Insaniyat N°90 | 2020 |Participation citoyenne aux projets de développement |p. 130 -132 |Texte intégral
En dépit des efforts déployés par les instances internationales et les gouvernements pour faire face à la mortalité infantile, des progrès restent encore à accomplir (5,3 millions d’enfants moins de cinq ans sont morts en 2018). Ces chiffres préoccupants ont suscité un intérêt particulier de la part des spécialistes toutes disciplines confondues, qui se sont penchés sur la question pour identifier les causes sous-jacentes à l’origine de ce problème, a priori d’ordre sanitaire. Ce numéro de la revue Santé Publique consacré à la santé néonatale en Afrique subsaharienne, vient donc à point nommé. Cette période cruciale, longtemps reléguée au second plan, gagne progressivement du terrain après « la constatation que la part de la mortalité néonatale dans la mortalité des enfants de moins de cinq ans est devenue proportionnellement très importante (35%) » (p. 8), pourtant évitable avec peu de ressources.
Les contributions réunies dans le présent numéro se veulent une tentative pour élucider l’impact des pratiques locales de soins sur la mortalité néonatale dans cinq pays africains, parmi les plus touchés. À cet égard, une équipe constituée d’anthropologues a été chargée de réaliser ce travail de recherche décrit par Hélène Kane, qui voit que « L’approche anthropologique suppose de rechercher les logiques des acteurs et les savoirs qu’ils mobilisent » (p. 19), dans la mesure où l’évolution des pratiques de soins prodiguées aux nouveau-nés articulent différentes dynamiques du dedans et du dehors.
Alain Prual revient dans son article introductif aux données relatives aux taux de mortalité néonatale en Afrique de l’Ouest et du Centre et leurs causes médicales directes. Il démontre comment des programmes internationaux tel le plan d’action « Chaque nouveau-né » mis en place pour remédier à cette situation, se heurtent à des écueils inhérents au système sanitaire et à la faible implication des populations.
Observer in situ le déroulement de l’accouchement et la période post-partum est la démarche adoptée par Yannick Jaffré, qui tente par ce moyen de comprendre « la marge de manœuvre des sujets au sein d’un espace social aux contours incertains » (p. 30). La question pour lui ne se limite pas à s’assurer de l’application stricto sensu des soins médicaux, mais il s’agit plutôt d’analyser les procédures de leur mise en œuvre à travers les attitudes et les gestes des acteurs impliqués, dans un contexte très souvent défavorable.
Sous l’intitulé « Une anthropologie impliquée pour améliorer les soins aux nouveau-nés », les auteurs de cette contribution veulent rendre compte d’une expérience inédite réalisée au Cameroun, ayant comme objectif l’interpellation directe des acteurs concernés. Le travail a été effectué en deux étapes, primo la réalisation de l’enquête anthropologique, et secundo l’organisation des séances de restitution réflexive dans les établissements sanitaires et en faveur des décideurs centraux. L’appropriation des résultats de recherche obtenus s’est avérée primordiale pour une prise de décisions efficace par les instances publiques.
Un autre aspect de la santé néonatale au Cameroun a été exploré par Albert Legrand Fosso et Hélène Kane, qui se sont intéressés à l’aménagement intérieur des maternités. La question est de savoir comment l’aménagement de ces espaces et l’arrangement du matériel médical influencent la qualité de la prise en charge médicale des nouveau-nés, étant donné que « l’espace est indissociable de la temporalité des soins, différents lieux de soins engageant différentes temporalités d’action » (p. 77).
Parmi les solutions recommandées par l’OMS et l’Unicef pour pallier à la mortalité néonatale, se trouve l’allaitement maternel qui « suppose que le nouveau-né n’absorbe que le lait maternel. Il ne reçoit aucun autre liquide ou solide, pas même de l’eau, à l’exception des solutions de réhydratation orale, ou des gouttes/sirops de vitamines, minéraux ou médicaments » (p. 114).
Une pratique qui ne cesse de démontrer scientifiquement ses bénéfices sur la santé de la mère et de l’enfant. Cela dit, la réalité est loin d’être parfaite, seulement 40% des enfants de moins de 6 mois sont allaités au sein selon l’Organisation mondiale de la santé. Les causes de non allaitement sont multiples d’après l’article de Marie Thérèse Somé, et ne se résultent pas uniquement d’un choix délibéré. Pour confirmer ses propos, elle réalise une étude au Burkina Faso auprès du personnel soignant, des administrateurs, des parturientes et leurs familles, où elle s’interroge sur les pratiques susceptibles d’impacter cette décision.
In fine, faire appel aux méthodes anthropologiques pour étudier des sujets semblables, devient plus que nécessaire. La complexité des phénomènes sociaux exige le recours à une interdisciplinarité scientifique, qui consiste en une « utilisation combinée de quelques disciplines, combinaison entraînant des transformations réciproques dans chacune d’elles » (Jacques Hamel). En effet, se contenter de justifier la mortalité infantile exclusivement d’un point de vue médical, occulte d’autres causes qui apparaissent plus significatives et tangibles, particulièrement dans certaines sociétés où le poids du social est toujours déterminant.
Souad LAGUER