Insaniyat N°25-26 | 2004 | L’Algérie avant et après 1954 Approches historiographiques et représentations | p.3-6 | Texte intégral
L’Algérie a célébré, en novembre 2004, le cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale. Ce déclenchement fut un événement de la plus grande importance pour l’évolution ultérieure du pays: en fait, c’est l’événement fondateur pour ce qui est de l’État national qui verra le jour en juillet 1962, et qui interpelle non seulement l’historiographie, mais toutes les disciplines sociales. Le CRASC a saisi cette occasion pour organiser, en septembre 2004, un symposium sur «L’état des savoirs en sciences sociales cinquante ans après le 1er novembre 1954», et dont la publication des actes a été activement préparée.
Insaniyat avait programmé, par ailleurs, la publication de numéros thématiques relatifs à «l’Algérie avant et après 1954». Le numéro double que voici regroupe un certain nombre de contributions que nous avons rassemblées autour de l’intitulé «L’Algérie avant et après 1954: société coloniale, mouvement national, guerre de libération et indépendance. Approches historiographiques et représentations». Nous avons, bien sûr, essayé à travers cet énoncé de dégager le fil conducteur des différents textes proposés par les contributeurs et retenus ici. En fait, ils répondent tous, d’une manière ou d’une autre, à la problématique développée dans l’appel à contributions diffusé par Insaniyat il y a un peu plus d’une année, dont nous extrayons, pour rappel, le passage suivant: «Un nombre incalculable d’écrits a été consacré à l’Algérie coloniale et au mouvement national qui devait déboucher sur l’indépendance du pays. Il ne s’agira pas ici d’en faire le recensement, mais de s’appuyer sur les travaux qu’on peut classer parmi les plus pertinents et qui auront marqué la recherche en histoire et en sciences sociales pour les confronter aux problématiques nouvelles et aux contributions les plus récentes. Des approches originales rendues possibles par le traitement de nouvelles archives mises à la disposition des chercheurs et témoignages récents, ou suscitées par une relecture de ce qui était déjà disponible par le passé, seront des plus utiles pour de tenter de rendre compte de situations dont l’enchevêtrement particulièrement complexe aura contribué à façonner la réalité du présent. D’ailleurs, les débats passionnés qui se poursuivent quant à ce passé qui s’éloigne en indiquent l’impact sur les mémoires et les représentations que continuent à consommer ou à produire des générations qui n’ont pourtant pas toutes vécues avant 1962… Le tout est de montrer comment le savoir concernant une période cruciale dans le devenir de l’Algérie est loin d’être épuisé, et qu’au-delà de la curiosité intellectuelle qui a sa propre fonction, il peut encore contribuer à façonner de nouveaux éclairages pour la compréhension du présent.»
Bien entendu, il faudra se référer aux textes que nous publions dans cette livraison, avec leurs résumés et mots clés (en différentes langues), pour s’imprégner réellement de l’écho qu’aura suscité parmi les chercheurs notre texte argumentaire. Cependant, nous essaierons ici d’en faciliter la lecture en proposant quelques axes autour desquels peuvent être regroupés les contributions retenues dans cette publication.
Trois articles ont pour objet des acteurs de la guerre de libération. Dans La «Révolution» du FLN (1954-1962), Gilbert Meynier traite de celui qui en fut le principal acteur institutionnel, le FLN, en le présentant comme un «front de résistance» plutôt qu’un «front révolutionnaire», tandis que dans La violence et l’histoire dans la pensée de Frantz Fanon, Mustapha Haddab aborde les conceptions développées dans ses écrits par un penseur de la révolution algérienne et du devenir du tiers-monde, et que, dans Adjel Adjoul 1922-1993. Un combat inachevé, Ouanassa Siari-Tengour analyse comment un même homme peut recouper «deux profils contradictoires», ceux du héros et de l’anti-héros.
Les articles de Kamel Kateb et de Didier Guignard nous font (re)visiter la société coloniale, le premier à travers Les séparations scolaires dans l’Algérie coloniale, le second en exhumant L’affaire Beni Urjin: un cas de résistance à la mainmise foncière en Algérie coloniale (dans la région de Bône/Annaba à la lisière des xixe et xxe siècles).
Le Mouvement national est abordé dans la richesse et la complexité de ses composantes par quatre contributeurs. En effet, Nahas M.Mahieddine traite de La pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk et le Mouvement national algérien, tandis que René Gallissot nous offre, en primeur, deux notices rédigées pour le projet de Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier-Algérie: la première intitulée Mise au point sur la parti national révolutionnaire (congrès tenu en 1930) à travers la notice biographique de Sid-Ahmed Belarbi/Boualem, et la seconde, La place éminente de Messali ne saurait cacher la figure de sa compagne: Émilie Busquant. Daho Djerbal et Saddek Benkada, quant à eux, nous proposent une approche, respectivement, sur La question démocratique dans le mouvement national algérien 1945-1962 et La revendication des libertés publiques dans le discours politique du nationalisme algérien et de l’anticolonialisme français (1919-1954).
Les pratiques de représentation, au sens large, induisant la mémoire sur le plan littéraire et culturel, d’un côté, et la mémoire à prétentions historiographiques, de l’autre, et gravitant autour de la guerre de libération et du mouvement national – raison pour laquelle nous les regroupons toutes deux, non sans abus, dans la même rubrique et bien qu’elles soient parfois à la lisière l’une de l’autre – concernent six articles.
Ceux de Zineb Ali-Benali et d’Abdelkader Khelifi touchent plus à la culture littéraire et chantée (dans leur rapport, bien entendu, à notre problématique d’ensemble), la première avec Les ancêtres fondateurs. Élaborations symboliques du champ intellectuel algérien (1945-1954), le second avec «El-Gaoul» (chant de glorification), la femme et la guerre de libération.
Les questions de mémoire historiographique et d’écriture de l’histoire font, quant à elles, l’objet des articles de Benjamin Stora, L’Histoire de l’Algérie, sources, problèmes, écritures, de Rabah Lounissi, Les conflits internes à la Révolution algérienne, à travers le discours historiographique algérien, de Hassan Remaoun, Les historiens algériens issus du Mouvement national, et enfin de Ouanassa Siari-Tengour et Fouad Soufi, Les Algériens écrivent enfin la guerre (avec un recensement bibliographique allant de l’indépendance à nos jours). Ces questions d’historiographie font aussi l’objet de notes bibliographiques et de comptes-rendus de lecture (par Abdelkader Charchar, Djilali Sari, Anissa Bouayad et Hassan Remaoun).
Nous ne terminerons pas la présentation de ce numéro double thématique sans signaler des contributions qui abordent à la fois les périodes coloniale et post-indépendante (la liaison entre les deux étant évidente), tels les articles de Hartmut Elsenhans, Algérie-économie rentière: continuités et discontinuités. Perspectives, et de Abdennasser Djabi, Le mythe, la génération et les Mouvements sociaux en Algérie: ou le père «niais» et le fils «habile».
C’est le cas aussi pour la position de recherche de Brahim Salhi autour de sa thèse d’État portant sur Société et religion en Kabylie. 1850-2000, et enfin la contribution rédigée par Hugh Roberts à la demande de la rédaction en hommage à notre collègue et ami disparu Mahfoud Bennoune qui, après avoir participé à la Guerre de libération, fut ensuite comme citoyen et universitaire lu et écouté, et qui fut l’un des acteurs de la société algérienne post-indépendante, dans ses moments les plus critiques notamment. Ce numéro d’Insaniyat est dédié à sa mémoire.
Hassan Remaoun