N°46 | 2009 | Idiomes et pratiques discursives | p. 13-31| Texte intégral
Amazigh lexical choice and teaching Abstract: Dictionaries are familiar useful objects, used at any moment and every age, they are integral pedagogical means from primary on. They have a stipulation function as they make choices among existing terms, and a descriptive function since they must reflect social truths in admitted terms. A dictionary is presented as a means of apprenticeship and a source of absolute truth to which one refers for each problem, even if a term present in one dictionary can be omitted in another, sometimes due to the editor’s choice. In the Tamazight example, there a no monolingual dictionaries, there are only bilingual ones, mainly French and spoken Amazigh, and some terminological dictionaries .From this situation the question: which process to follow in face of the multitude of terms and spoken Amazigh is raised, in the teaching and use of its lexicon. Keywords : teaching - choice - lexicon - Amazigh speech -Tamazight. |
Brahim HAMEK : Enseignant, Université de Bejaïa, 06 000, Béjaïa, Algérie
Le dictionnaire est un objet familier utile et utilisable à tout moment et à tout âge. Il est couramment intégré comme moyen pédagogique depuis le primaire. Il a une fonction de prescription car il fait un choix parmi tous les termes existant et une fonction de description car il doit refléter les vérités socialement admises sur les termes. Le dictionnaire de langue est le type le plus connu et le plus utilisé. Il s'agit d'un recueil de l'ensemble des mots et expressions[1] – c'est-à-dire des lexies – d'une langue ; et beaucoup d'usagers ne connaissent et n'utilisent que ce type de dictionnaire. Les « mots », au sens flou traditionnel, sont classés en général par ordre alphabétique ou par racine et les expressions se trouvent sous la rubrique correspondant à l'un des mots qu’elles contiennent. Dans le classement par ordre alphabétique strict, chaque mot est défini à sa place alphabétique. Le classement par racine de mots facilite le travail sur la sémantique, notamment pour les langues consonantiques tel que le tamazight, si nous cherchons, par exemple, les mots de la même famille que l'adjectif ameqqran « grand, âgé ; l’aîné ; important, chef », dans un dictionnaire par racine, nous trouverons à ses côtés temq’er « vieillesse, grandeur », imq’ur[2] « être grand, grandir ; être considérable ; être âgé », etc. avec leurs définitions respectives, ce qui nous permettra de cerner, et de choisir le juste sens. Et contrairement au classement alphabétique, les termes dans ce classement sont dispersés.
Les lecteurs ont tendance à consulter un ou plusieurs dictionnaires pour chercher un renseignement sur une chose qu’ils ignorent ou la définition d'un mot inconnu. La consultation d'un dictionnaire permet, ainsi, d'accroître les connaissances sur le monde et d'améliorer la maîtrise de la langue maternelle ou d'une langue étrangère. La visée des dictionnaires est donc essentiellement pédagogique et didactique. Les dictionnaires parlent de la langue par la langue.
Le dictionnaire se présente comme un moyen d'apprentissage et comme source de vérité absolue dont on fait référence à chaque problème même si, dans la réalité, un terme présent dans un dictionnaire peut être omis dans un autre en raison, parfois, du choix rédactionnel. Exemple, Le Robert Junior signale uniquement l'existence du nom masculin « événement[3] », là où Hachette le dictionnaire du français signale l'existence de deux orthographes[4] pour le nom masculin «événement ou évènement » et son adjectif «événementiel ou évènementiel ».
En tamazight, il n’existe pas de dictionnaires monolingues. Les dictionnaires amazighs sont, généralement, des dictionnaires bilingues français-parlers amazighs, tels que :
Alojaly (Ghoubeïd), 1980. – Lexique Touareg–Français. Akademisk Forlag, Copenhague.
Brosselard (CH.) / El Hadj Ali (Sidi Ahmed Ben.), 1844. – Dictionnaire français–berbère. Paris, Imprimerie Royale.
Cid Kaoui (S.), 1894. – Dictionnaire français–tamaheq. (Langue des Touareg) Alger, A. Jourdan.
Creusat (J.–B.), 1873. – Essai de dictionnaire français–kabyle. Alger, Jourdan.
Dallet (J.M.), 1962. – Petite botanique populaire. Alger, F.D.B. Fort–National Dallet (J.M.), 1972. – Dictionnaire kabyle–français : parler des At Mangellat, Algérie. Paris, Société d'études linguistiques et anthropologiques de France, réédité en 1982 et en 1985. Delheure (J.), 1984. – Aj’raw n Yiwalen Tumz’abt T–Tfransist = Dictionnaire Mozabite–Français. Paris, SELAF.Delheure (J.), 1987. – Agerraw n iwalen teggargrent–tarumit = Dictionnaire ouargli–français. Paris, SELAF. Destaing (E.), 1938. – Vocabulaire français–berbère (Etude sur la Tachelhit du Soûs.) Paris, Leroux. Destaing (Ed.), 1872–1940. – Dictionnaire français–berbère (dialecte des Beni–Snous.) Paris, E. Leroux, 1914.Foucauld (Charles de.), 1858–1916. – Dictionnaire abrégé touareg–français de noms propres (dialecte de l'Ahaggar.) Ouvrage publie par André Basset. Paris, Larousse, 1940.Foucauld (Charles de.), 1858–1916. – Dictionnaire touareg–français ; dialecte de l'Ahaggar. 4 tomes. Paris, Imprimerie nationale de France, 1951/ 1952.Huyghe (G.), 1901. – Dictionnaire kabyle–français. Paris, Imprimerie nationale.Huyghe (G.), 1903. – Dictionnaire français–kabyle. Belgique, Matines.Huyghe (G.), 1906. – Dictionnaire français–chaouia. Qamus rumi–caui. [Alger, A. Jourdan] Ibanez (E.), 1944. – Diccionario espanol–rifeno. Prologo de Ramon Menendez Pidal. Madrid, Imprenta de la viuda de E. Maestre.Ibanez (E.), 1959. – Diccionario espanol–senhayi (dialecto bereber de Senhaya de Serair.) Prologo de Jose Diaz de Villegas. Madrid, Instituto de Estudios Africanos,Lanfry (J.), 1973. – Ghadamès II : glossaire. Alger, Fichier Périodique.Olivier (P.), 1878. – Dictionnaire français–kabyle. Le Puy.Ould Mohand (A.), 1954. – Vocabulaire médical français–kabyle. Alger.Taïfi (M.), 1991. – Dictionnaire tamazight–français : parlers du Maroc central. Paris, L'Harmattan-Awal. Venture de Paradis (J.M.), 1844. – Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère (1739-1799). Revus par Jaubert (P. A.) et publiés par la Société de géographie. Paris, Imprimerie Royale.
Auxquels s’ajoutent des dictionnaires bilingues terminologiques amazigh–français, tels :
– L’Amawal de 1972–1974 réalisé par une équipe de jeunes chercheurs kabyles sous la direction de Mammeri ;
– Le Lexique français–berbère de mathématiques en 1984 dans la revue scientifique et pédagogique « Tafsut » ;
– Le Vocabulaire de l’éducation de Boudris en 1993 ;
– Le lexique juridique français– amazigh de Ahmed Adghirni en 1996 ;
– Le lexique de l’informatique français–anglais–berbère de Samiya Saad–Buzefran en 1996 ;
– Le lexique de l’électricité de Mokrane Chemine ;
– Le lexique scolaire, brochure du séminaire national des enseignants, Béjaïa ;
– Le lexique de berbère moderne, propositions des enseignants du D.L.C.A de Béjaïa en 1999-2000 ;
– Le dictionnaire arabe–tamazight de Mohamed Chafik en trois tomes se veut représentatif de la langue amazighe dans toute sa diversité (dernier tome en 2000).
Dans le domaine de la recherche universitaire, on a :
– Le lexique religieux berbère et néologie : un essai de traduction partielle du coran de Nait–Zerrad en 1998 (Centro Stadi Camito–Semitici di Milano) ;
– L’essai d’élaboration d’une terminologie de la linguistique en tamazight de Berkaï A /Aziz en 2002 (Université de Béjaïa) ;
– La contribution à l’élaboration d’un lexique berbère spécialisé dans le domaine de l’électronique de Mohand Mahrazi en 2004 (Université de Béjaïa).
De ce fait, la question qui se pose est la suivante : quelle est la démarche à suivre devant la multitude de termes et de parlers amazighs dans l’enseignement et l’utilisation du lexique de tamazight en l’absence de dictionnaires monolingues amazighs et en l’absence d’une norme institutionnelle pour le tamazight ?
La tendance naturelle est de définir le lexique d'une langue comme l'ensemble de ses lexies. Cependant, il est important de souligner que le lexique d'une langue n'est pas seulement l'ensemble des lexies déjà formées, mais aussi l'ensemble des mécanismes de formation des lexies. La langue n’est jamais statique, elle est en perpétuel changement. Le lexique d'une langue s'accroît constamment. Il est donc indispensable de concevoir le lexique comme un ensemble mouvant, dynamique ou en évolution permanente, et dont l'évolution implique un enrichissement constant.
La dynamique lexicale est fondée sur des pulsions, des mouvements, des transferts, des échanges qui s'exercent entre quatre ensembles[5] : le lexique réel, le lexique potentiel, le non–lexique et le xénolexique. Qu’en est–il de la dynamique lexicale en tamazight et comment stimuler cette dernière, non seulement, à travers l’école mais aussi par les médias ?
Nous appellerons lexique réel[6] l'ensemble des formes, fonctions et sens de lexies réalisés, en usage dans un état de langue donné, c'est-à-dire à un point donné de la langue, le lexique de taqbaylit pour les Kabyles ; le lexique de tachelhit pour les Chleuhs, le lexique de tamacheght pour les Touaregs, etc.
L'analyse des lexies appartenant à la zone sûre, termes répertoriés du lexique réel, permet d'induire les mécanismes de formation ou règles léxicogéniques qui sont grosso modo identiques d’un parler à un autre. Les deux procédés fondamentaux de la systématique amazighe sont :
► La composition : lexème + lexème
– nom + (n : de, s : avec) + nom : aq’esmar (< iq’es : os + (a)mar : menton, barbe) : maxillaire inférieur (taqbaylit), taq’esdist (< iq’es : os + (i)dis : côté) : côte, côtelette (moz), iles-uzger (< iles : langue + azger : bœuf) : bourrache (tachelhit) ;
– verbe + nom, nom + verbe : amagraman (< mager : rencontrer + aman : eau) : aunée (taqbaylit), almessi (< al : avoir + (ti)messi : endroit du feu) : foyer (tachelhit) ;
– verbe + verbe : bbirwel (< bbi : pincer + rwel : se sauver) : sorte d’oiseau (taqbaylit) ;
– préposition + nom : agersif (< ger : entre + asif : fleuve) : interfluve (taqbaylit) ;
– nom d’action verbal + son naturel : amqarqur (< amqar : celui qui dit + qur : son de grenouille) : grenouille, ameckarkur (ameckar : celui qui fait + kur : son de crapaud) : crapaud (taqbaylit) ;
► La dérivation : morphème + lexème.
- Dérivation verbale
a. Dérivation verbale sur base verbale
– factitif « s » : rwel « fuir, s’enfuir, échapper », serwel « faire fuir » (taqbaylit, tamaceght, tamazight du Haut-Atlas, etc.),
– passif « ttw / m / n » : kkes « ôter, enlever, s’acquitter, abandonner (espoir) », ttwekkes / mekkes « être ôté, etc. » (tamaceght, tamazight du Haut-Atlas (tyikkes), taqbaylit (ttwikkes / ttwakkes), etc.)
– réciproque « my, mi, mm » : myukkas « se dérober, s’enlever réciproquement, se refuser » (toua (nmekkes), tamazight du Haut-Atlas, taqbaylit, etc.)
– les différents complexes « ms, sm–, etc. :
b. Dérivation verbale sur base nominale
– morphème verbalisateur « s– » : smuhbel « faire le fou » < amehbul « fou » (taqbaylit) ;
- Dérivation nominale :
– les noms d’action verbale et les noms concrets sont obtenus généralement par simple préfixation de la marque vocalique nominale « a– » : ucc’i « action de manger, nourriture » < ecc’ : manger (taqbaylit), argaz : homme < rgez : marcher (panamazigh) ;
– le nom d’agent : am–(a)–, an–(a), im– : iminig « émigrant, émigré » < inig : émigrer (taqbaylit) ;
– le nom d’instrument par préfixation de (a/i)s : asegd’em : lieu de passage < gd’em (toua), asagem : cruche en terre à puiser l’eau < agem (taqbaylit) ;
– le nom d’habitant par préfixation de « a » auquel peut s’ajouter en final un « i » par analogie à la forme arabe : Amarikan / Amarikani « un américain » < Marikan « Amérique »
– l’adjectif : a–a–, u–i–, am/n–u, imi–i–, ams + nom, ans + nom, am– + nom) : l’adjectif est formé sur un radical verbal à quelque exception près, cependant quelques dialectes tel que le touareg ne possèdent pas d’adjectifs qualificatifs mais plutôt des substantifs qualifiants selon la terminologie de Salem Chaker (1996 : 29-30), adjectifs verbaux selon la terminologie de Karl Prasse (1974 : 97-109), issus d’un verbe comme les adjectifs qualitatifs, dénomment le plus souvent des êtres vivants auxquels est attribuée une qualité stable et ont toujours une fonction de substantif : abhaw « animal de couleur crème foncé », ablalaq’ « objet qui a la forme d’une sphère ». Ainsi, en touareg, la détermination qualificative d’un substantif ne se fait qu’au moyen d’une forme verbale tel que le participe, contrairement aux parlers du berbère du nord qui emploient l’adjectif qualificatif et le participe.
► La dérivation expressive
– par dédoublement partiel mot : fruri « être émietté, égrené » < fri « ouvrir, déchirer » (taqbaylit, tamzabit) ;
– par dédoublement total du mot : tamermurt « mauvais pays » < tamurt « pays » (taqbaylit), fewfew « scintiller, briller » < ifaw « être clair, faire clair, éclairer » (tamzabit) ;
– par des morphèmes expressifs : tad’adect « auriculaire » < ad’ad : doigt (taqbaylit) ;
► L’onomatopée : création d’unité lexicale par imitation d’un bruit naturel : t’ikkuk « coucou (oiseau)» (taqbaylit), qqerbeb « cliqueter, faire du bruit en se choquant » (tamzabit).
Ce lexique réel comporte aussi une zone floue, constituée des éléments réalisés et non répertoriés. Cette zone floue, frange lexicale, est constituée essentiellement d'éléments d'apparition récente en voie d'intégration, ou du moins, susceptibles d'être répertoriés, c'est–à–dire lexicalisés. Elle concerne aussi tous les termes non répertoriés dans les dictionnaires dialectaux ; en kabyle, par exemple, il existe énormément de termes qui ne sont pas répertoriés dans les dictionnaires dialectaux kabyles, tel que les termes spécifiques à tassahlit ou à une région donnée.
L’enseignant, par le moyen de la synonymie, doit parvenir à intégrer et à transmettre les réalités des autres dialectes aux apprenants d’un parler déterminé. Considérons l’exemple d’un apprenant kabyle qui connaît les noms empruntés à l’arabe des prières musulmanes :
– L’enseignant doit intégrer les autres signifiants existant dans d’autres parlers, tels ceux employés en mozabite et en touareg (q’becca = ssbeh’, tizzarnin = tt’hur, takkz’in = la’aser, tisemmsin = lmeq’reb, tinnid’es = la’ica) en ce basant sur la synonymie afin d’imbriquer les dialectes et de consolider, ainsi, l’intercompréhension interdialectale.
– On doit favoriser l’emprunt interdialectale par rapport aux autres types d’emprunt, par exemple, à ne pas recourir à l’utilisation des termes arabes du calendrier lunaire, mais à faire connaître ceux de tamazight du Haut–Altas qui sont des termes amazighs (tirwayin : 4ème mois, tissi : 10ème mois, ayyaw : 6ème mois de l’année lunaire, etc.) et du même coup favoriser l’emploi des termes amazighs par rapport aux emprunts ;
– Il est nécessaire de faire un choix, et de favoriser ainsi les termes amazighs par rapport aux termes empruntés, tel dans ces doublets, termes amazighs > termes empruntés : iman- > weh’des- « seul », anwa > menhu « qui », tiz’gi > lq’aba « forêt », tasarut > lmefteh’ « clef », ssiq’ > ca’el « allumer », idrimen > isurdiyen « argent », etc.
– Dans les emprunts de la langue arabe, les articles amazighs : a––, ta––, i––, ti––, u––, tu––, correspondent parfois à l’article arabe l––, puisque, nous avons des formes comme lbit « chambre », lkas « verre » où l’article arabe fait pratiquement partie du mot, et des formes à préfixes amazighes comme ah’bib « ami », tah’anut « boutique » : dans ces deux derniers exemples, les préfixes amazighs remplacent, effectivement, l’article arabe, le terme arabe est tout simplement amazighizé. Parfois, les deux formes sont signalées, par exemple, dans les parlers de Tazerwalt nous avons le terme tamdint « ville » avec la morphologie amazighe, et le terme lemdinet « ville » avec la morphologie arabe. Sporadiquement, le préfixe amazigh est accolé, en même temps, à l’article arabe, par exemple talbabt « petite porte », talh’umt « quartier de ville ». Dans ce cas, il est nécessaire de favoriser la morphologie des termes amazighs par rapport aux autres morphologies, par exemple tamdint au lieu lemdinet ou lmadina « ville », puisque le choix de la morphologie brute d’un emprunt posera toujours des problèmes, du fait que les emprunts sont différemment intégrés d’un dialecte à un autre : faut-il choisir lq’aba ou lq’abet « forêt », lmakla ou lmaklet « le manger », t’abla ou t’ablet « table », etc.
– Evincer les emprunts qui ne sont pas intégrés ou employés sporadiquement tels que : lbab (emprunt arabe) pour dire tawwurt « porte », q’udwa « emprunt arabe » pour dire azekka « demain », irceh’-d « emprunt arabe » pour dire isbedd-d ; évitez l’utilisation des adverbes empruntés à l’arabe ou au français à la place des termes amazighs : par exemple, éviter d’utiliser surtout les mots : alors, oui, et puis, …, respectivement pour dire ladq’a, ihi, ih, syen...
– Favoriser l’emploi des formes réduites par rapport aux formes allongées : kem « toi » > kemm, kemmi, kemmini ; ta « celle-ci » > tagi, tayi, tagini, tayini, taha…
– Dans la création lexicale, il est nécessaire de favoriser les racines amazighes pour redonner à la langue sa morphologie et sa valeur.
L’intégration, par synonymie, des autres signifiants d’un même dialecte, mais aussi ceux des autres dialectes, exemple pour le signifié « fermer », nous aurons : ndel, sekker, qfel, derrea’, zemmem, rz’em, err, bellea’, qqen, q’leq ; bekkem, beqqem (la bouche) ; smundel, q’med’, qmec (les yeux) (taqbaylit) ; rjel < rgel, nkeb (en serrant, la bouche), rz’i (hermétiquement, avec une broche, yeux), q’nes, sdu (livres, lèvres), eňq’ (yeux) (tahaggart) ; ua’a, qfel, qqen (fermer à clef), t’beq (livre), q’med’ (les yeux), jmel (fleur) (tachawit) ; qqen, rgel (fermer à clef), anef (fermer la porte sans clef) (tachelhit) ; d’el, qfel, qqes, sleh’ (tamzabit) ; dmer, felles, qqes, q’emmed’, qfel, smer, rjel < rgel (tawreglit) ... tout en supprimant les emprunts qui ne se retrouvent pas dans d’autres parlers, car ils ne sont pas tout à fait intégrés dans la langue amazighe, tel : q’leq, t’beq, q’med’, etc.
Il faut étendre le champ sémantique d’une racine définie par rapport à d’autres parlers, exemple, le cas de tafat :
tafat : lumière ; clarté (taqbaylit) ;
afa : feu, enfer (feu d’enfer) (tamazight du Haut-Atlas)
ffu : se lever, paraître, poindre (jour, lueur du jour), commencer à faire jour, à faire clair (tamazight du Haut-Atlas)
ffu : poindre, jaillir (tachelhit)
afaw : chose claire, lumineuse (tachelhit)
tifawt/ tifut / tufut : moment auquel la première lueur blanche paraît au ciel le matin (tamazight du Haut-Atlas)
tufat : matin, lendemain ; demain, demain matin, au lendemain (adv.) (tamajeght)
tifet : linceul (tamajeght)
ifaw : faire jour (tamajeght)
sfaw : faire jour, retenir jusqu’à l’aube, mettre dans la clarté du jour (tamajeght)
nesfew : être ensemble jusqu’à l’aube (tamajeght)
tifawt : matinée (tamajeght)
ifiw : feu (tamajeght)
afa : lumière, clarté (tamajeght)
faw : être clair, s’éclaircir (tawreglit)
sfaw : rendre clair, éclaircir (tawreglit)
tafat : petit feu, lumière, clarté (tamazight du Haut-Atlas) voir ffu<ffew (tamzabit)
fewfew : scintiller, briller (feu) (tamzabit)
ifaw : être clair, faire clair, éclairer (tamzabit)
sifaw : éclairer, rendre clair, illuminer (tamzabit)
tifawt : clarté, lumière (tamzabit)
tfawt : feu (tamzabit)
Il faut étendre le champ de dérivation d’une racine à d’autres parlers :
– Exemple du signifié « labourer » :
krez : labourer, être labouré (taqbaylit)
krez / crez < krez : labourer, être labouré (tamazight du Haut-Atlas) > h’ret « labourer », seh’ret « faire labourer, donner à labourer », ttwah’ret « être, avoir été, pouvant être labouré » (tawreglit), h’ret, sekk « labourer » (tamzabit)
ttwakrez / ttukrez : être labouré (taqbaylit, tamazight du Haut-Atlas)
myekraz : labourer (le bien l’un de l’autre et réciproquement) (taqbaylit, tamazight du Haut-Atlas)
takerza / tayerza< takerza : labour (taqbaylit, tamazight du Haut-Atlas)
tayerza < takerza : labour, terrain labouré (tachelhit)
amekraz : laboureur (> ah’errat) (tamazight du Haut-Atlas, tachelhit)
Quelques évolutions phonétiques compliquent, parfois, la tâche, mais peuvent s’élucider par de simples comparaisons dialectales, tel :
krez (tamajeght) < kreh (tahaggart): acquérir, avoir, obtenir, labourer
krez : labourer (tamajeght)
zekrez < sekrez (tamajeght) < sekreh : faire acquérir, avoir, obtenir
sekrez : labourer (tamajeght)
ttwakrez : (tamajeght) < ttwakreh : être acquis, obtenu
ttwakrez : labouré (tamajeght)
akruz < akruh (tamajeght)// akrah (tamaceght.) : acquisition
takarzi < takarhi (tamajeght) : ensemble des biens possédés
azekrez < asekrez (tamajeght) : jardin, champ arrosé
makraz < mekrez (tamajeght) : se réparer, guérir (os fracturé)
zemmekrez < smekrez (tamajeght) : réparer, faire/aider à se réparer (os fracturé)
– Exemple du signifié « se marier » :
isli : marié, jeune marié (taqbaylit, tamazight du Haut-Atlas, tamzabit. (asli), tawreglit. (asli) ; asli < asil (pl. asilen) : grand sac en alfa, tissé, avec de nombreuses raies (tamazight du Haut-Atlas))
tislit : jeune mariée (taqbaylit, tamazight du Haut-Atlas, tamzabit. (taslet) , tawreglit. (taslet) ; belle–fille, femme par rapport à la famille de son mari (taqbaylit , tamazight du Haut-Atlas))
ssulli < suli : se marier (taqbaylit)
tissulya < tisulya : mariage (taqbaylit)
isla m. pl. (< islu en sing. ?) : garçons d’honneur (tum.) (aslu sans pl. : suie, noir de fumée, tawreglit, tamazight du Haut-Atlas)
islan m. pl. : noces, ensembles des cérémonies du mariage ouargli (tawreglit.)
Il faut intégrer les réalités existantes et spécifiques à chaque dialecte concernant l’organisation sociale, la géographie, le climat, etc. : amnukal « chef suprême », mnukel « être un chef suprême » (tamaceght), aa’ezzab « grand clerc, clerc majeur, qui fait partie du cercle de la mosquée » (tamzabit), adrum « groupement de famille et de clans familiaux unis par les liens d’origine et de parenté, dans un même village » (taq) ; ameqqun « confédération » (tachelhit)
Réintroduire les termes tombés en désuétude :
s ufella : par le haut, ce qui donne : afella : le haut,
s wadda : par le bas, ce qui donne : adda : le bas.
Introduire les réalités des dialectes lorsqu’ils ne sont pas en contradiction avec la visée générale afin de favoriser l’intercompréhension :
q’ef– (tumz’abt) / fell– (taqbaylit) / full (tahaggart)
di (tumz’abt) / deg, di (taqbaylit)
afad (tachelhit) / akken, bac (taqbaylit) / afa, afad, aka, bac, h’ma (tamazight du Haut-Atlas)
amaq’er (tamzabit) / acku (tachelhit) / axater (taqbaylit, emprunt arabe)
fad (taqbaylit, générique sans pl.), id fad (pl., tamzabit), faden (pl., tahaggart)
Enfin, en ce qui concerne la néologie, ce tableau reprend les différents affixes utilisés dans les différents travaux sur la néologie amazighe et quelques indications et recommandations sur leurs utilisations. De même qu’il est avantageux de mettre à profit ces différents affixes dans les créations néologiques et de favoriser les formes courtes sur les formes longues (le signe « > » indique qu’il est préférable d’utiliser la 1ère forme par rapport à la deuxième pour des raisons morphologique ou euphonique).
En conclusion, le choix et l’enseignement du lexique de tamazight dépend, en premier lieu, de la place des langues minoritaires et des traditions orales sur l’échiquier linguistique maghrébin, en particulier, tels que le tamazight et l’arabe populaire, mais il dépend, également, de la volonté de ses utilisateurs à élever cette langue au rang des langues d’études. Il dépend, aussi, surtout des politiques linguistiques de l’Algérie et du Maroc : y-a-t-il une langue ou plusieurs langues amazighes ? De ce fait faut-il enseigner une langue amazighe ou les différents dialectes amazighs. Les institutions politiques et scientifiques algériennes et marocaines sont-elles prêtent à œuvrer pour une langue amazighe commune ?
Bibliographie
Abrous, D., Quelques remarques à propos du passage à l’écrit en tamazight. Actes du colloque international : unité et diversité de tamazight, tome 1 (Ghardaïa 20-21 avril 1991), I.P.B, Alger, 1991.
Achab, R., La néologie lexicale berbère (1945-1995), Editions Peters, 1996.
Akouaou, A., Variation et norme interdialectale en berbère : d’un enjeu à l’autre. Etudes berbères et Chamito-sémitiques, Mélanges offerts à K-G. Prasse, Peeters, Paris-Louvain, 2000, pp.15-25.
Bellefonds, C. ; Chantreau, S. ; Laporte, L., Le ROBERT Junior illustré, dictionnaire scolaire. Editions Robert, 1997.
Boukous, A., Variation et norme dialectale en berbère. D’un enjeu à l’autre, in Etudes berbères et chamito-sémitiques, Mélanges offerts à Karl-G. Prasse, Paris-Lourain, Editions PEETERS, 2000.
Chaker, S., La planification linguistique dans le domaine berbère : une normalisation pan-berbère est-elle possible ? – Tafsut, Etudes et débats, 1985, pp. 81-91.
Chaker, S., Unité et diversité de la langue berbère. Actes du colloque international de Ghardaïa 20-21 avril 1991, 1992, pp.129-142.
Moingeon, M., Le dictionnaire de la langue française. Editions Hachette, 1993.
Taïfi, M., Problèmes méthodologiques relatifs à la confection d’un dictionnaire du tamazight, in Awal, Cahiers d’études berbères, 4, 1988, pp. 15-26.
Tournier, J., Précis de lexicologie anglaise, Editions Nathan, 1988.
notes
[1] Tournier, J., 1988, pp. 177-178.
[2] N.B. : z’= ẓ, d’= ḍ, t’= ṭ, h’= ḥ, q’= ɣ, a’= ɛ, c’= č, j’= ğ .
[3] Bellefonds, C. ; Chantreau, S. ; Laporte, L., 1997, p. 384.
[4] Moingeon, M., 1993, p.625.
[5] Tournier, J., 1988, p.13.
[6] Tournier, J., 1988, p.14.
[7] P.a : panamazigh.
[8] Tus : lexique de mathématique.
[9] l.e : lexique de l’éducation.
[10] Ber : terminologie de la linguistique.