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Séverine KAKPO, « Les devoirs à la maison. Mobilisation et désorientation des familles populaires », Education et Société, Paris, PUF, 2012, 224 p.

Faut-il supprimer les devoirs à la maison au nom des inégalités qu'ils engendrent ? À cette question, désormais au centre des débats idéologiques dans la plupart des environnements éducatifs, Séverine Kakpo répond par un ouvrage, publiant une enquête sur le temps consacré aux devoirs dans les familles populaires. Cette enquête met en exergue les types de relations parents-écoles, et notamment la qualité de l’investissement parental sur les devoirs à la maison. Elle relègue un certain nombre d’idées reçues et s’attache à la diversité des pratiques, montrant qu’un nombre important de familles, loin d’être démobilisées, sont désorientées par l’évolution des codes scolaires. Certaines se les approprient faiblement et développent même des logiques de résistance, comme par exemple face à l’enseignement de l’Histoire-Géographie où la place du « par cœur » semble avoir évolué.

Le paradoxe souligné par l’auteure est que pour certaines familles populaires, c’est bien l’école qui est « démissionnaire » dans l’idée d’une transmission des connaissances et des exigences scolaires. Cette discrimination pédagogique relèverait pour elles d’une mission consistant à maintenir leurs enfants éloignés des bons diplômes. Pour Séverine Kakpo, les parents développent des analyses sociopolitiques qui visent à redonner une cohérence à des évolutions curriculaires dont ils ne parviennent pas à s’approprier les enjeux. Les familles, dit-elle, se déclarent attachées aux devoirs à la maison car elles pensent qu’ils sont indispensables aux apprentissages, permettant un regard et un échange avec l’école ainsi qu’un contrôle du temps extra-scolaire des enfants. L’absence de devoirs est, quant à elle, considérée comme une faille de l’école, les privant d’un moyen de suivre la scolarité de leurs enfants. Les devoirs entrainent des tensions entre enfants et parents qui incitent parfois ces derniers à externaliser leur encadrement. Souvent, la famille fonctionne comme une institution pédagogique autonome en devenant elle-même prescriptrice de devoirs, avec des ressources variées, comme notamment les cahiers de vacances.

L’analyse des données recueillies permet à l’auteure de déclarer que les parents ne sont pas démissionnaires. Au risque, cependant, d’être contreproductifs : il ne suffit pas de faire faire les devoirs, il faut en outre comprendre ce que l’École demande, sans quoi le travail réalisé à la maison peut générer chez les élèves plus d’inconvénients que d’avantages, et perdre un peu plus les élèves confrontés à des exigences contradictoires. L’absence, dans le discours des parents, des normes pédagogiques utilisées par enseignants peut être selon l’auteur le corollaire des « normes éducatives » différentes des uns et des autres : quand les premiers focalisent leur attention sur les résultats immédiats, dit-elle, les seconds cherchent à généraliser les procédures. Faute d’échanges ou de prescription explicite de ce qu’il y a à faire,  on est aux antipodes de ce qu’on demande de faire. La situation est d’autant plus complexe lorsque l’école exporte des tâches renvoyant à des apprentissages non-acquis : pas étonnant que les parents, non professionnels par définition, fassent « comme ils peuvent » pour faire apprendre ce qui devrait l’être déjà.

L’enquête menée par Séverine Kapko détruit in fine un second mythe sur la mobilisation des familles populaires, celui qui consiste à penser que leur investissement est forcément bénéfique à la scolarité des élèves. Certaines injonctions familiales renforcent les difficultés des élèves, et les devoirs à la maison creusent leurs inégalités. La question est de savoir. s’il faut pour autant les supprimer au nom de l’équité?

Aïcha BENAMAR

 

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