Insaniyat N°4 | 1998 | Familles d'hier et d'aujourd'hui | p. 109-118 | Texte intégral
Fouad SOUFI : conservateur en chef aux Archives Nationales
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
La Famille n'est pas précisément un thème qui a la faveur de nos historiens. Deux raisons essentielles peuvent être avancées pour essayer de comprendre cette désaffection une double raison méthodologique (questionnement et sources) et une raison pratique (beaucoup moins scientifique).
La famille, chez nous, n'aurait pas d'histoire. Son passé se lit dans son présent et nos histoires ont d'autres champs de recherche autrement plus porteurs.
Mais il est vrai, également, qu'il y a vingt ans, ce thème classique en Ethnologie et Sociologie, était encore nouveau en Histoire. Le numéro spécial de la revue Annales E.S.C. date de 1972. Constitué d'une vingtaine d'articles regroupés sous le titre global "Famille et Société", il procédait surtout de la démographie historique élargie[1]. S'y retrouvaient historiens (entre autres, G. Duby, E. Le Roi Ladurie, André Burguière, François Lebrun, J.CI.Perrot, Peter Laslett, Christiane Klapish...), démographes (Jacques Dupaquier et autres), sociologues (Pierre Bourdieu…), anthropologues (Jean Cuisenier...). Dans son ouvrage publié en France en 1977. Edward Shorter[2] avait fait notamment référence aux travaux pionniers de Philippe Ariés[3] et de François Lebrun[4]. Shorter estimait également que le livre de Peter Lasleu[5]. "a éveillé l'intérêt des chercheurs britanniques et américains pour la vie familiale des gens ordinaires".[6] Jack GOODY, dans un autre ouvrage dirigé par P.LASLETT et publié en 1972[7], avait donné une première mouture de son livre paru en français en 1985[8].
C'est, donc, petit à petit et par l'ouverture de l'histoire aux autres sciences sociales, que la famille est devenue un objet d'histoire. En 1986, parait en France, en deux gros volumes une imposante Histoire de la Famille[9]. Les préfaces signées C.Lévi-Strauss. Georges Duby et Jack Goody, sont en soi un programme. En 1991, les Annales reviennent (?) à la généalogie.
Dans notre pays, alors même que la généalogie -mère des sciences historiques arabes- et que la biographie avait constitué le socle des études historiques par le passé, une recherche sur la famille appartenait hier aux orientalistes et reste aujourd'hui du ressort quasi-exclusif des sociologues et des juristes. Notre conception de l'histoire, qui bloque toute ouverture sur les autres sciences sociales, rend difficile sinon impossible toute recherche de ce genre. Certes depuis quelques années, l'histoire économique et sociale a fait quelques percées, mais la démographie historique est encore balbutiante.
En fait, le thème de la famille relève surtout d'axes de recherche peu gratifiants, il pèse de peu de poids face aux études sur la guerre de libération nationale (1954- I 962). Il n'y a pratiquement aucune chance de trouver des crédits. L'histoire, mobilisée par l'Etat, ne peut s'y attarder. Explication simpliste et triviale qui masque tout de même un peu les réelles difficultés qu'une telle recherche engendre, Si tant qu'elle est à l'ordre du jour.
La famille, qui chez nous, est considérée comme une institution importante de la société-elle en est la cellule de base affirment les textes-n'aurait dons pas d'histoire? Sa constitution, sa dimension, ses structures, ses stratégies, ses règles, ses relations avec l'ensemble de la communauté n'auraient pas changé depuis des siècles?
Le principal obstacle à ces recherches serait l'absence de sources; l'absence de séries continues de documents qui fourniraient des statistiques et ouvriraient un nouvel espace pour les études historiques. Le second obstacle serait dans le danger (réel ou imaginaire) à montrer qu'éventuellement notre système de valeurs est historiquement daté et que notre société repose et fonctionne sur des idéaux tout aussi historiquement datés. Ces valeurs et idéaux, susceptibles de transformation sont, déjà, en cours de changement.
Les questions pourtant ne manquent pas sur la famille dans ses rapports avec l'Etat. Et pour cause, ce sont deux institutions concurrentes. Peut-on voir chez nous dans l'élargissement de la famille, un signe de l'affaiblissement de l'Etat? Et chercher au contraire dans le retour de l’individu, dans l'apparition de la famille conjugale, un Etat fort qui assure suffisamment de protection?
Les premières recherches pourraient porter sur la famille en tant que forme élémentaire de la société et sur son passage de la famille élargie à la famille conjugale. La question de la taille de la famille, si elle ne peut pour les années pré-statistiques (avant 1830), aboutir à une topologie, peut nous aider à remettre en question bien des idées reçues sur la tribu. Les illustrations choisies sont, d'abord et avant tout, des illustrations. Mais elles constituent autant de possibilités de pistes de recherche. Elles sont et restent des indicateurs de ce que pouvait être la famille en Algérie à un moment donné de son histoire. Aussi, l'insistance à citer les prénoms doit être comprise comme la possibilité qui est offerte d'une recherche sur leur apparition, leur disparition, leur usage et leur fréquence, etc. Ainsi, Si certains prénoms féminins ont traversé les siècles: Fatéma, Zohra, Aicha, Halima. Safya. Zaynab.. d'autres ont disparu. Sinon Umm al Khayr, tous les prénoms commençant par Umn ne sont plus usage, sauf au Moyen-Orient. Plus personne ne prénomme sa fille Gannuna (fille d'Idriss as-Saghir), disparues les Fannu (qui vêtue en homme conduisit à Marrakech la résistance contre les Almohades), les Ta'lu (mère d'Abd-al Mu'min), Funda (soeur d'Abd-al-Mu'min), oubliées les Tahadrit (fille d'Abu l'Hassan)... Un long travail reste encore à faire.
Comparaison n'est pas raison, soit. Entre la famille d'Abd-al-Mu'min b Ali le premier calife almohade et celle de l'Emir Abdel Kader, il y a sept siècles d'histoire et, surtout, une autre conception des rapports entre époux, entre père et fils, à défaut de savoir ce qu'avaient pu être les rapports père-fille et mère-fils et fille.
A partir de diverses sources, il est reconnu à Abd el Mu'min la paternité de 18 fils et "deux filles sont mentionnées[10]. L'identité des mères de 8 fils est inconnue et celle de 4 autres se rapporte à leur origine tribale et géographique. Deux femmes seulement sont nommées Fatima de Fès et Safiya et c'est l'un des deux fils de Safiya qui succède au Calife. Enfin, la dernière est appelée fille d'un tel.. et son mariage avec le Calife relaté par El Baïdak mérite d'être rapporté «Nous primes â cet endroit [MaIilla en 1144] cent vierges... le Calife les partagea entre les Almohades qui les épousèrent. Il ne que Fatima bent lusuf la zénatienne et la fille de Maksan b. AI Mu 'izz seigneur de Alahîla. Le Calife tira au sort Fatima avec .4bu Jbrahim, et elle échut à ce dernier. Quand au Calife, il prit en mariage la fille de Afaisan ai Aiu'L-z: ce fut la mère du prince Ibrahim et du prince Ismaïl... ». Le sort fait bien les choses[11].
L'inventaire des familles faites prisonnières lors de la prise de la Smala de l'Emir le 16 mai 1843 est probablement complet. Toutefois, il ne saurait tenir pour une description absolue ou achevée de la famille dans une région d'Algérie à cette date. Manquent, au moins. les hommes en âge de combattre. Mais Si la reconstitution des familles ne peut nous en donner leur taille réelle, elle peut nous en indiquer la structure: qui en fait partie? Combien de co-épouses? Oui se marie avec qui?
D'une manière générale, la lecture du document nous laisse croire qu'autour de celui qui apparaît comme le chef de la famille, se regroupent, la mère (niais où est le père?), les femmes, les sœurs, les filles, les frères, les neveux et même parfois les cousins et les belles-sœurs. Quelle est la part de l'administration militaire française et celle de la structure familiale réelle dans cette distribution?
Ainsi dans la famille de Si Mohamed ben Allel ben Embarek, Khalifa de l'Emir on retrouve sa mère, Halima et ses deux femmes. Rokiya et Zohra. Sa fille Fatma était mariée à Kaddour ould Hadj Kaddour, cousin germain de Si Mohamed ben MIel. Elle est, toutefois, recensée avec la famille du frère de son époux. Si Mahiedine, son frère, avait également deux femmes Néfissa et Chérifa.
Sidi Mohamed bel Cherchalli. bach tobji de l'Emir. avait une seule épouse Fatma, deux filles Fatima, Zora et deux fils Ahmed et Mazouz.
Si El Hadj Mohamed bel Kraroubi premier secrétaire de l'Emir et kalifa des Flitta avait une femme Kheira et deux filles, Zohra et Halima. vivaient avec lui. Mohamed el Blidi négociant probablement proche de cette famille puisque recensé avec elle, avait deux épouses.
Par contre, Osman. tailleur des troupes de l'Emir était marié à trois femmes : Fatma, Yamina et Mahsana. Kaddour ben Rouilah, auteur du livre sur les réglements de l'armée de l’Emir,n'était à cette date toujours, marié qu'à une seule femme, Néffissa[12].
Agé environ de 35 ans. en 1843, l’Emir Abdelkader était alors marié à deux femnies Lalla Kheïra bent Abi Taleb, sa cousine, et Lalla Aïcha. Sa sœur Khédidja était mariée à Sid el Hadj Moustafa ben Tami qui avait pour seconde épouse Aïcha, fille de celui qui avait été cadi d'Oran jusqu'en 1831, Sidi Abdellah heu Dellal.
Par contre son père Mahiedine avait eu quatre femmes (dont Zohra n'était que la seconde) et une concubine. Malicieux, Hossein b. Ali Abi Taleb, cousin et beau-frère de l'Emir, nous rappelle dans ses mémoires que « les enfants de Mahiedine eurent chacun une mère différente: ceux de son frére Ali [pére de l'auteur] Jurent consanguins »[13]
Sans trop solliciter ce document, on peut lire et dire que la polygamie est surtout une bigamie et qu'elle ne concerne que les gens de haute extraction. Les enfants sont, par contre, très peu nombreux.
Les pratiques de mariage évoluent lentement surtout dans les cours royales. Abu l'Hassan écrit lbn Khaldun, «garda toujours un tendre souvenir de la femme qu'il m'ait perdue [Il s'agit de Fatima bint Abu Yahia Abu Bakr, le sultan hafside, Elle avait été tuée lors de la bataille de Tarifa en juin 1340] et se rappelait sans cesse les bonnes qualités et haute naissance qui la distinguaient, la manière dont elle gouvernait la maison.,[14] », Aussi s'empresse-t-il vite de remplacer ce vide (lbn Khaldun dixit) en demandant en mariage sa belle-sœur. lbn Khaldoun ne donne pas le nom de la nouvelle épousée.
Se marier et consommer son mariage n'est pas toujours chose aisée même lorsqu'on est prince. En 1366, après avoir participé à la défaite devant Bougie de sou cousin et rival Abu Hammu Il, Abu Zyan obtint pour lui même la fille de Yahia Abu Bakr qu'Abu Hammou avait épousé à Tunis. "Abu Zyan évita de consommer son mariage Jusqu'à ce que l'obstacle qui s'opposait à leur union fut levé par une sentence 'lundi que"[15].
Mais il est d'autres documents, plus classiques mais moins consultés. Les contrats de mariages les documents des habous, les actes successoriaux essentiels pour les périodes antérieures à 1830, les registres d'état civil. les registres des hypothèques et les actes de notaires, depuis cette date, nous renseignent sur l'évolution des structures familiales et les stratégies matrimoniales, la richesse des familles, leur statut...
Le contrat de mariage, daté d'août 1727, que S.Bencheneb avait présenté en 1955[16] , concernant deux grandes familles : celle de Mhamed Chérif Zahar d'Alger et celle de Sidi Ali Embarek de Koléa. Le montant de la dot reflète la situation de fortune des deux familles par les exigences de la première et la capacité d'y pourvoir de la seconde. D'autres clauses du contrat marquent le statut de l'épousée Fatima Chérif Zahar interdiction à son futur époux de prendre une seconde épouse ou une concubine, obligation de vivre à Alger. Vieille revendication.
Dans le Mi'yar d'Ahmed al Wancherisi[17], cette clause ne semble pas apparaître[18] mais les revendications de fortes dots et leur destination en cas d'échec du mariage ou de décès montrent une société qui bouillonne.
Enfin, et cela mérite d'être signalé, aucun document ne mentionne l'âge des protagonistes.
Mais Si le mariage scelle l'union de deux familles, élargies et/ou de deux tribus, il peut être à l'origine de conflits. lbn Khaldun, toujours lui, nous rapporte qu'une «.femme des Ouajedijen avait épousé un Louatien. Les femmes du camp ou la conduisit son mari furent indignées de se voir préférer une étrangère et pleine de jalousie, elles insultaient leur nouvelle voisine. Piquée de leurs sarcasmes, elle écrivit à Eman, chef des oudjedijen... » et les hostilités commencèrent (en l'an 900). Une femme qui sait écrire, ou qui a trouvé quelqu'un pour écrire à sa place, des messages qui partent et qui parviennent à leurs destinataires, et, à la clef, l'honneur de la tribu.
La famille peut être aussi appréhendée comme lien affectif[19] Surgissent alors et presque par effraction deux acteurs pourtant a priori essentiels et même incontournables: la femme et l'enfant.
Dans les généalogies (cf Kitab an Ansab fi ma'rifat aI ashab) et les biographies (cf AI Bostan d'Ibn Mariam), les femmes n'apparaissent jamais en premier plan[20]. Elles sont celles que l'on ne nomme pas. Les enfants, qui existent bien dans la littérature classique et populaire, écrite et orale (Aladin, M'qidèche), n'ont pas d'histoire. Pas encore.
L’histoire des femmes rejoint celle la famille. Mais comme le souligne Michelle Perrot «apparemment vouées au silence de la reproduction à l'infinie répétition des taches quotidiennes. à une dimension sexuelle du monde qu'an croirait immobile au point qu'on en cherche l'origine dans "la nuit" des temps les femmes ont-elles une histoire? Et la font-elle?»[21] L'histoire des femmes en Algérie n'est pas encore élaborée. Il n'existe aucune somme historique. Victimes d'une histoire tournée quasi-exclusivement vers la politique et l'événement, les femmes sont encore les absentes de notre histoire[22] . Jean Dejeux avait publié il y a une dizaine d'années, un beau livre-portraits de certaines femmes célébres[23] . Des historiennes se sont lancées-pour la période moderne et contemporaine-dans des travaux qui ont fait date. Djamila Amrane. Fatma-Zohra Guechi, Aïcha Ghettas, Malika EI-Korso, Jacqueline Guerroudj, Fatma-Zohra Saï et Ounessa Tengour ont ouvert des pistes de recherche fécondes[24].
Et pourtant de Sophonisbe aux Djamila[25], des femmes célèbres aux inconnues, les sujets ne manquent pas. Elles sont bien présentes dans notre histoire, ces femmes. Mais elles en constituent la face cachée. Les documents sont abondants niais dispersés. Le risque (à prendre) est que ce récolement aboutisse à une histoire des élites seulement, enfonçant un peu plus dans l'obscurité la masse. Faire contre mauvaise fortune bon cœur, permet au moins de constater que la femme qui est au cœur des stratégies matrimoniales et des stratégies d'échanges, se retrouve au cœur de l'histoire sociale et finit par atteindre l'histoire politique chère à nos historiens.
Ne remontons pas jusqu'à Sophonisbe que l'on découvre en arrière plan du conflit qui oppose en Numidie. Rome et Carthage. Passons rapidement sur Monique mère autoritaire d'un docteur et père de l'Eglise. La Kahina puis Kenza ont fait leur place dans l'histoire. Mais Umm Mallal, soeur de Badis, fille d'EI Mansour, tante et tutrice d'EI Mu'izz (1016-1062) et surtout régente ziride n'est plus repérable même dans les théses[26].
A la même période. de l'autre côté du Maghreb, Zaynab bint Ishaq la Nefzaouienne nous rapporte Ibn Khaldun s'est mariée en troisièmes noces avec Yusuf b. Taschufin (1061): «ce fut à l'intelligence de cette femme que Yusuf dut l'établissement de sa puissance. ce fut en suivant les conseils de Zaynab qu'il parvint a obtenir l'autorité suprême. »[27]
Autour de Redjeb bey de Constantine (1666-1673), deux femmes : son épouse Aziza et sa fille Umm Hani. Aziza paraît être un condensé des stratégies matrimoniales : elle est d'abord mariée à Ferhat, devenue veuve, elle épouse (ou, est épousée) par le frère de son défunt mari, le bey Redjeb. Elle était la fille du caïd Ahmed b. Ramdan et la sœur de Chalabi b. Ali Bitchin, le fameux rais. Ce qui laisse entendre que sa mère avait eu également deux maris. Ce qui laisse comprendre que les caïds, les rais, les, beys mariaient leurs enfants entre eux. Sa fille Umm Hani a eu un autre destin. Mariée à Touggourt, elle aurait hérité du titre de Chikb el Arab à la mort de son mari. Umm Hani est décrite comme une femme au «caractère énergique, viril même, puisqu'elle montait à cheval, a face dévoilée, marchant en tête des guerriers nomades.., »
Lors du siège de Tlemcen, ce sont les femmes qui, en dernier recours, réveillent l'honneur des hommes en préférant la mort à l'avilissement. Vers 1724, Euldjia redonne courage aux Hanencha en se plaçant à la tête d'autres femmes de la tribu face à l'ennemi. Lors du premier siège de Constantîne en 1836, les Constantinoises enflammèrent par leurs youyous l'ardeur des combattants. En 1837, lors d'une de ces guerres intestines que connut la grande Kabylie, Khedoudja bent Ahmed O. Mahiedine, «releva par son énergie le courage des défenseurs de Taourga. Prenant un sabre... »[28].
Autre femme remarquable, dont le souvenir s'est effacé de notre mémoire, Deikha, fille de bey et épouse d'Abdaîlah bey de Constantine (1804-1806). Deikha entre dans l'histoire par sa mort tragique aux côtés de son mari en 1806. Douée d'une énergie peu commune, conseillère intime de son époux et elle était associée aux travaux administratifs. C'est tout de même grâce à Badra, femme de tête, que Mahieddine et son fils Ahdel-Kader lurent libérés des géoles du bey Hassan.
Mères, épouses, filles, elles ne firent pas que de la politique, elles lurent sorcières dans nos contes et saintes dans nos mémoires. Sainte Monique l'une des premières, La Kahina devineresse, Lalla Aouda mère de Sidi Mhamed le Santon aux lions, Lalla Setti qui domine Tlemcen, Lalla Aïcha, fille de Sidi Abdelrrahmane Thaalibi, autour du mausolée de laquelle les filles en âge de se marier tournaient sept fois. Dans nos campagnes, à Aïn Taya "Lalla Dergana la dame mysterieuse[29] , dans la région d'Ain Témouchent, on peut lire dans la carte au 1/25 000e , les qoubbas de Lalla Vamina, Lalla Khadra (sur deux sites différents), Lalla Aicha, surplombant l'oued Senane, et sur la route qui conduit au douar M'saïd, Lalla Mejhouda. Il en est d'autres, probablement identifiées. Mais comment devient-on sainte?
Femmes, elles servent aussi à forger des légitimités. La dynastie des Idrisside repose sur l'état intéressant de Kenza. Les Aimohades
- Si hostiles au demeurant aux femmes-savent s'en servir. Leurs généalogistes font remonter Abd-al-Mu'min à Gannuna fille d'Idriss as Saghîr et donc au prophète C.Q.F.D. La mère d'Abd-al-Mu'min, Tal'u n'existe que par les histoires merveilleuses qui ont entouré sa grossesse. Une tribu près de Skikda laissait entendre que leur ancêtre descendait de Samia, nièce de Haroun Rachid. . L'histoire extraordinaire de Mazouza fille du Dey Chaabane (1590-1593), sert à justifier l'exemption d'impôts dont bénéficièrent les descendants de Sidi Attalah Ce wali l'avait sauvé, par un prodige, de ses ravisseurs maltais.
Les illustrations ne manquent donc pas qui sont autant de pistes de recherches. La famille a une réalité historique et sa place dans le fonctionnement même de notre société est beaucoup plus complexe que l'on ne le croit. Et il en est de même pour les femmes. Elles ne sont ni en marge, ni absentes de notre histoire. Ce sont plutôt les historiens qui dans leur frilosité, n'osent par encore aborder ce type d'interrogations. ni ouvrir de nouveaux champs d'investigation.
Notes
[1] - Selon l'expression d'André BURGUIERE.
[2] SHORTER, Edward.- Naissance de la famille moderne.- Paris, Seuil, b1977.- coll. Points
[3] ARIES. Philippe.- L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien régime.- Paris, A. Colin, 1975.- Coll. U Prisme.
[4] - LEBRUN, François.- La vie conjugale sous l'Ancien régime.- Paris, A. Colin, 1975.-Coll. U Prisme.
[5] LASLETT, Peter.- The World We Have Lost.- London, 1971.
[6]- SHORTER, Edward.- Op.cité. p.371.
[7]- LASLETT, Peter. (Dir).- Household and family in Past Time.- New York Canibridge University Press. 1972
[8]- GOODY. Jack.- L'évolution de la famille et du mariage en Europe.-Paris, A.Colin, 1985
[9]- BURGUIERE, André; KLAPISH-ZUBER, Chritiane; SEGALEN Martine; ZONABEND, Françoise (Sous la dir. De).- Histoire de la famille. Préfaces de C.LÉVI-STRAUSS, G. DUBY et J. GOODY.- Paris, A. COLIN, 1986.2 vol..- 639p. et 535p.
[10] - Cf LEVI-PROVENÇAL, E..- Documents inédits d'histoire almohade... Paris, Librairie P. Gueuthner, 1928; appendice I
[11] -Ibid. P. 152
[12]- Le Moniteur Algérien numéros des mois de juin à août 1843. On peut lire dans le n0 du 25 juin : «Quant aux prisonniers de la Casbah, hommes et femmes de distinction, appartenant tous aux familles les phis importantes du pays, attachées à la fortune d'Abdelkader et dont les noms et qualités sont indiqués ci-après. ils ont été embarqués le 22[Juin ?] au nombre de 243 et 35 serviteurs (...) pour le fort de l'Ile Sainte-Marguerite. ».
[13] - Histoire d' EI hadj Abd el Kader par son cousin El Hossin ben Ali ben Abi Taleb. Trad par Adrien Delpech.- Revue Africaine, 1876. Le manuscrit avait été rédigé entre novembre 1847 et octobre 1848.
[14]- IBN KRALDUN.- Kîtab el Ibar (Histoire des Berbéres).- Paris. Libraire P. Geuthner, 1968.- p.244.
[15]- IBN KHALDUN.- Op.cité.- p.452
[16]- BENCHENEB, Saadedine.- Un contrat de mariage algérois au début du XVIIe siècle.- in Annales de l'Institut d'Etudes Orientales, Tome XIII, 1955.- p.p98-117.
[17]- AL WANCHARISI, Ahmed.- Kitab Al mi'var aI Aiaghrib. Dar Maghrib el Islami, 1981. Il s'agit d'un recueil de fetwas prises au Maghreb et en Andalousie entre le Xe et le XVe siècles.
[18]- Je n'ai pu en lire que les extraits publiés par Roger Radi Idris in Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, n0 12 (1972) et 17 (1974). Voir aussi du même auteur, Studia fsiamica, 1970. Une traduction partielle avait été publiée dans la revue Archives marocaines, Tome XII, 1908.
[19] - Le nombre d'épouses peut ne pas altérer le lien affectif
[20] - Comment interpréter le silence de l'Emir? Dans son Autobiographie.
il ne fait nulle part mention de sa mère Lalla Zohra et de sa première femme Lalla Kheira, alors nième que l'on sait toute l'affection qu'il leur portait. Attitude symptomatique? Ouelques siècles plus tôt, In Khaldun avait fait preuve de la même discrétion. Dans son autobiographie, il évoque son grand-pére. son pére, ses maîtres, ses amis, les sultans qu'il a servis ou combattus, niais aucune femme n a retenu son attention, ni détourné son regard. Ibn Khaldun n'a ni mère, ni soeur, ni épouse, ni fille. Ses parents disparaissent lors de la Grande peste de 1349, "ses bi~ns et .çes en/~nis disparaissent lors d'un naujrage au large d'11 lexandrie en 1384". c'est Ahdesellem Chaddadi qui ajoute que sa femme a également péri dans ce naufrage. Ibn Khaldun.- Le Voyage d'Occident et d'Orient Traduction et présentation d'A. Chaddadi.- Paris, Sindbad, 1984. 2e éd. Plus proche de nous, alors que dans ses Mémoires, Messali Hadj donne le nom de sa mère, Mahmoud Abdoun, dans son Témoignage d'un militant nationaliste, publié en 1990, n'évoque sa mère et sa sœur qu'une seule fois sans les nommer.
[21]- PERROT. Michelle.- Histoire des femmes, histoire des sexes. In L'histoire en France.- Paris, La Découverte, 1990.- Coll. Repères.
[22] - Il est bon de noter que depuis 1995, paraît en France Cho. Histoire, femmes et sociétés; Autour, entre autres, de Christianne Klapiscb-Zuber et d'Agnés Fine, cette revue semestrielle francophone d'histoire des femmes a publié en 1995, n01 : Femmes et résistances (France 1940-1945); n02 : Guerres et religions; en 1996, n03 Métiers, corporations et syndicalismes; n04 Le temps des jeunes filles...
[23] - DEIEUX. Jean.- Femmes d'Algérie. Légendes. Traditions. Histoire. Littérature.- Paris, la Boîte à Documents, 1987.On peut lire également CAMPS. Gabriel.- L'Afrique du Nord au féminin .- Paris, Pérrin, 1992
[24]- Dans une courte étude, intitulée : «L'écrit du féminin : reflet d'une histoire ou (re) production d'un mythe.», Halima BELGANDOUZ, Baya BOUALEM et Fatima DJAOUTI constatant « l'élargissement de l'espace féminin», aboutissent finalement-dans leur recension des œuvres-à l'absence de travaux sur l'histoire et à l'absence d'historiennes. In Familles, Femmes et Société.- URASC, 1987.
[25]- BOUHIRED. BOLPACHA et BOUAZZA.
[26]- Décrivant le « déclin des Turcs et les conséquences de l'organisation de la famille musulmane», Roland MOUSNIER écrit «Dé/a Sélim Il... porté au pouvoir... par les intrigues de sa mère. la Russe Roxelane, passait ses, journées au fond du sérail... Après lui. plusieurs sultans sont des enfants... Il faut des régences où les femmes jouent le rôle principal et qui sont des temps d'anarchies... ». MOUSNIER, Roland.- Les XVIe et XVIIe siècles. Les progrès de la civilisation européenne et le déclin de l'Orient (1492-1715).- Paris, P.U.F., 1954. Coll. Histoire générale des civilisations.- p.469. Une phrase qui veut résumer une histoire?
[27]- IBN KHALDUN.- Kitab et Ibar (Histoire des Berbères...). - Paris, Librairie Paul Geuthner, 1968.- Tome III, p. 273.
[28]- ROBIN, N..-Notice historique sur la Grande Kabylie de 1830 à 1838.-inRevueAfricaine, 1876.-p. 212.
[29]- cf. DERMENGHEN, Emile.- le culte des saints dans l'Islam maghrébin.-Paris, Gallimard. 1954.