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Le tourisme de circuit dans le Sahara tunisien : réalités et perspectives

Insaniyat N°51-52 | 2011 | Le Sahara et ses marges | p.271-287 | Texte intégral


Tour tourism in the Tunisian Sahara: reality and perspectives

Abstract: Tourist tours are considered as the main attraction that the Sahara region offers. This form of tourism concerns the Gafsa-Tozeur tourist zone. The Djerba- Zaris spa pole plays an important role for organized sightseeing tours in the Sahara regions. An analysis of the Saharan tourism image, given by foreign tour operators in their publicity brochures, shows that the organized trips and excursions represent the subject the most approached by travel agencies. This research aims at elaborating evaluations of places in the tourist tours in the Saharan Tunisian circuit, to study its spatial organization and to analyze its commercial function among the foreign travel agents. It also tries to suggest new trips capable of better organization for this tour tourism in the Tunisian Sahara.

Keywords:  Tunisia -Tunisian Sahara - tourist organized trips - coastal tourist tourist agencies.


Mohamed SOUISSI : Enseignant, géographie, Université de Sousse (Tunisie).


Dans le Sud tunisien, le tourisme saharien constitue une alternative au tourisme balnéaire. Il concerne la zone touristique de Gafsa-Tozeur qui a suscité, ces dernières années, un intérêt croissant des différents acteurs du tourisme en Tunisie. Dans cette zone, la pratique du tourisme de circuit est considérée aujourd’hui comme l’élément principal de l’offre touristique dans les régions sahariennes. La diversité des paysages, des cultures et des habitats traditionnels dans ces régions sahariennes explique l’importance de cette forme de tourisme. Dans le cadre de l’animation des séjours dans les stations balnéaires, les tours opérateurs et les agences de voyages programment des excursions dans les régions sahariennes, notamment, autour du Chott el-Jérid et dans les principales villes touristiques du Sud tunisien.

Malgré les opportunités de diversification du tourisme saharien dans le Sud tunisien, la commercialisation du tourisme de circuit reste liée essentiellement à l’image touristique saharienne dans les pays émetteurs et aux stratégies commerciales des voyagistes étrangers. L’étude des brochures publicitaires de ces voyagistes montre que le produit saharien est vendu dans les marchés émetteurs comme un produit complémentaire au tourisme balnéaire, ce qui est à l’origine de la faible durée de séjour dans les régions sahariennes. Le pôle balnéaire de Djerba-Zarzis joue un rôle important dans l’organisation du tourisme de circuit. Ce pôle est le point de départ de la plupart des circuits touristiques.

Par conséquent, l’objet de ce travail est d’élaborer une réflexion sur l’état des lieux du tourisme de circuit dans le Sahara tunisien, d’étudier son organisation spatiale et d’analyser son fonctionnement commercial chez les voyagistes étrangers. Enfin, en tenant compte du potentiel touristique réparti dans les régions sahariennes et en se fondant sur l’observation des pratiques actuelles du tourisme international en Tunisie et l’analyse des enquêtes que nous avons menées auprès des différents acteurs (l’Office National du Tourisme Tunisien, l’Agence Foncière Touristique, les voyagistes étrangers…), ce travail tient aussi à proposer de nouveaux circuits touristiques capables de mieux organiser le tourisme de circuit dans le Sahara tunisien.

1. Le tourisme dans le Sahara tunisien : état des lieux et organisation spatiale

1.1. Une faible intégration des régions sahariennes dans le système touristique

Selon le découpage régional de l’administration touristique, le tourisme saharien concerne quatre gouvernorats du Sud tunisien à savoir, ceux de Tozeur, Kébelli, Gafsa et Tataouine. Ces quatre gouvernorats sont regroupés sous l’appellation de « zone touristique de Gafsa-Tozeur » qui attire près de 800 000 touristes étrangers par an (ONTT, 2007)[1]. Cependant, à l’examen des statistiques du tourisme dans le Sud tunisien, on constate une faible intégration de cette région dans le système touristique tunisien par rapport à l’activité touristique du pôle balnéaire Djerba-Zarzis.

Concernant la demande touristique, la région Djerba-Zarzis a enregistré en 2007 une fréquentation d’environ 1 300 000 touristes internationaux, contre seulement 770 000 à Gafsa-Tozeur, soit une différence de l’ordre de 530 000 visiteurs. De même, les statistiques reflètent une large différence de la durée de séjour entre les deux régions puisque la région balnéaire Djerba-Zarzis présente une durée moyenne de 7,5 jours, alors qu’elle n’a pas dépassé 1,3 jour dans la région saharienne Gafsa-Tozeur. Ces différences reflètent, en réalité, l’existence de deux formes de pratiques touristiques dans le Sud tunisien. La première, dominante dans la région Djerba-Zarzis, est liée à un tourisme de séjour à vocation balnéaire, alors que la deuxième est liée à un tourisme de circuit essentiellement saharien pratiqué dans la région Gafsa-Tozeur.

L’examen des statistiques fait également apparaître que l’offre et la demande touristiques sont relativement limitées dans la région touristique saharienne Gafsa-Tozeur, par rapport à l’ensemble de la Tunisie. D’ailleurs, sa capacité hôtelière est seulement de 5 % de la capacité totale du pays en 2007. Quant à la fréquentation, elle ne représente que 14% du total des touristes ayant séjourné en Tunisie au cours de cette même année (tab.1).

Tableau 1 : L’offre et la demande touristique dans la région saharienne Gafsa-Tozeur

Source : Stat. ONTT, 2007.

D’après cette analyse, nous pouvons conclure que les stations balnéaires du Sud tunisien demeurent aujourd’hui les grands récepteurs des flux touristiques, alors que les régions sahariennes restent une destination secondaire pour les touristes étrangers. Cela permet de poser la question de la relation que peuvent entretenir ces deux espaces touristiques et de leurs dynamiques propres.

1.2. Organisation de l’espace touristique dans les régions sahariennes : influence du pôle balnéaire Djerba-Zarzis

L’analyse géographique de la carte de l’organisation de l’espace touristique dans les régions du Sud tunisien (carte 1) fait apparaître l’existence d’une activité touristique organisée autour de deux espaces basés sur deux types de produits différents : l’espace touristique balnéaire Djerba-Zarzis axé sur un produit de séjour et l’espace saharien Tozeur-Douz axé sur un produit d’excursion. Dans les espaces périphériques autour de ces pôles, on peut constater l’existence d’un nombre important de sites touristiques sans diffusion spatiale apparente comme Tamerza, Nefta, Matmata et Tataouine.

Dans le Sahara tunisien, l’espace touristique se caractérise par son étendue géographique par rapport à l’espace touristique balnéaire Djerba-Zarzis. En plus de la combinaison de plusieurs pratiques touristiques, l’espace saharien couvre la totalité des régions sahariennes du Sud tunisien. En effet, la carte révèle l’existence de deux pôles d’attraction touristique majeurs : Tozeur et Douz. Les pratiques touristiques dans ces deux pôles sont axées sur trois formes de tourisme : le tourisme culturel saharien axé sur le patrimoine et l’animation culturelle, le tourisme des oasis orienté principalement vers les circuits organisés dans les oasis, enfin, le tourisme de désert axé sur les randonnées et les bivouacs dans le désert. De même, la carte illustre l’existence de deux sites touristiques sahariens importants : Matmata et Tataouine. Dans ces deux sites, les pratiques touristiques sont orientées vers le tourisme de désert et le tourisme culturel saharien, notamment la visite des ksour berbères[2].

Carte 1 : Organisation de l’espace touristique dans les régions du Sud tunisien

 

Source : Enquêtes personnelles auprès de l’ONTT, l’AFT et « Tunisie Voyages » à Tunis « Nouvelles Frontières » et « Fram Voyages » à Paris (2005) / Conception et réalisation personnelles.

Il convient aussi de noter qu’en plus de cette concentration des pratiques touristiques autour de Tozeur, Douz, Matmata et Tataouine, la majorité des sites touristiques situés dans les espaces périphériques attirent les touristes étrangers pour la pratique du tourisme des oasis. C’est le cas, essentiellement, des sites situés au nord de Chott-Jerid comme Nefta, Tamerza, Metlaoui et Gafsa.

Ainsi, l’organisation spatiale du tourisme dans les régions sahariennes se caractérise par l’influence des pôles balnéaires sur l’espace saharien. En effet, les mouvements des touristes vers les villes sahariennes se font à partir de deux espaces géographiques différents. Le premier flux, le plus important, se fait à partir de Djerba-Zarzis vers les villes de Douz et Tozeur. Quant au second, il se fait à partir des autres zones touristiques balnéaires comme Sousse, Monastir et Hammamet. Selon notre enquête de terrain menée en 2005 auprès des tours opérateurs étrangers et des agences de voyages tunisiennes, ces mouvements de touristes correspondent à des circuits organisés pour la visite des oasis et des villages berbères du Sud tunisien.

En général, ces circuits sont le produit phare des régions sahariennes. Ils sont organisés en collaboration avec des acteurs locaux de la région et représentent la forme de tourisme la plus commercialisée par les voyagistes étrangers.

2. Les circuits organisés dans le Sahara tunisien

2.1. La commercialisation du produit saharien : formules de séjours et types de circuits touristiques

La commercialisation touristique du Sahara est liée essentiellement à l’image touristique saharienne dans les pays émetteurs et aux stratégies commerciales des tours opérateurs étrangers. En effet, parallèlement à nos enquêtes de terrain auprès des tours opérateurs étrangers, nous avons analysé l’image touristique saharienne véhiculée par des tours opérateurs français à travers leurs brochures publicitaires, ainsi que les types de formules de séjours proposées pour la destination Sahara. Notre base de travail est composée de 22 brochures des principaux tours opérateurs (Nouvelles Frontières, Club Méditerranée, Fram Voyages, Jet Tours,…). Elles concernent les années 2001 à 2004 et traitent de la haute et de la basse saison touristique, comme le montre le graphique 1.

 Graphique 1 : Principaux thèmes abordés par les voyagistes français pour le produit saharien

Source : Nouvelles Frontières, Club Med, Fram Voyages et Jet Tours (2001-2004) / Conception et calcul personnels.

D’après les résultats obtenus, on constate que le produit saharien est le deuxième produit le plus représenté par les tours opérateurs. Il arrive derrière le produit balnéaire qui représente l’image touristique majeure du tourisme tunisien. Sur l’ensemble des photos analysées, 30% traitent des thèmes à vocation saharienne contre 48% pour le produit balnéaire et 22% pour le produit culturel. De même, pour la destination Sahara, les circuits touristiques et les randonnées représentent le thème le plus abordé par les voyagistes français (près de 35% des photos) ; ce qui confirme les formes des pratiques touristiques dans les régions sahariennes.

En ce qui concerne les types de formules de séjours et de circuits touristiques proposés pour la destination Sahara, la quasi-totalité des brochures présentent des formules dites classiques (tab. 2) :

 Tableau 2 : Types des formules de séjours et de circuits proposés par les voyagistes français pour la destination Sahara

Source : Nouvelles Frontières, Club Med, Fram Voyages et Jet Tours (2001-2004) / Conception et calcul personnels.

- Destination directe (circuit et séjour complet au Sahara) : généralement, les touristes séjournent à Tozeur, Douz, ou Tataouine. Cette formule représente près de 29% de l’ensemble des formules analysées pour la destination Sahara.

- Destination indirecte (circuit uniquement) : les circuits sont organisés, en grande partie, par des agences de voyages tunisiennes pour la visite des oasis et des ksour berbères. Cette formule de séjour est commercialisée à partir des grandes stations balnéaires comme Djerba, Zarzis, Sousse et Monastir. C’est la formule de séjour la plus commercialisée pour la destination Sahara (52% de l’ensemble des formules analysées).

- Séjour combiné (balnéaire / Sahara) : ces types de formules visent les stations balnéaires, mais dans le cadre de l’animation de séjour, les organisateurs proposent des séjours avec excursions dans les régions sahariennes proches de la station. Généralement, les séjours combinés sont programmés à Djerba et Tozeur. Cette formule ne représente que 18% par rapport aux autres types de formules proposées pour la destination Sahara. D’après ce classement, la destination Sahara est commercialisée par les tours opérateurs étrangers comme une destination indirecte et secondaire à partir des espaces touristiques balnéaires. Le tourisme dans les régions sahariennes est basé sur des circuits de très courte durée, ce qui explique la faible durée de séjour enregistrée dans les hôtels du Sud-ouest tunisien. De même, suite à une enquête à Paris auprès du voyagiste français Nouvelles Frontières, le responsable du marketing affirme que la Tunisie est programmée en général pour des séjours balnéaires.

La programmation des stations sahariennes n’est là que pour compléter la gamme de la destination (Souissi. M., 2007)[3].

2.2. Le tourisme de circuit : le produit phare des régions sahariennes

Dans les régions sahariennes du Sud tunisien, les circuits organisés représentent la forme de tourisme la plus pratiquée par les touristes internationaux. En effet, dans le cadre de l’animation des séjours dans les stations balnéaires, les tours opérateurs et les agences de voyages programment des excursions dans le Sahara tunisien. Généralement, ces excursions se déroulent dans des véhicules tout terrain (4x4) et durent habituellement trois nuits et quatre jours. Les itinéraires couvrent le désert et les oasis de Matmata, Douz et Tozeur. Le touriste passe le reste de son séjour dans la station balnéaire, là où le circuit a commencé à savoir Hammamet, Sousse, Monastir ou Djerba. De même, selon une enquête de terrain menée en 2003 auprès des touristes dans la zone balnéaire Sousse-Monastir[4], la formule saharienne « Safaris en 4x4 » reste la formule la plus adoptée par les touristes étrangers. Plus de 89% de ceux qui ont visité le Sud tunisien ont choisi cette formule d’excursion (graph.2).

Graph. 2 : Formules d’excursions des touristes dans le Sud tunisien

Source : Enquête personnelle auprès des touristes (2003).

Enfin, dans l’espace touristique du Sud tunisien, les tours opérateurs étrangers et les agences de voyages tunisiennes proposent également aux touristes des mini-circuits dans les régions voisines des lieux de séjours. La durée des excursions est très variable. Elle va d’une journée à trois jours. Généralement, ces circuits se font à partir de Djerba, Douz ou Tozeur.

2.3. Exemple d’un circuit touristique saharien organisé par le tour opérateur français Jet Tours

Les voyagistes étrangers organisent des séjours complets sous forme de circuits en étapes dans les différentes oasis et villes sahariennes. Le voyage est programmé directement à partir des pays européens vers les aéroports de Djerba ou Tozeur. La carte 2 illustre un exemple de circuit organisé par le tour opérateur français Jet Tours. Le voyage est organisé en vol charter ou régulier à partir de Paris et à destination de Djerba. Le prix moyen proposé par le voyagiste se situe, selon les périodes, entre 495 € et 750 €. Le circuit se déroule en véhicule 4x4 avec six personnes maximum, accompagnées par un guide local parlant français. Selon le tour opérateur, le voyage est organisé, habituellement, pour une durée de huit jours, dont cinq jours programmés pour le circuit saharien. Quant à l’hébergement, il s’effectue dans des hôtels trois et quatre étoiles selon les villes - étapes du parcours.

En effet, le circuit prend son départ à Djerba le deuxième ou le troisième jour, en fonction du jour d’arrivée des touristes. Dans une première étape, les touristes visitent les villes de Gabès, Kebelli, Tozeur et le village de Bechri. Dans une deuxième étape, le circuit parcourt les oasis de Chebika, Tozeur et Midès. Ensuite, dans une troisième étape, les touristes découvrent les oasis de Nefta, Hazoua et El Faouar. La quatrième étape est consacrée à la visite de la ville de Douz, Chenini et Tataouine. Enfin, avant de retourner vers Djerba, les touristes visitent, dans une dernière étape, le village de Toujane et la localité de Matmata.

Carte 2 : Itinéraire d’un circuit touristique saharien organisé par le tour opérateur français Jet Tours

Source : Enquêtes personnelles auprès du voyagiste « Jet Tours » à Paris (2005) / Conception et réalisation personnelles.

A travers cet exemple de voyage saharien, on peut constater que les excursions couvrent presque la totalité de l’espace touristique du Sud tunisien. Mais, la question qui se pose aujourd’hui est celle des retombées économiques de cette forme de tourisme sur la population locale. Selon les responsables du tourisme contactés dans les régions de Douz et Tozeur, les bénéfices économiques des circuits sous forme de « Safaris » sont limités surtout aux hôtels étapes. En effet, les touristes consacrent le plus de temps pour la visite des oasis et le désert saharien. Les commerces et les autres services des villes sahariennes sont très peu fréquentés par les touristes effectuant ces types de circuit. Le modèle typique de tourisme à Tozeur se limite à une balade en calèche tirée par des chevaux dans l’oasis, mais les propriétaires d’oasis ne profitent pas directement de ces activités. Ce type de tourisme présente très peu de retombées locales ; les touristes ont peu de contacts avec le patrimoine socio-culturel. Enfin, l’espace touristique des régions sahariennes révèle l’existence d’un potentiel important en termes de pratiques touristiques liées aux composantes du produit saharien, notamment le tourisme des oasis, le tourisme de désert et le tourisme culturel saharien. A l’avenir, ce potentiel permettra de diversifier le tourisme de circuit dans le Sahara tunisien à travers le développement de nouveaux circuits à thème capables de mieux couvrir l’espace touristique saharien.

3. Perspectives du tourisme de circuit dans le Sahara tunisien : potentialités et réorganisation de l’espace touristique saharien

3.1. La diversité du potentiel touristique saharien : un atout pour l’étalement de la saison touristique

Le Sahara tunisien offre des opportunités certaines pour une plus grande diversité de produits et un étalement de la saison touristique. La partie Nord du Sahara présente des implantations humaines permanentes avec des ensembles urbains traditionnels, des villages de montagne, des oasis, etc.[5] En effet, l’espace touristique saharien du Sud se caractérise par la diversité de ses paysages constitués par des espaces de verdure dans les oasis, des déserts de sable, des espaces étendus de sel (Chotts) et des déserts rocheux de montagne. Les paysages sahariens, et notamment les oasis, dont l’ancienneté est liée à l’existence de sources d’eau, présentent l’originalité d’une agriculture spécifique. C’est le cas des oasis du Jérid qui constituent un noyau urbain ancien, des oasis maritimes, ou encore des oasis de montagne.

En plus des oasis, le Sud tunisien se caractérise par la présence d’ensembles traditionnels formés par des constructions isolées ou groupées qui ont une valeur exceptionnelle du point de vue historique et socioculturel en raison de leur architecture spécifique[6]. C’est le cas des ksour fortifiés et des ghorfa, vestiges architecturaux témoignant d’une organisation extrêmement structurée des sociétés sahariennes (photo 1). De nombreux guides de voyage internationalement reconnus, notamment « Michelin », « Lonely Planet », « le Guide Bleu », etc. insistent fortement sur la qualité de ces constructions et consacrent plusieurs pages à leur architecture célèbre, ainsi qu’à la culture berbère qu’elles incarnent[7]. De même, les groupements humains des régions du Sud tunisien et leurs activités économiques traditionnelles sont très diversifiés. Chaque région possède des caractéristiques spécifiques, des cultures et habitations différentes telles les palmeraies de Gafsa, Tozeur, Kebelli et Nefta, les maisons troglodytes (Matmata), les villages romains (Chebika…) et les ksour (Ksar Khilane, Haddada…). Cette diversité constitue une importante motivation à la découverte et explique l’importance du tourisme de circuit, considéré aujourd’hui comme le fil conducteur de l’organisation de l’offre dans les différents espaces touristiques du Sud tunisien.

Photo 1: Ksar Ouled Soltane dans le Sud tunisien

Source : GAROZZO. A, « Tunisie aux portes de l’orient », 2002, p.48.

Ksar Ouled Soltane, situé dans la région de Tataouine, est l’exemple même d’une architecture traditionnelle. Il est l’un des plus beaux et des mieux conservés de tout le Sud tunisien.

Outre la diversité des paysages et des habitats traditionnels, le Sud tunisien offre, grâce à sa modeste superficie géographique, la possibilité de passer du Sahara à la mer en moins d’une journée de voiture (Baziz, S., 1996)[8], ce qui constitue un avantage important par rapport au Maroc, à l’Algérie et à la Libye, concurrents directs de la Tunisie sur ce type de produit. De plus, dans le cadre de l’animation culturelle, les régions sahariennes du Sud tunisien proposent chaque année plusieurs manifestations et festivals internationaux, notamment, « le festival international du Sahara à Douz », « le festival international des oasis à Tozeur », « le festival des ksour à Tataouine », etc. Enfin, il faut noter que le Sahara du Sud tunisien possède aussi d’autres potentialités orientées vers de nouvelles pratiques touristiques sahariennes. C’est le cas par exemple du développement d’une hôtellerie pittoresque (hôtels à caractère local, tentes…) dans les oasis de montagne qui peut être proposée aux touristes recherchant un tourisme haut de gamme avec des circuits à thème. On peut également relever un potentiel de développement du tourisme de randonnée et de circuits autour des thèmes de la faune et de la flore combinés à des aspects historiques et socioculturels dans les oasis de montagne, dans le Chott el-Jérid et la vallée de Selja.

3.2. Nouveaux circuits à thème et réorganisation de l’espace touristique saharien

En se fondant sur la diversité du potentiel touristique et sur l’organisation géographique des formes de tourisme saharien, on peut identifier la possibilité de deux circuits touristiques à thème capables de mieux organiser le tourisme dans les régions sahariennes du Sud tunisien (carte 3) :

  • - « Le circuit des oasis » : ce circuit permettra d’organiser l’espace touristique autour de Chott-Jerid entre les villes de Gabès, Tozeur et Kebelli, en passant par Gafsa, Metlaoui, Tamerza et Nefta. En raison du potentiel important des oasis dans le Nord de Chott el-Jerid, ce circuit pourra être orienté vers un tourisme de randonnée dans les oasis. Son itinéraire permettra aussi d’intégrer le Parc national de Bouhedma situé dans les régions de Gafsa et Sidi Bouzid ; en effet, ce parc est considéré comme l’un des principaux en Tunisie. Il abrite d’importantes richesses de la faune et de la flore. Il est caractérisé par la présence de la savane sub-saharienne dominée par le gommier (Acacia raddiana).
  • - « Le circuit des Ksour berbères » : ce circuit permettra d’organiser l’espace entre le pôle d’attraction touristique de Tozeur et les deux principaux sites sahariens, Matmata et Tataouine. En effet, ce circuit est orienté, d’une part vers une pratique touristique culturelle axée sur la visite des ksour berbères, et d’autre part vers une pratique de tourisme de désert centrée sur les randonnées et les bivouacs dans le désert. De même, l’itinéraire de ce circuit donnera la possibilité d’intégrer les deux parcs nationaux de Sidi Toui et Jebil. Ce dernier renferme plus de 100 000 hectares de dunes et est caractérisé par la présence des gazelles et certaines espèces d’oiseaux et de reptiles.

Carte 3 : Tourisme de circuit et réorganisation de l’espace dans les régions sahariennes

Source : Enquêtes personnelles auprès de l’ONTT, l’AFT et la direction générale des forêts (2006) / Conception et réalisation personnelles.

Afin de parvenir à ses objectifs, l’administration touristique tunisienne et les acteurs privés devront collaborer ensemble pour développer et renforcer le tourisme de circuit dans le Sahara tunisien. Plusieurs recommandations peuvent être faites sur ce thème :

  • - Elargir l’offre d’équipements hôteliers dans les pôles d’attraction touristique et promouvoir l’aménagement d’espaces de loisirs, notamment ceux destinés à l’animation et au tourisme sportif.
  • - La collaboration de l’ONTT avec les autorités locales pour développer le tourisme dans les parcs, notamment en matière d’équipements et d’infrastructures de base (centre pour les visiteurs, routes d’accès, hébergement…).  
  • - La coopération entre les agences de voyage, les hôteliers et les populations locales afin de renforcer les circuits de découverte du Sahara en utilisant des moyens de transport comme les dromadaires et les chevaux.
  • - L’élaboration de circuits pédestres ou à VTT dans les oasis et les palmerais pour découvrir les différentes techniques agricoles, notamment les aménagements hydrauliques traditionnels hérités des époques phéniciennes et romaines. Ces types d’aménagement existent dans quelques régions du Sud comme Gafsa, Tozeur et Tataouine.
  • - La nécessité de la mise en valeur de l’architecture traditionnelle dans les médinas de Nefta et Tozeur pour qu’elles constituent une composante majeure dans les circuits touristiques et la découverte du patrimoine architectural du Sud tunisien (Banque Mondiale et Office National du Tourisme Tunisien, 2003)[9].    

       Pour résumer cette réflexion, il convient de noter que la gamme de circuits proposée par les agences de voyages est caractérisée par une répétitivité qui, à terme, risque de faire perdre à ce produit son attrait et son originalité. Il serait donc nécessaire de réfléchir à une approche de mise en place de circuits qui tienne compte de toutes les potentialités des régions sahariennes d’une part, et de leur combinaison d’autre part, et d’adjoindre à ces circuits une dimension plus culturelle.    

Conclusion

Ces recherches montrent une sous-exploitation des potentialités touristiques de l’espace saharien.

Notre nouvelle approche géographique de l’organisation spatiale du tourisme dans les régions sahariennes est en grande partie fondée sur les potentialités du Sud tunisien et l’observation des pratiques actuelles du tourisme ; elle dépendra, notamment, des orientations futures de l’Etat en termes d’aménagement du territoire et de l’évolution de la demande touristique internationale. L’avenir du tourisme de circuit dans le Sahara tunisien portant sur le développement des nouveaux produits nécessite une étude approfondie de chaque marché émetteur, un inventaire des ressources touristiques locales, et une réflexion générale sur les contraintes actuelles du tourisme tunisien pour bien cibler les objectifs et faire face aux besoins futurs de la demande.

Le Sud tunisien est une région stratégiquement importante pour un tourisme durable qui permet le passage d’un tourisme balnéaire, basé sur un seul produit, au tourisme saharien développant de multiples sous-produits et valorisant d’autres richesses naturelles et patrimoniales. La mise en tourisme du patrimoine naturel et culturel saharien lui offre une chance de conservation, l’évolution vers un rôle durable qui concilie rentabilité économique et équité sociale et contribue à la naissance d’un rapprochement entres tous les acteurs. L’intégration économique et sociale du tourisme de circuit en milieu saharien suppose que celle-ci cohabite avec les secteurs traditionnels pour les promouvoir. Elle est supposée profiter à une majorité de la population locale de façon à créer plus d’emplois et pouvoir maintenir la population sur le territoire dans un équilibre harmonieux. En outre, l’approche environnementale doit être prise en compte dans l’élaboration des circuits touristiques et dans le processus de développement socioéconomique des régions sahariennes.

Signalons enfin que le développement d’un tourisme durable dans le Sahara tunisien nécessitera tout de même, une mobilisation de la population locale, des acteurs du tourisme ainsi qu’une volonté politique affirmée au niveau local, national et international. Il est évident que ce concept polysémique présente un périmètre incertain et un contenu imprécis, mais la mise en place d’un processus d’évaluation économique et environnementale continue des projets de tourisme saharien permettra dans l’avenir de mieux les recentrer selon des objectifs opérationnels et durables pour les acteurs concernés.

Bibliographie

Banque Mondiale et Office National du Tourisme Tunisien, « Stratégie de développement touristique en Tunisie », rapport final, Tunis, 2003.

Baziz, S. « La diversification du produit touristique tunisien : le produit saharien », mémoire de fin d’études, Institut des Hautes Etudes Commerciales, Tunis-Carthage, 1996.

Office national du tourisme tunisien et Agence japonaise de coopération internationale, « Étude du plan directeur de développement du tourisme en République tunisienne », esquisse du rapport final, tome III, Tunis, édition ONTT, 2001.

Office National du Tourisme Tunisien, « Le tourisme tunisien en chiffres », édition ONTT, Tunis, 2007.

Souissi, M., « Le tourisme international en Tunisie : vers de nouvelles formes et la réorganisation de l’espace touristique », thèse de doctorat en géographie, Université de Paris IV, Paris, 2007.

Souissi, M., « Géographie du tourisme en Tunisie : contraintes et innovations », mémoire de DEA en géographie, Université du Maine, le Mans, 2002.

UNESCO, Observatoire du Sahara et du Sahel, Office National du Tourisme Tunisien, « Stratégie pour un développement durable du tourisme au Sahara », Actes de réunion du réseau consultatif du projet transversal pour l’élimination de la pauvreté, Sidi Bou Saïd, Tunisie, 18-19 avril 2002, rapport final, UNESCO, Paris, 2002.


Notes

[1] Office National du Tourisme Tunisien, « Le tourisme tunisien en chiffres », Tunis, édition ONTT, 2007, p. 49.

[2] Le ksar est une architecture traditionnelle constituée par des Ghorfa -des greniers sans fenêtres où les nomades entreposaient leurs grains- . Empilées les unes sur les autres, les Ghorfa peuvent comporter jusqu’à cinq étages auxquels on accède par des escaliers extérieurs taillés dans la pierre.

[3] Souissi, M. « Le tourisme international en Tunisie : vers de nouvelles formes et la réorganisation de l’espace touristique », thèse de doctorat en géographie, Université de Paris IV, Paris, 2007, p 210.

[4] L’enquête par questionnaire a été établie en trois langues (française, anglaise et allemande) auprès de 1032 touristes étrangers.

[5] UNESCO, Observatoire du Sahara et du Sahel, Office National du Tourisme Tunisien, « Stratégie pour un développement durable du tourisme au Sahara », Actes de réunion du réseau consultatif du projet transversal pour l’élimination de la pauvreté, Sidi Bou Saïd, Tunisie, 18-19 avril 2002, rapport final, UNESCO, Paris, p. 28.

[6] Souissi, M. « Géographie du tourisme en Tunisie : contraintes et innovations », mémoire de DEA en géographie, Université du Maine, le Mans, 2002, p. 93.

[7] Office national du tourisme tunisien et Agence japonaise de coopération internationale, « Étude du plan directeur de développement du tourisme en République tunisienne », esquisse du rapport final, tome III, Tunis, édition ONTT, 2001, p.151.

[8] Baziz, S. « La diversification du produit touristique tunisien : le produit saharien », mémoire de fin d’études, Institut des Hautes Etudes Commerciales, Tunis-Carthage, 1996, p. 18.

[9] Banque Mondiale et Office National du Tourisme Tunisien, « Stratégie de développement touristique en Tunisie », rapport final, Tunis, 2003, p. 110.

 

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