une nouvelle relation « gouvernant/ gouverné » qui permettra aux acteurs socioéconomiques, aux associations et aux citoyens de participer plus largement à la gestion des cités.
Pour que cette forme de participation se généralise et se concrétise, il va falloir l’institutionnaliser à travers la mise en place d’un cadre juridique qui va régir ce type de jardins, dont la nomenclature est inexistante, notamment dans la loi 07-06 du 13 mai 2007 relative à la gestion, à la protection et au développement des espaces verts.
Selon la responsable des parcs et jardins de la commune d’El-Harrach, malgré toute leur volonté à multiplier ce type de projet, l’inexistence d’une réglementation régissant ce type de jardin entrave le lancement d’opérations similaires.
L’initiation d’une charte de jardins partagés et d’outils de pilotage et de coordination, à l’instar des pays qui ont connu ce type d’expérience, serait une opportunité pour la multiplication de ces opérations.
Dans son rapport établi en 2014 à l’occasion du premier anniversaire du jardin « Ezzouhour », la responsable du CNFE insiste sur la prise de conscience et la nécessité de cadrer officiellement ce type de projet dans la perspective de le multiplier et de le généraliser « ... la maîtrise de ce genre de projet sur le plan technique ou administratif, voire même juridique, urge et s’impose avec force » (Bensouyah, 2015, p. 1).
Est-il possible de transformer le jardin partagé en dispositif de participation institutionnalisée ? En réponse à cette question, le CNFE a élaboré un projet de Protocole d’Accord entre le Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement et celui de l’Intérieur et des Collectivités Locales. Ce protocole vise à promouvoir et à généraliser les jardins partagés dans les cités urbaines nouvellement construites, ou en projet de construction.
Conclusion
L’expérience présentée, bien qu’elle soit unique en Algérie, met en évidence l’importance des jardins partagés dans la construction de liens sociaux et des rapports plus conviviaux entre voisins avec le partage d’un bout de nature autour de règles communes, partagées et acceptées par tous et pour des objectifs permettant de réaliser un bien-être social qui privilégie l’intérêt collectif.
Dans les grandes villes européennes et nord-américaines, l’intérêt accordé à ce type d’opération se traduit, en particulier, par la multiplication des espaces réservés aux jardins partagés, créés sur des parcelles à l’abandon ou au sein d’opérations d’aménagement. L’objectif est d’encourager toutes les formes de participation citoyenne en assurant les conditions favorables à l’engagement de chaque citoyen pour qu’il devienne auteur et acteur dans la vie de la cité, dans la vie publique et par conséquent dans la vie de la ville.
À travers la recherche théorique menée et l’étude du seul cas existant en Algérie et sur les enquêtes menées par le CNFE auprès des habitants de la cité, nous pouvons conclure que cette expérience de jardin partagé de la cité « Boumati » offre une opportunité pour lancer une réflexion sur des outils pouvant instaurer une culture du partage et de cohabitation durable, basée essentiellement sur l’implication du citoyen dans une démarche participative.
Aujourd’hui, et c’est dans le modèle du jardin partagé que les aspirations des citoyens, à plus de nature dans leur cité, à plus de lien social, d’appropriation habitante, et d’implication directe dans la gestion de proximité de leur cadre de vie, trouvent un message significatif.
La construction d’une relation fondée sur la collaboration des citoyens exige des efforts constants. Il s’agit d’un défi démocratique en évolution continuelle et qui requiert une vision créative et très engagée. En somme, tout est question de culture basée sur une démocratie participative.
Cette expérience pourrait-elle devenir le point de départ d’une réflexion élargie sur les pratiques de participation citoyenne qui doit s’accompagner nécessairement d’une institutionnalisation pour sa pérennisation ?
Bibliographie
André, P., Martin, P., Lanmafankpotin, G. (2012). Participation citoyenne. Dans Côté, L., Savard, J.-F. (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique. https://bit.ly/3w1LmvV
Bacqué, M-H., Gauthier, M. (2011). Participation, urbanisme et études urbaines. Quatre décennies de débats et d'expériences depuis « A ladder of citizen participation » de S. R. Arnstein. Participations (1), 36-66.
Baudelet, L. (2005). Les jardins partagés : un nouvel espace public ? Urbanisme. (343), 42-43.
Baudry, S. (2010). Cultiver son jardin, s’inscrire dans la ville. Approche anthropologique des community gardens de New York City, [thèse de doctorat, université Paris VII – Denis DIDEROT].
Bresson, M. (2004). La participation des habitants contre la démocratie participative dans les centres sociaux associatifs du nord de la France. Déviance et Société (1).
Bresson, M. (2014). La participation : un concept constamment réinventé. Socio-logos, (9). https://bit.ly/35gsFco
Convention cadre du 06 octobre 2013, régissant la gestion et le suivi du premier projet pilote du jardin partagé, mis en œuvre le 09 Avril 2013, conclue principalement entre le Conservatoire National des Formations à l’Environnement et l’Agence Nationale de l’Amélioration et du développement du logement (AADL), Filiale Gestion Immobilière.
D’Andrea, N., Tozzi, P. (2014). Jardins collectifs et écoquartiers bordelais : De l’espace cultivé à un habiter durable? Norois, (231) https://bit.ly/3cBj4Rg
Décret exécutif n° 02-263 du 17 août 2002 portant création du conservatoire national des formations à l’environnement, complété par le décret exécutif n° 12-174 du 11 avril 2012.
Demailly, K-E. (2011). Les délaissés urbains : supports d’une participation citoyenne constitutive de nouveaux territoires? Le cas des jardins partagés de l’est parisien. Dans actes du premier congrès de GIS. Démocratie et Participation.
Demailly, K-E. (2014). Les jardins partagés franciliens, scènes de participation citoyenne ? EchoGéo, (27). https://bit.ly/3vkrz9R
Den Hartigh, C. (2013). Jardins collectifs urbains : leviers vers la transition ? Mouvements, (75).
Loi n° 07-06 du 13 mai 2007 relative à la gestion, à la protection et au développement des espaces verts.
Loïc, B. (2007). La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation démocratique. Mouvements, (50).
Note de synthèse, Bensouyah, R. (2015). Chef de département. Chargée de la Mission Jardinage et Espaces Verts, Chef du Projet du Jardin Partagé.
Pintaudi, S-M. (2010). Gestion publique, participation citoyenne et pouvoir politique. Citoyenneté et espaces urbains dans les Amériques et en Europe, Toulouse, France. https://bit.ly/3gjftcK
Protocole d’Accord en vue de la création et de la généralisation des jardins partagés (collectifs) dans les cités urbaines nouvellement construites, ou en projet de construction. (2013).
Raisons d’être des jardins partagés dans nos cités urbaines (vision CNFE), Radjâa Bensouyah, Chef de Département. Chargée de la Mission Jardinage et Espaces Verts, Chef du Projet du Jardin Partagé.
Règlement intérieur du jardin partagé Ezzouhour, cité 116 logt, Boumati, Commune d’El-Harrache. (2016).
Reportage « Agriculture/ Ces Algériens qui réhabilitent les produits du terroir » réalisé avec le président de l’association « Collectif Torba ». Dans « Algérie Focus », 18 septembre 2015.
À paraitre
[1] Institution publique créée par le décret exécutif n° 02-263 du 17 août 2002, modifié et complété par le décret exécutif n° 12-174 du 11 avril 2012.
[2] Entretien réalisé avec Mme R.BENSOUYAH, chef de département « jardins partagés » au sein du Conservatoire Nationale des Formations à l’Environnement ; initiatrice du projet « jardin partagé » de la cité Boumati.
[3] Réponse d’un habitant adhérent au questionnaire.
[4] Réponse d’un habitant adhérent au questionnaire.
[5] Reportage « Agriculture/ Ces Algériens qui réhabilitent les produits du terroir » réalisé avec le président de l’association « Collectif Torba », article paru dans « Algérie Focus », 18 septembre 2015.