The deaf child and family Abstract: This article reveals some answers to the following questions: How does an Algerian deaf child develop within his family? How does the family support contribute to elaborate therapeutic and pedagogical projects? Keywords: deafness - language - deaf child - non verbal communication - parental relationship - family support - sociability - schooling. |
Djamila BOUTALEB : Maître de conférence, orthophoniste, Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie
La notion de "famille" est habituellement définie comme notion de groupe "parents-enfant" faisant partie intégrante d'une structure sociale donnée. Aussi, "la famille est à la fois un groupe psychosocial et une organisation sociale"[1]. Dans notre pratique quotidienne en qualité de psychologue orthophoniste nous constatons généralement que les thérapies exercées sur l'enfant en difficulté nécessitent sensiblement un partenariat familial. Notre question est de savoir si le rôle de la famille de l'enfant sourd peut contribuer à son développement global ? Et si oui, à quel niveau en particulier ?
En effet, si l'on veut optimiser l'aboutissement des prises en charge avec l'enfant sourd, il n'est plus possible de concevoir un projet de soins psychologiques ou médicaux sans avoir tracé auparavant son histoire personnelle et celle de sa famille. La prise en compte de ses antécédents nous aide forcément à comprendre l'évolution de ses contraintes et surtout à appréhender le fonctionnement familial sur lequel va reposer notre accompagnement et notre guidance. A juste titre, ne pense t-on pas que "la famille, noyau de la communauté, est le berceau de la vie affective, la cellule économique et le promoteur majeur de l'intégration sociale" ?
Dans cet article, nous essaierons de répondre à ces questions par le biais essentiellement de nos observations cliniques, nous appuyant sur quelques analyses de spécialistes. Nous pouvons avancer que la conception familiale n'est plus statique du fait d'une part de l'évolution de la famille nucléaire, du travail de la femme, de l'allaitement maternel ou artificiel, de la garde des enfants et d'autre part des différents types de familles où l'on rencontre l'enfant du divorce, l'enfant orphelin, l'enfant abandonné, l'enfant adopté, l'enfant de famille en conflits, l'enfant de famille aux faibles revenus, l'enfant de famille recomposée et autres…Autant de situations qui correspondent naturellement à diverses orientations dans l'accompagnement familial. Ce qui explique l'étude de cas individuels pour essayer de cerner le sujet et les attentes parentales de manière à adapter à chacun le suivi thérapeutique qui lui conviendrait le mieux.
1. La surdité : de la singularité à la pluralité
L'enfant sourd dont nous parlons n'est pas cas unique de surdité car la surdité est plurielle. La déficience auditive correspond à une baisse ou une perte de l'acuité auditive ce qui produit plusieurs genres de surdité, légère, moyenne, sévère ou profonde correspondant chacune à des conséquences psychologiques, linguistiques, scolaires et sociales dissemblables. Aux différents degrés de surdité vont s'impliquer d'autres facteurs à prendre en compte : la surdité peut toucher une ou les deux oreilles, elle est de transmission quand l'atteinte se situe au niveau de la partie externe et moyenne de l'appareil auditif et de perception dans l'oreille interne. De plus la surdité peut être de naissance ou congénitale, selon le schéma classique de l'hérédité, suite au mariage consanguin et de lien de parenté. Elle peut être acquise, fréquemment en Algérie, après la méningite, dans les otites récidivantes mal soignées et d'autres surdités de causes inconnues selon des familles mal informées.
D'autres aspects importent le plan de guidance et d'intervention comme l'âge d'apparition de la surdité, avant ou après la période d'acquisition du langage soit, la phase de développement pré-linguistique avant deux ans environ et la phase linguistique après trois ans. Plus tard, à l'âge de la scolarité, nous observons chez l'enfant sourd l'usage de la langue le mieux adapté comme le mode oral ou gestuel.
La relation aux enseignants et aux camarades de classe, les attitudes face à la méthode de rééducation favorisée : oralisme, langue signée, bilinguisme…sont d'une portée considérable dans nos observations cliniques. Ces multiples éléments compris dans le bilan global que nous effectuons sont consignés régulièrement dans la prise en charge psychologique et scolaire, néanmoins l'apport familial et l'engagement des parents de l'enfant sourd déterminent-ils un pourcentage certain des résultats escomptés ?
Quelque soit son degré de perte auditive, son niveau d'atteinte dans l'appareil auditif, la cause et l'âge de surdité, la déficience de l'oreille entraîne des conséquences principalement sur le plan de la communication et la sociabilité et, plus tard sur le parcours scolaire. Plus la surdité est importante, comme les surdités sévères ou profondes à partir de 75 décibels de perte auditive, et plus le langage articulé ou oral est restreint et difficile à réhabiliter. L'enfant va de cette manière spontanément utiliser une communication par les gestes pour essayer de se faire comprendre par son entourage immédiat. Pour lui, cette forme d'échange est naturelle et surtout non pénible.
2. Développement du langage et comportement parental : observations sur le terrain
2.1. L’enfant sourd sévère
Si nous prenons l'exemple d'un bébé sourd sévère congénital, nous verrons que l'évolution de son langage oral comprend les mêmes phases de développement que celles d'un bébé entendant. Les premières formes de communication observées commencent par des pleurs signifiants la faim, l'inconfort, la douleur ou le malaise psychoaffectif. La présence des parents va aussitôt le rassurer et ainsi répondre à sa demande. Dès le deuxième mois se manifeste la production spontanée de sons ou de syllabes jusqu'au moment du babil. Ne se doutant de rien les parents vont répliquer par un jeu de répétition des sons émis. C'est un moment de grand partage affectif et communicatif entre l'enfant et sa famille. Ce jeu exercice puisqu'il permet les apprentissages, s'effectue généralement autour du berceau ou dans les bras d'un des membres de la famille, face au bébé. C'est à ce moment que débutent les prémisses de la lecture labiale, ce qu'ignore la famille. Le bébé observe intensément le mouvement des lèvres des parents et répète surtout les sons bilabiaux comme "p-b-m"
Jusque là, la communication parents-enfant est naturelle. Néanmoins, alors que le bébé entendant va développer son répertoire de sons émis par sa famille car répondant à un jeu vocal et auditif, le bébé sourd commence à se rendre silencieux.
Sans contrôle auditif, il n'éprouve pas le plaisir devant ces répétitions de sons car il n'en perçoit pas la mélodie et la musicalité qui les accompagnent. Néanmoins il reste très sensible aux expressions faciales et au regard de sa famille comme l'expression des sourcils et du regard, les hochements de tête, le rythme ou balancement des bras …D'intelligence normale ce bébé va s'approprier tout ce qui peut lui procurer des informations sur le monde environnant qu'il découvre jour après jour. La gestuelle accompagnant spontanément le langage oral de ses proches le fait réagir de façon plus intense.
Tous ces comportements ne diffèrencient en rien à priori un bébé sourd d'un bébé entendant. Cependant passée cette phase de communication totale dirons-nous, par les vocalises, la gestuelle corporelle, les expressions du visage et du regard, le bébé sourd va s'exprimer de plus en plus par un comportement beaucoup moins "verbalisé" traduit généralement par la famille comme étant le comportement d’un "bébé calme".
Plus tard, souvent vers 18 mois à 2 ans environ, les parents suspectent non pas une surdité mais un retard de langage oral. Une fois la surdité confirmée par les médecins O.R.L., les parents affirment à l'entretien que leur enfant parlait et qu'il est devenu sourd vers l'âge de deux ans.
Très vite le regard sur cet enfant change, mêlé d'interrogations et de culpabilité. Cette forme de comportement parental est fréquent du fait que l'annonce de la surdité n'apporte pas un soutien psychologique et des informations sur les prises en charge comme l'explique le Docteur Lucien Moatti.[2] Une étude réalisée en 1993 par Eliane Corbet[3] s'est intéressée aux "représentations et réalités de l'annonce du handicap" à travers des discours parentaux qui montrent « qu'il ne s'agit pas d'un moment d'annonce mais d'un processus de révélation de la déficience, animé par le doute parental et une attente par les parents de fonctions exercées par les professionnels ».
Et d'un autre côté, l'enfant sourd ne vit plus les échanges communicatifs spontanés avec sa famille, les attitudes parentales correspondent de moins en moins à ses attentes habituelles. Or dans la communication parents-enfant l'aspect émotionnel prime avant l'acquisition du langage. Le bébé sourd ressent moins cet aspect là et il n'en comprend pas la raison. Ce fait va sensiblement modifier les rapports familiaux avec cet enfant qui devient "l'étranger" alors qu'il est tout simplement "différent" par sa manière communicative, conséquence de sa surdité.
L'autre difficulté réside dans la pratique par l'enfant du mode gestuel de communication. Les parents rejettent à priori ce langage gestuel pour essayer de le faire parler. Des conflits naissent de ce rejet engendrant souvent une rupture dans les échanges au quotidien. Quand la prise en charge commence, elle est médicale avec généralement une quête de solution dans la pratique de la médecine traditionnelle et du maraboutisme.
C'est auprès des psychologues et orthophonistes que les parents réalisent les difficultés articulatoires et auditives de leur enfant et de la nécessité de les faire scolariser dans une institution pour sourds. La guidance parentale permet de les accompagner dans la recherche d'informations et de les sensibiliser dans les conduites à tenir comme s'adresser à lui en pratiquant le mime et la gestuelle pour faciliter la compréhension du langage verbal, lui parler de face et surtout le rassurer de leur affection malgré sa surdité.
2.2. L'enfant de surdité légère ou moyenne
Dans ces cas là, la relation parents-enfant est singulièrement ambiguë du fait que, quelque peu, l'enfant entend et parle, pour ne pas dire, articule tant bien que mal, notamment dans le cas des surdités moyennes. Autant la surdité profonde sous-tend des attitudes langagières qui font rapidement suspecter une déficience auditive, autant la surdité légère surtout, suscite des interrogations continuelles au regard du comportement inquiétant de l'enfant. En effet, il va tantôt répondre à l'appel, tantôt l'ignorer. Sur le plan pathologique cela signifie soit par exemple l'atteinte d'une seule oreille, soit la qualité acoustique est discontinue par des prises de parole simultanées communément appelées bavardage ou par le bruit, caractéristique de la gêne auditive.
Déroutés par cette instabilité, les parents la mettent sur le compte de troubles de comportement ou même mental, vu que le langage comporte des difficultés articulatoires perçues comme un retard de langage et de ce fait, l'enfant sourd devient aux yeux de ses parents "l'enfant retardé". Les enfants sourds vont confondre les synonymes labiaux, à savoir les sons de même lieu d'articulation comme par exemple les bilabiales "p – b – m", les labiodentales "f – v" et les apico-dentales "t – d", le son "s" est remplacé par "t" et d'autres états de parole que nous ne pouvons tous énumérer ici.
Ainsi, de tous temps le sourd est considéré comme "l'idiot du village" alors qu'il s'agit d'absence ou de différence de communication entre la personne sourde et ses proches entendants. Il est établi actuellement que la surdité n'affecte en rien l'intelligence mais les multiples attitudes des sourds installent malgré tout des doutes dans l'esprit des familles.
L'enfant sourd léger est dépisté tardivement vers 6 ans, âge scolaire des apprentissages de la lecture et de l'écriture. Parfois il est suspecté de surdité beaucoup plus tard car les bases du langage sont acquises avec seulement quelques confusions articulatoires auxquelles les parents et les médecins même prêtent peu d'attention. Les échanges se réalisent normalement et l'enfant comprend tout ce qu'on lui dit.
3. De la surdité à la sociabilité
L’enfance est l'âge où l'enfant se détache progressivement des parents pour se tourner vers d'autres objets et d'autres personnes du voisinage, dans un environnement plus grand que son berceau. Il marche, devient autonome et va vers les autres. A partir de 3 ans, c'est l'âge de la rencontre avec un plus grand nombre d'enfants et d'adultes, dans le cadre scolaire, soit en crèche soit à l'école maternelle où le jeu tient une place prépondérante dans le programme et ne nécessite pas forcément la pratique du langage oral. Néanmoins, les enfants se rendent compte un peu plus tard des difficultés langagières de cet enfant sourd. Qu'il soit sourd léger ou profond, très vite il est perçu comme un enfant "handicapé" car il manipule spontanément le langage gestuel pour se faire comprendre et présente des insuffisances articulatoires. Il faut souvent "négocier" avec les familles le partage des jeux ou simplement la présence d'un enfant sourd auprès de leurs enfants entendants.
3.1. Attitudes et pratiques face à la surdité
De nombreux responsables d'écoles maternelles et parents refusent l'inscription des enfants sourds qui sont alors confrontés souvent à un double rejet : celui de la famille et celui de l'école. Cela ne peut qu'engendrer envers les parents soit une constante agressivité soit un repli sur soi, allant parfois jusqu'à un état dépressif, refusant toutes formes de rééducation ou d'enseignement. Face à ce désarroi, les parents recherchent les solutions les plus rapides et parfois les plus coûteuses comme les consultations chez de nombreux et différents spécialistes nécessitant de longs déplacements, vers la capitale ou même en dehors de l'Algérie. Nous retrouvons souvent chez des parents ce "mythe des soins à l'étranger" dont parle Boucebci, la "prise en charge éducative et médicale effectuée "ailleurs" représente une sécurité notable pour eux et l'enfant".[4]
C'est l'âge de l'appareillage des enfants sourds. Les parents mal informés pensent que la prothèse auditive à elle seule va régler facilement le problème du langage et par là concevoir une évolution quasi normale de leur langue orale et de leur sociabilité. Mais en respectant au quotidien certaines conditions comme l'éducation auditive, la rééducation de la parole, des sons mal articulés, et surtout la joie de communiquer verbalement, le plaisir d'apprendre essentiellement par l'acceptation de la surdité. Ce dernier point est, à notre sens, primordial dans sa prise en charge.
Nous constatons souvent que les enfants sourds ne sont pas appelés par leur prénom véritable. La dénomination du sourd correspond aux parlers algériens des différentes régions, à l'Ouest, Il est appelé soit "bekouch" (le muet) ou "letrach" (le sourd). Au Centre et à l'Est algérien, on l'appelle "agoun" (le retardé). Actuellement on note une nouvelle appellation "mouawaq" (le handicapé) correspondant à l'apprentissage des familles de l'arabe d'enseignement par leurs enfants scolarisés et les médias.
Cette attitude parentale confère à l'enfant sourd son statut dans la fratrie et son statut social dans la mesure où les enfants du voisinage, de la rue et de l'école utilisent cette appellation dans les moments par exemple de petites discordes survenues dans les jeux et dans la vie de tous les jours. Tout est prétexte pour lui rappeler sa difficulté à s'intégrer et se faire accepter : de nombreux parents tentent de soustraire au regard des autres cet enfant "handicapé" de peur, pensent-ils de le blesser par des attitudes malveillantes le laissant sans défense. Sur le plan psychologique, cette forme de surprotection des parents cache généralement un net sentiment de culpabilité de ne pouvoir réhabiliter cet enfant "malade".
3.2. Surdité et scolarité
Dans notre pratique quotidienne nous constatons que l'école constitue un tournant déterminant dans l'histoire et l'identité de l'enfant sourd. Avant 3 ans, certains parents ne s'inquiètent pas outre mesure de ce "retard de langage" qui selon eux va s'atténuer progressivement car déjà observé chez un de leurs proches. C'est ce qui ressort lors des entretiens psychologiques qui tracent les antécédents de l'enfant. Ce constat fait retarder la prise en charge médicale, l'appareillage et la scolarité de l'enfant de surdité sévère. Après des années de "faire semblant" les parents se rendent à l'évidence et consentent enfin à scolariser leur enfant dans une institution pour sourds vu l'âge tardif de scolarité. Il arrive qu'il soit admis à l'école des sourds à partir de 8 ans et plus. Nous estimons qu'il est très difficile de faire rattraper ce retard alors que la suspicion de la déficience auditive a lieu généralement dans les deux premières années où l'enfant peut avoir la perception de certains bruits mais ne comprend pas le langage. Et quand la surdité est supérieure à 90 db, l'enfant ne perçoit ni les bruits ni la voix, ce qui doit alerter les parents et les proches.
L'école représente pour les parents l'ultime espoir de voir leur enfant parler et entendre. A cet âge tardif de scolarité, l'enfant sourd n'est cependant pas totalement démuni sur le plan communicatif. Au contact journalier de ses camarades il apprend très vite la langue gestuelle, interdite à la maison, beaucoup plus facilement que la langue orale et écrite. Il est même heureux de se trouver dans cette école, constatent les parents, où cette langue visuelle le soulage des contraintes et de la fatigue que suscite quotidiennement l’effort d'articuler et de lire sur les lèvres pour essayer de comprendre ses proches dans le but de ne pas être exclu du "cercle familial".
La rééducation orthophonique souvent ardue de même que l'enseignement spécifique dispensé dans les classes ne répondent pas à ses attentes à savoir apprendre dans le plaisir de la découverte car les éducateurs s'attardent plus à corriger une articulation défectueuse avant de concevoir le sens global d'un texte par exemple.[5] Les parents avouent reproduire le même schéma de correction de la parole chez leur enfant sourd, l'interrompant continuellement pour tenter de l'améliorer. La communication naturelle et affective parents-enfant s'interrompt pour laisser place à des échanges où l'enfant se sent dévalorisé par ses imperfections langagières et où les parents découragés renoncent à poursuivre le dialogue.
Pour des parents vigilants, le comportement quelque peu agité de l'enfant du fait de sa gêne auditive qu'il ne soupçonne pas lui-même, peut les alerter suffisamment pour l'observer au quotidien effectuant des petits tests auditifs comme faire tomber des clés ou l'appeler à voix basse et se rapprochent des enseignants pour confirmer leurs doutes. L'enfant de surdité moyenne manifeste un retard de parole qui ne peut passer inaperçu dès l'âge de 2 ans à 3 ans. L'enfant fait répéter, augmente le volume du téléviseur et commence à pratiquer de plus en plus les gestes pour se faire comprendre.
A l'école, les confusions sont plus nombreuses[6] que celles d'un sourd léger : le langage oral n'est pas installé et sollicite quotidiennement de plus grands efforts de concentration dans les exercices articulatoires à l'aide de prothèses auditives et du suivi parental à la maison pour consolider les acquis scolaires. La charge familiale est considérable pour des résultats de niveau de langage inférieur à leurs espérances.
Les incompétences verbales ne sont pas à la mesure des possibilités intellectuelles des enfants atteints de surdité. Des linguistes comme CUXAC[7] ont démontré que les compétences langagières gestuelles, désormais appelées "langue des signes", langue à part entière et faisant partie prenante de la "sémiologie de la communication", permettent la communication comme tout autre langue.
Les résultats scolaires correspondent à des procédés pédagogiques inadéquats avec la surdité de l'enfant et son moyen gestuel naturel de communication. Les écoles de sourds en Algérie adaptent généralement la méthode Verbotonale du Pr. Petar GUBERINA (1905-2003), C’est une méthode oraliste de rééducation du langage et de l'audition où les gestes ne sont pas interdits en classe. Ce qui engendre de nouvelles difficultés pour les familles, à savoir connaître les rudiments de la rééducation orthophonique et apprendre la langue gestuelle pour essayer d'optimiser au maximum la relation parents-enfant.
Nous observons dans notre étude que les filles sont scolarisées autant que les garçons, mais plus tard la jeune fille sourde, non mariée, va aider aux travaux ménagers de la famille et à la garde des enfants tandis que l'homme sourd, s'il n'obtient pas d'emploi fixe, accumule des petits travaux, comme vendeur ambulant dans les marchés où il n'hésite plus, à s'intégrer comme personne sourde. Souvent il pratique un sport qui occupe une place prépondérante dans la vie des sourds.
Ces comportements reflètent les attitudes ordinaires de tous jeunes algériens. Les familles marient assez facilement leur garçon sourd à une jeune femme entendante alors que le contraire est rarement vrai, en somme c'est en corrélation avec la place traditionnelle et encore présente de l'homme dans la société algérienne et le souhait d'avoir des enfants entendants.
Quand les sourds se marient entre eux c'est surtout lié aux rencontres effectuées lors de manifestations culturelles dans les écoles de sourds, pour éviter disent-ils les difficultés de communication et s'épanouir dans la même communauté sourde malgré les embûches familiales et sociales. La connaissance de défense des droits internationaux des sourds les encourage aussi à mieux assumer cette différence.
Hormis ses capacités particulières en communication orale, l'enfant sourd, quelque soit son degré de déficit auditif, est avant tout un enfant, confronté à l'histoire familiale, première cellule psychosociale qui compte dans le développement global de sa personnalité. La communication verbale ou signée traduit les pensées de l'être humain, sourd ou entendant, dans un "bain linguistique" qui tire ses racines des relations parentales et du comportement familial.
Il est vrai que pour des parents entendants, la langue gestuelle nécessite un apprentissage similaire à celui d'une langue étrangère. Cette comparaison ne semble pas totalement justifiée vu que très tôt les gestes font partie de la relation parents-enfant dans les deux premières années où la communication est à la fois verbale et non verbale comprenant la gestuelle des mains et du corps, le regard, les expressions faciales qui caractérisent aussi les paramètres de description de la langue signée. Pour le sourd ce n'est pas un "dialogue de sourd" mais un dialogue par la parole qui, elle, est gestuelle. A ce stade, la communication passe plus par des états émotionnels et d'affectivité avant d'être verbale et gestuelle.
Plus tard au moment de la rencontre avec d'autres personnes dans un cadre extrafamilial, l'enfant sourd retrouve dans le jeu certaines expressions corporelles et gestuelles qui, très vite, laissent la place au verbal, cette langue orale et articulée qui ne lui est pas accessible spontanément et à laquelle il répond par une communication par les gestes, seul moyen naturel dont il dispose avant d'entamer une longue et difficile rééducation orthophonique. L'entrée à l'école repose beaucoup plus sur les conséquences de la vie parentale et familiale plutôt que sur le rapport avec le déficit auditif et verbal de l'enfant.
Dans le traitement de la surdité, hormis d'éventuelles mesures thérapeutiques comme les soins médicaux, voire chirurgicaux, dans le cas d'implants cochléaires[8], le port de prothèses auditives de plus en plus discrètes et performantes mais souvent rejetées par les enfants sourds et la famille car signe apparent de leur "handicap-surdité", la rééducation orthophonique et l'enseignement spécifique dans une structure spécialisée, ou dans les rares cas d'intégration en milieu scolaire ordinaire à savoir dans des classes de l'éducation nationale, que la méthode soit oraliste, gestuelle ou bilingue, que l'enfant soit sourd léger ou sourd profond : l'accompagnement familial est essentiel (mais non suffisant) d'autant que la première conséquence de la surdité, le langage, touche l'aspect psychoaffectif de la communication mère-enfant et famille-enfant, déterminant capital d'une construction de personnalité stable qui, elle, s'autorise toutes formes d'adaptation scolaire et sociale à ce déficit sensoriel. Il est commode de dresser un tableau thérapeutique au regard des difficultés de langage, de sociabilité, de scolarité et de tracas sociaux vécus au quotidien par l'enfant sourd, sollicitant à chaque fois l'accompagnement parental avec les formules "faire" et "ne pas faire", néanmoins, avant de proposer une guidance parentale, il serait judicieux d'examiner dans un premier temps dans chacune des familles concernées, les potentialités relationnelles au sein du couple, les possibilités économiques à assurer les dépenses importantes de prise en charge médicales et prothétiques, et les capacités culturelles à l'apprentissage de la langue gestuelle. Nous observons que les échecs provenant du suivi parental proviennent essentiellement du dépassement de leur capacité à "gérer" l'éducation de cet enfant sourd aux appellations familiales et sociales nombreuses : "muet", "retardé", "handicapé", "malade".
Actuellement dans le cadre de la mondialisation et des droits de l'enfant en difficulté, les sourds revendiquent de plus en plus avec leur famille l'instauration de "la culture sourde" correspondant au libre choix de la communication par le langage oral ou par le langage gestuel et par la reconnaissance de cette langue gestuelle : "la langue des signes", langue de communication à part entière selon de nombreux linguistes et sociologues.[9] Benoit Virole formule clairement l'analyse suivante : « un des apports les plus importants de l'étude de la surdité est le constat que le langage ne se développe pas sur des bases proto-phonologiques mais comme une extension des compétences interactionnelles du nourrisson en relation avec son environnement parental… » .[10]
Les données récoltées suggèrent enfin l'idée que "l'intervention vise à symboliser le non-dit avec la famille de l'enfant sourd et tente de rétablir un processus essentiel dans le développement de la communication qui a été ébranlé par la surdité".[11]
Conclusion
Notre recherche montre que les parents ne sont pas préparés à recevoir un enfant aux difficultés multiples de communication orale et auditive et sont désorientés d'entendre les nombreuses explications scientifiques qu'ils ne maîtrisent pas. C'est un véritable choc pour certains qui, très vite, se mettent dans une situation de bouleversement émotionnel et de déni qui leur fait perdre tous leurs moyens. Nous pouvons constater cet état de désillusion durant les séances de rééducation orthophonique auxquelles nous suggérons aux parents d'assister dans le but de guidance parentale et de thérapie d'acceptation de la surdité de leur enfant. Après quelques minutes de suivi, certains parents demandent à quitter les lieux, tandis que d'autres sont soulagés de pouvoir se rapprocher de l'enfant pour mieux le comprendre et l'aider dans sa communication.
A ce niveau de prise en charge, nous pouvons confirmer que les parents et l'enfant sourd réapprennent à communiquer. Pour la famille ces apprentissages constituent le moment ultime de "réconciliation" sans toutefois, pour nous, de "robotiser" les comportements parentaux. Il s'agir d'essayer d'apprécier et d'estimer intuitivement les bonnes opportunités de communication parents-enfant. Les échecs peuvent aussi provenir de la prothèse auditive mal adaptée à la surdité de l'enfant, des séances ardues d'orthophonie, de la méthode des enseignements scolaires dont le niveau et les programmes ne correspondent pas toujours à son âge et de l'acquisition de la langue orale dont la place est socialement supérieure à celle de la langue gestuelle.
L'enfant sourd en réel épanouissement de sa personnalité, assumant sa surdité, est celui dont la famille a fait le choix personnel de l'accompagnement parental à chacune des étapes de prise en charge thérapeutique et scolaire sans forcément "se soumettre" aux projets de guidance proposés par les psychologues et les orthophonistes.[12]
Ce qui nous semble important dans les premières initiatives parentales et techniques est de ne pas s'attarder au seul état psychologique de rejet ou d'acceptation de la surdité mais de commencer d'agir par un programme pédagogique commun et un suivi quasi régulier et constant de manière à ajuster au fur et à mesure aussi bien les attitudes parentales que les actions thérapeutiques essentiellement psychologiques et orthophoniques. La définition de la famille et de l'enfant sourd ne peut se résumer aux seules idées globales exposées dans ce petit article.
Le développement de la personnalité de tout un chacun, enfant sourd ou autre, est lié à la relation parentale, elle-même rattachée à l'histoire familiale qui détermine en quelque sorte son identité à la fois personnelle et sociale. Dans le cas de l'enfant sourd, l'aspect linguistique est primordial dans la construction de son identité et s'adjoint aux caractéristiques familiales et sociales.
Bibliographie
Benoit, Virole : Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent sourd, 20 ans de clinique, 2003, p.7.
Boucebci, Mahfoud, Maladie mentale et handicap mental, Alger, E.N.A.L, 1984.
Boutaleb, Djamila, Les enfants sourds en Algérie, Problèmes d'acquisition de la Langue, thèse de doctorat de 3ème cycle, Paris V. Sorbonne, 1987, 408 pp.
Boutaleb, Djamila, "L'enfant sourd et l'école" in Pratiques Psychologiques, [Alger], numéro 1, 1999, p.49.
Cuxac, Christian, le langage des sourds, Paris, édition Payot, 1983.
Lafon, Robert, Vocabulaire psychopédagogique et psychiatrique de l'enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 4ème édition, 1979, p. 455.
Mottez, Bernard, "la surdité au quotidien", Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1973, 2007.
Roberge, Louise, "la communication affective entre l'enfant sourd, sa famille et l'équipe de réadaptation", article site internet consulté le 08/09/2008.
Notes
[1] Lafon, Robert, Vocabulaire psychopédagogique et psychiatrique de l'enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 4ème édition, 1979, p. 455.
[2] Lucien, Moatti (Hôpital d'enfants Armand Trousseau, Paris) œuvre en faveur de l'éducation précoce depuis 1963 ce qui nécessite une place importante de la famille.
[3] Etude réalisée dans le cadre d'un programme du CTNERHI (Centre National d'Etudes et de Recherches sur Handicaps et les Inadaptations) PMI, Rhône-Alpes.
[4] Boucebci, Mahfoud, Maladie mentale et handicap mental, Alger, E.N.A.L, 1984.
[5] Boutaleb, Djamila, Les enfants sourds en Algérie, Problèmes d'acquisition de la Langue, Thèse de Doctorat de 3ème cycle, Paris V, Sorbonne, 1987, 408 p.
[6] Boutaleb, Djamila, « L'enfant sourd et l'école », in Pratiques Psychologiques [Alger], numéro 1, 1999, p.49.
[7] Cuxac, Christian, le langage des sourds, Paris, édition Payot, 1983.
[8] Acte chirurgical qui consiste, par le placement d'électrodes au niveau de l'oreille interne, à stimuler le nerf auditif qui conduit au cerveau les informations sonores, pour leur décodage.
[9] Mottez, Bernard, Sociologue de la surdité, "la surdité au quotidien", Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1973, 2007.
[10] Benoit, Virole, psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent sourd, 20 ans de clinique, 2003, p.7 (cité par Louise Roberge).
[11] Roberge, L., psychologue thérapeute conjugale et familiale : "la communication affective entre l'enfant sourd, sa famille et l'équipe de réadaptation", article site internet consulté le 08/09/2008.
[12] Mottez, Bernard, sociologue de la surdité, "la surdité au quotidien", Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1973, 2007.